Texte intégral
Europe 1 : 23 avril 1992
J.-P. Elkabbach : Le RPR et l'UDF se sont mis d'accord sur l'Europe. Le RPR a dû faire une correction de tir ?
E. Balladur : Non. Je me réjouis beaucoup de cette réunion d'hier. L'intergroupe RPR-UDF a démontré qu'il pouvait être tout à fait efficace. Il a confirmé la nécessité de l'union entre nous. Nous avons dit dès l'origine qu'il y avait un certain nombre de choses à éclaircir dans la réforme de la Constitution que préparait le gouvernement et l'UDF l'a dit avec nous. Cela ne veut pas dire que nous sommes arrivés à un accord complet sur les cinq points qui ont été évoqués et qui concernent les droits du Parlement, le vote des étrangers ou les visas. Nous avons décidé de nous mettre au travail pour déposer des amendements communs.
J.-P. Elkabbach : Vous ne croyez pas que c'est tardif ?
E. Balladur : On connaît depuis hier le texte du gouvernement sur la réforme de la Constitution. D'autre part, le texte du gouvernement a changé depuis la semaine dernière. Il a changé dans une bonne direction. Nous verrons bien si le gouvernement qui – M. Mitterrand et M. Bérégovoy ne cessent de le dire – ne veut pas faire de politique intérieure à propos de cette affaire nationale, s'il fait de la politique intérieure ou s'il n'en fait pas. S'il n'en fait pas, il acceptera de discuter nos amendements qui vont dans la bonne direction. Si en revanche, il veut pratiquer la cohorte forcée, le tout ou rien, c'est lui qui portera la responsabilité des difficultés.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que M. Giscard d'Estaing ne vous a pas secoué en rappelant que « quiconque vote contre l'Europe a une attitude suicidaire » ?
E. Balladur : Je ne le crois pas. Je ne crois pas qu'on puisse dire que parce qu'il faut être partisan et construire la politique européenne, il faut accepter n'importe quoi. L'Europe ne veut pas servir d'alibi à n'importe quoi. Nous avons le droit, tout en étant aussi bons Européens que quiconque et sans nous installer dans la position de donneurs de leçons, de dire que nous souhaitons éclairer un certain nombre de points qui tiennent au fonctionnement de la démocratie dans notre pays.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que M. Giscard d'Estaing a tort lorsqu'il dit qu'un homme d'État ou de gouvernement ou un présidentiable ne peut dire non à l'Europe de Maastricht ?
E. Balladur : Je ne me sens ni qualifié ni disposé à donner des conseils ou à faire la leçon. Je suis partisan de la ratification des accords de Maastricht, sous la réserve que la Constitution ait des dispositions plus précises. Il y a aussi bien à l'UDF qu'au RPR des hommes et des femmes pour lesquels j'ai beaucoup d'estime et parfois d'amitié qui sont d'un avis contraire. Je ne me sens pas le droit de jeter une exclusive contre eux.
J.-P. Elkabbach : Au RPR, est-ce qu'on ne demande pas trop souvent à M. Chirac de se déterminer en chef de parti ?
E. Balladur : Je ne crois pas. J. Chirac a toujours eu la même position sur cette affaire, il a toujours dit que l'affaire de Maastricht était une étape, que fondamentalement il n'y avait rien qui nous choquait et que dans ces conditions, ce qui importait d'abord, c'est que la France soit en mesure de changer de politique. J'aimerais bien que ta discussion de Maastricht ne dure pas éternellement pour occulter tous les problèmes. Ce qui intéresse les Français, c'est de savoir dans quelle société ils vont vivre, si le chômage va diminuer, si le système d'enseignement va être réformé, si la sécurité va être améliorée, intérieure et extérieure. J'aimerais qu'on ne transforme pas l'année 1992, qui est une année pré-électorale, en année super-politicienne où on ne parlera plus que de débats très sophistiqués et fort loin des préoccupations des Français.
J.-P. Elkabbach : Vous souhaitez que tout aille vite et, comme MM. Mitterrand et Bérégovoy, que tout soit réglé avant la fin juin ?
E. Balladur : Je souhaite que les choses aillent rapidement mais pas trop rapidement pour éviter la discussion. On ne peut pas ayant choisi la voie parlementaire, choisir la carte forcée envers le Parlement. Il appartient au gouvernement de démontrer sa sincérité lorsqu'il dit « je ne fais pas de politique intérieure à propos de l'Europe ». Il devra accepter nos amendements.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que vous croyez possible une majorité pro-européenne ?
E. Balladur : Je crois qu'elle existe déjà. Nous avons besoin de preuves et non pas d'incantations. La preuve sera la capacité et la disponibilité du gouvernement à accepter de discuter des amendements que l'UDF et le RPR vont établir ensemble. Il ne faut avoir aucune inquiétude sur ce traité. Nous appliquerons et nous respecterons la parole de la France, comme le Général de Gaulle l'a fait à propos du Traité de Rome. Mais il y a bien des façons différentes d'appliquer le Traité de Maastricht, qu'il s'agisse des dépenses communautaires, du nouvel impôt européen que M. Bérégovoy proposait et que nous récusons, de l'organisation de la défense de l'Europe. Nous le ferons dans le respect de l'esprit et de la lettre du Traité.
J.-P. Elkabbach : Pour les amendements que vous allez présenter, est-ce que c'est à prendre ou à laisser?
E. Balladur : Il ne faut pas raisonner comme ça. Le gouvernement n'a pas à nous dire : « ma réforme de la Constitution, c'est à prendre ou à laisser, je n'en change pas une virgule », nous n'avons pas à dire de notre côté : « nos amendements, c'est à prendre ou à laisser à la virgule près ». Nous verrons comment le débat s'engage. Il s'agit qu'il se dégage une atmosphère et une impression de bonne foi réciproque. C'est possible à l'intérieur de l'opposition, c'est déjà un très grand pas. Au gouvernement de prouver que c'est possible au Parlement aussi.
J.-P. Elkabbach : Au sujet des négociations commerciales entre la CEE et les États-Unis, vous vous sentez du côté de M. Bush ou de M. Delors ?
E. Balladur : Je me sens du côté des intérêts de la France, de l'industrie française et de la paysannerie française. Nous ne pouvons pas accepter une réforme du GATT qui négligerait nos intérêts économiques fondamentaux. C'est le gouvernement français qui, constitutionnellement, a la responsabilité de défendre les intérêts de la France.
RTL : 29 avril 1992
R. Arzt : Le RPR est prêt à accepter le Traité de Maastricht.
E. Balladur : Il y a lieu d'appliquer le Traité tel qu'il est, avec toutes les dispositions qu'il comporte et qui permettent de défendre nos intérêts nationaux quand nous les estimons concernés. Il ne faut pas tenter de diffuser des peurs, des craintes.
R. Arzt : Certains l'ont fait au RPR ?
E. Balladur : Chacun a exprimé sa conviction. La mienne est que ce Traité, tel qu'il est, permet, à tout gouvernement soucieux de maintenir l'indépendance de notre pays, de le faire. Mais faut-il encore le vouloir.
R. Arzt : La monnaie.
E. Balladur : Contrairement à ce que l'on tente de nous faire croire, nous ne sommes pas dans un processus irréversible. Il y a toute une série d'événements d'ici 96 qui permettront, tout en respectant le Traité et la parole de la France, de faire les infléchissements nécessaires.
R. Arzt : Qui fait croire que ce serait irréversible ?
E. Balladur : C'est la thèse du gouvernement et du Président de la République. Mais quand on regarde les choses avec précision, on s'aperçoit qu'à échéances régulières, les gouvernements des Douze auront la possibilité, et le devoir, de refaire un point sur la situation. Aujourd'hui, seuls trois pays réunissent les conditions pour l'instauration de la monnaie unique : le Luxembourg, le Danemark et la France. Il faut donc attendre que les autres remplissent les conditions. Y arriveront-ils ? À quel rythme ? L'Allemagne est secouée par des grèves qui peuvent remettre en cause son équilibre financier.
R. Arzt : Qu'aurait-fait le Général de Gaulle ?
E. Balladur : Il a surtout fixé une attitude, mais pour le Traité de Rome qu'il avait critiqué, il l'a fait ratifier et il l'a appliqué. Il faut voir quel est l'intérêt de notre pays. Ce n'est pas d'être isolé, de se refuser à la coopération avec les autres. C'est d'être dedans pour peser sur les événements.
R. Arzt : Était-il important d'éviter des divergences avec le Président Mitterrand ?
E. Balladur : Je ne suis pas de ceux qui mêlent la politique intérieure à cette affaire. Si j'approuve Maastricht, ce n'est pas pour approuver F. Mitterrand, ni pour maintenir l'union du RPR et de l'UDF. Ce qui me gouverne avant tout, c'est le souci de l'intérêt de notre pays à long terme. Le reste est important, mais pas fondamental dans cette affaire. Je souhaiterais que le gouvernement manifeste la même bonne foi.
R. Arzt : Il n'y a plus besoin de référendum ?
E. Balladur : S'agissant d'une réforme constitutionnelle importante, j'ai une préférence pour le référendum. On dit que c'est compliqué et que les Français ne vont pas lire le Traité de Maastricht. On pourrait essayer de leur en faire un résumé honnête. De plus, ils ont voté la Constitution de 58 par référendum. La logique de nos institutions c'est le référendum, mais c'est à F. Mitterrand à le décider.
R. Arzt : Le texte de révision de la Constitution va être adopté à l'Assemblée ?
E. Balladur : Nous allons attendre de voir le sort que le gouvernement va réserver à nos amendements. Il est bon que dans le texte de la réforme de la Constitution, il y ait un certain nombre de garanties et de précisions qui soient apportées.
R. Arzt : Le modèle social en Allemagne est en train de flancher ?
E. Balladur : Il a des difficultés sérieuses. Mais nous n'avons pas à nous réjouir des difficultés de l'Allemagne, car cela veut dire un gouvernement qui essaye de maintenir le cap et une banque centrale qui essaye de lutter contre l'inflation. Si ce désordre continue, les taux d'intérêts vont encore augmenter et donc chez nous. Je souhaite donc, que le gouvernement allemand arrive à maîtriser cette situation.
Antenne 2 : 9 mai 1992
Antenne 2 : Y a-t-il vraiment une cassure au sein du RPR ?
E. Balladur : Non, je ne le crois pas, il y a une inquiétude qui est justifiée par l'attitude du gouvernement qui donne l'impression de tout faire pour organiser le blocage. En ce qui me concerne, je suis partisan d'une meilleure organisation de l'Europe, parce qu'elle assurera à la France plus de prospérité et plus de sécurité. Cela ne veut pas dire que je trouve le Traité de Maastricht parfait, il a des imperfections, des obscurités, mais pour l'essentiel à mes yeux, il offre des garanties pour que tout gouvernement français puisse défendre les intérêts de la France. Mais nous demandons un certain nombre d'éclaircissements et de garanties et aucune n'est contraire au texte du Traité. Première garantie, il faut qu'il soit bien spécifié que c'est toujours le Parlement français et lui seul qui a compétence pour voter le budget et voter les impôts auxquels les Français sont assujettis. Il faut le dire, cela n'est d'ailleurs pas contraire au Traité·. Deuxième garantie, il y a un texte qu'on appelle le compromis de Luxembourg qui permet au gouvernement quel qu'il soit, français ou autre, lorsqu'un intérêt essentiel est en jeu pour lui, de demander que la décision ne soit pas prise contrairement à ses intérêts essentiels. Nous avons besoin qu'on nous le dise, comme M. Mauroy l'avait déclaré en 1983, comme M. Chirac l'avait déclaré en 1987. Les ministres ont fait des déclarations contradictoires, je demande au chef du gouvernement, de la bonne foi duquel je ne doute absolument pas et qui s'est déclaré ouvert devant l'Assemblée, d'arbitrer entre ses ministres et de nous dire ce qu'est la position du gouvernement. Troisième garantie, le vote des étrangers. Cela soulève dans notre pays de l'inquiétude. Le Traité prévoit des dérogations, nous demandons qu'on les utilise pour différer la mesure dans le temps, pour qu'on ait le temps de bien expliquer aux Français que ce dont il est question ce sont les Européens qui votent dans notre pays, et qu'on harmonise les différents codes de la nationalité. Nous avons déposé 84 amendements qui tournent tous autour de ces trois garanties.
Antenne 2 : Vous n'avez pas été entendu par la Commission des lois ?
E. Balladur : Non, et je me demande pourquoi. Je ne vois pas quel est l'intérêt que le gouvernement peut avoir à prendre cette attitude, sauf à faire une opération de politique intérieure qui consisterait à tenter de diviser l'opposition pour la faire tomber dans un piège.
Antenne 2 : Comment allez-vous voter mardi ?
E. Balladur : En ce qui me concerne, je souhaite que nous calquions notre attitude sur celle du gouvernement et que nous le suivions pas-à-pas. S'il fait des concessions, nous reconsidérerons notre position. Des concessions, le terme n'est pas propre, car nous ne demandons rien qui soit contraire au Traité et nous prendrons du temps. La procédure comporte plusieurs étapes, peut-être le gouvernement a-t-il l'intention de ménager ses effets devant la Commission, devant l'Assemblée, devant le Sénat. Je ne prendrai aucune attitude qui conduirait à diviser l'opposition. Il faut que nous nous rendions compte que ce qui se passe peut engager l'avenir de notre pays pour les années qui viennent.
Antenne 2 : Est-ce que la division de Maastricht ne va pas mettre par terre l'accord pour les primaires ?
E. Balladur : J'espère que non, mais c'est un risque et c'est la raison pour laquelle je ne prendrai pas la responsabilité sur cette affaire de diviser l'opposition.