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DNA : Les emplois-jeunes de Martine Aubry, c’est une réelle avancée sociale ?
Nicole Notat : Il serait mal venu de faire la fine bouche sur ces emplois. Ils ne pourraient pas émerger spontanément sur le marché du travail qui, nous l’avons toujours pensé, n’est pas capable de répondre à tous les besoins sociaux. Pour le plan Aubry, le vrai défi sera surtout de ne pas décevoir tous ces jeunes qui en attendent beaucoup pour entrer dans la vie active ! Nous veillerons, très attentivement, à ce qu’il n’y ait pas de dérives.
DNA : C’est-à-dire ?
Nicole Notat : Il y aurait dérive si ces emplois se substituaient, d’une manière ou d’une autre, à des emplois existants. Il y aurait dérive si le logique quantitative – faire baisser les chiffres du chômage à tout prix – l’emportait sur une logique qualitative, durable, pérenne initiée par le terrain et par ses acteurs.
DNA : Pour la réduction du temps de travail, un thème cher à la CFDT, comment vous positionnez vous dans le débat sur les 35 heures avec ou sans perte de salaire ?
Nicole Notat : Pour le moment, il est difficile de se positionner : on est dans le flou puisque le Gouvernement n’a pas choisi ! Mais une chose est claire : ce n’est ni le rôle ni la responsabilité de l’État de définir une politique salariale. Et cette question des 35 heures ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Ce qu’il y a de plus délicat dans les négociations à l’intérieur des entreprises, ce n’est pas la durée, mais l’organisation du travail. Et ce n’est pas à la loi de définir les répercussions qu’il doit y avoir ou ne pas y avoir sur les salaires… La loi doit fixer les grands principes, mais ne pas être rigide. Pourquoi mettre le taquet à 35 heures alors que certaines entreprises vont déjà plus loin ? Par pitié, laissons les gens négocier. Cela dit, la CFDT n’est pas là pour brader les intérêts des salariés, c’est évident…
DNA : Quelle est votre vision de la réduction du temps de travail ?
Nicole Notat : Notre vision ne se construit pas à chaud, et elle a déjà été mise à l’épreuve puisque nous sommes signataires à 75 % des accords qui, à côté de la loi Robien, ont mis en place de façon effective la réduction de la durée du travail. À nos yeux, il n’y a qu’une seule voie possible : celle qui se met vraiment au service d’une dynamisation de l’activité et de l’emploi. Et trois conditions doivent être réunies. D’abord la négociation. Il faut tout mettre sur la table, à commencer par l’organisation du travail sur laquelle le patronat veut garder la haute main avec tous les abus d’heures supplémentaires, le recours excessif au temps partiel, et toutes les formes de précarisation de l’emploi que cela suppose. Ensuite, il faut de la souplesse, toujours de la souplesse, dans la définition et l’application des modalités. La semaine de quatre jours, par exemple, ça ne veut rien dire pour les cadres qui préfèreraient d’autres systèmes. Et surtout, il ne faut jamais perdre de vue l’intérêt des chômeurs et la création d’emplois durables.
DNA : Qu’attendez-vous de la conférence nationale du 10 octobre ?
Nicole Notat : La surévaluation des attentes risque de déboucher sur des déceptions à la sortie… Soyons lucides : ce n’est pas en une journée qu’on va impulser ou innover une politique de l’emploi ! Pourtant, j’attends de ce 10 octobre qu’il soit vraiment décisif pour la définition d’une ligne par un gouvernement n’ignorant plus rien de nos points de vue. C’est clair, il ne faut pas que l’État laisse du temps au temps. Il ne faut pas qu’il y ait de vide, de pause dans ce début de dynamisme pour la réduction de la durée du travail.
DNA : Le patronat, de son côté, vous semble-t-il prêt à faire un pas indispensable pour la réussite des négociations ?
Nicole Notat : Franchement je suis inquiète. Le patronat peut tout à fait faire capoter cette conférence. Je le sens, aux abois sur tout et à l’initiative sur rien, en train de dériver sur des approches idéologiques. Mais je veux croire qu’il y aura ressaisissement. De toutes façons, le patronat ne pourrait sortir ni grandi, ni indemne d’avoir fait échouer la conférence…
DNA : Cela ne vous gêne pas qu’une large majorité de patrons vous aient désignée comme la meilleure dirigeante syndicale ?
Nicole Notat : Eh bien non. J’en tire même une certaine fierté pour la CFDT. Je rappelle que la question précise du sondage demandait si je défendais bien les intérêts des salariés. J’ai obtenu 80 %. À la même question, la CFDT a obtenu 72 %. Je souhaite donc qu’on ne dissocie pas ces deux résultats, très proches l’un de l’autre. Quant à moi, j’y vois une forme de reconnaissance. Cela veut dire que je suis coriace avec les patrons, et pas toujours facile à vivre…