Texte intégral
La Dépêche du Midi - lundi 1er mars 1999
La Dépêche du Midi : Le message à droite est plutôt brouillé. Le vôtre passe ?
Charles Millon : Nous ne parlons pas de tactique politique. Nous parlons des problèmes des gens, d'éducation, de sécurité, de fiscalité, d'aménagement du territoire. Il y a un esprit de dialogue. Nous rencontrons des gens qui nous font part de leurs attentes, de leurs espoirs, de leur soutien parfois.
La Dépêche du Midi : La politique, c'est pourtant également votre affaire avec la transformation de La Droite en parti ?
Charles Millon : La Droite se transformera sans doute en parti politique, mais nous ne parlons pas de ça.
La Dépêche du Midi : Mais vous êtes en campagne pour les européennes ?
Charles Millon : Nous expliquons notre thèse sur la gestion de l'Europe. Notre problème, ce n'est pas de savoir qui fera alliance avec qui.
La Dépêche du Midi : Mais un peu plus d'union ne ferait pas de mal, non ?
Charles Millon : Nos priorités, ce sont les idées et les convictions. Nous parlons de solutions et d'espérances. Nous nous refusons à entrer dans les jeux tactiques. On ne fait pas passer l'union avant les convictions. On verra la décantation des choses.
La Dépêche du Midi : On parle pourtant d'un rapprochement de La Droite et du CNI. Ça avance ?
Charles Millon : Ce n'est pas notre problème. Nous avons des rapports avec eux, qu'il y ait des points de convergences, c'est évident. Mais, dans notre tour de France, nous évoquons les problèmes des gens : comment va-t-on répondre au chômage des jeunes, par exemple ?
La Dépêche du Midi : On dit que le CNI pourrait vous servir de passerelle pour rallier les déçus du FN. C'est votre stratégie ?
Charles Millon : Notre thèse est totalement différente. Nous avons un projet. Ceux qui veulent le soutenir le peuvent. Mais nous ne faisons pas de racolage.
Europe 1 - jeudi 4 mars 1999
Europe 1 : Est-ce que l'heure est venue, pour Charles Millon, de rentrer dans le rang ?
Charles Millon : J'ai pour mission, du fait des engagements que j'ai pris, de continuer à défendre mes convictions, un point c'est tout. Alors, si défendre ses convictions, c'est rentrer dans le rang, je rentre dans le rang ; si défendre ses convictions c'est être le trublion, je serai le trublion.
Europe 1 : Mais qui vous a donné cette mission ?
Charles Millon : Mais c'est ma mission d'homme politique, c'est mon électorat, ce sont mes convictions qui, lorsqu'ils ont voté pour moi, m'ont demandé de défendre mes convictions, mes idées, mes idéaux.
Europe 1 : Croyez-vous avoir les moyens et les troupes des ambitions politiques et de cette mission politique ?
Charles Millon : Évidemment ! Actuellement, vous avez en fait un peuple qui est complètement désemparé, qui est écoeuré par un certain nombre de manoeuvres, qui est amer parce que les promesses ne sont pas tenues, et qui attend qu'il y ait des femmes et des hommes politiques qui viennent leur parler tout simplement de leurs problèmes, de leurs préoccupations, de leurs angoisses, et qui tentent de leur répondre. Et qui attendent donc que les hommes politiques prennent un seul engagement : qu'ils disent ce qu'ils vont faire et qu'ils vont faire ce qu'ils ont dit.
Europe 1 : C'est-à-dire : comme qui ?
Charles Millon : Comme un certain nombre d'hommes politiques. Je vais rendre un hommage tout à fait particulier : je considère que les socialistes, aujourd'hui, avaient dit qu'ils allaient faire les 35 heures, ils font les 35 heures ; ils avaient dit qu'ils feraient le PACS, et ils font le PACS ; ils avaient dit qu'ils allaient faire la réforme du mode de scrutin régional, on fait une réforme du mode de scrutin régional. Je n'approuve pas ces réformes mais, par rapport à leur électorat, ils ont tenu leurs promesses. Je souhaite que tous les hommes politiques aient cette logique-là, car c'est le respect de l'électeur.
Europe 1 : Comme vous avez l'habitude, et en tout cas, aujourd'hui, envie d'être directe et franc, est-ce que je peux rappeler que vous avez été ministre de la défense du président de la République, M. Chirac, entre 95 et 97. On reparle périodiquement de l'affaire Elf. Qu'en pensez-vous ?
Charles Millon : C'est une affaire d'État, car c'est une corruption qui a atteint le coeur de l'État. Je souhaite effectivement que cette affaire soit clarifiée, car il n'y a pas de grande démocratie si on continue à laisser se gangrener tout le système de l'État.
Europe 1 : Alfred Sirven, vous l'avez connu. Vous avez traité avec lui ?
Charles Millon : Non, je n'ai pas connu Alfred Sirven.
Europe 1 : Autour de vous, oui ?
Charles Millon : Alfred Sirven était dans les structures de l'État et proche des structures de l'État. C'est la raison pour laquelle, je crois que c'est une affaire grave, et que je souhaite que, compte tenu des personnes concernées, on aille jusqu'au bout de l'investigation, et jusqu'au bout des jugements.
Europe 1 : Est-ce qu'à votre avis tous les noms qui sont concernés sont vraiment cités ? Ou est-ce qu'il y en a de plus importants ?
Charles Millon : Je n'ai pas en fait d'information particulière à dévoiler.
Europe 1 : Et quand on dit qu'il y a une liste de 44 noms qui émargeaient à Elf ? Il y en avait plus, à votre avis, avec votre expérience de ministre ? Et je vais vous parler d'autre chose après...
Charles Millon : Non, je...
Europe 1 : C'est délicat ça...
Charles Millon : Je n'ai aucune information à donner. Je dis simplement que je souhaite que, dans ce type d'affaire, il y ait la parfaite clarification, car une grande démocratie ne peut pas survivre à des affaires graves de corruption.
Europe 1 : Et quand vous avez dit qu'il y a des personnes importantes concernées, ce sont des personnes de droite, de gauche, du centre, de tous les milieux ou... ?
Charles Millon : On n'a qu'à lire aujourd'hui toute la presse et on s'aperçoit bien qu'il y a des personnes de très haut rang, qui sont concernées. Je pense qu'elles doivent, en fait, donner toutes les explications sur leurs agissements, car autrement ce serait une, notre démocratie qui serait fragilisée.
Europe 1 : Mais elles sont toutes citées les personnes importantes concernées, ou vous, vous dites : on lit des noms dans la presse – Roland Dumas, d'autres qu'on a entendus, etc. – cités d'une manière ou d'une autre ? Il y en a d'autres ?
Charles Millon : Je ne suis ni juge d'instruction, et ni procureur.
Europe 1 : Mais vous en savez, non ? Oui ? Est-ce qu'il y aura une liste Millon aux élections européennes ?
Charles Millon : Oui, car il est nécessaire, aujourd'hui, d'avoir un vrai débat européen, et que je constate à l'évidence que personne, aujourd'hui, n'est porteur d'un projet pour l'Europe. Je vois une Alliance qui est en train d'éclater au grand jour, parce qu'elle est aux prises avec des ambitions personnelles, avec des querelles d'appareils. Mais je n'entends parler d'aucun projet pour l'Europe. Je pense que nos concitoyens méritent un vrai débat entre une Europe social-démocrate, portée par les socialistes, et une Europe de droite, que nous devons présenter à nos concitoyens.
Europe 1 : Donc, vous irez, Millon, tout seul ? Tête de liste : Millon ?
Charles Millon : J'irai aux élections européennes en portant un projet autour duquel, j'espère, nombre de Français, nombre de responsables se rassembleront.
Europe 1 : Vous ne serez pas dans la liste de Charles Pasqua ?
Charles Millon : Non.
Europe 1 : Vous serez avec de Villiers ? Vous ferez une liste, ou il y aura une liste Millon ?
Charles Millon : Je serai à la tête d'une liste qui portera un projet qui s'appelle : l'Europe de droite. Ça me paraît évident, aujourd'hui, qu'il convient d'expliquer aux Français comment nous allons orienter la gestion de l'Europe ; que l'Europe, aujourd'hui, est en train de prendre une direction vers le socialisme et la social-démocratie ; qu'on est en train de normaliser et harmoniser, provoquer un égalitarisme qui pèse sur les épaules de nos concitoyens ; que la dernière directive qui vient d'être prise concerne l'état sanitaire des zoos, et je ne pense pas que c'est le rôle de l'Europe de s'occuper de ces sujets. Que, par contre, l'Europe est complètement paralysée pour intervenir au Kosovo et que, par contre, ici, il me paraît évident que l'Europe devrait intervenir. Et qu'il y a, en fait, une évolution de l'Europe à faire, et que je souhaite participer à ce débat pour présenter un projet qui soit porteur.
Europe 1 : Vous avez voté le Traité d'Amsterdam, hier, à l'Assemblée ?
Charles Millon : Bien évidemment. Je ne suis pas une girouette. J'ai des convictions. Tout le monde sait quels sont mes engagements. Et j'ai voté, hier, le traité d'Amsterdam, puisque j'étais même dans le gouvernement qui l'a négocié.
Europe 1 : Quand le président de la République a fait lire son message à l'Assemblée, je pense que vous étiez debout, vous l'avez écouté ? « Le destin de la France – dit M. Chirac – n'a jamais été de se replier sur son hexagone. Loin d'être incompatible avec l'idée de nation, l'Europe est le lieu politique et spirituel où cette idée peut respirer, s’enrichir avec le plus de force. Il y a un modèle social européen. » Vous souscrivez ?
Charles Millon : La déclaration de Jacques Chirac est une déclaration consensuelle. Ce n'est pas un programme. Et c'est la raison pour laquelle, je crois, la plupart des personnes l'ont approuvée. Maintenant, il convient que les hommes politiques portent un programme. Et ce programme, il va falloir le définir, le discuter avec nos concitoyens. Ce que je reproche à la campagne électorale actuelle, c'est qu'elle donne l'impression que la politique se concentre dans des négociations entre chefs de parti. On est revenu en 57 ; on est revenu à un régime des partis où on oublie complètement que la politique, c'est de porter un projet, de le présenter aux concitoyens, et de le faire sanctionner ou approuver.
Europe 1 : 1957, c'est un an avant le général de Gaulle. Mais alors est-ce qu'il suffit de s'appeler Charles, aujourd'hui, pour se prendre pour de Gaulle ?
Charles Millon : Je ne me prends ni pour le général de Gaulle, et ni pour personne. Je suis, en fait, un homme politique qui a des engagements et qui doit, aujourd'hui, respecter ses engagements. Je regrette amèrement qu'à une époque où l'Europe va devenir le sujet central de la réflexion et de la préoccupation de nos concitoyens, on ne parle, aujourd'hui, que de pure tactique et que de pure stratégie politique.
Europe 1 : Vous voulez dire ?
Charles Millon : De politique intérieure.
Europe 1 : M. Séguin va probablement relancer, bientôt, l'idée d'un rendez-vous de l'Alliance avec François Bayrou. Croyez-vous, comme le président Giscard d'Estaing, qui l'a dit ici, à une liste commune de la grande opposition ?
Charles Millon : J'attends que MM. Séguin, Bayrou, Madelin se mettent autour d'une table et construisent leur projet pour l'Europe. Tant qu'ils n'ont pas construit leur projet pour l'Europe, ils ne sont pas crédibles. Et ils peuvent bien se réunir dans tous les petits déjeuners ou les dîners qu'ils souhaitent, ça ne sert strictement à rien. Ça se terminera toujours par des vaisselles cassées, puisque leur problème, c'est une ambition de personnes. Ce n'est pas en réalité une ambition pour la France et pour l'Europe.
Europe 1 : Donc vous ne croyez pas à une liste commune de l'alternance pour les européennes ?
Charles Millon : Si, il y aura un bricolage, un dernier bricolage. On verra en réalité des personnes se répartir des places. Mais les Français auront bien compris que c'est, en fait, un raccommodage, et qu'il n'y a pas un projet enthousiasmant qui les entraîne. Donc, je le dis clairement : ou ils se mettent autour d'une table, on définit un projet, on discute des propositions à faire à nos concitoyens – on analyse en réalité quelle est l'évolution de l'Europe ; on dit que l'on veut une évolution vers une Europe libérale, de la concurrence et de l'initiative, une Europe de droite –, ou alors, on continue à avoir ce mariage de la carpe et du lapin, de la carpe libérale et du lapin social-démocrate. Et on ira tout droit dans le mur !
Europe 1 : Mais vous aussi vous faites partie des diviseurs, même si vous êtes le plus petit diviseur à droite...
Charles Millon : Mais moi, je ne suis pas du tout diviseur. Je demande le rassemblement de la droite.
Europe 1 : Le rassemblement de la droite, et vous allez faire une liste !
Charles Millon : Je demande le rassemblement de la droite comme une litanie depuis novembre dernier. Je n'entends aucune réponse à mes requêtes. Maintenant, je dis : à vous, électeurs, de juger, de trancher. Et je me présente devant les électeurs. Et la liste que je mènerai aura comme premier engagement de tout mettre en oeuvre pour rassembler la droite, aussi bien en Europe qu'en France.
Europe 1 : Vous êtes en train de faire un tour de France dans un car. Vous allez de ville en ville défendre certaines idées politiques, et il paraît que les principales cibles sont surtout François Bayrou, Philippe Séguin, les leaders de l'Alliance.
Charles Millon : Je n'ai pas de cibles. J'écoute, j'entends et je propose. Aujourd'hui, nos concitoyens, leurs préoccupations, c'est : la fiscalité, le chômage, la sécurité, l'éducation de leurs enfants. Ils attendent que les hommes politiques, au lieu de se repaître de querelles, viennent leur donner des réponses très concrètes, et qu'ils prennent surtout un engagement : que, lorsqu'ils seront à nouveau aux affaires, qu'ils mettent en oeuvre les promesses qu'ils ont prises.
Europe 1 : Mais vous parlez de vos anciens amis comme si vous suivez, vous, la longue cohorte de l'armée des millionnaires. Quand on voit les sondages, ils vous créditent d'un score de 1 à 2 %...
Charles Millon : Vous savez, je n'ai jamais suivi les sondages. Si je les avais suivis, je n'aurais jamais soutenu le président de la République actuel, quand il était dans sa campagne électorale. J'ai une démarche de conviction. Je n'ai pas une démarche d'opportunité ou d'arrivisme.
Europe 1 : D'opportunisme.
Charles Millon : D'opportunisme.
Europe 1 : Demain, je recevrai Claude Allègre. Vous le soutiendriez, Claude Allègre ?
Charles Millon : Claude Allègre a des propositions fortes intéressantes, mais c'est un homme de la parole. Ce n'est pas un homme d'action. Et, actuellement, il lance des pistes qui devraient être, à mon avis...
Europe 1 : Mais sur le fond, il a raison ou tort ?
Charles Millon : Sur certains points, il a raison. Et, sur d'autres, il a tort. Mais il a raison de secouer le cocotier.