Interview de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre mer, à France 2 le 10 mai 1999, sur la responsabilité du Gouvernement dans l'affaire de l'incendie de la paillote en Corse, l'action du préfet Bonnet et les élections en Nouvelle Calédonie.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

France 2 : Avant de parler de la Nouvelle-Calédonie et de vos fonctions actuelles, j'aimerais qu'on revienne un peu en arrière, à l'époque où vous avez remplacé Jean-Pierre Chevènement au ministère de l'intérieur. Est-ce que vous pouvez nous dire quels étaient vos rapports à ce moment-là avec le préfet Bonnet ?

Jean-Jack Queyranne : Des rapports tout à fait normaux ! Le préfet Bonnet exerçait ses fonctions en Corse. Je m'y suis rendu début octobre. J'ai eu l'occasion de le rencontrer au ministère de l'intérieur à cinq ou six reprises pour cadrer sa mission, pour qu'il me rende compte. J'ai eu l'occasion aussi de lui rappeler qu'il devait se situer tout à fait dans les règles de droit qui régissent le rôle d'un préfet dans un département, dans une région comme la Corse, notamment quand le préfet Bonnet, le 13 octobre, a souhaité obtenir la coordination de l'ensemble des moyens de sécurité sur la région corse – le texte qui le prévoit indique que c'est en cas de menace grave pour l'ordre public –, je lui ai dit que la situation n'était pas appropriée et qu'il fallait ne pas aller vers des moyens exceptionnels, mais rester dans le droit commun. J'ai eu aussi l'occasion de lui dire qu'il n'avait pas à commenter les enquêtes judiciaires, c'est-à-dire à respecter le principe de la séparation des pouvoirs. Mais c'est le rôle qu'un ministre de l'intérieur doit jouer pour cadrer, dans une situation difficile qui est celle de la Corse, l'action d'un préfet.

France 2 : Selon vous, qu'est-ce qui a pu se passer ensuite à partir de cette remise en ordre ? Pensez-vous réellement que le préfet Bonnet ait été victime de ce qu'on appelle aujourd'hui « une sorte d'isolement » à la préfecture d'Ajaccio ?

Jean-Jack Queyranne : Il faut rappeler qu'il y a eu des résultats de l'action du préfet Bonnet, en particulier dans le contrôle de la légalité ; qu'il y a eu aussi diminution considérable du nombre d'attentats. Donc n'accablons pas totalement un homme dont maintenant la justice va faire la lumière sur les événements qui se sont produits : événements graves – événements qui montrent un dérapage incontestable sur ce plan-là –, inexcusables. Mais il vient d'y avoir deux rapports – les rapports de l'inspection générale de la gendarmerie et de l'inspection générale de l'administration du ministère de l'intérieur – qui montrent bien comment la chaîne de commandement, comment le fonctionnement avait pu se mettre en place de façon qui ne semblait pas adaptée, en tout cas, contraire aux principes mêmes qui doivent régir l'action d'un corps comme celui de la préfectorale.

France 2 : Est-ce que le préfet Bonnet vous disait ce que faisait le GPS sur place, est-ce qu'il ne vous le disait pas ? À qui en rendait-il compte ?

Jean-Jack Queyranne : L'action du GPS n'était pas portée directement à ma connaissance puisque c'est une institution qui dépend de la gendarmerie. Mais le préfet Bonnet avait la coordination de l'ensemble des services de l'État, c'est vrai.

France 2 : Comment expliquez-vous tout cette affaire, cette terrible bavure et tous les nouveaux projets qu'on commence à découvrir au fil des jours ?

Jean-Jack Queyranne : Il faudra attendre l'ensemble des conclusions qui seront données. Déjà il y a un éclairage qui est porté sur le mode de fonctionnement, sur ce que vous évoquiez, c'est-à-dire, peut-être l'isolement dû à l'insularité, peut-être un sentiment un peu trop fort d'avoir à agir pour faire respecter l'État de droit. Moi, Je crois qu'il faut dans ce domaine – et c'est la tâche maintenant du préfet Jean-Pierre Lacroix qui s'installe ce matin, qui prend ses fonctions – situer son action dans le cadre républicain qui est celui de nos règles de droit. Le préfet doit agir certes dans une mission difficile, mais dans cet état d'esprit, et surtout agir beaucoup plus avec les Corses, avec leur confiance.

France 2 : En tant que membre du gouvernement, vous ne vous sentez pas une responsabilité ? Vous n'avez pas le sentiment qu'on a laissé le préfet un petit peu seul à ce moment-là ?

Jean-Jack Queyranne : En tout cas, dans la période où j'exerçais ces fonctions, je vous ai donné deux exemples où, moi, j'ai bien rappelé ce que devait être, dans quel cadre se situait l'action du préfet. Mais il faut aussi dire qu'il a fait preuve de courage. Rappelez-vous, quand il a fait face aux nationalistes qui lui promettaient de partir dans un cercueil. Je crois qu'il faut aussi rappeler ce qu'est la situation en Corse et les provocations.

France 2 : On va parler de la Nouvelle-Calédonie et de l'élection qui a eu lieu hier. Que pensez-vous de cette espèce de montée des anti-indépendantistes ? Était-ce prévisible ? Quelle analyse faites-vous ?

Jean-Jack Queyranne : D'abord, une forte participation électorale – plus de 75 %, cinq points de plus que lors des précédentes élections de 95 –, ça mérite d'être souligné. Je soulignerai aussi que les formations politiques qui ont approuvé les accords de Nouméa – c'était il y a un an, le Premier ministre, Lionel Jospin, signait ces accords avec le RPCR et le FLNKS –, ces formations se trouvent confortées. Donc, elles vont avoir maintenant à gérer la responsabilité de la Nouvelle-Calédonie. Car il faut rappeler qu'en 1988, lors des accords de Matignon, le pouvoir exécutif a été transféré aux représentants de l'État, au Haut-commissaire. Il était en quelque sorte l'élément d'équilibre entre les communautés. Maintenant, 98, ce sont les accords de Nouméa ; 99, leur mise en oeuvre ; dans quelques semaines, dans cinq semaines, à la mi-juin, il y aura transfert de cette responsabilité de l'exécutif au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Et c'est un gouvernement qui a été, qui sera désigné à la proportionnelle. C'est-à-dire qu'on retrouvera les grands courants politiques.

France 2 : Pensez-vous que l'exemple de la Nouvelle-Calédonie pourrait servir ailleurs, je repense évidemment à la Corse ? On est arrivé à une paix civile, on est arrivé à une démocratie voulue par tous. Est-ce qu'il y a du méthode qui pourrait servir ailleurs ?

Jean-Jack Queyranne : C'est une situation très différente. La Nouvelle-Calédonie est à 20 000 kilomètres de la métropole, au coeur du Pacifique, avec une terre qui a été colonisée, l'arrivée d'Européens ou d'autres ethnies. Ce qui est essentiel en Nouvelle-Calédonie, c'est que nous sommes parvenus à travers les accords de Matignon – rappelez-vous avant 88, nous étions au bord de la guerre civile, il y avait Ouvéa ! – à la paix civile des communautés qui ont appris à mieux vivre ensemble. Et maintenant ces communautés vont construire ensemble la Nouvelle-Calédonie avec l'échéance, dans 15 à 20 ans, d'un référendum qui, à ce moment-là, décidera de l'autodétermination, de l'accession éventuelle à l'indépendance. Mais pendant ces 15 à 20 ans, ils vont ensemble construire leur pays, et c'est ça qui me paraît le plus important.