Interview de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à TF1 le 7 février 1999, sur les causes sociales et économiques de l'insécurité urbaine, l'élection de Bernard Thibault à la tête de la CGT, les manifestations d'enseignants contre la politique de Claude Allègre, la notion de responsabilité politique, en particulier dans le cadre de l'affaire du sang contaminé et sur sa définition du communisme.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Public - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Michel Field : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous, merci de rejoindre le plateau de « Public ». Robert Hue, bonsoir.

Robert Hue : Bonsoir.

Michel Field : J’accueille en effet ce soir le secrétaire national du Parti communiste français à la fois pour parler de l’actualité de la semaine marquée à la fois par une forte actualité nationale et puis vous le savez, par une grande actualité internationale, notamment au Moyen-Orient avec la mort de Hussein de Jordanie. Nous évoquerons dans la deuxième partie de l’émission, votre projet de rénovation continué du Parti communiste français autour du livre que vous publiez chez Stock « Communisme : un nouveau projet ». J’ai remarqué que communisme était en tout petit, de plus en plus petit finalement dans les couvertures de vos livres. En tout cas il y a Robert Hue en gros, communisme en petit et un nouveau projet en plus gros. Ça se décrypte ?

Robert Hue : Non, non, le communisme a toute sa place et vous allez voir, je le préciserai tout à l’heure.

Michel Field : Oui, mais franchement dans la couverture, minime la place !

Robert Hue : Mais dans la vie, c’est identique avec le nouveau projet, vous allez voir.

Michel Field : Alors on parlera de ça, on parlera évidemment des élections européennes avec l’annonce à la fois que vient de faire François Bayrou qu’il conduirait une liste centriste, l’annonce par Jean-Pierre Chevènement qu’il y aurait probablement une liste du Mouvement des citoyens qu’il n’animerait pas mais qui serait sans doute confiée à Samin Haïr. Enfin bref beaucoup de choses et beaucoup de choses politiques à évoquer. Et puis vous le savez, mardi s’ouvre le procès d’Edmond Hervé, Georgina Dufoix et Laurent Fabius devant la cour de justice de la République et j’ai demandé à Maître Soulez-Larivière qui a été l’un des premiers à s’inquiéter de la pénalisation de la vie publique française et à s’interroger sur les dysfonctionnements du système juridique français sur cette question, de venir nous apporter son éclairage deux jours avant le procès. Voilà, une page de pub et on démarre l’émission.

(Pause publicitaire)

Michel Field : Retour sur le plateau de « Public » en compagnie de Robert Hue, le secrétaire national du Parti communiste français. Et tout de suite la semaine en images.

(Agenda de la semaine)

Michel Field : La mort de Hussein de Jordanie, 46 ans au pouvoir, constituera évidemment le grand titre du 20 heures de Claire Chazal après l’émission, les réactions se multiplient puisque la nouvelle officielle de la mort est arrivée ce matin, onze heures, heure française. Robert Hue, outre les hommages des chefs d’Etat, il y a une sorte d’inquiétude montante aussi. La Jordanie, c’est à la fois un maillon très faible du Moyen-Orient, c’est le pays où majoritairement vivent des Palestiniens. Et c’est vrai que l’engagement pour la paix dans les dernières années du roi Hussein avait été un élément déterminant du processus de paix.

Robert Hue : Oui, je crois qu’au moment de sa disparition, le mot qui vient à l’esprit, c’est le respect. Il va laisser un terrible vide dans cette partie du monde, vous avez raison de le dire, ça ne retire rien aux jugements sévères qu’on a pu porter sur certaines périodes de son règne, je pense notamment à septembre noir, mais il reste que, aujourd’hui, les images que je garde, moi, les plus récentes, c’est Wye Plantation où il est là, souffrant, et il veut contribuer à relancer le processus de paix. Il y a Bill Clinton, Yasser Arafat, Netanyahou et il est là pour pousser le processus de paix et on sent bien effectivement que sa disparition peut être un facteur de déstabilisation et il faut tout faire pourtant pour que ce processus de paix se poursuive et même prenne une autre dimension. Je crois vraiment que… je suis inquiet après sa disparition parce que je répète, il y a là un vide certain et il faut pourtant que dans cette partie du monde, la paix l’emporte, le processus de paix s’engage.

Michel Field : Alors retour sur l’actualité française. Vous le savez, vous pouvez intervenir dans l’émission en appelant au téléphone, en nous envoyant des messages par Minitel, par courrier, par Internet, je me ferai l’écho tout à l’heure d’un certain nombre de vos questions à Robert Hue et tout de suite, sur l’un des thèmes qui étaient soulevés par la semaine en images, les violences à Vénissieux, une question.

Auditeur : Jean-Pierre, de Vincennes. Bonsoir monsieur Robert Hue, c’est une question sur l’insécurité. Le maire communiste de Vénissieux réclame une répression accrue envers les mineurs délinquants. Il demande aussi contre eux des sanctions exemplaires. Qu’en pensez-vous ? Etes-vous plutôt Guigou ou plutôt Chevènement ? Voilà, je vous remercie.

Robert Hue : Je pense que le maire de Vénissieux a raison d’abord de porter l’émotion de sa population, des pompiers après la terrible agression qu’ils ont subie. Il reste que je suis dans un équilibre de point de vue, à savoir je pense que quand il y a des actes aussi graves, la répression s’impose, et est nette, sans appel, forte et ça nécessite un éloignement rapide quand on a là réussi à trouver ceux qui sont responsables. Mais chacun sait bien que la répression ne règle pas le problème, que nous avons affaire à un problème d’une gravité extrême, un problème de société lourd. D’ailleurs j’ai apprécié dans les mesures prises par le gouvernement un certain nombre de dispositions visant à apporter des réponses en terme de formation, en terme de moyens nécessaires. Ce que dit le maire de Vénissieux, j’ai parlé avec lui, il dit : il faut des moyens supplémentaires incontestablement. On parle beaucoup des moyens qui existent, de mettre en œuvre une politique de prévention, de répression quand c’est nécessaire dans ces quartiers lourds, difficiles où il y a le chômage, la précarité, mais il ne suffit pas de parler et personnellement je pense que vite il faut se donner les moyens de cette politique. Les moyens sont très importants et on ne peut pas en rester à l’énoncé d’un certain nombre de propositions même si elles sont tout à fait positives. Il faut, je le répète, davantage de moyens.

Michel Field : Et vous trouvez que Lionel Jospin a maintenu une sorte d’équilibre entre le point de vue répressif et le point de vue préventif, c’était un petit peu ça la question de l’auditeur, Guigou-Chevènement pour caricaturer ?

Robert Hue : Je pense que Lionel Jospin a eu raison de maintenir cet équilibre. Il faut bien, à mon avis, mettre en liaison – il l’a fait aussi Lionel Jospin – mettre en liaison les problèmes auxquels on est confronté, les problèmes sociétaux et les graves problèmes de société auxquels il faut s’attaquer. Chacun sait bien que le chômage pèse terriblement, la précarité. Il y a toute une série d’inégalités fortes qui sont à la source de ça mais donc, Lionel Jospin dit à la fois effectivement ces problèmes sont lourds, ils appellent des réformes profondes, mais en même temps, il parle de proximité et ça, ça m’intéresse. Je suis maire moi-même, je sais que ce qui est essentiel dans l’action contre l’insécurité pour davantage de prévention et que des mesures répressives soient prises quand c’est nécessaire, participe donc de la proximité, il faut une police de proximité, il faut une justice de proximité. Mais ça demande des moyens énormes. Pour le moment, j’ai vu les choix. J’attends vite qu’on dise les moyens et où on prend ces moyens. J’ai quelques idées sur les moyens qu’on peut dégager dans la société française aujourd’hui mais c’est indispensable de s’attaquer ainsi à ce fléau lourd qu’est effectivement cette insécurité. Il y a un droit à la sécurité, il faut vraiment de ce point de vue avancer fortement. Vous savez, je ne suis pas de ceux qui disent : tout va se régler en changeant profondément toute la société et pendant ce temps-là, on attend et ça se dégrade. Moi je suis pour que des mesures soient prises vite et maintenant dans ces quartiers et dans ces villes.

Michel Field : C’est curieux, à vous écouter, j’avais l’impression que le secrétaire national du PCF était porte-parole du gouvernement.

Robert Hue : Mais je suis dans la majorité plurielle, vous ne découvrez pas et effectivement un certain nombre de mesures gouvernementales me vont bien. Vous noterez quand même que sur les moyens, j’ai quelques interrogations. Et donc je pense que c’est de ce côté-là que le gouvernement, vite, doit apporter des réponses.

Michel Field : Alors autre élément important de l’actualité mentionné dans la semaine en images, le congrès de la CGT. A ce propos, une nouvelle question d’un téléspectateur.

Auditrice : Je voudrais savoir monsieur Robert Hue ce que vous pensez de l’élection de Bernard Thibault à la tête de la CGT et que pensez-vous aussi de la décision d’éloigner ce même syndicat, donc la CGT, du Parti communiste ?

Robert Hue : Ecoutez, je suis très content de l’élection de Bernard Thibault à la tête de la CGT d’abord parce qu’il s’agit là d’un congrès très important, un congrès où nous voyons des changements importants proposés par la CGT notamment l’idée de continuer naturellement de se battre pied à pied contre les injustices, les problèmes contre le chômage. Mais en même temps, il y a des choses nouvelles, l’idée d’être un syndicalisme de propositions, un syndicalisme d’unité, rassemblé. Tout ça va dans le bon sens. Je suis très heureux, je le répète. Ensuite, il y a cette ouverture sur l’Europe. Je crois que Bernard Thibault a… j’étais là d’ailleurs quand il a prononcé son rapport d’introduction, il attache une grande importance à ce qui peut se faire au niveau européen et le fait qu’il est pratiquement certain maintenant que la CGT va être partie prenante de la confédération européenne des syndicats, est un élément très important. Quant au rapport avec le Parti communiste, les choses sont très claires : la CGT conduit son action en toute indépendance…

Michel Field : Oui, enfin là c’est un peu la langue de bois parce que ça fait cinquante ans qu’on l’entend. C’est peut-être vrai maintenant mais ça fait cinquante ans qu’on l’entend.

Robert Hue : Ça fait cinquante ans qu’on l’entend, peut-être, mais c’est une réalité concrète aujourd’hui. Le cordon est bien coupé, c’est clair. Et c’est bien pour la CGT et c’est bien pour le Parti communiste. C’est bien qu’il y ait des dirigeants de la CGT y compris Bernard Thibault, qui soient membres du Parti communiste, parmi les dirigeants du Parti communiste et en même temps, c’est bien qu’il y ait ce syndicalisme d’ouverture où en toute indépendance il se propose d’apporter une réponse moderne au syndicat.

Michel Field : En même temps, le cordon est coupé mais on a l’impression que votre jubilation à voir Bernard Thibault et le congrès s’étant si bien passé, ce qui n’était complètement joué à l’avance, on a l’impression que finalement vous allez retrouver à la CGT une sorte d’alliée dans l’entreprise de modernisation du Parti communiste alors que pendant un moment, on a eu le sentiment que c’était plutôt à la CGT qu’il y avait les forces disons qui résistaient à vos propositions de modernisation de l’appareil communiste.

Robert Hue : Vous savez, la France a besoin d’une vie politique profondément réhabilitée, rénovée, et en même temps, elle a besoin d’un syndicalisme moderne. Aujourd’hui que la CGT s’engage dans cette voie, avec des choix qui sont ceux de propositions constructives, bien sûr je vois une similitude de démarche entre ce qui se passe au Parti communiste et ce qui se passe aujourd’hui à la CGT…

Michel Field : Vous ne l’auriez pas dit, je me serais permis de vous le souligner quand même…

Robert Hue : Tout ça va dans le bon sens. Ça va dans le sens de l’intérêt des changements possibles en France. Je crois effectivement qu’il est décisif en politique comme au plan syndical de ne pas s’enfermer dans le repli, de ne pas s’enfermer dans une démarche d’opposition qui ne soit pas en même temps ouverte sur la construction, sur la proposition. Vous voyez, c’est un changement très important. Moi en tous les cas, je la conduis au Parti communiste, cette démarche constructive. Je proposerai pour l’Europe une démarche euro-constructive. Moi je pense effectivement… vous dites jubilation… eh bien je suis content que ça avance comme ça, que la CGT ait cette autorité en France, que Nicole Notat ait pu venir à Strasbourg et qu’elle ait participé de cette unité syndicale nécessaire, cette union, tout ça me va bien, oui, c’est vrai.

Michel Field : Mais est-ce que vous n’êtes pas dans une situation un petit peu de grand écart, pour ne pas dire de duplicité parce que par exemple, il y avait jeudi des manifestations d’enseignants assez violemment dirigées contre le ministre de l’Education nationale, Claude Allègre. Parmi ces manifestants, nombreux sont les enseignants communistes qui défilaient derrière leurs banderoles. Donc il y a à la fois nationalement une sorte de soutien à la politique gouvernementale et puis à la base, une façon d’attiser aussi des mouvements de mécontentement contre ce même gouvernement.

Robert Hue : Les choses vont ensemble.

Michel Field : C’est dialectique ?

Robert Hue : C’est dialectique, c’est vous qui le dites…

Michel Field : Non c’était une question ! Quand on veut essayer de montrer que deux choses contradictoires peuvent être… en même temps, on dit souvent que c’est dialectique, oui.

Robert Hue : Je vois le philosophe qui retrouve son premier métier…

Michel Field : Ce qui était ironique dans ma bouche.

Robert Hue : Je n’en doute pas un instant mais ça ne me gêne pas pour autant. Je pense qu’effectivement aujourd’hui le Parti communiste, il est dans le gouvernement, dans la majorité, il apporte son soutien à la politique gouvernementale mais il le fait comme relais aussi de ce qui se passe dans la société, des exigences de la société. Il y a actuellement incontestablement dans un certain nombre de domaines, je le dis, un doute qui existe par rapport aux engagements du gouvernement. Que des salariés, que des citoyens qui ont souvent d’ailleurs apporté leur soutien au gouvernement en 97, bon s’alertent de la situation, trouvent que ça ne va pas assez vite, trouvent que la réforme, il faut la conduire en concertation – c’est notamment le cas pour l’Education nationale et la recherche – il faut donc qu’on comprenne bien qu’on peut être à la fois très critiques par rapport au gouvernement lorsqu’il ne va assez vite, lorsqu’il ne choisit pas les engagements qu’il avait pris au départ et en même temps être dans ce gouvernement. Il faut qu’on s’habitue à cela ! C’est vrai qu’on était habitué à une sorte de grand écart permanent où on ne pouvait pas critiquer le gouvernement et être en même temps facteur d’ancrage à gauche de ce gouvernement. Eh bien c’est ça la situation nouvelle.

Michel Field : Mais ce slogan « Claude Allègre démission », quelle est vous, votre position ? Parce que beaucoup de vos militants l’ont proféré.

Robert Hue : Ecoutez, en tous les cas, moi, je n’appelle pas à la démission d’un ministre parce que Allègre met en œuvre une politique qui est choisie aussi par le Premier ministre et je pense que de ce point de vue, il faut effectivement entendre les enseignants. Vous savez, il se passe quelque chose d’important par rapport aux enseignants. Un grand nombre de ces enseignants sont des gens qui ont souvent voté à gauche, voté communiste vous le disiez tout à l’heure mais aussi ont voté socialiste et ils ont envie de voir la concertation qui s’engage, qui permette effectivement que se mette en œuvre une politique qui corresponde à ce qu’ils souhaitent. Ça ne signifie pas que Claude Allègre ne fait pas des propositions qui sont tout à fait intéressantes. Mais à mon avis, il y a à mieux se concerter. Vous savez, j’ai été avec des chercheurs à Orsay il y a quelques jours, où j’abordais la question de la politique de recherche. Il me semble qu’ils perçoivent mal mais ils n’ont pas le sentiment d’être suffisamment consultés. Il faut aller dans ce sens et ainsi la gauche pourra réussir dans le domaine de l’éducation et de la recherche et je crois que c’est bien nécessaire. On peut associer cela au problème qu’on évoquait, d’insécurité tout à l’heure. Je pense qu’il faut une formation adaptée à l’école, enfin je ne vais pas développer maintenant là-dessus, mais il me semble vraiment que c’est une question très sérieuse.

Michel Field : Alors avant d’en venir aux questions proprement politiques concernant les élections européennes et puis le contenu de ce livre, votre nouveau projet pour le Parti communiste, je le disais tout à l’heure, mardi s’ouvre le procès d’Edmond Hervé, Georgina Dufoix et Laurent Fabius devant la Cour de justice de la République, c’est l’affaire du sang contaminé qui revient au-devant de l’actualité. Et j’ai demandé à l’avocat, Daniel Soulez-Larivière, de venir nous éclairer sur son point de vue parce que pour lui – j’ai lu un certain nombre de ses contributions chez des confrères de presse écrite – ce procès va avoir je dirais une fonction d’effet de loupe sur les dysfonctionnements du système judiciaire français.

Daniel Soulez-Larivière : Je pense qu’effectivement, indépendamment de la gravité du fond du débat, pour les victimes, pour les hommes politiques, femme politique qui comparaîtront devant cette cour, cet évènement va avoir un effet de loupe et nous permette de mieux comprendre ce qu’est la responsabilité et de faire la division et la distinction qui ne me semble pas être bien comprise aujourd’hui même chez des proches, chez des amis et même parfois chez des juristes, la différence entre la responsabilité politique et la responsabilité judiciaire. Alors la responsabilité politique, elle a été conquise au début sur la responsabilité judiciaire. En résumé, au lieu de couper la tête des Premiers ministres qui avaient raté quelque chose et après leur avoir fait un procès, on se contentait de les laisser démissionner. C’est ce que le Professeur Carcassone rappelle souvent avec Lord North qui avait perdu les colonies en Grande-Bretagne, qui était Premier ministre et il a démissionné… la responsabilité politique, elle est née de ça, c’est-à-dire c’est un acte politique qui est sanctionné par un résultat politique, éventuellement par une démission, et qui a été conquis sur la responsabilité judiciaire. Et aujourd’hui, on assiste à un mouvement un peu à l’envers, qui pose des problèmes et pourquoi ? D’abord je crois qu’il y a un premier problème, c’est qu’il y a un égalitarisme judiciaire qui n’est pas simplement national mais qui est aussi international et qui fait que le public ne supporte plus qu’il y ait des catégories particulières de gens y compris les politiques, qui ne soient pas soumis à la règle commune. On le voit avec l’affaire Pinochet de façon exemplaire, on le voit d’un tout autre point de vue avec l’affaire Clinton à beaucoup d’égards. Et puis il y a un problème aussi spécifique à la France, c’est que cette responsabilité politique qui a longtemps été exclusive de la responsabilité judiciaire, il y a eu une dizaine de ministres qui ont été jugés depuis deux cents ans en France, eh bien elle a cessé d’être visible. Je pense que c’est à partir des années 69-70, après le départ du Général de Gaulle, qu’elle a cessé d’être visible.

Michel Field : C’est-à-dire que quand il y a un disfonctionnement, c’est plutôt un directeur de cabinet qui est démissionné plutôt que la personnalité politique elle-même…

Daniel Soulez-Larivière : Absolument. Jadis, il y avait un détenu de l’OAS qui s’enfuyait d’une prison, le préfet démissionnait immédiatement, éventuellement le ministre. On ratait une élection, on démissionnait. Souvenez-vous du Général de Gaulle qui constamment disait : si ça ne vous plaît pas, si vous ne donnez pas un oui franc et massif à mon référendum, je m’en vais et puis il a fini par partir parce qu’on n’avait pas voté le référendum qu’il avait présenté sur le Sénat. Donc il y avait une responsabilité politique visible qui s’est dissoute parce que finalement, à partir de 74, eh bien est-ce que vous allez partir s’il y a une autre majorité ? Eh bien peut-être que oui, peut-être que non et ça s’est complètement délité. Et puis, en plus de ça, parfois il y a des évènements comme ceux que nous connaissons aujourd’hui, qui justifient ce procès, qui arrivent, qui sont connus après. Donc la sanction, un se délite, elle n’est plus visible et parfois elle n’est pas possible. Donc les gens sont maintenant très fortement accrochés et je crois à une très forte majorité ici comme ailleurs, à une judiciarisation de tout y compris de l’activité politique.

Michel Field : Mais vous, vous trouvez anormal que ces trois ministres risquent des peines au pénal ?

Daniel Soulez-Larivière : Je dis que ça pose des problèmes et nous allons voir pourquoi, parce qu’il y a un problème français à l’intérieur de ce problème général qui est le fait que le public français, parce qu’on ne lui a pas appris et aussi pour des raisons que j’ai expliquées, ne comprend pas la différence entre la responsabilité civile et la responsabilité pénale. Ça c’est un malentendu constant. Même les gens qui vont aux Prud’hommes pour un conflit du travail, disent « j’ai déposé plainte aux Prud’hommes ». Alors qu’est-ce que c’est que la responsabilité civile ? C’est l’article du code civil 1.382 qui dit : tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. C’est-à-dire que tous ceux qui subissent un dommage de par une faute, volontaire ou involontaire, ont droit à une réparation. Et ils vont devant les tribunaux civils et ça se traduit par des répartitions en argent. Le pénal, c’est complètement différent. Le pénal dans les sociétés normales, c’est enfreindre de façon drastique des lois fondamentales de la société, on ne tue pas, on ne vole pas, on n’escroque pas son prochain etc., et ça ne se traduit pas seulement par des réparations mais ça se traduit par une sanction. C’est éventuellement la prison. Alors le problème français, c’est comme la justice a été très longtemps soumise aux pouvoirs politiques et souvent très seconde, on a gavé de poudre pénale absolument tout et on a même créé des infractions qui sont aujourd’hui le problème que nous avons, des infractions dites involontaires, qui n’existent pas dans la plupart des démocraties. Et alors ça, qu’est-ce que ça donne ? Ça donne un problème particulier avec le politique parce que qu’est-ce que l’homicide involontaire ? C’est un comportement d’abstention que l’on considère comme critiquable et comme infractionnel. Et alors le juge, qu’est-ce qu’il fait dans cette situation-là ? Le juge, il a des ministres, il leur dit : écoutez, voilà vous auriez dû faire comme ci et vous avez fait comme ça. Et là, on se trouve devant un vrai problème, un casse-tête parce que c’est une certaine infraction à la règle de séparation des pouvoirs, une perte de responsabilité du politique parce qu’on a ce type d’infraction qui normalement devrait être de l’ordre civil et non pas pénal. Mais alors le problème qu’on a, c’est que la responsabilité de l’Etat elle-même, ça ne fait que cent ans qu’elle existe, ce n’est pas du tout visible. Les procès devant les tribunaux administratifs, les gens ne savent pas ce que c’est ; et le procès civil lui-même, depuis deux cents ans, il n’est pas du tout spectaculaire. C’est un procès qui se fait par écrit, il y a quelques plaidoiries à la fin…

Michel Field : Donc vu la gravité de l’affaire, il fallait la faire passer au pénal pour qu’elle soit spectaculaire.

Daniel Soulez-Larivière : Le procès civil qui devrait être le cénacle naturel de réception de ces problèmes comme dans les autres pays, eh bien il ne remplit pas son office parce qu’il ne permet pas aux victimes de se faire comprendre, de comprendre, il n’y a pas de témoins, il n’y a pas de débats, ça dure une demi-journée ou quelques heures. Alors c’est un vrai problème et la confusion vient de là, il n’y a pas de visibilité de la différence entre le tribunal pénal et de l’intérêt du civil, sans compter et je termine avec ça, qu’en France, on a créé depuis 1906 une unité de la faute civile et de la faute pénale pour ce qui concerne ces problèmes d’homicides involontaires et par là-dessus encore, on a créé la constitution de partie civile qui fait que les victimes, à la différence des autres pays où ça n’existe pas, sont dans le prétoire pénal. Elles peuvent être des procureurs bis, il y a l’avocat de la société et puis il y a l’avocat des victimes qui en quelque sorte se concurrencent…

Michel Field : Ce qui n’est pas le cas devant la Cour de justice…

Daniel Soulez-Larivière : L’ensemble de ces choses un peu complexes mais qui sont ignorées, crée une très grande confusion aujourd’hui et crée à mon avis une source de difficultés particulières à la France qu’il faudrait que les politiques arrivent à résoudre avec courage, ce qu’ils n’ont pas fait depuis la guerre.

Michel Field : Robert Hue, une réaction à cette analyse de Daniel Soulez-Larivière qui, si on met de côté l’affaire du sang contaminé, touche aussi le maire que vous êtes dans l’exercice quotidien de la charge municipale puisqu’on a vu des maires quelquefois mis en examen pour un accident qui arrivait sur leur commune, etc.

Robert Hue : En même temps, c’est vrai qu’on peut généraliser, il reste qu’à propos du sang contaminé, la question est particulièrement sensible aujourd’hui et on voit l’opinion telle qu’elle s’émeut de cette situation, parce qu’on touche à des questions qui sont celles des choix politiques effectivement, qui sont celles de choix scientifiques, de médecins, celles d’éthique, on touche à la vie, à la santé, donc tout ça est très difficile. Il reste que je pense qu’il faut effectivement clarifier le rapport entre la responsabilité pénale et la responsabilité politique. Et de ce point de vue, il faut que la justice effectivement, en toutes circonstances, permette de clarifier une situation et d’apporter des réponses et voire de réparer pour des victimes, mais en même temps il faut bien comprendre – vous avez raison Michel Field – pour un élu, il y a effectivement dans sa responsabilité politique et il est responsable devant le suffrage universel, devant les citoyens, souvent des situations difficiles. Je prends le maire par exemple : il a à signer les permis de construire. Il y a une anomalie dans le permis, il est accordé, il y a un effondrement qui se produit, il y a des gens qui sont victimes. Il y a toute une procédure qui fait que le maire, une partie effectivement de ce qui a été sa décision lui échappe parce qu’il n’a pas les compétences techniques et en même temps il a la responsabilité publique, politique. Alors il me semble en tous les cas, ce que je veux dire par rapport à la question de fond qui est posée, c’est qu’il faut effectivement que pour les Français, il soit bien clair qu’il n’y a pas de traitement de faveur parce qu’on est politique. Mais en même temps, attention avec cette évolution… avec cette pénalisation de la vie politique française, on n’entre pas dans une sorte de chasse à l’homme politique avec une responsabilité écrasante pour l’homme politique. Il a ses responsabilités. Vous savez, je parle en toute conscience. On a affaire-là à quelque chose qui touche des hommes de gauche, ce serait des hommes de droite, je dirais la même chose : en France, on n’a pas à en rajouter, avec cette pénalisation de la vie politique, de montrer du doigt systématiquement les politiques. Ils ont à prendre leurs responsabilités en toutes circonstances, c’est évident, mais à mon avis, il faut faire attention aux dérives en la matière. Je pense que la justice doit faire son travail mais ne pas se substituer au débat démocratique et à ce que peut sanctionner le peuple, c’est-à-dire le jour de l’élection, par le suffrage universel. Donc il y a certainement à travailler… il faut chercher de ce point de vue ce qu’on peut apporter au plan de la justice française en la matière.

Michel Field : On se retrouve après une interruption publicitaire et on revient sur la vie politique du Parti communiste français, les échéances électorales européennes et le livre de Robert Hue sur son nouveau projet concernant son parti.

(Pause publicitaire)

Michel Field : Retour sur le plateau de « Public ». Robert Hue, secrétaire national du Parti communiste français, est mon invité. Parmi les questions, il y en a une un petit peu particulière, traitement de faveur, on est allés la voir avec une caméra, c’est Arlette Laguiller qui vous pose une question.

Arlette Laguiller, Lutte ouvrière : Robert Hue, vous le savez, un nombre croissant de travailleurs et de chômeurs pensent que le gouvernement Jospin mène une politique favorable au grand patronat et néglige complètement les intérêts vitaux des travailleurs. Le chômage est catastrophique, la précarité augmente et la misère, eh bien elle gagne du terrain. Et en participant à ce gouvernement, la direction du Parti communiste cautionne cette politique. Alors Robert Hue, comment pouvez-vous espérer regagner les voix des électeurs de gauche qui sont déçus par la politique du gouvernement Jospin et qui s’étaient portés d’ailleurs sur le Parti socialiste ? Et puis comment vos électeurs pourraient-ils même marquer leur identité communiste alors que vous avez décidé de présenter une liste où à parts égales figurent des candidats qui sont communistes et d’autres qui refusent de l’être ?

Robert Hue : Je n’ai pas d’animosité particulière vis-à-vis d’Arlette Laguiller mais je vois bien qu’elle a du mal à s’ouvrir, elle a du mal à sortir de son repli sectaire. Il faut qu’elle sorte de cette attitude-là. Sinon tous les matins, c’est les incantations. Je lis ses articles… je suis dans un gouvernement bourgeois, réactionnaire, Jospin est un bourgeois etc. Ce n’est pas la réalité. Il faut vivre à notre époque, il faut voir ce qu’est l’évolution des choses. Je ne suis pas d’accord avec un certain nombre d’aspects de la politique gouvernementale. Je suis là pour essayer d’ancrer à gauche cette politique, c’est évident, mais je ne peux pas tomber en permanence dans cet excès, dans cet anathème. Il y a pour moi une différence sensible entre ce qui se met en place aujourd’hui même si je ne suis pas d’accord à bien des égards sur les choses, avec la politique ultra-libérale menée par Juppé et d’autres ! Il faut voir cette différence ! Et quand j’entends Arlette Laguiller, je pense un peu à ce qu’on a peut-être été dans d’autres périodes, c’est-à-dire…

Michel Field : Quand vous dites « on », le Parti communiste…

Robert Hue : Le Parti communiste ! Une attitude très incantatoire voyez-vous, mais qu’est-ce qu’on propose ? Tous les matins, on peut avoir raison en criant sur la réalité capitaliste et je suis de ceux-là mais en même temps si on ne propose pas quelque chose de nature à apporter une alternative, on est dans l’impuissance et c’est un peu ce que je ressens avec Arlette Laguiller, je sens une démarche impuissante, une démarche qui n’est pas efficace. Vous voyez, ce n’est pas polémique de ma part…

Michel Field : Juste un peu.

Robert Hue : Mais non, ce n’est pas mon état d’esprit, ce n’est pas ma façon d’être, mais il faut sortir de ce cercle fermé !

Michel Field : Mais quand elle vous reproche justement ce dont vous êtes si fier, à savoir mener une liste à parité entre hommes et femmes d’un côté et communistes et non communistes de l’autre, pour elle c’est finalement une façon de mettre votre drapeau dans la poche, c’est ça que j’ai compris dans sa question.

Robert Hue : Mais certainement pas ! Cette double parité de la liste aux Européennes, c’est précisément montrer que les communistes à eux seuls…

Michel Field : Ne sont plus assez nombreux pour faire une liste tout seuls ?

Robert Hue : Mais non ! N’ont pas réponse à tout. Vous savez bien que 87 noms, ça se trouve… n’ont pas réponse à tout dans la société et qu’il faut faire avec d’autres. Alors dans d’autres périodes, les communistes ont effectivement eu des compagnons de route, c’était une période. Aujourd’hui, il faut oser en politique. Et aujourd’hui, je défie tous les partis politiques de faire ce que nous faisons, c’est-à-dire oser effectivement mettre à 50 % sur une liste les représentants du Parti communiste mais aussi des représentants de la société civile, du mouvement féministe, mettre madame Geneviève Freiss deuxième de liste, est tout à fait significatif du combat féministe que nous voulons mener. Et là il faut comprendre que la société, elle n’est pas faite d’un groupe de communistes qui auraient raison tout seuls en laissant de côté le mouvement social, en laissant de côté les alternatifs, en laissant de côté les antiracistes. Il faut qu’on offre la possibilité effectivement à ces gens qui ne se retrouvent pas forcément dans le Parti communiste ou dans un autre parti, d’être présents y compris d’être présents à Strasbourg parce que non seulement nous proposons la parité effectivement à 50 % hommes-femmes mais 50 % communistes-non communistes, mais nous proposons la parité dans ceux qui pourront être élus à Strasbourg. C’est-à-dire qu’à Strasbourg, on va pouvoir porter sans être communiste, parce que le Parti communiste a décidé cette ouverture inédite, eh bien des choix politiques, des idées. Le droit de la femme va être porté à Strasbourg par madame Freiss et en toute indépendance. Eh bien ça je crois que c’est une façon de réhabiliter la politique, de redonner à la société civile au mouvement social, sa place dans la société et ça donne un sacré coup de main à la politique.

Michel Field : Alors ça fait écho à un certain nombre de thèmes qu’il y a dans votre livre sur le nouveau projet que vous proposez au Parti communiste, vous y évoquez des réseaux plutôt que des cellules, une exigence de transversalité, vous parlez même de la durée des mandats des dirigeants du PC en trouvant que l’histoire du Parti communiste marquait des mandats trop longs. Est-ce que, alors contrairement au quinquennat qui est toujours bon pour l’autre et jamais pour soi, pour les présidents, est-ce que vous allez appliquer cette préoccupation à vous-même ? J’ai lu quelque part que vous pensiez même à Marie-Georges Buffet pour vous succéder.

Robert Hue : Ecoutez, vous avez lu effectivement, vous lisez bien. J’ai écrit un certain nombre de choses dans ce livre. Qu’est-ce que j’ai dit ? Ce sont des principes. Je dis qu’aujourd’hui, l’ouverture du Parti communiste, sa mutation profonde – et personne je crois ne peut la contester – eh bien le laisse naturellement en situation d’être mieux communiste, mais en même temps, ça nous permet par un renouvellement, par une rotation des cadres militants, de faire moins longtemps dans une responsabilité. Moi je ne crois pas, je ne crois plus du tout à ces mandats très longs qu’on avait à la direction du parti. Je ne porte pas un jugement sur la période précédente, je dis : aujourd’hui, il faut faire autrement, il faut moderniser. Quand je vois la façon dont les jeunes s’interrogent sur leur engagement politique et même de ne pas s’engager en politique et en même temps leur soif de participer à la vie du pays, je dis : il faut bien que les partis politiques se remettent en cause eux-mêmes et commencent à bouger chez eux. Je ne m’occupe pas de ce que font les autres mais au Parti communiste, je suis bien décidé à faire bouger les choses pour que précisément il devienne un lieu d’accueil, où effectivement de façon transversale, on puisse s’engager dans des combats, un lieu où des gens qui ne sont pas communistes ou qui ont été communistes, puissent se retrouver pour apporter des réponses à la société française aujourd’hui.

Michel Field : Alors une question : vous partez quand ?

Robert Hue : Je partirai dans un certain temps, c’est certain…

Michel Field : Ça c’est du Fernand Raynaud, ce n’est pas du Robert Hue, ce n’est pas mal déjà…

Robert Hue : C’est pas mal… non, ça ne sera pas l’histoire des croissants mais il est bien clair que le moment venu, je mettrai mon mandat…

Michel Field : Assez rapidement ?

Robert Hue : Oui, ça peut être assez rapide, mais n’anticipons pas. C’est aux communistes de choisir. C’est un choix personnel et je pense, un choix politique. Que tout le monde fasse ça… bon, je ne dis pas que les choses vont se faire là maintenant, il y a des congrès, voyons venir les choses mais en tous les cas, il faut bousculer un peu, ça surprend peut-être mais je crois qu’on n’a pas le choix. Si on veut renouer des liens entre la société civile, la société tout court et la politique en France – et c’est décisif sinon on va à la catastrophe, sinon on aura un boulevard pour les Fronts nationaux ou national, je ne sais pas comment on dit – alors il faut bien de ce point de vue, à mon avis, mouiller la chemise. Et moi j’ai décidé déjà de poursuivre la mutation engagée mais d’aller plus loin. Il faut réfléchir aux structures politiques d’accueil, c’est ce que je dis dans le livre, il faut bien voir qu’il faut la proximité – je parlais tout à l’heure de la proximité dans le domaine de la crise urbaine – il faut aussi la proximité en politique. Il faut aussi que les gens aient le sentiment que tout ne se décide pas – et ce n’est pas un sentiment bien souvent, c’est bien la réalité – il faut donc casser ça. Alors bon, vous me dites c’est peut-être un peu audacieux, ça peut coincer un peu mais je ne crois pas qu’on a le choix. Vraiment, la France a besoin que l’ensemble de ses partis politiques se rénovent.

Michel Field : Alors pourquoi tenir à ce point au nom Parti communiste qui justement par le passé qui a été le sien, avec ses pages glorieuses et ses pages qui le sont beaucoup moins, est synonyme pour beaucoup de gens justement de ce que vous condamnez aujourd’hui : un centralisme, un autoritarisme.

Robert Hue : N’en déplaise à notre amie Arlette Laguiller, je suis profondément communiste et j’entends le rester.

Michel Field : Mais on ne sait plus trop ce que ça veut dire.

Robert Hue : Je vais vous le dire alors. Communiste, ce n’est pas effectivement socialiste, vous notez, ce n’est pas social-démocrate. Pourquoi ? Ce n’est pas d’ailleurs dramatique de dire ça. C’est que moi, je veux profondément changer la société. J’ai vraiment le sentiment que cette société ultra-libérale vraiment ne correspond pas à ce qu’il faut pour notre peuple, c’est vraiment une société qui est néfaste, qui est régressive, il faut donc la changer et on ne peut pas l’aménager. Certains pensent qu’on peut aménager le capitalisme y compris les sociaux-démocrates, pensent qu’on peut civiliser le capitalisme, qu’on peut l’aménager. Je respect leur point de vue mais moi je ne pense pas cela. Je pense qu’il faut aller plus loin, il faut radicalement mettre en cause, dans les racines, mettre en cause le système de domination de l’argent, des marchés financiers. On ne pourra pas avoir de logique où l’individu, la personne humaine, soit au cœur du mouvement, si on ne met pas en cause ce poids extraordinaire des puissances d’argent des marchés financiers. Alors je pense qu’il faut taper fort. C’est pour ça que je pense qu’il faut engager des réformes au gouvernement bien plus dynamiques pour s’attaquer aux racines mêmes…

Michel Field : Mais vous n’êtes pas vraiment entendu par Lionel Jospin.

Robert Hue : Je pense que Lionel Jospin entendra parce qu’il n’y a pas que moi qui le dis, il y a de plus en plus de gens qui sont dans des courants anti-libéraux, qui s’expriment euro-progressistes. Et puis j’évoquais les 50 % de la liste que je vais conduire, qui ne sont pas des communistes. Eh bien chez ces gens-là, il y a des courants qui s’opposent et il y a un mouvement social. Et le gouvernement, la majorité plurielle doit entendre le mouvement social. Le mouvement social doit accompagner les changements. C’est à cela que je pense dans la prochaine période. Il faut donc que s’engagent des réformes sensibles. Dans le domaine du pouvoir d’achat, il faut vite faire baisser la TVA en France ; il faut vite que l’on engage davantage pour la consommation…

Michel Field : Le ministre des Finances y est hostile. Il est socialiste, il est au gouvernement…

Robert Hue : Oui, eh bien renforçons l’influence du courant dans lequel je suis.

Michel Field : Oui, mais dans votre livre, vous dites : je ne veux pas être le « monsieur plus » qui fait de la surenchère et tout. Mais là, c’est bien de l’incantation que vous faites…

Robert Hue : Non, ce n’est pas de l’incantation.

Michel Field : Vous dites… et en même temps, si ça ne se fait pas, est-ce que vous quittez le gouvernement ?

Robert Hue : Non, par exemple lorsqu’il y a l’idée qui traîne dans la tête de Dominique Strauss-Kahn d’alléger un peu la fiscalité sur les stock-options, vous savez, ce dont bénéficient un certain nombre de cadres associés à la financiarisation de l’entreprise, je dis : ce n’est pas possible. J’ai le sentiment d’être un peu entendu en la matière. Mais surtout, il ne suffit pas… vous dites incantatoire, je suis complètement d’accord ; si on pense un seul instant que c’est seulement ce que je peux dire ou ce que disent des ministres communistes ou d’autres dans le gouvernement qui peut faire bouger les choses, on n’y arrivera pas. Il faut que ce soit l’affaire du peuple lui-même, des citoyens, de ceux qui ont dit « je veux un changement à gauche ». Vous évoquiez tout à l’heure les enseignants qui étaient dans la rue et qui manifestaient. Il y en a là qui sont profondément pour la gauche, beaucoup, la majorité d’entre eux, mais ils veulent qu’on aille plus vite et autrement.

Michel Field : Mais quel espace politique allez-vous avoir dans ces prochaines élections européennes parce qu’il va y avoir foule dans les listes et sur l’espace qui est le vôtre, il y a la liste d’extrême-gauche Krivine-Laguiller, il y a la liste des Verts menée par Daniel Cohn-Bendit, il va sans doute y avoir la liste du Mouvement des Citoyens inspirée par Jean-Pierre Chevènement, ça fait beaucoup de gens sur un créneau qui est finalement un petit peu celui sur lequel ratissait le Parti communiste.

Robert Hue : J’ai vraiment le sentiment que par rapport à ce que j’ai dressé comme champ, comme espace politique, ouvert, au contraire le champ est sensiblement plus large. Vous sentez bien que je ne suis pas dans le repli étroit et la critique systématique de l’ultra gauche, mais ils le font, c’est leur problème. Je ne suis pas non plus dans la démarche de Daniel Cohn-Bendit. Vous savez, Daniel Cohn-Bendit, il est bien sympathique…

Michel Field : Vous avez dîné ensemble.

Robert Hue : On a dîné ensemble, toute la France le sait, saut que je peux dire à la France qui nous écoute, qu’au bout de deux heures de discussion avec Daniel Cohn-Bendit, la sympathie était intacte mais la démonstration était faite pour moi, et il le sait, que sa démarche, derrière tout un bluff habile, est assez libérale. Et quand il dit, Daniel Cohn-Bendit : mon objectif premier, c’est de réduire le Parti communiste. Il n’est pas étonnant qu’Alain Madelin l’applaudisse ! Il faut faire attention.

Michel Field : Si la liste de Cohn-Bendit passe devant la vôtre, c’est un échec personnel de Robert Hue.

Robert Hue : Ecoutez, d’abord on n’en est pas là…

Michel Field : Non, non mais c’est une hypothèse…

Robert Hue : Il faut qu’il mouille un peu plus la chemise et il a pris beaucoup d’avance. A chaque fois que j’ouvre ma radio, la télévision ou un journal, je vois Daniel Cohn-Bendit. Pour le moment il faut qu’il fasse encore quelques démonstrations. Par ailleurs, dans d’autres périodes, on l’oublie aujourd’hui, mais les Verts ont fait 10-12 % aux élections européennes ! Bon, je pense qui si on s’en tenait à l’effet médiatique, Daniel Cohn-Bendit devrait au moins faire 14 à 15 %, je lui souhaite, mais ça va être un peu compliqué peut-être. En tous les cas, moi j’ai la certitude qu’aujourd’hui la liste dans laquelle je vais être, en tête et en cohabitation avec Geneviève Freiss et puis beaucoup de forces de la société civile, du mouvement social, eh bien cette liste va percuter. Je vous assure qu’il est certain, à l’écho qu’il y a déjà sur cette façon que nous avons eue d’oser à la fois la parité hommes-femmes et à la fois une parité politique qui ne s’est jamais faite dans la politique française, eh bien je vois bien déjà l’écho de cette liste.

Michel Field : A quel score seriez-vous satisfait ?

Robert Hue : Très au-dessus du dernier.

Michel Field : C’est-à-dire ? Pour les gens qui ont peu de mémoire ?

Robert Hue : Eh bien on a fait un score en 94 qui était d’un peu moins de 7 %. Les sondages aujourd’hui nous donnent sensiblement plus. Et ces sondages, ces enquêtes – d’abord il faut attendre un peu parce qu’aujourd’hui les Français ne sont pas branchés sur les Européennes et ils n’ont pas tort parce qu’il y a la vie tout court, quotidienne à prendre en compte – mais les enquêtes nous donnent un résultat nettement au-dessus et avec cette ouverture qui est proposée, vous allez voir que les gens qui seront dans cette liste, vont être un apport extrêmement important à la dynamique de cette liste et je suis certain que la surprise va venir de ce côté-là de la vie politique française, j’en suis certain. Donc voilà, je ne déborde pas d’optimisme parce que je suis quelqu’un de réaliste mais en même temps, je vois bien quelque chose qui vient de naître, qui est dynamique et qui va bousculer la vie politique française. Il faut à mon avis le faire.

Michel Field : Vous regrettez la décision de Jean-Pierre Chevènement de faire cavalier seul ?

Robert Hue : Oui, parce que j’aurais souhaité qu’il soit sur la liste, il le sait… Enfin pas lui, parce qu’il avait décidé, en tant que ministre de l’Intérieur, je crois, de ne pas être sur une liste. Mais je pense que le MDC pouvait être sur la liste. Il ne souhaitait pas, Jean-Pierre Chevènement, cette liste telle que je la conçois et telle qu’on l’a conçue, c’est-à-dire une liste nettement ouverte, où ce ne soit pas un tête-à-tête Parti communiste – MDC à l’ancienne. Je souhaite cette ouverture plus conséquente. Il n’était pas d’accord là-dessus. Avec Jean-Pierre Chevènement, j’ai beaucoup d’amitié pour lui, il y a beaucoup de convergences sur l’Europe, il y a beaucoup de convergences sur des choses qui tiennent à l’Etat, à la nation, à la République mais il y a des différences fortes. Je ne suis pas d’accord avec lui sur toute une série de questions sociétales, il le sait, sur les sans-papiers, sur l’étatisme…

Michel Field : Sur les sauvageons…

Robert Hue : Les sauvageons peut-être aussi, voyez, il y a beaucoup de choses qui nous différencient, il le sait. Ça n’empêchait pas qu’on pouvait avancer. Il souhaite faire un choix différent. Bon, nous, nous avons fait ce choix d’ouverture.

Michel Field : Il y a une question à laquelle vous ne m’avez pas répondu concernant Marie-Georges Buffet, qui était présentée dans un article je crois du Nouvel Observateur comme votre successeur possible.

Robert Hue : Très bien. Je vois que la liste euro-féministe qu’on va animer là, est déjà dans votre langage, parce que Marie-Georges Buffet sera effectivement symboliquement à la fin de la liste que je conduis par ailleurs. Marie-Georges Buffet est une excellente ministre des Sports, de la Jeunesse et des Sports. L’opinion publique française la reconnaît comme telle. Ce qu’elle vient de faire avec courage sur le dopage, montre ce que sont les communistes dans les institutions de la France, dans un gouvernement. Eh bien Marie-Georges Buffet a toutes les qualités pour être à la fois longtemps ministre encore et aussi un jour peut-être dans des responsabilités au plus haut niveau du Parti communiste.

Michel Field : Bien. La langue de bois, il faudra encore travailler un peu pour qu’il y en ait moins…

Robert Hue : Ecoutez, vous ne voulez pas que je vous dise les choses avant les militants ! La démocratie, ça existe aussi.

Michel Field : Bien. Merci Robert Hue. Je rappelle le titre de votre ouvrage « Communistes : un nouveau projet » chez Stock.