Interviews de M. Charles Millon, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 8 et RTL le 20 novembre 1990, sur la motion de censure déposée contre la contribution sociale généralisée et sur l'action du gouvernement.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Rejet de la motion de censure contre la CSG, à l'Assemblée nationale le 19 novembre 1990

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

EUROPE 1 : 8 novembre 1990

Q : M. ROCARD relève le défi et ne retire pas son projet de CSG. Le 19 novembre sera-t-il fatal à M. ROCARD ?

- “Je l'espère car j'espère qu'enfin on mettra un terme à cette politique d'immobilisme qui est en train de plonger la France dans le marasme psychologique, politique, économique et social.”

Q : Mais quel reproche vous lui faites ?

- “Le reproche de ne pas gérer la France, de ne pas gouverner, d'attendre d'apporter des solutions et de laisser se créer dans le pays petit à petit un sentiment préalable à une véritable crise de régime. On s'aperçoit que la justice ne remplit plus sa mission, que la police est discréditée, qu'il y a une montée régulière des tensions catégorielles, les agriculteurs, les professions de santé, les enseignants… Il y a la cohésion sociale qui est en train de se fragiliser avec les événements de Vaulx-en-Velin, les lycéens, on a le ministre de l'Intérieur qui aborde le problème de la décentralisation ou même celui de l'avenir de la France d'une manière surprenante, c'est le peuple corse, c'est le peuple basque, on a l'impression que la France n'est plus gouvernée.”

Q : Cela fait 11 fois que l'UDF refuse de jouer le rôle d'opposition constructive.

- “Pas du tout ! Nous avons fait plein de propositions à M. ROCARD, il est sourd à toutes celles-ci. Je prends l'exemple de l'Education. Dès que l'on fait une proposition dans ce domaine-là, on le voit en fait, lui ou son ministre de l'Education nationale, lever les bras au ciel, nous lancer des chiffres à la tête, sans comprendre que le problème politique qui est posé aujourd'hui n'est pas un problème quantitatif, c'est un problème qui relève de l'ambition nationale que l'on attend de M. ROCARD et qu'il ne veut pas nous en donner.”

Q : Est-ce que vous allez défiler avec les lycéens ?

- “Si je le pouvais, je le ferais. Je n'ai pas envie de récupérer leur mouvement. Ce sont des enfants qui sont angoissés. On est en train de leur promettre un Bac pour 80 % d'entre eux, et on se rend compte qu'on leur donne un bout de chiffon qui n'est pas monnayable sur le marché. Est-ce que vous savez qu'il n'y a en Allemagne aucun jeune qui n'ait pas un emploi en sortant du Bac ? En France, il y a entre 26 et 30 % qui sont sûrs d'être au chômage.”

Q : Vous dénoncez depuis tant d'années ceux qui mêlent leurs voix au PC et là vous allez déclencher une crise avec le PC ?

- “C'est le PC qui se range à notre point de vue car, en fait, on dénonce une politique depuis des semaines, des mois, voire des années, le PS a voulu jouer avec le PC. Bien mal lui en prend, le PC lui renvoie la balle. Ce que je souhaite, c'est que les Français puissent être saisis par une consultation électorale.”

Q : Vous demandez à vos amis centristes de voter la censure ?

- “Bien évidemment ! L'acte de censure est un acte grave. Il faut que chaque homme politique qui a sa dignité, qui prendra ses responsabilités, puisse émettre ce geste en toute sérénité. Je me tourne vers mes amis centristes qui partagent les mêmes conceptions politiques, économiques et sociales pour leur dire que nous avons aujourd'hui l'occasion d'affirmer une solidarité avec l'opposition et de redonner un signe d'espoir aux Français en montrant que notre union est fondée sur une politique alternative.”

Q : S'ils n'écoutent pas, est-ce qu'ils s'excluent d'une investiture UPF ?

- “Je ne veux pas commencer une politique de chantage. Je leur dis, si vous ne votez pas la censure, vous savez que vous vous mettez en marge de l'opposition parlementaire, et donc il y aura une confusion introduite dans le pays, on ne saura pas si vous êtes ici ou là.”

Q : Est-ce que vous avez lu le sondage Sofres disant que GISCARD serait mieux placé que CHIRAC face à ROCARD au deuxième tour d'une présidentielle, mais, dans une primaire, ce serait CHIRAC qui devancerait l'ex président ?

- “Vous ne croyez pas que cinq ans avant une présidentielle, c'est un peu ridicule de parler de ce sujet là. Je préfère parler des lycéens ou des agriculteurs qui sont affolés face aux négociations de Bruxelles, je préfère parler des problèmes des Français qui s'interrogent pour savoir s'il y a eu un Etat plutôt que de savoir qui sera le meilleur candidat dans cinq ans.”

Q : Faut-il oui ou non des primaires ?

- “Je suis pour des primaires car je suis favorable à une procédure qui favorise l'union, mais je ne veux pas commencer à commenter toutes les semaines les sondages.”

Q : S'il y a une présidentielle anticipée, est-ce qu'il faut des primaires ?

- “Non, il faut une procédure pour pouvoir décider d'une bonne règle entre les personnes qui se présentent dans le même camp.”

Q : Vous allez déclencher une crise de régime, qui représentera la droite ?

- “Ce n'est pas moi qui déclenchera une crise de régime. La crise de régime sera le résultat de la politique de M. ROCARD.”

(…)

Q : Faut-il fermer les yeux sur la partie noire du régime marocain ?

- “Non ! La France ne doit pas fermer les yeux sur toute cette partie noire. Cela veut dire qu'il faut qu'elle transmette des messages à ses amis dans le monde en leur demandant de respecter les droits de l'homme.”

Q : On va jusqu'au risque de la crise avec Rabat ?

- “Je suis frappé par ce qui se passe avec l'Irak. Si on avait lancé des messages à S. HUSSEIN il y a quelques années, nous n'aurions peut-être pas aujourd'hui un homme qui viole les droits internationaux.”


RTL : 20 novembre 1990

Q : Vous pensiez vraiment faire tomber le gouvernement ROCARD ?

- “Mathématiquement, je crois que le gouvernement ROCARD aurait dû tomber mais compte-tenu des pressions politiques, du débauchage dans les couloirs de l'Assemblée nationale et d'un certain nombre de députés, le gouvernement a eu une victoire à la Pyrrhus.”

Q : Mais vous confirmez ce qu'a dit Ph. Alexandre ?

- “ Je ne confirme pas, je constate simplement que certains députés n'ont pas voté la censure ils n'ont même pas eu l'élégance de le dire à leur président de groupe, car les pressions qu'ils ont dû subir étaient telles qu'ils ne les ont pas énoncées. Je ne sais pas si c'est à la gloire du gouvernement ROCARD. Ce que je sais, c'est que la rue, elle, censure tous les jours le gouvernement ROCARD. Il suffit de rencontrer les lycéens, de se promener dans les banlieues des grandes villes, les agriculteurs, pour constater le fossé qui sépare aujourd'hui le vote de censure enregistré hier soir et puis la France profonde qui ne comprend plus rien à la politique de ROCARD.”

Q : Un mot sur ces deux députés de votre groupe qui n'ont pas voté la censure hier, vous avez une explication les concernant ?

- “Ils ne m'avaient pas prévenu, il y avait des bruits de couloir qui affirmaient qu'ils ne voteraient pas la censure mais ils n'ont pas eu la courtoisie de le dire par écrit au président de groupe, ce qui se fait naturellement.”

Q : Comment peut-on imaginer que la législature n'aille pas jusqu'à son bout, à savoir 93 ?

- “ Ce sont les Français qui ont la solution entre les mains. Soit ROCARD parvient à résoudre leurs problèmes, à donner un souffle à la politique française, et alors on verra en fait les Français adhérer à la politique de ROCARD et renforcer sa majorité. Soit ROCARD continue à faire une politique du sparadrap, de l'expédient, et je suis convaincu qu'un certain nombre de députés qui encore hier ont hésité à voter la motion de censure comprendront que les Français souhaitent en fait une censure du gouvernement.”

Q : N'est-ce pas toute la politique en général qui peut être censurée par les Français quand ils vont voir ce qui s'est passé hier soir à l'Assemblée nationale ?

- “Je crois que les méthodes utilisées pour obtenir un vote de censure, comme cela a été fait hier, sont des méthodes qui discréditent non seulement les hommes politiques, mais aussi les institutions. Et je dis à ROCARD : faites attention, si vous voulez absolument vous maintenir au pouvoir, vous utilisez des méthodes transparentes. N'utilisez pas la pression politique.”

Q : Est-ce que c'est pas un peu dangereux de dire la parole est la rue ?

- “ C'est pas moi qui le dis. C'est en fait la rue qui prend la parole, car la rue a l'impression aujourd'hui que l'Assemblée nationale n'est pas à son image. Lorsque vous rencontrez aujourd'hui n'importe quelle catégorie sociale, elle ne comprend pas la politique de ROCARD, ni les relations entre le gouvernement et le Président de la République. Elle ne comprend pas qu'un Président de la République donne raison à des manifestants qui manifestent contre la politique du Premier ministre que le Président de la République a nommé. Elle ne comprend pas qu'il y ait une politique agricole qui soit mise en place, que le ministre de l'Agriculture soutienne les agriculteurs mais que, par contre, quand il arrive à Bruxelles, adopte des décisions qui vont exactement à l'inverse des options des agriculteurs. Alors il faut que les hommes politiques de l'opposition se mobilisent et expliquent.

Q : Vous avez le sentiment que le Président de la République, sur certains aspects de la politique française, essaie de “bordurer” le Premier ministre ?

- “J'en ai la certitude. Il suffit de voir comment le président de la République reçoit les lycéens et semonce publiquement ROCARD, sur le perron de l'Elysée ! Ça ne s'est jamais passé, c'est une situation qui démontre qu'il y a une dyarchie, deux personnes qui s'opposent à la tête de l'Etat. Je ne sais pas si c'est la meilleure manière de gouverner et de faire face aux très graves problèmes de notre société. Hier, à l'Assemblée nationale, on avait une atmosphère de fin de règne, d'une incapacité d'un gouvernement à faire face à une crise de société, à une crise morale que le pays traverse et je suis inquiet.”

Q : Vous dites il faudrait que l'opposition sur un plan parlementaire se mobilise. On n'a pas le sentiment dans l'opinion que l'opposition est parfaitement soudée.

- “L'union de l'opposition ne se fera pas dans les états-majors par des négociations entre tel ou tel chef de parti, elle se fera à la base, dans les départements, aux niveaux des conseils généraux, régionaux, dans le pays. Il faut que les responsables de l'opposition cessent de s'enfermer dans des négociations de procédure et aillent sur le terrain écouter les Français, puis annoncer leur projet, car nous avons un projet. Nous avons un projet pour l'Education nationale, c'est la décentralisation du système éducatif. Nous avons un projet pour les agriculteurs, la revalorisation de leur fonction dans l'aménagement de l'espace, dans la possibilité d'avoir un équilibre entre les cités urbaines incontrôlées et un espace rural qui est abandonné. Nous avons des projets pour l'aménagement des grandes villes avec une société qui renonce un peu à cet égoïsme, cette marginalisation, et qui évolue peu à peu vers une société où il y a renforcement des liens entre les groupes et les personnes.”