Interview de M. Hervé de Charette, délégué général du PPDF et vice-président de l'UDF, à RTL le 17 juillet 1997, sur la "passe d'armes" entre M. Jacques Chirac et Lionel Jospin lors du conseil des ministres du 16 juillet sur les "prérogatives" respectives du Président de la République et du Premier ministre.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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R. Artz : Comme ministre de la fonction publique, en 1986, et du logement, en 1993, vous avez participé à des périodes de cohabitation avec, à l'époque, François Mitterrand comme président. Selon vous, la passe d'armes, hier, en conseil des ministres, entre Jacques Chirac et Lionel Jospin, sur leur pouvoir respectif ; c'est un incident grave ou une simple querelle de positionnement ?

Hervé de Charette : M. Charasse a dit, sur ce sujet, des choses de bon sens. Ce qui s'est passé hier n'est pas un événement grave, c'est la suite logique des choses. Nous sommes dans un système dans lequel la France a, comme dirigeants, un président de la République qui a été élu en 1995 sur un programme, avec des convictions, des idées, et puis un Gouvernement qui a été élu en 1997 sur un autre programme. La cohabitation est donc un système contradictoire et je ne veux pas oublier que les Français, parait-il, aiment la cohabitation, mais je veux rappeler quand même que c'est un mauvais système pour gouverner le pays. Et c'est l'image d'une France qui va s'enfoncer dans ses contradictions parce que ses dirigeants lui proposent aujourd'hui soit le libéralisme soit le socialisme et que les Français ne veulent ni l'un ni l'autre. Ils recherchent une troisième voie et, faute de l'avoir, nous vivons dans la cohabitation. C'est mauvais pour la France et ne doutez pas, R. Artz, que dans les mois qui viennent, nous allons voir ces contradictions devenir de plus en plus conflictuelles.

R. Artz : Cela va devenir de plus en plus conflictuel ?

Hervé de Charette : Je le pense.

R. Artz : Est-ce un signe dans ce sens ?

Hervé de Charette : C'est un signe dans ce sens mais je répète, le président est dans sa fonction.

R. Artz : Le Premier ministre aussi ?

Hervé de Charette : Le Premier ministre est dans sa fonction quand il fait son métier de Premier ministre et le président est dans la sienne lorsqu'il rappelle ses convictions parce qu'il a été élu par les Français pour cela.

R. Artz : Mais vous comprenez aussi que le Premier ministre ne pouvait pas faire autrement que répliquer ?

Hervé de Charette : Si le Premier ministre s'imagine que la cohabitation doit être le champ clos de bataille politique, cela ira de plus en plus mal. Je le répète pour ce qui s'est passé jusqu'à présent, cela n'est pas le cas, nous sommes dans les limites habituelles de ce que moi-même j'ai vécu entre 1986 et 1988, et entre 1993 et 1995. Je n'oublie pas qu'en 1986, au début de la première cohabitation, le président de la République, c'était François Mitterrand à l’époque, avait affirmé avec netteté les prérogatives du président de la République. Nous nous retrouvons dans ce scénario. Pour l'instant, il n'y a pas de quoi fouetter un chat

R. Artz : Cela vous rappelle la façon dont François Mitterrand avait refusé de signer les ordonnances demandées par le Gouvernement ?

Hervé de Charette : On n'est pas dans ce cas-là. Il n'y a pas eu d'affrontement de cette nature mais je suis content que le président de la République ait rappelé hier, le 14 juillet, quels étaient ses engagements de président de la République pour lesquels il a été élu, ainsi que ses convictions.

R. Artz : Vous pensez que sur un plan politique, il était important de se démarquer du Gouvernement. Est-ce qu'il y avait un risque qu'apparaisse une complicité Chirac-Jospin ?

Hervé de Charette : Il était en tout cas d'une très grande importance que le président de la République, qui ne s'était pas exprimé de façon forte et significative depuis les élections législatives, rappelle qu'il était là, qu'il avait été élu sur un certain nombre d'orientations précises et que sa légitimité vient de là. Ensuite, je crois en effet qu'il était utile que le président de la République rappelle non seulement qu'il ne restera pas inerte mais qu'il est, devant la Nation, le garant d'un certain nombre de choses. C'est la fonction du président. Et il appartient au Premier ministre de respecter cela.

R. Artz : Est-ce que le président a donc vocation à avoir une image plus ou moins d'opposant ?

Hervé de Charette : Il ne faut pas prendre les choses comme cela car l'opposition, c'est nous, ce n'est pas le président, qui n'est pas le chef de l'opposition. Mais c'est un des grands acteurs du pouvoir exécutif français. Il a, par la Constitution, des responsabilités éminentes et c'est à lui de les exercer.

R. Artz : Il y a donc un lien entre l'opposition que vous êtes et lui qui est à l'Elysée ?

Hervé de Charette : Il est certain qu'il appartient à l'opposition. Il y a même eu un débat à ce sujet. Il appartient à l'opposition de soutenir le président de la République. Mais vous savez, on parle de tout cela alors que la France part en vacances. Je ne veux pas gâcher, par conséquent, le plaisir de ceux qui partent en vacances, mais il faut quand même bien voir que la France va mal. Face au monde qui les entoure, aux échéances qui les assaillent, les Français sont hésitants parce que leurs dirigeants ne leur proposent pas la voie qu'ils espèrent. Dans cette incertitude, la cohabitation sera sans aucun doute l'expression de ses contradictions et dans les mois qui viennent, nous allons voir ces contradictions apparaître. Et chacun sera dans son rôle. Le président dans le sien, le Premier ministre dans le sien, l'opposition dans le sien – c’est-à-dire nous. Nous serons, en effet, je l'espère, engagés dans ce difficile combat qui consiste à essayer de faire en sorte, les uns et les autres, de conduire la France là où est son intérêt.

R. Artz : Lionel Jospin a réuni son Gouvernement aujourd'hui pour examiner les mesures budgétaires nécessaires à la qualification de la France à la monnaie unique. Pensez-vous qu'un plan de rigueur sera inévitable ?

Hervé de Charette : J'espère bien que non parce que je ne crois pas que la rigueur soit le bon moyen de conduire la France vers la solution de ces problèmes. Mais si d'un côté, on dépasse à tout va alors il faudra bien, de l'autre, en tirer les conséquences. Je crois que résoudre nos problèmes ne consiste pas à accroître les dépenses de l'État. Cela ne consiste pas non plus à accroître les impôts. La bonne solution est la réduction des dépenses par une politique d'économies et de sagesse. C'est cela la bonne voie, mais je crains fort que ce ne soit pas celle que le Gouvernement ait retenue et je redoute que ce soit, en effet, d'un côté des dépenses pour faire plaisir aux uns et aux autres et, de l'autre côté, des impôts. Ce serait, en effet, des solutions qui vont ne pas permettre d'être prêt pour la monnaie unique et qui vont contribuer à aggraver la difficulté de l'économie française.

R. Artz : Dernière question : Thomson-CSF. Si l'État est prêt à descendre en dessous de 50 % du capital, vous pensez que c'est une bonne solution ?

Hervé de Charette : Ce que j'entends sur le dossier Thomson est plutôt positif mais il faut voir. Je crois, en effet, que l'idée de rassembler dans un grand pôle français d'électronique de défense, domaine dans lequel la France est l'un des premiers dans le monde, c'est une bonne chose. Rassembler ce qu'il y a d'électronique de défense chez Dassault, Thomson, Aérospatiale, Alcatel, c'est une bonne idée. J'espère qu'on le fera et j'espère qu'on le fera avec le maximum de capitaux privés et le minimum de capitaux publics.