Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, à RTL le 28 mars 1999, sur le conflit du Kosovo et l'intervention de l'OTAN, le bilan du Conseil européen de Berlin, la préparation de la deuxième loi sur les 35 heures, la pérennisation des emplois-jeunes, les propositions de la CNAM sur le conventionnement des médecins, la réforme hospitalière et l'avenir des retraites.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - RTL

Texte intégral

Olivier MAZEROLLE : Bonsoir Madame AUBRY. Depuis cinq jours, la Serbie est bombardée par les avions de l’alliance atlantique et ce matin, le ministre allemand de la défense a annoncé qu’un génocide avait commencé au Kosovo.

Alors, nous allons parler avec vous de cet acte politique majeur qui est l’engagement de la France dans cette opération. Puis, nous évoquerons avec vous des questions qui sont plus spécifiquement les vôtres, les 35 heures, la sécurité sociale et les retraites. Pierre-Luc SEGUILLON et Patrick JARREAU participent à ce Grand Jury retransmis sur RTL et sur LCI. Le Monde publiera dans on édition de demain l’essentiel de vos déclarations.

Alors Madame AUBRY, Laurent FABIUS, président de l’Assemblée nationale a déclaré : « La France est en guerre ». Ce mot de guerre, le Gouvernement ne l’utilise pas, mais son usage, son utilisation par le président de l’Assemblée nationale montre qu’à gauche il y a des doutes, des interrogations sur l’utilité de ces bombardements. Vous-mémé, vous êtes membre de ce gouvernement qui a pris cette décision. Pleinement solidaire, sans état d’âme ?

Martine AUBRY : Pleinement solidaire, tout en ayant des inquiétudes, bien évidemment. Comment ne pas en avoir quand on voit l’accélération de l’épuration ethnique et quand on essaye de regarder comment va se passer la sortie. Ceci dit, je crois qu’il faut dire des choses simplement. Inutile de revenir sur les exactions passées et actuelles du président MILOSEVIC.

Je crois que Rambouillet était une bonne chose, parce que pour la première fois on a essayé de sortir des haines, des violences, pour essayer de rentrer dans un processus de discussion pour essayer de mettre les protagonistes autour d’une table.

Malheureusement, MILOSEVIC n’a pas accepté une sortie qui était possible et je pense que la décision qui a été prise, peut être au regard d’ailleurs de notre incapacité lors du conflit bosniaque, a été de se dire qu’en Europe, on ne peut pas accepter la barbarie, des zones de non droit, etc. Je crois qu’il faut dire tout aussi simplement, parce que certains ont l’air de s’en étonner aujourd’hui, qu’une intervention armée, comme guerre, ce n’est ni frais, ni joyeux et c’est évident que lorsqu’on se lance dans une telle opération, cela a des conséquences et on le voit bien, parce que les Serbes sont des militaires de premier plan. Parce que le président MILOSEVIC est un homme qui ne se laisse par faire.

Ça a des conséquences et on les vit actuellement au Kosovo. Ça peut aussi en avoir sur ceux qui aujourd’hui bombardent. Donc, pour moi l’essentiel est qu’on continue à rechercher par toutes les voix la paix, notamment et c’est ce qui se passe actuellement, en gardant contact avec les Russes qui peuvent peut-être, être un bon interlocuteur par rapport à Belgrade. Peut être en réfléchissant à toutes les voies possibles pour trouver un accord global en Serbie. Un accord qui peut-être dépasse l’autonomie du Kosovo. Quelles sont les conditions économiques pour que la Serbie aille mieux ?

Quelles sont les conditions politiques pour qu’un certain nombre d’assurances soient faites. Bref, cherchons autant la paix avec la même vigueur que nous essayons de faire céder aujourd’hui MILOSEVIC par ces frappes.

Patrick JARREAU : Mais est-ce que l’une de vos inquiétudes que l’on soit obligé, s’il y a résistance continue de MILOSEVIC, de poursuivre au-delà des bombardements par une intervention militaire au sol. Et quelle exégèse faites-vous de la réflexion de Lionel JOSPIN : « il faut garder la tête froide » ?

Martine AUBRY : Bien, je pense que Lionel JOSPIN est mieux placé que moi pour répondre. Il a dit : « nous ne laisserons pas aller là où nous ne voulons pas aller ». Ce qui signifie que la France a considéré qu’il fallait agir, mais que la France souhaite que ça soit la paix qui gagne et le plus vite possible. Alors, est-ce que ces frappes vont être suffisantes. A chaque jour suffit sa peine. Inutile de regarder pour l’avenir. Encore une fois, pour moi l’essentiel c’est que la recherche de la paix soit la première des conditions. Nous ne sommes pas en guerre contre une nation, la Serbie. Il ne faudrait pas que les Serbes le croient. Nous souhaitons lutter contre la barbarie dans cette partie de l’Europe. Il faut que cette partie de l’Europe où nous savons qu’elle a vécu depuis des siècles et des siècles des drames. C’est là, dans les Balkans que se sont éteins des empires byzantins, romains, ottomans. Tout cela a laissé des traces dès l’époque, sans compter les deux guerres mondiales. C’est sans doute l’un des rôles majeurs de l’Europe que d’essayer de retrouver une paix dans cette partie qui est la sienne.

Olivier MAZEROLLE : Mais ne pas laisser la barbarie s’installer, mais si, comme on semble le constater actuellement, les bombardements sont incapables d’empêcher le génocide au Kosovo, c’est un mot très fort qu’a utilisé M. SHARPING, ministre socialiste allemand de la défense. Il va bien falloir faire quelque chose ?

Martine AUBRY : Vous savez qu’avant même les frappes, il y avait des dizaines de milliers de morts au Kosovo. Qu’aurait-on dit si on n’avait pas réagi ? Mais encore une fois, la réponse elle est essentiellement dans les efforts que nous déployons pour que la diplomatie continue à fonctionner et pour que ce soit la paix qui gagne le plus vite possible.

Patrick JARREAU : Est-ce qu’il n’y a pas un problème, alors cette fois-ci, au sein de la majorité plurielle ? Pour la première fois et sur une question aussi grave, cette majorité est profondément divisée puisqu’il y a un désaccord profond entre les communistes, voire le mouvement des citoyens d’une part et les socialistes de l’autre ?

Martine AUBRY : peut-être moins profond de la part du mouvement des citoyens et des verts tel qu’ils l’ont exprimé, c’était plus des questions que nous nous posons tous : « quelles sorties, pour quoi faire ? » que de la part du parti communiste. Je pense qu’il est bon par rapport à une décision aussi grave, car on ne rentre pas dans une intervention armée comme cela, sans que chacun puisse s’exprimer. Parce que dans le fond, ces décisions ne sont pas faciles. Quand on y entre, on pense les avantages d’y entrer pour ramener encore ne fois, pour mettre fin à une épuration ethnique, tous simplement, sont plus forts que les inconvénients, mais on sait qu’il y a des inconvénients.

Donc, personnellement, je ne suis pas gênée qu’un tel débat ait lieu et je pense même que c’est une bonne chose, que dans la majorité actuelle, un tel débat puisse avoir lieu. Cela permettra peut-être de réfléchir aussi ensemble à la façon de reprendre une solution globale, peut-être faut-il chercher d’autres éléments que ceux qui ont été mis sur la table jusqu’à présent et poursuivre encore une fois la diplomatie.

Olivier MAZEROLLE : Quand Robert HUE dit : « c’est une connerie cette guerre »…

Martine AUBRY : Je ne peux pas partager ce point de vue. Cela ne m’empêche pas d’être inquiète.

Patrick JARREAU : Sur la méthode, il y a eu des critiques sur le fait qu’il n’y ait pas eu de débat au Parlement avant la décision d’intervenir. Est-ce qu’il y a eu débat ou consultation au niveau du Gouvernement ? Je vous pose la question, parce que je me souviens que Lionel JOSPIN avait été assez critique qu’en 1991, au moment de la guerre du Golfe, François MITTERAND n’avait guère associé les ministres a ses décisions.

Martine AUBRY : Non, il n’y a pas eu de débat au sein du Gouvernement entre les ministres qui n’étaient pas directement intéressés. Ils étaient déjà quelques-uns à être intéressés. Il y a eu en permanence un travail entre le chef de l’Etat, le chef du Gouvernement et les principaux ministres intéressés. On voit bien que tout s’est accéléré avec le refus des Serbes, très récemment, et qu’à partir de là, les décisions qui devaient être prises, ont été prises par les autorités compétentes, mais il n’y a pas eu de débat au niveau du Gouvernement.

Patrick JARREAU : Est-ce que vous avez le sentiment que l’opinion française a été suffisamment informée et associée à ce qui se passait ? On l’a vu, il y a aujourd’hui un sondage publié par Le Journal du Dimanche qui montre que les Français approuvent majoritairement cette décision, mais quand même moins qu’ils n’avaient approuvé la décision d’intervenir contre l’Irak, il y a 9 ans.

Martine AUBRY : Oui, mais vous savez c’est très simple. La guerre, elle est à nos portes, là. Donc, les Français, même si certains considèrent qu’effectivement les raisons qui ont poussé à cette intervention armée sont les bonnes, et bien, ils craignent pour l’avenir. Ils ont les mêmes inquiétudes que vous et moi pouvons avoir aujourd’hui et je les comprends.

Olivier MAZEROLLE : Vous venez d’utiliser le mot « guerre ». Ça ne vous gêne pas de l’utiliser ?

Martine AUBRY : Non, c’est une intervention armée, une intervention armée c’est quand une armée part contre ne autre. Ce n’est pas une guerre contre une population, ce n’est pas une guerre contre une nation.

C’est une intervention armée contre des éléments militaires et peut-être même contre des troupes militaires dans les heures qui vont venir.

Pierre-Luc SEGUILLON : Dans le déclenchement de cette guerre, appelons-la par son nom, et dans la poursuite de cette guerre, est-ce que vous avez le sentiment que l’Europe a tout son rôle ou qu’elle est en situation de supplétif des Etats-Unis ?

Martine AUBRY : Eh bien, je pense que pour la première fois l’Europe a eu un plus grand rôle qu’auparavant. D’abord, parce qu’au sein du groupe de contact, quatre pays européens étaient là et parce que le rôle de Robin COOKE et de Hubert VEDRINE a été absolument déterminant. Et je crois que c’est une bonne chose. Ensuite, peut-être parce que, pour la première fois, l’Allemagne a pris une position avec l’Europe, sur une opération de cette nature.

Je pense qu’entre ce qui se passe ici au Kosovo et entre ce qui s’est passé à Berlin, ces derniers jours, on a l’impression aujourd’hui que l’Europe prend une maturité qu’elle n’avait jamais prise auparavant.

Alors, bien sûr ça ne veut pas dire qu’aujourd’hui nous avons une défense commune, que nous avons une politique extérieure totalement commune, mais je crois que les pas sont extrêmement importants ces derniers jours et je ne parle pas uniquement du Kosovo, je parle également de la décision qui a été prise sur la reconnaissance potentielle d’un Etat palestinien, pour ne prendre que cet exemple là. Et au-delà, de la politique agricole commune ou des conditions de l’élargissement.

Donc, l’impression que j’ai, c’est qu’après une crise un peu difficile et c’est souvent comme cela après une crise, c’est que l’Europe donne l’impression d’une maturité, d’une unité, d’une convergence politique plus forte qu’elle ne l’a fait ces dernières années et personnellement, évidemment, je m’en réjouis.

Olivier MAZEROLLE : Mais elle a besoin de la force militaire américaine ?

Martine AUBRY : Et bien aujourd’hui la force américaine intervient bien évidemment, mais encore une fois, nous allons fêter les cinquante ans de l’OTAN dans quelques jours. Ce sera sans doute l’occasion de se reposer des questions. L’OTAN a été créée en période de guerre froide, l’environnement international a changé, sans doute faut-il repenser à la fois le rôle des différents alliés dans l’alliance atlantique et le rôle que l’Europe peut avoir au sein de cette alliance et je crois que ces débats sont devant nous.

Olivier MAZEROLLE : Est-ce que cette affaire du Kosovo instaure une nouvelle ligne stratégique. Après tout, Lionel JOSPIN, dans son discours a parlé « des valeurs de notre Europe » et qui interdisent finalement de laisser la barbarie s’installer à la porte de cette Europe. Ça veut dire que désormais l’Europe s’investit d’un droit d’ingérence à ses portes ?

Martine AUBRY : C’est à ses portes ou au sein même de l’Europe. Qu’est-ce qu’attendent finalement les Européens de l’Europe ? Bien évidemment, nous somme très heureux d’avoir fait l’Euro, nous sommes très heureux d’avoir un grand marché unique, mais ce qu’attendent aujourd’hui les Européens de l’Europe, c’est qu’elle soit capable de porter haut et fort les valeurs qui sont les siennes. Et les valeurs qui sont les siennes, c’est de construire une société où l’homme est au cœur. C’est de construire une société où la solidarité a un sens. Ou bien évidemment les droits de l’homme — il faut quand même toujours se rappeler que l’Europe philosophiquement, elle vient des philosophes du XVIIIe siècle — c’est-à-dire toute cette période de reconnaissance de la possibilité collectivement de penser un modèle, de penser l’avenir et de se donner les moyens pour y arriver. C’est ça qui distingue peut-être l’Europe des autres civilisations. Et je pense que ce qui nous attend, en terme de construction politique de l’Europe, c’est bien la définition et la mise en valeur de ces principes fondamentaux. Mais on pourrait les étendre par exemple à l’idée d’avoir un pacte social européen ou d’avoir un champ unique de droits pour les Européens qui touchent à l’accès aux soins, à l’accès à l’éducation et qui soient porteur d’un modèle européen, d’abord en notre sein, dans les pays qui vont nous retrouver et puis, peut-être, au-delà.

Donc, je crois bien qu’on est là dans les prémisses d’une véritable Europe politique qui défend ses valeurs et qui les met au premier plan.

Pierre-Luc SEGUILLON : C’est une prémisse d’une Europe politique. Mais vous reconnaissez aussi, si on revient au Kosovo, que ce sont les prémisses d’une nouvelle règle d’intervention internationale. C’est-à-dire, on intervient à l’encontre, le cas échéant, d’un Etat souverain, au nom, soit du respect des droits de l’homme, soit du respect d’une minorité qui ne serait pas écoutée par le pouvoir central.

Martine AUBRY : Disons que c’est une évolution effectivement, y compris du droit international mais qui prend en compte…

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais qui peut aller très loin ?

Martine AUBRY : Non, mais qui prend en compte aussi les évolutions de notre monde. On ne peut laisser — les informations sont telles aujourd’hui et heureusement — que chacun sait ce qui se passe chez son voisin ou un peu plus loin. Quand on défend les droits de l’homme et qu’on considère que ces droits sont universels, je crois qu’on doit tout faire pour les voir maintenus partout. Mais pour moi, c’est aussi la lutte contre la famine, l’éducation dans les pays en voie de développement, que ces problèmes de barbarie et d’épuration ethnique. Et je pense que nous devons avoir une vision beaucoup plus large des choses et notre intervention — et là je pense que les Américains devraient aussi réfléchir à cela — notre intervention ne doit pas se limiter à des interventions militaires où nous disons aux autres, ce qu’ils doivent faire. Nous devons aussi les aider à pouvoir construire des sociétés où l’homme soit au cœur. Et ça, ça pose des problèmes beaucoup plus lourds dont le dialogue Nord-Sud est un problème majeur.

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais en ce sens, j’imagine que vous êtes mal a l’aise avec ces interventions à géométrie variable, c’est-à-dire qu’on intervient au Kosovo, mais pour reprendre les critiques qui sont adressées à l’encontre de ceux qui reprochent cette intervention au Kosovo — pourquoi est-ce qu’on intervient pas contre la Turquie, pourquoi est-ce qu’on a laissé des génocides s’effectuer en Afrique, etc. ?

Martine AUBRY : Je dirai que j’étais plus mal à l’aise quand on ne faisait rien, que quand on essaye de ramener la paix.

Patrick JARREAU : Est-ce que c’est la même Europe, selon vous, parce que là on rejoint le débat européen d’aujourd’hui. Est-ce que c’est la même Union européenne qui peut être le lieu d’une politique de sécurité commune ou bien est-ce qu’on ne voit pas précisément à travers ce qui s’est passé au Kosovo, la composition du groupe de contact, qu’en réalité c’est une autre géographie de l’Europe qui est en train d’intervenir dans ce type de conflit ?

Martine AUBRY : C’est-à-dire ?

Patrick JARREAU : Qui associe davantage des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne.

Martine AUBRY : Oui, bien sûr, mais où l’Europe pour la première fois, parle d’une voix unie et joue un rôle majeur, car je crois que c’est quand même cela qu’on peut retirer du travail du groupe de contact.

Olivier MAZEROLLE : Alors sur un sujet beaucoup moins tendu ou dramatique, mais tout de même important. Il y a eu ce sommet de Berlin, au cours duquel également un accord a été conclu sur le financement de l’Europe pour les six années à venir, sept années à venir. Quelles conclusions est-ce que vous tirez ? Que finalement les Européens sont capables de s’entendre sur autre chose que le bombardement des Serbes ?

Martine AUBRY : Vous savez, l’accord de Berlin, il était nécessaire. Il était nécessaire d’abord, parce qu’après l’Euro, les Européens attendent d’autres réponses de la part de l’Europe, que ce qui a été fait jusqu’à présent pour consolider un certain nombre d’acquis, car il me faut dire qu’on démarre de rien. Des acquis sociaux, des acquis de coordination de politique économique, des acquis en terme de droit divers. Nous savions pertinemment que cette échéance était très importante et conclure un accord, à la fois, sur la politique agricole commune qui maintient les bases d’une politique d’une politique agricole commune et qui ne la démantèle pas, comme ceux qui souhaitaient un cofinancement entre les nations et l’Europe, auraient souhaité le faire. Un accord qui permet de préserver l’avenir, c’est-à-dire de ne pas avoir des dépenses qui flambent et qui nous permettent d’envisager l’élargissement dans de meilleures conditions. Une réforme des fonds structurels qui préserve les régions et les secteurs les plus en difficultés.

Je crois que cet accord était nécessaire pour que l’Europe puisse aborder d’abord les élections européennes qui sont un moment majeur pour les Européens et puis l’avenir dans de bonnes conditions.

Et l’avenir, bien évidemment, avec que qui c’est passé ces derniers jours, à Berlin, on a pas eu le temps d’en parler, mais pour moi c’est essentiel et je dira que ça rejoint un peu les conclusions de Milan, où les partis socialistes et sociaux-démocrates européens se sont réunis. Je pense qu’il nous faut maintenant aller de l’avant, sur la coordination des politiques économiques pour ne pas nous satisfaire d’un taux de croissance, comme ces vingt dernières années, de 2 % en moyenne qui n’est pas suffisant pour faire reculer le chômage. Qu’il nous faut préparer ce pacte pour l’emploi que les Allemands ont annoncé, dont on n’a pas pu parler à Berlin, mais j’espère que le 15 avril, on pourra en parler. Pour pouvoir avancer sur ce pacte social européen, sur des rapprochements en matière fiscale et puis, surtout, j’allais dire, pas surtout aussi, sur la réforme institutionnelle pour savoir comment nous allons pouvoir avoir des instituions européennes plus transparentes, plus démocratiques, comme l’attendent les Européens, notamment après la dernière crise de la commission.

Pierre-Luc SEGUILLON : Pour mener à bien tous ces projets, est-ce que Oskar LAFONTAINE ne va pas vous manquer. Enfin, je veux dire, est-ce que sa démission  ne signifie pas finalement que Gehrad SCHRODER est peut-être moins que sur la ligne que vous venez de définir que sur une ligne, peut-être, plus pragmatique et plus libérale ?

Martine AUBRY : Ecoutez, d’abord au-delà du fait qu’il est difficile de s’exprimer sur une politique intérieure d’autres pays, c’est sûr que LAFONTAINE était un ami et un ami des Français et notamment des socialistes français. Mais rien ne permet de penser aujourd’hui que M. SCHRODER ne va pas dans le même sens que nous. Certains avaient d’ailleurs dit qu’il bloquerait à Berlin. A Berlin, et il faut le saluer, il s’est comporté comme un président de l’Europe, avant d’être un Chancelier de l’Allemagne et ce n’était pas évident d’après ce que disaient les divers commentateurs.

Pierre-Luc SEGUILLON : Et comment vous interprétez précisément ces concessions qu’a fait Gehard SCHRODER qui ont été un petit peu inattendues ?

Martine AUBRY : Je pense que Gehrard SCHRODER a compris qu’à Berlin, après la crise qui avait eu lieu au niveau de la commission, c’était le moment de reprendre un second souffle pour l’Europe et qu’il fallait conclure. Qu’il fallait montrer que quels que soient nos intérêts qui sur un sujet particulier et depuis toujours, peuvent être divergents, que ce soient les prix des céréales ou le renvoi de la négociation sur le lait, le fait d’avoir un accord à Berlin était très important pour l’Europe, pour repartir d’un bon pied et pour aborder les grands débats qui sont devant nous, réformes institutionnelles, pacte pour l’emploi, élargissement.

Olivier MAZEROLLE : A propos de la commission, elle va être dotée d’un nouveau président en la personne de M. PRODI, un italien. Il n’est pas socialiste. Qu’attendez-vous de lui ?

Martine AUBRY : Je crois que Romano PRODI, que je connais bien, partage vraiment les valeurs de base qui sont celles des socialistes et des sociaux-démocrates. Je pense que c’est un homme d’abord qui a réussi et je crois qu’il faut le dire, non seulement à amener l’Italie vers l’Euro, ce que chacun dit, mais à le faire dans de bonnes conditions et des des conditions qui ne soient pas des conditions d’injustices sur le plan social. En plus, c’est un homme qui a des compétences majeures dans divers domaines, pas seulement économiques, mais en terme de négociations aussi et pour le bien connaître, je pense qu’il partage profondément les valeurs des pays majoritaires en Europe aujourd’hui.

C’est enfin une personnalité qui a su montrer en Italie, même si c’est toujours un peu difficile, ses grandes capacités. C’était le candidat de la France et moi, personnellement, je me réjouis vraiment très fortement qu’il soit le président de la commission.

Patrick JARREAU : Vous avez évoquez le pacte social européen, qui est à vos yeux une priorité sur l’agenda européen, mais est-ce que les socialistes français ne sont pas un peu isolés sur une question majeure à cet égard, qui est celle de la réduction du temps de travail ?

Martine AUBRY : Ecoutez, je ne le sens pas comme cela. Pour tout dire, depuis des années et des années, j’assiste à des G7, maintenant à des G8, à des commissions européennes et la France donne toujours un peu l’impression d’être en marge. Et c’est un peu l’esprit qui prédominait il y a deux ans. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. Que ce soit sur la durée du travail ou sur les emplois jeunes, la plupart de nos collègues viennent voir ce qui se passe chez nous, pour regarder comment ils peuvent faire. Non pas, obligatoirement la même chose et selon la même forme.

Chacun a son système dans l’action sociale. Beaucoup, il faut bien le dire, sur la réduction du temps du travail, je pense aux Allemands, je pense aux Néerlandais, étaient bien plus en avance que nous, mais on regarde ce qui se passe actuellement en France. Un grand journal économique anglais a tiré récemment : « les 35 heures, ça marche ». Economique, libérale, je le précise tout de suite, ce qui veut dire quand même que nous sommes regardés un peu différemment et que cette voie, encore une fois qui peut être empruntée sous des formes diverses, intéresse.

Olivier MAZEROLLE : Alors, les 35 heures, ça marche à partir de quand ? Parce qu’il y a eu récemment une déclaration d’un directeur adjoint de votre cabinet qui semblait indiquer que finalement le 1er janvier 2000 n’était pas une date taboue et qu’on pourrait peut-être instaurer les 35 heures pour un peu plus tard ?

Martine AUBRY : Oui, si vous permettez au ministre de s’exprimer, comme je l’ai fait au nom du Gouvernement la semaine dernière. Je pense que les choses sont assez simples et je pense que le membre de mon cabinet qui s’est exprimé a voulu dire cela : « ce que nous souhaitons depuis le début, le Premier ministre l’avait dit et finalement cette méthode nous l’appliquons sur les 35 heures, nous l’appliquerons sur les retraites ». Je crois que c’est une bonne méthode dans un pays à maturité démocratique lourde comme c’est celle de la France.

Un gouvernement est là pour montrer la voie, pour donner des perspectives. Si nous sommes là uniquement pour attendre les effets du marché et pour faire ce que l’opinion nous dit de faire à un moment donné, ce n’est pas la peine de faire de la politique. C’est la raison pour laquelle, parce que nous pensons que les 35 heures ne sont pas la solution miracle au chômage, mais parce que nous ne pouvons ne pas emprunter cette voie. Pour réduire le chômage, nous avons fait une première loi qui montrait le « la », mais parce que nous croyons que seule aussi la négociation permet de mettre sur la table les conditions pour que les 35 heures marchent, c’est-à-dire pour qu’elles permettent aux entreprises d’améliorer leur compétitivité, aux salariés de mieux vivre à la foi dans l’entreprise mais aussi dans l’articulation entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle et aussi par la discussion sur le financement, la création potentielle d’emplois. Nous pensons que c’est par la négociation qu’il faut y arriver.

Ce qui était vrai hier dans cette période préalable au 1er janvier 2000 doit l’être encore demain et cela, je crois, qui a été dit. En tout cas, c’est comme cela que je le lis, parce que cela c’est vrai.

Olivier MAZEROLLE : Alors, concrètement, ça se passe comment ?

Martine AUBRY : Eh bien, le 1er janvier 2000, la durée légale du travail, je l’ai dit la semaine dernière, passera à 35 heures. La loi fixera les dispositions qui relèvent de la loi. C’est-à-dire les dispositions d’ordre public, social, comme on dit. C’est d’ailleurs celles qui ne peuvent pas être modifiées par la négociation.

Par exemple, le contingent d’heures supplémentaires, le repos compensateur, la taxation des heures supplémentaires, mais renverra un certain nombre de domaines à la négociation. Et j’espère que cette loi nous permettra d’ailleurs de simplifier la réglementation, ce que nous demandons avec juste raison les entreprises, pour que la réduction de la durée du travail à 35 heures soit bien effective.

Patrick JARREAU : Le contingent d’heures supplémentaires, le 1er janvier 2000, il change ou pas ?

Martine AUBRY : Là, vous me posez une question beaucoup trop tôt. Notre démarche, comme vous le savez, c’est qu’on expérimente. C’est en train d’être fait. On fait le bilan. Nous en ferons un le mois prochain sur la première partie. A partir de là, nous consultons et nous essayons de réaliser une loi, car c’est bien cela l’état d’esprit, qui colle aux accords et qui soit, comme les accords, gagnant pour les entreprises. C’est-à-dire des simplifications, des souplesses qui sont demandées. Gagnant pour les salariés, c’est-à-dire un certain nombre de garanties. Et gagnant pour l’emploi.

Tout ceci devant laisser et entraîner une poursuite de la négociation.

Patrick JARREAU : Mais, est-ce qu’on sera le 1er janvier 2000, dans une période de transition ou est-ce que ce sera la fin de la période de transition.

Martine AUBRY : Ce sera la fin de la période de transition avant le passage de la durée légale à 35 heures.

Olivier MAZEROLLE : Si des entreprises n’appliquent pas la loi, qu’est-ce qui se passe ?

Martine AUBRY : Eh bien elles paieront des heures supplémentaires. C’est le cas aujourd’hui. Aujourd’hui, vous avez une durée légale à 39 heures, vous avez des entreprises à 42 heures. Elles en acceptent le surcoût.

Patrick JARREAU : Elles pourront payer jusqu’à combien ? C’est ça la question qui se pose.

Martine AUBRY : Oui, mais cela dont nous allons discuter avec elles. Et moi, vous savez, vous ne me ferez pas parler en dehors de ce que je souhaite faire. Nous avons une démarche qui est une démarche démocratique et de concertation. Nous avons dit toujours que nous nous appuierons sur la négociation, nous terminons l’analyse des accords. Pour moi, c’est très important de savoir ce qu’on signé les chefs d’entreprises et les syndicats.

Patrick JARREAU : Mais est-ce qu’ils ne vont être incités à ne pas se précipiter finalement, puisque apparemment, la période qui s’ouvre le 1er janvier, n’est plus aussi claire qu’elle ne le paraissait ?

Martine AUBRY : Attendez, je ne vous ai jamais dit ça. La durée légale du travail passera, au 1er janvier 2000, à 35 heures, je l’ai rappelé devant le Parlement la semaine dernière et l’Etat définira les contingents d’heures supplémentaires, le repos compensateur et la taxation des heures supplémentaires. Donc, les entreprises le savent depuis le début. Nous n’avons aucune raison de changer le calendrier.

Mais ceci ne veut pas dire qu’à partir de ce moment là, il n’y aura plus rien à négocier et que c’est l’Etat qui fixera comment chaque entreprise doit fonctionner. Mais l’Etat fixera ce qu’il se doit de lui fixer, c’est-à-dire encore une fois les clauses.

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais est-ce qu’on ne tourne pas un peu en rond, parce que vous voulez une expérimentation, des négociations pour faire la deuxième loi et tirer le bilan des ces négociations et de ces signatures de négociations. Et les entreprises disent : « attendons de voir la 2e loi pour signer ». Qu’est-ce que vous répondez par exemple, au MEDEF, quand il dit, je crois que c’est KESLER qui dit ça : « il y a 1 % des entreprises qui le 1er janvier 2000 seront prêtes pour mettre en œuvre cette durée légale du travail ». 1 % ce n’est pas beaucoup.

Martine AUBRY : A mon avis, M. KESLER, ses informations date d’un mois après le vote de la loi, c’est-à-dire il y a 8 ou 9 mois. Aujourd’hui, toutes les informations que nous avons montrent que plus de la moitié des entreprises sont en train de négocier. Il y a déjà eu 2 600 accords ; il y a eu déjà 47 accords de branches qui vont donner lieu aujourd’hui à des accords d’entreprises, dont peut-entre, prend-t-il ses désirs pour des réalités. Mais, la réalité n’est pas celle là. La réalité c’est que dans notre pays aujourd’hui — alors on peut regretter que ce soit ainsi — mais c’est la réalité. Peut-être pour la première fois depuis très longtemps, tout est mis sur la table, c’est-à-dire que le chef d’entreprise dit aux salariés  « pour être plus compétitif, il faut que j’utilise mieux mes machines. Il faut que j’ouvre mes services plus longtemps. Il faut que j’organise autrement la durée du travail ». Mais cette souplesse qui est requise, les salariés la demande aussi de leur côté. On ne le dit pas assez, mais moi l’analyse des accords que je fais, c’est que c’est souplesse contre souplesse. Les salariés disent : « nous on veut un travail plus qualifié, on veut plus de polyvalence. On veut organiser notre temps de travail par rapport au transport qui sont les nôtres, par rapport à la garde de nos enfants, par rapport aux vacances de nos enfants ». On a des cadres qui disent : « Moi aussi je veux, nous aussi, nous voulons avoir des souplesses dans l’organisation ».

Et puis, tous ensemble, après avoir discuté des modalités, ils se mettent d’accord sur les contre parties financières pour créer de l’emploi. Et moi, ce qui me frappe dans les sondages qui sont réalisés aujourd’hui et surtout dans les entreprises que je rencontre, nombreuses, c’est que les uns comme les autres, nous disent d’abord, leur fierté de créer des emplois. Aujourd’hui, on crée dans les entreprises, on augmente de 8 % ne moyenne les effectifs, grâce à la réduction de la durée du travail. La réalité la voilà. Pourquoi voulez-vous que le Gouvernement casse ce mouvement qui marche, qui fonctionne et que ne fait que s’amplifier ?

Pierre-Luc SEGUILLON : Pardonnez-moi simplement un chiffre. Vous dites 2 500 accords, mais ça représente quoi : 5 % des salariés du privé, c’est pas beaucoup.

Martine AUBRY : Non, enfin, oui. Ça représente.

Pierre-Luc SEGUILLON : Oui ou non ?

Martine AUBRY : Ça représente 800 000. Non un peu plus. 900 000 personnes qui d’ores et déjà ont signé un accord pour passer à 35 heures. Il y a 8 millions de personnes dans le privé. Donc on est déjà à plus de 10 %. Mais vous savez, on ne peut à la fois dire, comme certains membres du patronat, que c’est difficile cette négociation, ce que j’ai toujours dit et puis souhaiter que dans les 48 heures on ait négocié. Vous savez mon pays de temps en temps, me fait penser à une salle de marché. Il faut tout de suite que la réponse soit là. On réagit dans l’urgence. Et bien non, les choses sont un peu plus compliquées et si on savait réduire le chômage par un simple coup de baguette magique, sans négociations, qui sont hard, qui sont difficiles, parce qu’on touche au cœur même de l’organisation du travail, et bien ça se saurait. Moi, je me réjouis que ces négociations soient sérieuses, que chacun analyse ce que demande l’autre et je vais vous dire très simplement les choses.

Je ne me permets pas de critiquer des accords qui sont signés dans 91 % des cas par l’ensemble des organisations syndicales présentes dans l’entreprise et dont la lecture me montre que nous devons avancer dans notre réglementation sur la durée du travail, dans l’intérêt de tous.

Et bien cette seconde loi, elle s’appuiera là dessus.

Olivier MAZEROLLE : Oui encore encore une question su les 35 heures. La deuxième loi va être jugée également à l’aune du politique, il y a d’un côté le patronat qui voit là peut-être une possibilité de modernisation du fonctionnement de l’entreprise, et puis il y a les syndicats, un certain nombre de partis de gauche , socialiste et encore plus le parti communiste qui disent « mais attendez, il faut que ce soit avant tout une avancée sociale et créateur d’emplois », il y a aussi et toutes les questions qu’on se pose autour de la fonction publique, pourquoi imposer les 35 heures au privé et pas à la fonction publique dès le 1er janvier 2000. Comment allez-vous sortir de ce débat politique ?

Martine AUBRY : Et si pour une fois la réduction de la durée du travail pouvait servir aux uns et aux autres. Et si pour une fois dans notre pays on essayait d’éviter de caricaturer les choses. Moi quand je lis les accords signés, je me rends compte et je m’en réjouis, que dans la plupart des cas, parce que travailler à 35 heures c’est pas pareil que travailler à 42 ou à 45 comme c’était le cas il y a 10 ans ou il y a 15 ans, et bien on trouve les moyens de mieux vivre. Et puis on ouvre sa porte à l’emploi. Et bien, moi je crois que aujourd’hui, les chefs d’entreprises, les syndicalistes sur le terrain, nous donnent une bonne leçon de maturité. C’est-à-dire qu’ils sont en train de régler, de traiter des problèmes complexes, comme ils ne l’ont jamais fait jusqu’à présent, et ça entraîne d’ailleurs souvent la réduction du travail précaire, des embauches de jeunes ou de chômeurs de longue durée, c’est-à-dire d’autres effets positifs. Je suis convaincue pour ma part que les 35 heures, au-delà même des créations d’emplois qui sont évidemment les objectifs prioritaires, c’est une espèce de révolution dans notre dialogue social, et puis c’est par ailleurs un vrai projet de société. Le temps libre, le temps libéré, c’est aussi un temps pour mieux vivre, pour s’occuper de sa famille, de ses amis, pour avoir accès à la culture, à l’éducation, c’est pour cela par exemple que, avec Nicole PERRY, nous pensons à une réforme de la formation professionnelle qui prenne en compte aussi ce temps libre, c’est donc, c’est une vraie révolution. Vous savez le temps c’est ce qui structure le plus la vie d’un individu, c’est ce qui lui permet aussi les plus grandes libertés. Je crois que c’est tous ces sujets là qu’il y a derrière les 35 heures et je pense que peu à peu on va les découvrir. En attendant, faisons confiance à ceux qui s’en saisissent, je crois qu’ils le méritent quant on voit les premiers résultats.

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais au titre de méthode, est-ce que ça signifie qu’à l’intérieur du cadre légal des 35 heures une fois définie la loi, les accords passés entre partenaires seront appliqués sans réserves et…

Martine AUBRY : S’ils sont conformes à la loi bien évidemment et pas s’ils ne le sont pas !

Pierre-Luc SEGUILLON : Je parle au niveau de l’aménagement du temps de travail.

Martine AUBRY : Ecoutez je crois qu’on l’a dit très clairement depuis le départ…

Pierre-Luc SEGUILLON : Ça c’est une demande, vous le savez très bien, du patronat français !

Martine AUBRY : Ce qui est demandé c’est que le seul accord de branche qui ne se situe pas dans l’esprit de la loi soit reconnu. Il y a 47 autres accords de branche…

Pierre-Luc SEGUILLON : L’accord de la métallurgie !

Martine AUBRY : Voilà. Qui en l’état ne pourra pas l’être mais vous savez on peut renégocier. Les 47 autres accords de branche et vous me demandiez d’ailleurs combien de salariés étaient touchés. Qui touche 5 500 000 000 salariés…

Patrick JARREAU : Potentiellement, pour les branches !

Martine AUBRY : Oui, voilà et qui vont donner lieu aujourd’hui à des accords d’entreprises. Et bien ceux-là, peu ou prou je dirais, vont se retrouver dans la deuxième loi parce qu’ils ont respecté l’esprit qui était celui de la première loi, donc là aussi on ne peut pas faire avancer les choses si on ne souhaite pas qu’il y ait cette espèce d’avancée dialectique entre la loi et le terrain, on a tout à y gagner, les entreprises, les salariés comme les chômeurs, donc restons sur cette logique-là, c’est la bonne et vous verrez que la plupart des accords rentreront dans le champ de la loi parce qu’ils ont été négociés sérieusement.

Patrick JARREAU : Alors vous avez vanté à l’instant les mérites de la flexibilité à la fois pour les chefs d’entreprises…

Martine AUBRY : La souplesse, je préfère ce terme !

Patrick JARREAU : Et pour les salariés qui n’en sont pas d’ailleurs toujours convaincus mais en revanche, vous dites que vous voulez lutter contre la précarité. Or précisément vous aviez dit qu’à défaut de rétablir l’autorisation administrative de licenciement, ce qui était dans votre programme de 97 en tout cas vous engageriez des négociations pour sanctionner plus lourdement les entreprises qui recourent systématiquement aux emplois à durée déterminée, aux temps partiels, à ce qu’on appelle l’emploi précaire.

Martine AUBRY : Oui mais restons sur le même schéma. Disons les choses très simplement. Je crois que, dans l’intérêt même des entreprises, on ne peut pas fonctionner avec une part permanente et importante de salariés en contrat à durée déterminée ou en travail temporaire, parce qu’évidemment ils sont moins mobilisés dans l’entreprise, leur énergie, leur capacité d’innovation, ils sont dans l’insécurité permanente alors autant, et je le dis très clairement, je n’ai aucun doute sur la légitimité du contrat à durée déterminée et du travail temporaire quand il s’agit de répondre à un surcroît d’activité, au remplacement d’une personne absente, au lancement d’un nouveau produit, d’une nouvelle machine, etc. Et là il faut garder cette souplesse nécessaire aux entreprises. Je remarque d’ailleurs que beaucoup d’accords sur la durée du travail traitent les problèmes de la liaison avec la précarité, des délais de prévenance, etc, et ça me paraît une bonne chose. En revanche, accepter qu’un certain nombre de secteurs ou d’entreprises dans certains secteurs, je pense à l’automobile, à une certaine partie de la métallurgie, du bâtiment, de l’agroalimentaire, utilisent en permanence 20, 25 % de travailleurs précaires, j’allais dire sur le dos de la collectivité car quand ces personnes se retrouvent sur le marché du travail il faut bien les prendre en compte, soit par l’indemnisation chômage qui malheureusement et peu souvent le cas car en général ils n’ont pas suffisamment de temps de travail, soit par le RMI. Doit-on accepter que des entreprises, par leur mode de fonctionnement, fassent payer ce mode de gestion par la collectivité. Ça ne me paraît pas évident.

Patrick JARREAU : Alors que faites-vous ?

Martine AUBRY : Ce que j’ai proposé, après avoir essayé pendant un an, en saisissant le patronat et ensuite en saisissant l’UNEDIC, qu’il y ait des négociations dans ce domaine. J’ai proposé, ne voyant pas les choses avancer, qu’il y ait une taxation, qui pourrait d’ailleurs, tout ceci se discute, revenir en partie ou en totalité à l’UNEDIC, ce qui permettrait d’améliorer l’indemnisation des travailleurs précaires et j’espère que la négociation qui aura lieu en fin d’année sur le chômage et l’indemnisation des chômeurs, traitera mieux les travailleurs précaires.

Ceci permettra de faire réfléchir les entreprises sur ce mode de fonctionnement et lorsqu’elles le maintiennent et bien les surcoûts ne viennent pas sur la collectivité. Après avoir proposé cela, le patronat m’a dit « mais et si nous négocions au niveau des branches » et des principales branches concernées. Moi je leur ai dit, j’ai toujours considéré que la négociation était mieux qu’un oukase venant de l’Etat, donc très bien allons-y. Je dois avoir, dans quelques jours, une réponse pour savoir si effectivement, dans les discussions que nous avons eues, c’est-à-dire dans un sérieux de réponse dans ces branches, il y a possibilité d’avoir, dans les mois qui viennent pas dans les années qui viennent, des solutions, si c’était le cas j’en serais ravie, si ce n’était pas le cas, j’engagerai la réforme dont j’ai parlé de taxation encore une fois du fort recours permanent au travail précaire.

Pierre-Luc SEGUILLON : L’un de vos objectifs, ça a été aussi de créer des emplois jeunes, vous êtes arrivé à plus de la moitié de votre objectif puisque je crois qu’il y a plus de 75 000 emplois qui ont été créés mais à posteriori, si vous aviez imaginé que la conjoncture économique et l’environnement international seraient aussi favorables, est-ce que vous vous serez lancée il y a 2 ans dans cette entreprise fort coûteuse ?

Martine AUBRY : Fort coûteuse, ça se discute, ça coute 94 000 FF pour l’Etat par an contre environ la première année 1 million pour la baisse des charges que Monsieur BALLADUR a réalisé, je pense que l’on voit un peu la différence entre les deux.

Pourquoi les emplois jeunes, d’abord parce que nous avons trop vécu par le passé et nous nous sommes trompés, comme la droite s’est trompée avec l’idée que la croissance seule pouvait réduire le chômage. Vous avez vu cette année, nous avons eu une croissance exceptionnelle, 3,2 %, qui a créé environ 300 000 emplois et c’est le meilleur chiffre depuis 30 ans si on ajoute les 100 000 emplois jeunes, c’est un résultat formidable mais il reste 2 900 000 chômeurs dans notre pays et ceux là sont impatients, je dirais, des résultats.

Deuxièmement, le chômage des jeunes est particulièrement lourd dans notre pays et un pays qui n’est pas capable de faire la place aux jeunes, qui leur donne l’impression qu’ils ne peuvent pas être utiles et reconnus dans la société, c’est un vrai problème. Et puis enfin, parce que c’est peut-être le plus important, je pense qu’un gouvernement se doit de préparer les emplois de demain et autant que faire se peut d’anticiper, c’est ce que nous faisons en aidant par exemple à ce que la France rattrape son retard sur les nouvelles technologies en aidant les entreprises start up qui se lancent dans l’innovation et c’est ce que nous faisons aujourd’hui aussi avec ces emplois jeunes qui remplissent des besoins.

Pierre-Luc SEGUILLON : Dont vous ferez quoi dans trois ans et demi ?

Patrick JARREAU : Oui quel est leur avenir, c’est ça la question !

Pierre-Luc SEGUILLON : Tout le monde se pose la question, qu’est-ce qu’ils vont devenir dans trois ans et demi ?

Martine AUBRY : Deux choses, d’abord aujourd’hui ni vous, ni moi nous ne savons ce que nous ferons dans cinq ans, eux ils le savent, pendant cinq ans ils ont un contrat et croyez bien que par rapport à ce qu’il se passait avec les petits boulots les années précédentes, c’est déjà un plus. Deuxièmement, si nous avons commencé lentement, et ça aussi rappelez-vous, ça nous a été reproché, et pourtant nous avons été au bout des objectifs que nous nous étions fixés, au moins pour cette première année. Et bien, si nous avons pris du temps c’est parce qu’il fallait regarder les besoins nouveaux, et non pas se mettre à la place du secteur privé ou faire concurrence ou bien se mettre dans des secteurs de l’administration et vérifier qu’il y avait une chance de pérennisation pour ces emplois. Puis-je me permettre de vous donner très rapidement 2, 3 exemples. Des jeunes qui à Strasbourg ont créé une structure pour faire faire de la gymnastique à des personnes âgées, et bien au bout d’un an ils ont déjà rentabilisé leurs emplois car ils vendent ce service à des cliniques, à des maisons de retraite. Des jeunes en Dordogne, que j’ai rencontrés il y a 15 jours…

Patrick JARREAU : Mais c’est une concurrence déloyale avec le privé !

Martine AUBRY : Mais non ! Aujourd’hui ça n’existe pas…

Patrick JARREAU : Les coûts sont moindres !

Martine AUBRY : Ah non les coûts ne sont pas moindres car, à partir du moment où ils sont solubilisés, ils réembauchent d’autres personnes de la manière la plus naturelle possible. Qu’est-ce qu’a fait l’Etat ? L’Etat a tout simplement anticipé un besoin qui existait, leur a permis d’investir, ce qu’ils n’auraient jamais pu faire auparavant car il faut du matériel, etc.

Patrick JARREAU : Donc l’avenir c’est de créer leur entreprise quoi finalement !

Martine AUBRY : Et voilà ils créent leurs entreprises !

Patrick JARREAU : Comme disait Raymond BARRE il y a 20 ans, ce qui lui était beaucoup reproché à l’époque !

Martine AUBRY : Mais bien sûr. Un autre exemple en Dordogne. Des communes rurales se sont regroupées, ces jeunes qui ont été embauchés ont d’abord aménagés les berges d’une rivière, ont remis en état des gabares pour faire circuler les touristes, ont mis en place des circuits touristiques. Et bien dès cet été, leurs emplois ont été rentabilisés.

Pierre-Luc SEGUILLON : Alors à l’inverse, ceux qui sont dans l’éducation nationale ou dans la police, vous les intégrez ?

Martine AUBRY : Non, non, je termine sur ceux-là parce que ceux-là c’est quand même la très très grande majorité, c’est la philosophie des emplois jeunes tel que nous les avons mis en place, ces emplois-là, je ne dis pas qu’à 100 % ils seront pérennisés par le marché mais encore une fois si on ne devait se lancer que lorsque l’on est sûr de réussir à 100 %, il vaudrait mieux rester les bras ballants et ce n’est pas exactement la volonté du Gouvernement, je crois vraiment que nous avons une démarche de solubilisation qui s’engage et j’espère que pour le plus grand nombre nous y arriverons. Quand les offices d’HLM me disent que les jeunes médiateurs aujourd’hui réduisent les dégradations, permettent à des locataires de mieux gérer leur budget et donc de faire rentrer de l’argent, ils sont rentables. Mais encore fallait-il montrer que c’était possible, ce que nous avons fait.

Alors un mot sur l’éducation nationale…

Olivier MAZEROLLE : Oui parce qu’il faut quand même qu’on avance, il nous reste à peu près 15 minutes.

Martine AUBRY : comme vous voulez !

Pierre-Luc SEGUILLON : Ah non mais moi je voudrais savoir s’ils sont intégrés ou pas !

Patrick JARREAU : Compte tenu que la dépense publique ne peut pas augmenter !

Martine AUBRY : L’éducation nationale et la police, ce sont des secteurs dont le mode de fonctionnement est assez différent des autres emplois jeunes puisqu’il s’agit là d’accompagner effectivement des tâches d’intérêt public, donc de deux chose l’une, d’abord pour un certain nombre de ces jeunes, eux ils sont dans la logique de passer des concours administratifs et de rentrer dans la fonction publique, ce qui ne veut pas dire qu’on créera plus de fonctionnaires, ils peuvent passer des concours.

Pour un grand nombre de ces emplois, la question se posera de savoir si ces emplois ne sont pas utiles au service public et s’ils n’entraînent pas d’ailleurs des moindres coûts dans un certain nombre de domaines. Si vous arrivez à accompagner des jeunes enfants handicapés en circuit normal à l’école comme le font les emplois jeunes de l’éducation nationale, croyez bien que ça coûte nettement moins cher à la collectivité que mettre ces jeunes dans des établissements spécialisés à 2 000 FF la journée, je ne prends que cet exemple, on pourrait les multiplier. Si on donne à chaque enfant la chance, dans un projet éducatif large, de réussir s’ils n’arrivent pas dans les matières théoriques dans un premier temps, en matière de culture, de théâtre, d’accès à la musique et à partir de ce succès, de revenir dans une démarche positive à l’école, nous n’aurons pas perdu notre temps. Donc essayons de réfléchir en terme d’efficacité globale de ces emplois et je pense que c’est cela qu’il faudra faire comme bilan dans 3 ans, dans 5 ans pour voir comment nous évoluons.

Olivier MAZEROLLE : Bien alors il nous reste 12 minutes ou 13 minutes pour parler de la sécurité sociale et des retraites. Gilles JOUANNET qui est le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie vous a proposé un plan de restructuration de la sécurité sociale, 62 milliards sur la médecine de ville qui passe notamment par la sélection du conventionnement par les médecins soumis à des critères de qualité et puis aussi de réels besoins dans chaque régions. Alors on dit vous avez des discussions éruptives avec le directeur de la CNAM !

Martine AUBRY : Ecoutez très franchement je n’ai pas souvenir d’aucune discussion éruptive comme vous dites. Ces problèmes sont des problèmes difficiles et je crois que c’est bien qu’il y ait du débat. En tout cas moi je me réjouis que la CNAM qui est un acteur majeur de l’organisation du système de soins ait mis sur la table un plan stratégique. Un plan stratégique vous savez sur la sécurité sociale c’est pareil que dans les autres domaines, c’est pas tout noir, c’est pas tout blanc et ça mérite d’être discuté car un plan stratégique ne peut pas être préparé en chambre et c’est la raison pour laquelle d’ailleurs le directeur de la CNAM comme son conseil d’administration ont souhaité un débat interne, et d’ailleurs ils se retrouvent le 30 pour améliorer, modifier ce texte. Un débat et une concertation qui me paraissent nécessaires avec les acteurs de santé et notamment avec les médecins qui dépendent de la CNAM et je suis convaincue que nous arriverons à un document qui nous permettra d’avancer. A partir de là, moi je le prends, comme l’a dit d’ailleurs le président SPET, comme un élément du débat et je crois que c’est une très bonne chose que la CNAM ait souhaité apporter sa pierre.

Olivier MAZEROLLE : Le conventionnement sélectif, c’est une bonne idée ou pas ?

Martine AUBRY : Oui alors si vous m’expliquez ce qu’est le conventionnement sélectif !

Olivier MAZEROLLE : Il dit critères de qualité, les médecins on vérifie leurs compétences régulièrement.

Martine AUBRY : Voilà et ce que j’apprécie, ce que j’apprécie beaucoup dans ce plan stratégique c’est qu’il part des mêmes prémisses que ce que nous essayons de faire au niveau du Gouvernement c’est-à-dire partir de la qualité des soins, de l’adaptation des soins pour essayer de faire en sorte de mieux dépenser et moins dépenser.

Si vous le permettez je vais en arriver au conventionnement sélectif mais un mot sur l’hôpital. L’hôpital c’est ce que nous faisons depuis deux ans maintenant.

Nous n’avons pas dit par une règle de trois dans les bureaux du ministère, voilà ce qu’il faut faire dans chaque région et dans chaque département, nous avons demandé au directeur des agences régionales hospitalières, à partir des besoins de santé de la population que nous connaissons bien maintenant, nous connaissons les risques, les types de mortalité, les types de pathologie dans chaque région.

A partir des bassins de vie où circulent les gens, de repenser l’organisation hospitalière. Chacun sait que les Français sont prêts à faire 20 km si on va pour une maladie grave sur un lieu où on sait qu’on a là les compétences professionnelles et le plateau technique.

En revanche, ils souhaitent pour des maladies chroniques ou aussi pour la prise en charge des personnes handicapées, des personnes âgées, avoir des structures locales. Donc nous avons demandé au directeur, non pas là aussi en chambre mais en discussion avec les élus, avec la population et il y a eu de nombreux débats lors des états généraux avec la population de repenser ce système de soins et son organisation.

Dés cette année, nous avons fermés 330 services ou qui sont en train de l’être, les schémas régionaux de l’organisation de la santé que nous sortirons avant l’été, proposerons un plan pour les trois années qui viennent, je crois que c’est comme cela qu’on avance, ce n’est pas en annonçant des grands chiffres, c’est en partant d’une logique qui est acceptée, qui permettra et qui permet déjà de fair des économies, je voudrais redire ici parce que beaucoup montrent du doigt l’hôpital, que l’hôpital a fait des efforts considérables depuis le début des années 80, que si d’ailleurs il n’avait pas baissé ses coûts on aurait 37 milliards de déficit en plus à la sécurité sociale. Qu’aujourd’hui le personnel hospitalier souhaite améliorer la qualité de ses soins encore, aller à la rencontre des publics qui aujourd’hui ne viennent pas vers lui.

Olivier MAZEROLLE : Alors le conventionnement sélectif quand même ?

Patrick JARREAU : Quand même un mot, est-ce qu’il y a 100 000 emplois à gagner dans les hôpitaux au terme de ce plan qui est sur 5 ans si j’ai bien compris ?

Martine AUBRY : Très franchement je ne le pense pas. Je ne le pense pas, je crois qu’aujourd’hui beaucoup de nos concitoyens arrivent à l’hôpital alors qu’il est trop tard, ou retrouve dans notre pays et c’est l’objet de la couverture maladie universel que de l’éviter, des hommes et des femmes qui arrivent à quelques jours de la mort avec un concert aggravé sans avoir jamais vu un seul médecin c’est ça la réalité de notre pays. Et bien il faut que l’hôpital soit capable de les prendre en compte plus rapidement et plus tôt. En revanche, ce qui est nécessaire, c’est que l’hôpital évolue en fonction des pathologies. Il y a quelques années, pour un accouchement on restait 10 jours à l’hôpital, aujourd’hui c’est 3, 4 jours, pour une opération de la cataracte on restait 5 jours, aujourd’hui c’est une demi-journée, l’hôpital évolue en permanence. Nous pouvons aujourd’hui soigner le sida en ville alors que l’hôpital avait fait une révolution formidable pour accueillir les malades atteints du sida en son sein. Donc ce qu’il nous faut c’est faire en sorte que l’hôpital, et c’est ce qu’il fait, évolue pour prendre en compte les pathologies, réfléchisse à ses coûts et encore une fois c’est ce qu’il fallait, et soit capable de mieux répondre aux besoins de la population.

Olivier MAZEROLLE : Pardonnez-moi mais le conventionnement sélectif alors ?

Martine AUBRY : Alors j’en arrive aux médecins mais c’est pour vous dire parce que j’ai pris là le secteur directement de moi, l’hôpital, la démarche qui est la nôtre. Pour les médecins, je pense…

Olivier MAZEROLLE : Vous dites moi j’ai fait mon boulot alors…

Martine AUBRY : Ah non, non, non pas du tout, le boulot vous savez on n’est pas au bout de nos peines et nous sommes sur la piste, il faut continuer à avancer, il reste à faire beaucoup de choses sur l’hôpital autrement les choses seraient beaucoup plus simples dans tous les domaines. Pour ce qui concerne la médecine de ville, nous avons mis en place depuis deux ans maintenant un certain nombre d’outils structurels qui doivent nous permettre à la fois de mieux informer, de mieux former de médecins, de lui donner des outils pour mieux travailler entre les généralistes et les spécialistes, entre eux et l’hôpital, de mieux suivre le malade, d’éviter les doubles emplois, d’éviter… Vous savez je prends qu’un seul exemple parce qu’il est très parlant. Avec le réseau santé sociale et les logiciels qui sont aujourd’hui sur l’ordinateur, sur la table du médecin, chaque malade a son passé qui est noté et lorsque le médecin s’apprête à lui donner un médicament, aussitôt l’écran clignote quant on voit qu’il y a une incompatibilité parce qu’il avait du diabète, parce qu’il avait de la surtension. Un même logiciel dit au médecin vous donnez tel médicament, voilà le générique moins coûteux qui a exactement le même effet et que vous pouvez donner. Vous souhaitez donner tel médicament, attention vous êtes en interaction avec un autre traitement, etc.

Olivier MAZEROLLE : Bien alors le conventionnement sélectif !

Martine AUBRY : Oui mais attendez, je voudrais arriver au bout. Donc qu’est-ce que c’est… Si le conventionnement sélectif signifiait que l’Etat ou la CNAM devait choisir des médecins sur des critères que je ne connais pas et que je ne suis pas capable aujourd’hui de définir en disant tels et tels internes à la sorite, on les prend, les autres on les prend pas, tels ou tels médecins, ce sont des bons ou ce sont des mauvais, je ne suivrais pas…

Patrick JARREAU : JOUANNET dit en fonction des zones où il y a trop de médecins notamment.

Martine AUBRY : Non, non mais ça c’est autre chose. Si en revanche, nous disons que les médecins qui acceptent de respecter un certain nombre de règles, de travailler en réseau, de s’informatiser pour justement être à la pointe et éviter les interactions médicamenteuses qui entraînent un million de journées d’hospitalisation aujourd’hui. Vous voyez c’est des choses concrètes quand même tout cela. Et si cela signifie que l’on donne plus d’avantages à des médecins qui acceptent de rentrer dans une logique de coordination des soins, d’amélioration de la qualité des soins et de réduction des coûts, je suis d’accord et d’ailleurs en février dernier, j’avais demandé aux organisations de médecins puisque nous avons été annulés par le Conseil constitutionnel sur la clause de régulation économique collective, réfléchissons ensemble à un système qui ne soit pas coercitif mais qui soit un système incitatif. C’est sur la table, j’espère que les débats de la CNAM actuellement nous aideront à avancer dans ce domaine.

Pierre-Luc SEGUILLON : Alors très concrètement, après tout ce que vous avez dit, il ne reste plus grand chose du rapport JOUANNET, ce qui veut dire que vous n’en reprenez pas beaucoup…

Martine AUBRY : Ah non, non je ne suis pas tout à fait d’accord. Non, non, je ne suis pas d’accord avec vous, prenons quelques exemples.

Pierre-Luc SEGUILLON : On ne va pas recommencer, non…

Martine AUBRY : Non, non, je sais bien que ce qu’on adore c’est opposer les gens les uns aux autres. Moi vous savez quand la CNAM est attaquée, je me sens attaquée car la CNAM et l’Etat avancent dans le même sens, arriver à l’équilibre de la sécurité sociale…

Pierre-Luc SEGUILLON : Simplement, une précision politique…

Martine AUBRY :  Attendez, permettez-moi un mot quand même, 55 milliards il y a 2 ans, nous serons entre 14 et 15 cette année et nous visons l’équilibre l’année prochaine…

Pierre-Luc SEGUILLON : C’est moins bien que ce que vous nous aviez promis ! Ça devait être l’équilibre cette année normalement !

Martine AUBRY : Mais attendez, qu’est-ce qui vous dit que nous n’aurons pas l’équilibre attendons…

Pierre-Luc SEGUILLON : C’est possible encore vous croyez ?

Martine AUBRY : Non mais attendez, réfléchissons deux minutes, si on a cinq milliards au lieu de zéro, j’en serais ravi car je ferais tout pour avoir zéro. Mais cinq milliards sur 1 250 milliards, là aussi ramenons-nous…

Olivier MAZEROLLE : Oh, c’est mauvais signe ça, quand on commence à ouvrir les portes comme ça c’est…

Martine AUBRY : Non car je dis que je tiens à arriver à l’équilibre et je fera tout pour ça. Attendez, dernier point, nous sommes arrivés de 55 milliards à zéro sans aucun prélèvement de cotisations complémentaires et sans aucun des remboursements. C’est la première fois que ça arrive et ça veut dire quoi ? Il y a eu des recettes complémentaires, cela a fait un tiers du chemin, il y a eu des économies et des réformes structurelles, deux tiers du chemin ! Voilà, je crois qu’il faut quand même le dire parce que tout le monde veut toujours dire que tout est gris, il y a parfois du rose qui arrive…

Olivier MAZEROLLE : Madame AUBRY, il nous reste 4 minutes et si ça continu comme ça, vous allez nous priver des retraites, ce qui serait quand même très insupportable.

Martine AUBRY : Ce serait quand même très dommage mais vous savez la sécurité sociale c’est passionnant et ça intéresse beaucoup de Français.

Olivier MAZEROLLE : Oui mais les retraites aussi !

Martine AUBRY : Aussi.

Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que je peux poser… Vous me répondez par oui ou par non, le départ du MEDEF des organismes de gestion de la sécurité sociale, ça vous chagrinerait ou pas du tout ? Sans plus !

Martine AUBRY : Ecoutez, c’est la responsabilité de chacun des acteurs, moi je ne fonctionne pas au chantage, je n’en fais jamais et donc s’ils considèrent un jour ou l’autre qu’ils doivent partir je le regretterai mais c’est à eux de prendre leurs responsabilités.

Olivier MAZEROLLE : Alors les retraites, il y a eu donc la publication du rapport de Monsieur CHARPIN qui dit voilà à partir de 2005 quel que soit le taux de chômage, même s’il n’est que de 3 % et bien il y aura un problème parce qu’il y aura plus de personnes qui partiront à la retraite que de personnes qui entreront au travail, ça c’est la règle démographique. Considérez-vous qu’il y a urgence à agri ?

Martine AUBRY : Je pense qu’il y a urgence à rentrer dans un processus de décision…

Olivier MAZEROLLE : Ça c’est l’esquisse de l’esquisse, c’est…

Martine AUBRY : Non mais attendez, ne croyez pas ça, laissé-moi dire une seconde parce que là aussi nous ne sommes pas dans une salle de marché et que le problème des retraites ne se règle pas par l’urgence même si certains veulent nous pousser à l’urgence parce qu’eux seront allés au mur, parce qu’ils ont été incapables de mener un processus démocratique.

Patrick JARREAU : Mais vous reconnaissez que ça fait longtemps qu’il y a des rapports quand même !

Martine AUBRY : Oui mais attendez. Qu’est-ce que je retiens moi du rapport CHARPIN, des choses qui d’abord doivent rassurer les Français et qui sont très importantes parce que beaucoup l’avait critiqué, c’est que notre système de retraite fondé par la répartition a bien fonctionné jusqu’à présent, pourquoi, parce que le niveau de vie moyen des retraités est équivalent à celui des actifs, ce qui veut dire que la solidarité inter-générationnale a bien fonctionné et ce qui veut dire qu’on a permis à chacun, tous ceux qui ont cotisé, d’avoir une retraite convenable. Donc, ce que dis CHARPIN, c’est « il faut pas le remettre en cause, il faut le consolider » ça c’est la première chose. Deuxièmement…

Patrick JARREAU : Mais alors les cotisants d’aujourd’hui auront-ils une…

Martine AUBRY : Voilà, deuxièmement je voudrais le dire tout de suite aussi, tout ce qui est envisagé ne touche pas les retraités d’aujourd’hui, il faut le dire parce que je vois des inquiétudes poindre. Après cela comme vient de le dire Olivier MAZEROLLE, le rapport CHARPIN, et c’est très intéressant, nous montre de manière beaucoup plus détaillée et analytique que ça n’avait jusqu’à présent, le choc démographique, c’est-à-dire que beaucoup de gens vont arriver à l’âge de la retraite en même temps et en même temps le fait que l’on vit plus longtemps et donc que la durée de paiement des retraites est beaucoup plus lourde. Ce choc, nous l’avons à partir de 2010 disons que ça commence, 2020 étape importante puis 2040, il vaut mieux rester à 2020 pour l’instant parce que 2040 c’est plus difficile même si c’est bien qu’on ait réfléchi dans le temps.

Qu’est-ce que nous dit CHARPIN, il y a ce choc démographique, moi j’en tire deux éléments. Un, on ne peut pas faire comme si il n’y avait rien et ceux qui disent, si la situation de l’emploi s’améliorait, si on augmentait les cotisations, si on taxait ceci ou cela, ça marcherait, non, il faut que nous soyons capables de mettre en place des réformes qui nous permettent de revenir à un équilibre sain à l’horizon 2020.

Ce qui veut dire que l’on ne peut pas retarder la réforme. En revanche, on n’a pas besoin de se précipiter, c’est-à-dire que l’on est pas en crise, nos régimes ne sont pas en faillite et nous avons le temps de prendre, comme nous l’avons fait sur la durée du travail, un temps de débat public et un temps de concertation…

Olivier MAZEROLLE : Quel est le bon rythme alors ?

Martine AUBRY : Pour arriver à des décisions dans les mois qui viennent, dans les mois qui viennent encore une fois, les difficultés seront…

Olivier MAZEROLLE : Sur le public et sur le privé ?

Martine AUBRY : Sur le public et sur le privé.

Pierre-Luc SEGUILLON : A l’automne !

Martine AUBRY : Ecoutez, attendez, le Premier ministre annoncera ce qu’il souhaite annoncer à partir du rapport CHARPIN, moi je vous en donne la philosophie générale. Un mot pour dire encore que si on ne faisait rien, si on ne faisait rien et bien ce sont les jeunes actuels, les générations actuelles, celles qui ont déjà souffert du chômage, qui seraient des générations sacrifiées parce qu’elles devraient soit avoir des retraites faibles, soit des cotisations extrêmement lourdes donc je suis convaincue qu’aujourd’hui les Français sont prêts à comprendre ça et qu’il nous faut trouver ensemble un certain nombre de réponses et ces réponses là aussi, elles sont multiples et elles touchent à beaucoup de domaines, ça peut être la durée de cotisation, ça peut être l’âge de la retraite, ça peut être le montant des retraites…

Patrick JARREAU : Ça peut être ou ce sera obligatoirement la durée de cotisations ?

Martine AUBRY : Mais il faut y travailler et il y a plusieurs possibilités possibles, il faut que nous soyons capables d’avoir un débat public et avoir une concertation pour trouver des solutions.

Olivier MAZEROLLE : Bien Madame AUBRY merci, avec tout ça vous allez avoir beaucoup de boulot et vous ne travaillerez pas 35 heures au 1er janvier 2000.

Martine AUBRY : Je le crains mais je me rattraperai peut-être plus tard !

Olivier MAZEROLLE : Merci Madame AUBRY, bonne soirée à tous.