Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à RTL le 7 septembre 1997, sur la méthode de Gouvernement de Lionel Jospin, notamment les privatisations (France Télécom et Air France), la politique familiale, la préparation de la Conférence nationale sur l'emploi et la réduction du temps de travail et la réforme du système de santé.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde - RTL

Texte intégral

Lady Diana

Nicole Notat : Je constate que le peuple est capable d’émotion. (…) La mort tragique de cette femme l’a en partie révélée aux yeux d’un certain nombre de gens. Elle a conquis le cœur des Anglais, des Français et de bien d’autres (…). On l’a découverte résistant à des conventions qu’on voulait lui imposer dans le cadre d’une monarchie où elle devait jouer un rôle dans lequel elle ne se sentait pas forcément bien (…). Une femme qu’on croyait loin de tout le monde s’est révélée proche des gens (…). Les mêmes phénomènes derrière un homme comme Hitler font froid dans le dos. J’aurais peur de ces phénomènes derrière Monsieur Le Pen aujourd’hui (…). Cela montre que les gens sont aujourd’hui demandeurs d’identification à des personnes. Encore faut-il que ces personnes (…) réveillent ce qu’il y a de meilleur dans le cœur et dans le sentiment des gens et n’exacerbent pas ce qu’il peut y avoir de pire. (…)

La démission de Christian Blanc

Nicole Notat : Je suis frappée de voir que l’on est en train de chercher qui est responsable. (…) Mieux vaut essayer de comprendre comment on en est arrivé là (…). Il y a au moins quelque chose que tout le monde peut reconnaître, y compris les syndicalistes et salariés de l’entreprise qui n’ont pas toujours été tendres avec lui, parce que lui n’a pas non plus toujours été tendre avec eux, (…) c’est qu’il y a quelque chose de gâché (…). Le fait que cette entreprise soit sur la voie du redressement (…) était entré dans la tête des salariés, qui ont aujourd’hui peur d’un retour en arrière. (…)
Alors qu’Air France ne devait pas être privatisée (…), voilà qu’un ministre communiste qui avait fait de la plateforme PC-PS un enjeu fondamental (…) annonce une ouverture du capital à 49 % ! Quand, dans un pouvoir politique à majorité « plurielle », (…) la formation politique qui était la plus attachée à la non-privatisation d’Air France annonce l’ouverture du capital à 49 %, (…) vous vous dites qu’il s’est produit une révolution dans la tête du ministre. (…) Dans ces conditions, le Gouvernement se dit qu’il faut capitaliser cette évolution du Parti communiste. La logique politique consiste alors à dire : « Nous irons à 49 % d’ouverture du capital, mais nous n’affichons pas qu’ensuite, cela signifiera une ouverture majoritaire ». À mon avis, les salariés devraient déjà se dire que l’ouverture majoritaire est inscrite car, quand on va du premier coup à 49 %, en général on va plus loin. Christian Blanc est parti de la logique économique de l’entreprise et pas de la logique politique. (…) Ce sont deux logiques qui ne coïncident pas et qui ont donné un cocktail explosif. (…)

Question : Monsieur Jospin s’est montré fin tacticien ?

Nicole Notat : Je ne sais pas si c’est de la tactique. Je conçois que, Premier ministre confronté à des réalités difficiles, dans la majorité telle qu’elle est, Lionel Jospin prenne la mesure de l’évolution manifestée par le Parti communiste. (…) Il ne faut pas habiller d’arguments économiques des choix à l’évidence politiques.

Question : Le PC abandonne son dogme ?

Nicole Notat : À mon avis, oui. Le Parti communiste vient d’accepter l’ouverture du capital de France Telecom (…). Et le Parti communiste propose l’ouverture du capital d’Air France à 49 % (…). Les problèmes que nous venons de vivre auront peut-être des prolongements positifs si nous ne nous arrêtons pas au stade actuel. (…)

La CFDT et France Telecom

Nicole Notat : La question de l’ouverture du capital (…) se dramatise dans des entreprises qui appartiennent au secteur public. Il ne faut pas s’en étonner car nous sommes dans un pays dont la culture attribue à l’État (…) un rôle important dans l’économie (…). Comme personne ne sait véritablement expliquer et justifier, au-delà des batailles de principes et de symboles, la place que continuera d’avoir l’État, (…) toutes les angoisses existent. En 1996, la CFDT a organisé une consultation auprès de ses adhérents, lesquels ont dit leur peur, et donc leur refus, d’ouvrir le capital de France Telecom. C’est ce qui motive aujourd’hui la position de la fédération. (…) Cela ne signifie pas qu’elle ne regarde pas les choses en face (…). Elle considère que des évolutions peuvent être apportées dans le statut. (…) La porte-parole de la fédération de France Telecom exprime le sentiment d’un certain nombre de salariés qui, pour autant, ne se considèrent pas en situation d’arrêter le processus.

Question : Y aura-t-il une grève ?

Nicole Notat : À ma connaissance, aujourd’hui, personne n’appelle à la grève à France Telecom, en tout cas pas à la fédération CFDT. La dernière grève qui a eu lieu à ce sujet a seulement mobilisé 35 % du personnel (…). Donc, elle ne croit pas aujourd’hui à une volonté des personnels de se mobiliser.

L’État et les entreprises publiques

Nicole Notat : On n’a pas redéfini le rôle de l’État dans le contexte nouveau de la mondialisation (…). La CFDT est attachée bec et ongles à la préservation de missions de service public. Ces missions sont-elles les mêmes pour La Poste, pour Thomson-CSF, pour France Telecom et pour Air France ? (…) La SNCF, service public, (…) a fermé des lignes (…). On peut être une entreprise de service public, dans le secteur public où l’État est majoritaire à 100 %, et être confrontée à des choix draconiens comparables à ceux d’une entreprise privée. Par contre, s’agissant de La Poste et même de France Telecom, ouverture du capital ou non, nous ne supporterons jamais que les Français ne soient pas égaux dans l’accès à ces services. (…) Dans les transports urbains, des entreprises privées reçoivent des subventions publiques (…). Il ne faut surtout pas laisser croire aux gens que ce n’est pas parce qu’une entreprise est publique qu’elle n’a pas des décisions difficiles à prendre (…). C’est à l’État de financer le surcoût du choix de société que nous faisons (…).

La méthode de Monsieur Jospin

Nicole Notat : J’ai considéré que, jusqu’à cette rentrée, la manière dont Lionel Jospin avait imprimé l’action du Gouvernement, explicite la méthode qu’il voulait choisir (…) me semblait être tout à fait de bon augure. (…) Je trouve qu’il a procédé, sur un certain nombre de questions qui n’étaient pas évidentes, à des « atterrissages » tout à fait satisfaisants (…).

Allocations familiales et emplois à domicile

Nicole Notat : Lorsqu’elle était ministre du travail, Martine Aubry avait mis en place une mesure consistant à permettre une déduction fiscale pour les gens qui employaient des personnes à domicile (…). Par la suite, le Premier ministre Édouard Balladur avait relevé sérieusement le niveau de la déduction. (…) Le fait que le Gouvernement s’interroge sur une baisse de cette déduction me choque d’autant moins qu’il le fait en veillant (…) à ne pas remettre en cause les emplois que cette mesure avait permis de créer. (…)
Touchons aux choses sérieuses. Mettons les choses à plat, touchons au quotient familial. Nous sommes, en cela, d’accord avec l’UNAF, qui rassemble de nombreuses familles qui ne vont pas exploiter cette affaire à des fins de récupération politique.

La préparation de la conférence nationale

Nicole Notat : (…) Je ne connais pas aujourd’hui la position du CNPF sur tous les sujets qui sont censés être abordés par cette conférence. (…) Cette conférence, il faut la tenir au moment où elle est utile et efficace. (…) Je préfère qu’elle soit retardée de trois jours si elle réussit plutôt que d’être tenue pour le principe à une date qui n’a d’ailleurs pas été arrêtée et qui traduirait trop d’impréparation. (…)

La réduction de la durée ou travail

Nicole Notat : La position du Gouvernement, aujourd’hui, n’est pas faite. (…) Au sein du Gouvernement, toutes familles politiques confondues, certains ne croient pas que la réduction de la durée du travail puisse être un vrai outil pour l’emploi (…). Ils ont la tentation d’en faire simplement (…) un avantage social supplémentaire pour ceux qui ont déjà un travail à temps complet. (…) Je dis (…) attention à la vraie fausse nouvelle conquête sociale ! Trente-cinq heures à doses homéopathiques, (…) sans permettre d’aller plus loin vers les trente-deux heures, ce serait une fausse conquête sociale si les chômeurs en étaient pour leurs frais. (…)
La manière dont on avance sur la réduction de la durée du travail doit aboutir à un résultat sur l’emploi et en même temps doit être la démonstration d’une nouvelle capacité de compétitivité et d’une nouvelle organisation de l’entreprise. (…)
Il faut remplacer la loi Robien par une bonne loi Aubry (…) qui permette de concilier la réduction de la durée du travail pour ceux qui ont un emploi et une nouvelle organisation du travail dans les entreprises. (…) La vraie conquête sociale, c’est que les chômeurs soient gagnants. (…)
Pour une vraie négociation, entre le moment où elle est préparée et celui où elle peut aboutir, il faut au moins six mois, dans une entreprise. (…) Je souhaite que le Gouvernement fasse le choix de cette logique, quitte à prendre un an de plus pour la mener à son terme (…).
Ce qui doit être rapide et massif pour nous, c’est la réduction de la durée du travail négociée avec la question de l’organisation du travail, entreprise par entreprise, même si cela doit s’inscrire, chaque fois que c’est possible, dans un accord de branche (…). Je préfère (…) que 25 % des entreprises de ce pays s’engagent dans un dispositif conforme à la logique que je viens d’énoncer au cours de l’année 1996 si l’État n’est pas en mesure de financer l’aide pour 50 % des entreprises. (…)
Les salariés sont les mieux à même de dire ce qu’ils acceptent ou non comme participation salariale dès lors qu’il y aura création d’emplois et qu’ils auront plus de temps libre. (…) Ce ne sera pas 10 ou 20 % de salaire en moins ! Ce ne sera même pas automatique et obligatoire. Nous disons : négocions tout cela (…), demandons leur avis aux salariés ! (…)
Je souscris tout à fait à l’idée qu’il faut donner du pouvoir d’achat à ceux qui aujourd’hui n’ont pas assez de moyens pour consommer. Mais en réduisant la durée du travail, des gens qui étaient au chômage vont toucher un salaire (…) et participeront ainsi à la relance de la consommation. Il en sera de même avec les jeunes du dispositif de Martine Aubry si les résultats sont conformes aux ambitions (…). Moi aussi je suis intéressée par le pouvoir d’achat des salariés, d’abord de ceux qui ont le plus de difficultés, de ceux qui sont le plus en situation de vulnérabilité, de ceux qui ont les plus bas salaires. (…)

Cotisations d’assurance maladie et CSG

Nicole Notat : Nous voulons une nouvelle baisse des cotisations maladie que paient les salariés et un transfert sur la contribution sociale généralisée. (…) En dessous de deux points de cotisations d’assurance maladie, rien ne doit être pris pour autre chose que l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés. (…) Ce sera de 0,6 à 0,8 % d’augmentation du pouvoir d’achat ! (…) Il faut que cela soit supportable pour les retraités et pour les catégories qui préalablement ne payaient pas de cotisations. (…) Cela fait longtemps que les retraités n’ont pas vu leurs pensions revalorisées et il y a peut-être un juste terme à trouver. (…) Il faut trouver le moyen qu’ils ne prennent pas « plein pot » l’augmentation de la CSG. (…) Pour les fonctionnaires, il y aussi des moyens qui ont d’ailleurs déjà été utilisés. (…) Pour les chômeurs qui sont concernés, il faut procéder par étape et pas au même rythme que pour les salariés. (…)

La réforme ou système de santé

Nicole Notat : (…) Continuons la maîtrise des dépenses de santé ; continuons à lancer les expérimentations pour les filières de soins et les réseaux ; continuons à mettre en œuvre ce qui a été signé avec les généralistes. (…) Je souhaiterais que le Gouvernement n’oublie pas en route que du côté des entreprises aussi il faut modifier le financement et que la cotisation patronale d’assurance maladie repose toujours sur l’assiette des salaires. (…) Cette cotisation doit aussi porter sur la valeur ajoutée, sur la richesse créée et pas seulement sur la masse des salaires. J’attends sur ce point une réponse du Gouvernement qui serait de nature à réduire le déficit de l’assurance maladie. (…)
Pour la réforme de l’assurance maladie, il est devenu évident aux yeux de tout le monde que ce Gouvernement la poursuit. (…) Il a la chance de pouvoir la parachever. Nous aurons peut-être enfin la chance d’avoir que l’organisation de notre système de soins qui fasse l’unanimité de la droite et de la gauche. Si nous arrivons à cela, nous n’aurons pas perdu notre temps. Les Français, les patients, les usagers de l’hôpital y auront gagné.