Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "Le Progrès" du 16 avril 1999, sur la réforme de la PAC, notamment la modulation des aides à l'agriculture décidée dans le cadre des accords de Berlin et la loi d'orientation agricole.

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Média : La Tribune Le Progrès - Le Progrès

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Q - Comment admettre que le gouvernement soit divisé sur un sujet aussi grave que la guerre au Kosovo ?

Ces divisions sont savamment exagérées par l'opposition. La réalité est que l'accord est assez large sur le point de départ, sur l'analyse du régime sanguinaire et dictatorial de Milosevic. Il n'y a pas non plus divergence sur le point d'arrivée, sur la nécessité d'une solution politique et diplomatique, qui passe par un accord de l'ONU et la réintroduction de la Russie dans le jeu diplomatique. Les divergences existent sur la manière de passer d'un point à l'autre...

Q - Elles touchent à l'essentiel, à la guerre…

Certes, mais ces divergences seraient différentes, traceraient d'autres lignes de partage s'il était envisagé de passer des frappes aériennes à une intervention terrestre. Pour ma part, autant j'approuve la mise à exécution des menaces, autant je considère que des questions posées par un certain nombre de membres du gouvernement sont légitimes. C'est un fait que la Serbie est différente de l'Irak, et que le risque de conflagration est plus grand. C'est un autre fait que l'intervention de l'OTAN est très imprégnée de la puissance américaine, et fait apparaître la défense de l'Europe dans toute sa faiblesse. Enfin, il faudra bien qu'on en revienne à un niveau diplomatique. Toutes ces questions sont donc légitimes, elles sont dans les têtes de chacun d'entre nous, et cela fait partie du débat démocratique de les poser sereinement.

Q - La campagne des élections européennes paraît, en regard de cette guerre, avoir perdu tout intérêt…

Non, car la guerre doit justement nous faire débattre de notre capacité à mettre en oeuvre une Europe de la défense, avec une politique commune d'armement. Cela sans parler d'autres sujets importants comme la solidarité à développer au niveau européen, ou l'évolution des institutions.

Q - L'Europe a réformé sa politique agricole au sommet de Berlin « au profit des despotes financiers », accuse la Confédération paysanne…

C'est peut-être vrai dans l'état actuel de l'accord de Berlin. Mais cet accord crée surtout un outil nouveau, la modulation des aides, qui permet justement au niveau national de redistribuer des aides traditionnellement assez inégalitaires. De la même manière est créé un « deuxième pilier » de la PAC afin d'aider le développement rural, que j'ai bien l'intention de faire vivre, pour apporter ainsi un démenti à ceux qui pensent - ou qui voudraient – que cet accord n'est que la continuation de l'accord de 1992.

Q - Par « ceux qui voudraient », vous visez la FNSEA ?

Non, je vise tous les conservateurs qui ne veulent pas remettre en cause certains privilèges. Quand je vois qu'un grand avionneur français (Dassault - ndlr), déjà milliardaire, touche un million de francs d'aides de la PAC pour son exploitation de 300 hectares, je me dis qu'il ne devrait pas trop souffrir de perdre 200 000 francs de ces aides.

Q - Tout de même, la réforme ne vous satisfait pas complètement...

C'est le propre de tout compromis. Je regrette trois choses dans cet accord : la religion de la baisse des prix, qui ne correspond à aucune réalité objective des marchés mondiaux ; la fin du régime spécifique des oléagineux ; l'absence d'un signal puissant, donné par l'Europe à ses agriculteurs, sur la réorientation des aides. Mais nous mettrons en oeuvre cette réorientation au niveau national à travers la loi d'orientation agricole, dont je ne doute pas qu'elle sera adoptée avant l'été.

Q - Vous, ministre de gauche, avez-vous la même vision de l'agriculture française que le Président, issu de la droite ?

Non, et ça n'est une surprise pour personne. Mais nous avons pu défendre une position commune, car l'intérêt général de l'agriculture française doit l'emporter sur les différences partisanes. Et je crois que le président de la République a bien compris que l'intervention publique est un moyen indispensable de régulation des marchés agricole.