Texte intégral
Olivier Mazerolle : Après cette affaire (des dysfonctionnements au sein de la Commission européenne, Ndlr). Peut-on encore se dire favorable à l'Europe telle qu'elle existe aujourd'hui ?
François Hollande : À l'Europe bien sûr, à des réformes de l'Europe aussi, nécessairement. Car, ce qui vient de se passer - cette crise incontestable du fonctionnement des institutions européennes - doit être transformé en acte positif. C'est-à-dire de voir quelles sont les réformes qu'il faut faire au niveau des institutions européennes. Il n'est pas normal qu'il y ait autant de budget, autant de compétence, et finalement aussi peu de responsabilité directe lorsque des commissaires sont en fonction. C'est la leçon qu'il faut tirer. Là, la responsabilité politique a joué.
Olivier Mazerolle : Cette affaire va faciliter la tâche de ceux qui, dans la campagne européenne, vont démolir le fonctionnement de l'Europe actuelle.
François Hollande : Cette situation résulte précisément du choix de beaucoup de ne pas donner aux institutions européennes toute leur place. Si on avait voulu investir la Commission européenne, notamment par rapport à la monnaie unique, au grand marché, il fallait faire de cette commission une véritable institution ; un véritable pouvoir avec des personnes, et notamment le président de la Commission, qui aurait incarné la politique de l'Europe. Au lieu de cela, on a préféré affaiblir la Commission, nommer un président - il faut se rappeler les circonstances : 1994 - qui n'avait l'autorité politique pour cela. Et en conséquence, l'affaiblissement de la Commission a entrainé un certain nombre de dysfonctionnements qui sont aujourd'hui sanctionnés par le Parlement européen. Ne l'oublions pas, s'il y a un Comité des experts, s'il y a cette conclusion, c'est parce que le Parlement européen a voulu mettre en cause le fonctionnement de la Commission. C'était son devoir, et c'est quand même - je peux le dire, ici - une victoire de la démocratie européenne. C'est un Parlement européen qui crée une procédure, cette procédure aboutit à des mises en cause collectives ; ces mises en cause collectives aboutissent à une démission.
Olivier Mazerolle : Les experts du rapport disent que c'était « devenu impossible de· déterminer qui était responsable au sein de la Commission. Or, cette notion de responsabilité ne peut être une idée vague, elle est la raison ultime de la démocratie. »
François Hollande : Je pense que c'est une très bonne remarque. Dès lors qu'il y avait un fonctionnement défectueux du collège de la Commission - c'est-à-dire au-delà de la responsabilité individuelle de chaque commissaire -, il y avait un défaut de contrôle par la Commission de son administration.
Il y a aussi une observation de ce Comité des sages qui est intéressante, c'est que l'administration européenne était visiblement inappropriée, inadaptée aux nouvelles tâches de l'Europe. Le grand marché européen, le contrôle des fonds structurels, la Politique agricole commune qui, déjà, mobilisait un certain nombre de fonctionnaires, eh bien, il n'y avait pas de la part de l'administration européenne suffisamment de moyens. D'où les recours à des cabinets d'experts, à des sociétés de consultants, d'où les abus, d'où les erreurs, d'où même les fraudes.
Et ce que dit le comité des experts, c'est que la démocratie, ce sont des autorités politiques responsables, ce sont des administrations contrôlées ; et lorsque les autorités politiques ne sont-pas fortes et que les administrations sont toutes puissantes, voire qu'il y a « recours à des sociétés extérieures, il y a un défaut. Et donc, la manifestation ultime de la démocratie c'est qu'il faut qu'il y ait des institutions qui fonctionnent ; et quand elles sont défaillantes, il faut qu'elles soient sanctionnées.
Olivier Mazerolle : Cette notion de responsabilité, certains vous diront qu'on ferait bien, en France, de s'en inspirer.
François Hollande : Responsabilité collective, c'est une notion proprement européenne. La Commission, c'est un collège. La responsabilité individuelle, elle, doit toujours jouer. Mais, en Europe, il ne fallait - c'était de la part des Français une attention particulière - dissocier une responsabilité individuelle d'une responsabilité collective. C'est ce qu'a compris le Comité des sages, puisqu'il a dit que c'est toute la Commission qui est en cause.
Olivier Mazerolle : Cela va quand même faciliter les règlements de compte entre nations : on entend les Britanniques, ce matin, dire : « Nos deux commissaires ne se voient rien reprocher, à la différence de Mme Cresson qui, comme on le fait souvent en France, n'a pas manqué de favoriser ses proches. »
François Hollande : A peu près la moitié de la Commission a été entendue par le Comité des sages, et donc la moitié des commissaires a été jugée n'ayant pas contrôlé suffisamment leur administration. Cela dépendait aussi beaucoup des secteurs de compétence ...
Olivier Mazerolle : Mme Cresson est quand mime salement épinglée ?
François Hollande : Elle est mise en cause, individuellement, mais le Comité des experts aurait pu dire : « Il n'y a que Mme Cresson, ou que tel ou tel commissaire. » Ce qu'a dit le Comité des experts c'est : « C'est toute la Commission qui n'a pas fait son travail.
Olivier Mazerolle : Il fallait la soutenir jusqu'au bout, comme l'ont fait le président de la République et le premier ministre, sous prétexte qu'elle est française ?
François Hollande : Il ne fallait pas en faire un bouc émissaire. C'eut été trop commode d'exonérer la Commission dans son ensemble de sa responsabilité. Ce qui n'empêche pas les jugements personnels sur tel ou tel. Mais, maintenant : comment on sort de cette situation ?
Olivier Mazerolle : Aujourd'hui, le Parlement vote sur le nom du président de la Commission, proposé par les quinze pays de l'Union européenne, mais il ne peut pas se prononcer sur la nomination de chacun des commissaires européens. Faut-il en revenir à cela pour empêcher que les chefs d'État et de gouvernement désignent qui bon leur semble ?
François Hollande : Premièrement, il faut que les chefs d'État et, de gouvernement ne fassent pas l'erreur de 1994. Il faut qu'ils désignent un président de Commission qui ait une véritable autorité politique. Et nous, socialistes, nous disons : « II faut que ce président· soit, non · seulement une personnalité forte, mais en plus qu'il corresponde à la majorité politique de l'Europe. » C'est en ce sens qu'il faut redonner une fonction politique à la Commission.
Deuxièmement, le Parlement européen va regarder si la proposition des chefs de gouvernement et des chefs d'État lui convient. Là aussi c'est un très bon principe, c'est nouveau, cela vient du Traité d'Amsterdam : il faut que le Parlement investisse le président, qu'il dépende du Parlement européen.
Enfin, il faut qu'on ait une Commission qui travaille autrement : plus resserrée dans sa composition, plus responsable de son administration, et plus contrôlée par le Parlement européen. Il faut qu'on tire de cette crise un progrès. C'est la leçon de la démocratie.
Olivier Mazerolle : Vous voulez que la Commission conserve son rôle de moteur législatif européen ?
François Hollande : Bien sûr ! Ce qui n'a pas marché depuis plusieurs années c'est que les chefs de gouvernement ont voulu affaiblir la Commission. Le résultat c'est qu'une Commission faible n'a pas pu contrôler son administration. Deuxièmement, ils n'ont pas voulu donner à cette Commission les moyens de répondre aux compétences, qui sont des choses données à l'Europe.
Olivier Mazerolle : La Commission c'est une sorte d'entité fédérale puisqu'elle est chargée de faire fonctionner la collectivité européenne. Donc votre réponse à la crise c'est un peu plus de fédéralisme dans le contrôle européen, plutôt qu'un repli et un renforcement du rôle des États au sein de' l'Europe.
François Hollande : C'est plus de clarté. Aux chefs de gouvernement de prendre leurs responsabilités, de donner l'impulsion nécessaire, de savoir ce qu'ils veulent faire de l'Europe. Une Europe de la croissance, de l'emploi, et une Europe sociale : c'est cela notre message. Deuxièmement, une Commission plus forte, capable de traduire ses orientations ; pas une Commission qui se confonde avec l'administration, avec une technostructure. Ça, ça nous intéresse pas ! On n'a pas fait l'Europe pour faire une administration, et en plus une administration qui fonctionne mal. Et, il faut un Parlement européen qui, non seulement vote des lois - aujourd'hui, il en a la compétence -, mais en plus contrôle effectivement, jour après jour ; le travail de la Commission. Cela s'appelle tout simplement la démocratie. Il faut mettre l'Europe à l'heure de la démocratie.
Olivier Mazerolle : Quand on est favorable à l'Europe comme vous, on n'a pas la tête dans le sac, ce matin ?
François Hollande : Au contraire ! Tout ce qu'on a voulu faire depuis des années, c'est ne pas accepter le principe d'une autorité politique en Europe, et d'une responsabilité politique en Europe. Et, pour la première fois, on a un Parlement qui vient de mettre en cause une autorité politique. Et, je vous l'ai dit : cela commence par s'appeler la démocratie, et, en l'occurrence, la démocratie parlementaire. Ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle pour les Européens.