Texte intégral
F. Laborde : Aujourd’hui, La Rochelle, dont vous êtes maire, est libre de toute voiture. C’est une opération « La Rochelle sans voitures ».
M. Crépeau : C’est une chasse aux voitures polluantes, parce que notre objectif n’est pas d’interdire la circulation mais de montrer qu’on peut circuler en ville avec des véhicules autres que les voitures polluantes. C’est l’avenir que nous préparons.
F. Laborde : Comment êtes-vous venu dans le studio de France 3 ?
M. Crépeau : Le maire doit donner l’exemple : si j’étais venu avec un diesel, on pourrait penser que je me paye la tête des gens ! Je suis venu en voiture électrique et à pied, parce que j’ai voulu faire le tour des gens pour les encourager. En fait, il n’y a pas eu besoin de les encourager parce qu’on a eu plus de 500 volontaires pour s’occuper de cette affaire, sans parler des grandes administrations : la SNCF a mis 13 trains en route depuis Rochefort. D’ailleurs, le maire de Rochefort va me rejoindre. Bref, tout le monde participe : la police s’est mobilisée à fond, les Rochelais, les commerçants. Il y a bien quelques râleurs, des râleurs de différents types d’ailleurs : il y a le vrai râleur, le bon râleur, le sale râleur, le petit râleur, etc. Globalement, pour l’instant, ça se passe bien.
F. Laborde : Précisez-nous votre opération.
M. Crépeau : Il ne s’agit pas simplement d’une opération de communication et d’image, même si cette très bonne idée est venue de chez vous, France 2, de P. Nahon. Le 25 septembre, on verra ça à Envoyé spécial. Mas j’ai saisi l’occasion au vol parce que depuis bien longtemps, je suis tout à fait convaincu que, dans 10 ans, il faudra circuler autrement dans les centres-villes. Ce ne sont pas des choses qu’on peut improviser. Cette expérience va nous permettre de voir ce qui va bien, ce qui va mal, ce qu’il faut inventer. Bref, ce sont les prolongements qui m’intéressent. C’est quelque chose de très sérieux. En plus, à La Rochelle et dans sa région, ainsi que dans le département, nous sommes des apôtres de la voiture électrique. Avec l’université de La Rochelle et les ingénieurs de La Rochelle, je crois beaucoup aux véhicules électriques. C’est l’occasion de montrer qu’on peut parfaitement circuler dans un centre-ville avec des véhicules qui ne sont pas polluants, étant entendu qu’il n’y a pas de solution générale pour toutes les villes : chaque ville a son histoire ; chaque ville a sa configuration ; chaque ville son tempérament.
F. Laborde : Pensez-vous que l’expérience est transposable dans d’autres villes de la taille de La Rochelle ?
M. Crépeau : Bien sûr. Ce que je propose à Mme Voynet, c’est de faire une journée sans véhicules polluants dans la France entière, comme il y a la journée de la Musique. Que la France regarde résolument vers l’avenir, vers le futur, car c’est de cela qu’il s’agit. Je suis le maire d’une ville qui a une longue histoire. Mais ce qui m’intéresse quand même, c’est l’avenir, le futur, la qualité de la vie dans les villes
F. Laborde : En tant qu’ancien ministre de l’Environnement, quel regard portez-vous sur l’action de votre consœur ? Sur l’échelle de Richter des ministres de l’Environnement, quelle note lui donneriez-vous ?
M. Crépeau : Mon rôle n’est pas de noter mes successeurs. Je l’observe avec beaucoup de sympathie. C’est une femme intelligente qui a des convictions, qui a son franc parler. Par exemple, j’ai beaucoup apprécié ce qu’elle a dit à l’émission Public à propos de la mort de la princesse d’Angleterre : il y a quand même tous les autres morts, tous ceux qui roulent à 180 à l’heure sous les tunnels ; si c’était des gens ordinaires, on les vouerait aux gémonies ; si en face, était arrivée en voiture avec trois gosses dedans et trois morts, on ne dirait pas la même chose. Réagir contre cette espèce d’hystérie collective, moi, ça m’a fait grand plaisir !
F. Laborde : Il semble que vous vouliez déposer un projet de loi pour le respect de la vie privée. Vous êtes donc quand même un peu émue par cet accident.
M. Crépeau : La législation française est la plus sévère du monde mais je constate que cette législation, pour l’instant, est pratiquement lettre morte. J’admets que c’est un problème difficile parce que c’est le conflit entre deux libertés fondamentales : la liberté de la presse et le droit des gens à protéger leur vie privée. Vous avez un tas de zones intermédiaires qu’il faut essayer de déterminer. Je n’ai pas la prétention, avec les députés qui voudront bien signer ma proposition de loi, de tout révolutionner d’un coup. Je consulterai les syndicats de journalistes, les syndicats de presse, les gens qui se sont déjà penchés sur ce problème. Mais je crois qu’il est important d’avancer. Notre combat, c’est le combat pour la dignité humaine.
F. Laborde : Vous voulez mieux protéger la vie privée des personnages publics, quitte à limiter la liberté de la presse ?
M. Crépeau : Tout à fait. Je n’admets pas qu’on photographie avec des menottes des gens mis en examen, c’est-à-dire présumés innocents, qui sont ainsi mis au pilori public par les médias. C’est scandaleux, cette chose-là ! La torture existe encore en France à la fin du XXème siècle.
F. Laborde : Vous êtes président à l’Assemblée nationale d’un groupe qui rassemble les Verts, Radical et les chevènementistes. N’est-ce pas le mariage de la carpe et du lapin ? Il y a déjà des polémiques entre les Verts et les chevènementistes sur les lois Pasqua-Debré ?
M. Crépeau : Pas du tout. On a perdu l’habitude d’une liberté essentielle pour les parlementaires : la liberté de vote. Dans notre groupe, chacun réagit. Moi, je réagis en tant que radical avec les 12 députés radicaux. Les vers réagissent en tant que Verts avec leurs 7 députés. Les chevènementistes réagissent avec leurs 7 députés aussi. Nous appartenons à une majorité plurielle. Simplement, nous voudrions bien que le Parti socialiste et L. Jospin considère que cette majorité est évidemment plurielle, que ce n’est pas simplement le Parti socialiste et le Parti communiste, que ce n’est pas une majorité duale : nous sommes une majorité plurielle. Nous entendons être loyaux avec le Gouvernement mais avec notre liberté de critique, de parole. Si, fondamentalement, nous suivrons le Gouvernement, pas contre, nous voulons changer un certain nombre de choses et nous voulons qu’on nous écoute.