Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, accordées à "La presse", à la radio et la télévision tunisiennes et à Radio France internationale le 5 août 1997, sur les relations franco-tunisiennes, le "partenariat global" entre l'Union européenne et les pays méditerranéens, les travailleurs immigrés et le plan de paix au Proche-Orient.

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Circonstance : Voyage de M. Védrine en Tunisie les 4 et 5 août 1997

Média : La Presse - Radio France Internationale

Texte intégral

Entretien avec « la presse » (Tunis, 5 août 1997)

Question : La visite d’État du président Jacques Chirac à Tunis en octobre 1995 et celle que s’apprête à effectuer en France le président Zine el Abidine Ben Ali, l’amitié personnelle qui lie les deux hommes et les contacts réguliers qu’ils entretiennent, donnent aux relations tuniso-françaises un caractère particulièrement chaleureux. Ne pensez-vous pas que, de ce fait, le contexte est favorable à une dynamisation de ces relations que la Tunisie entend inscrire dans un cadre plus vaste et plus ambitieux, celui du partenariat pour le co-développement ?

Hubert Védrine : La France et la Tunisie sont unies par un ensemble dense à la fois ancien et actuel de liens humains, historiques, culturels, économiques et politiques. L’amitié entre nos deux chefs d’État traduit leur importance. Le chef du gouvernement et l’ensemble des autorités françaises veulent les approfondir.

J’ai souhaité venir rapidement en Tunisie pour confirmer ce caractère privilégié de nos relations et je me réjouis des entretiens que j’aurai à cette occasion sur toutes les questions qui intéressent nos deux pays. Ma visite sera suivie par beaucoup d’autres, à tous les niveaux et dans les deux sens et notamment de la prochaine visite d’État en France du président Ben Ali. Elle permettra de marquer la sympathie dont bénéficie la Tunisie auprès des Français et de lancer ce nouveau partenariat que vous évoquez. La France reste le premier partenaire de la Tunisie. Des échanges constants d’enseignants, de chercheurs et d’experts attestent la proximité de nos deux peuples, unis par les liens tissés pendant des décennies par leurs élites, universitaires, médecins ou ingénieurs. Car la Tunisie, c’est aussi de bons résultats économiques et un effort constant en faveur de l’éducation pour tous et de la participation de la femme à la vie publique.

À l’heure de la mondialisation et des replis identitaires, la France voit dans la Tunisie un exemple d’ouverture sur le monde extérieur. Cette culture, qui remonte à la plus haute antiquité, contient une vision de l’avenir que nous partageons.

La France entend conforter ce choix qu’a fait la Tunisie et qui l’a conduite, la première dans la région, à signer un accord d’association avec l’Union européenne. À cet égard, les autorités françaises apporteront leur soutien aux réalisations prévues par la Tunisie dans son IXe plan quinquennal, qui sera celui de la « mise à niveau ». Nous entendons profiter de la visite d’État du président Ben Ali en France pour préciser le cadre de notre coopération, en mettant au point un accord bilatéral de partenariat, qui complétera la coopération qui se met en place avec l’Union européenne.

Demain comme aujourd’hui, la Tunisie trouvera en la France un partenaire confiant, désireux d’accompagner, dans l’intérêt mutuel, son évolution politique et économique.

Question : Le président Ben Ali préconise l’instauration en Méditerranée d’une « zone homogène intégrée et prospère » notamment à la faveur du dialogue euro-méditerranéen. Qu’en est-il de la place de la Méditerranée et du Maghreb dans les préoccupations de l’Europe communautaire ?

Hubert Védrine : La France est déterminée à faire en sorte que la Méditerranée soit un trait d’union et non un lieu d’affrontements. Ainsi, elle a mis l’accent, depuis le lancement de la conférence de Barcelone, en novembre 1995, sur l’initiative de l’Union européenne visant à établir entre les deux rives de la Méditerranée un « partenariat global » comprenant trois volets (politique et sécurité ; financier ; social, culturel et humain) qui lui paraît répondre à nos attentes communes. Elle est à l’origine du projet de « charte euro-méditerranéenne » dont la deuxième conférence ministérielle à Malte a préconisé l’adoption dès que possible par une réunion ministérielle lorsque les circonstances le permettront. Notamment sous l’impulsion de la France, l’Union européenne souhaite donner plus de contenu à son dialogue avec ses partenaires du Sud.

Sur le volet économique, l’engagement de l’Union européenne, à travers le programme d’assistance financière et technique MEDA, a été confirmé. Le Conseil européen de Cannes, tenu en juin 1995 sous présidence française, avait arrêté une enveloppe budgétaire considérable en faveur de la Méditerranée (4,685 milliards d’écus pour la période 1995-99). La France avait alors obtenu l’accord de ses partenaires de l’Union pour rééquilibrer les budgets d’interventions extérieures en faveur de la Méditerranée.

Il y a aussi beaucoup à faire dans les domaines de la formation, de l’audiovisuel et de la santé. Une conférence à haut niveau sur l’audiovisuel se tiendra d’ailleurs à Salonique en novembre prochain. Je me réjouis que la Tunisie participe au groupe de travail chargé de la préfiguration d’une chaîne multiculturelle et multilingue de la Méditerranée, EUROMED TV.

D’autre part, la même conférence euro-méditerranéenne (« Barcelone III ») aura lieu en Allemagne au premier semestre 1999 ; une réunion ministérielle intermédiaire devrait se tenir en 1998 ; la France propose de l’accueillir à Marseille. À Malte, la Tunisie a confirmé sa candidature pour accueillir « Barcelone IV ». Nous soutenons le principe de la candidature tunisienne et, le moment venu, lui apporterons notre appui.

Toutes ces initiatives méditerranéennes sont les bienvenues, mais leur concrétisation reste trop lente aux yeux de la France.

Question : Le président Ben Ali a aussi plaidé en particulier devant le Parlement européen à Strasbourg pour l’adoption d’une charte euromaghrébine préservant les droits des travailleurs immigrés maghrébins en Europe. La conjoncture prévalant aujourd’hui un peu partout dans les pays d’accueil ne vous semble-t-elle pas favorable à l’adoption d’une telle charte ?

Hubert Védrine : Nous partageons évidemment le souhait du président Ben Ali de voir pleinement respectés les droits et la dignité des travailleurs immigrés maghrébins en Europe. C’est aussi la politique des autorités françaises et la volonté du gouvernement. Comme vous le savez, la France accueille une communauté tunisienne forte de plus de 150 000 personnes, bien intégrée. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à la contribution qu’elle apporte à notre vie nationale.

Des mesures ont déjà été prises, sur le plan bilatéral franco-tunisien pour faciliter le séjour et l’emploi en France des travailleurs immigrés. De telles mesures sont également prévues dans l’accord d’association que la Tunisie a signé avec l’Union européenne. Il y a un vrai souci de l’Union européenne d’œuvrer pour une meilleure intégration des travailleurs immigrés. Le processus de Barcelone et l’édification d’un partenariat européen passent aussi par le volet humain et social. Mais bien sûr tout cela est à perfectionner.

Question : Pensez-vous que la France, en particulier, et l’Europe en général, soient capables d’agir plus efficacement pour sauver la paix au Moyen-Orient ?

Hubert Védrine : Le processus de paix traverse depuis quelques mois une crise très sérieuse. Plus que jamais s’imposent, de façon urgente, les efforts persévérants et conjoints de tous ceux qui sont attachés à la paix. Il s’agit de restaurer la confiance et de faire en sorte que le dialogue reprenne dans l’esprit qui avait présidé à la conférence de Madrid et sur la base des accords déjà conclus, notamment ceux d’Oslo, que tous les signataires devraient respecter !
La France est, comme vous le savez, particulièrement active, avec ses partenaires de l’Union européenne, pour essayer d’obtenir, en concertation avec les co-parrains du processus de paix, la reprise de celui-ci. L’Europe s’est exprimée clairement à Amsterdam. Par ailleurs, l’envoyé spécial européen, Monsieur Moratinos, fait un travail remarquable et tenace que je tiens à saluer. Ne doutez pas que l’action de la France et de l’Europe va se poursuivre afin de sortir du blocage de la marche vers la paix, dont les conséquences, graves pour tous, sont déjà visibles.


Entretien au journal télévisé de langue française de l’établissement de la radiodiffusion télévision tunisienne (Tunis, 5 août 1997)

Question : C’est la première fois que vous visitez la Tunisie…

Hubert Védrine : En tant que ministre…

Question : En votre qualité de chef de la diplomatie française, quel est le bilan concret de cette visite et où en sont les relations tuniso-françaises ?

Hubert Védrine : Je suis extrêmement satisfait de cette visite, courte mais dense, car cela fait à peu près vingt-quatre heures passées en Tunisie et j’ai pu aborder avec mes interlocuteurs, à commencer naturellement par le président de la République qui m’a longuement reçu ce matin, toutes les questions que je souhaitais aborder. Je dis bien « questions » et non pas « problèmes » puisqu’il n’y a pas de problèmes à proprement parler entre la France et la Tunisie. Il y a des questions bilatérales à traiter parce qu’on peut toujours améliorer les choses, même quand elles vont bien, mais il y a aussi beaucoup de sujets sur lesquels la Tunisie et la France ont intérêt à se parler, ont intérêt à agir ensemble et à en tous cas à confronter leurs analyses : le Maghreb, la Méditerranée, la situation tragique au Proche-Orient, l’Afrique. Donc, sur tous ces points, je suis très satisfait. D’abord, de l’accueil que j’ai reçu, et du contenu des entretiens.

Question : C’est la première fois que vous rencontrez ainsi le président tunisien. Quelle impression vous a laissé l’homme d’État que vous avez rencontré ?

Hubert Védrine : J’ai trouvé quelqu’un qui m’a paru très conscient de ses hautes responsabilités pour son pays, très attaché au choix qu’il a fait en ce qui concerne les relations avec l’Europe, notamment à travers l’accord d’association. Pour lui, me semble-t-il, la relation avec l’Union européenne est d’une très grande importance et par conséquent il est précieux, pour lui, de savoir dans quelles directions s’engage l’Union européenne. Ce qui a comme corollaire d’attacher également de l’importance aux relations entre l’Europe et les pays de la Méditerranée. Là, il y a un ensemble qui m’a paru très cohérent, qui m’a paru s’inscrire dans un schéma d’avenir fort sur ce que doit être la Tunisie de demain.

Question : La France est le premier partenaire de la Tunisie. C’est un partenaire privilégié, un partenaire d’autant plus privilégié qu’elle est son premier fournisseur et son premier client commercial. Comment est perçue à Paris l’évolution économique et sociale de la Tunisie, et notamment les performances réalisées dans ces secteurs pour la Tunisie au cours de ces dernières années ? Le président Jacques Chirac lors de sa visite en octobre 1995 avait évoqué le miracle tunisien.

Hubert Védrine : C’est une évolution qui est perçue, je crois, avec beaucoup d’intérêt, beaucoup de considération et un désir très grand de voir cette évolution se consolider et se renforcer car la Tunisie donne l’exemple d’un pays qui a trouvé, en tout cas récemment, un développement qui est assez équilibré, sur le plan social, sur le plan des différentes branches d’activités et qui en plus – nous en parlions il y a un instant – conforte ce choix et le consolide à travers l’option stratégique de la relation avec l’Europe. Donc, nous apprécions beaucoup cette évolution. Nous souhaitons que la France y joue le rôle le plus grand et le plus utile possible et nous souhaitons que la dimension européenne donne encore plus d’élan à ce mouvement qui est un élément de stabilité pour toute cette région maghrébine et méditerranéenne.


Entretien avec « RFI » (Tunis, 5 août 1997)

RFI : Monsieur le ministre, pouvez-vous nous résumer cette visite assez courte de vingt-quatre heures en Tunisie ?

Hubert Védrine : Une visite de travail de vingt-quatre heures, donc courte mais dense, et je crois bien remplie, au cours de laquelle j’ai été reçu d’abord longuement par le président Ben Ali. J’ai aussi rencontré le président de l’Assemblée nationale, j’ai rencontré constamment mon homologue et plusieurs autres ministres et nous avons passé en revue toutes les questions. D’abord, les questions bilatérales entre la France et la Tunisie, économiques et autres, dans la perspective de la visite à l’automne prochain en France du président Ben Ali. Et d’autre part, nous avons parlé des grandes questions sur lesquelles la France et la Tunisie ont intérêt sans doute à travailler plus étroitement ensemble : Maghreb, Méditerranée, Europe, Proche-Orient, Afrique.