Texte intégral
Monsieur le président, Monsieur le ministre et cher collègue, Mesdames et Messieurs,
Je voudrais tout d’abord rendre hommage à mon ami Michel-Antoine Rognard qui préside, avec le talent que nous lui connaissons tous, le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale depuis 1989 et remercier le ministre de l’intérieur de m’accueillir, chez lui, place Beauvau.
Instance paritaire où s’exprime la concertation la plus large et la plus ouverte, le Conseil supérieur éclaire en effet de ses avis l’action du gouvernement.
Je reste pour ma part très attaché aux missions initiales que le législateur de 1984 avait assignées à votre assemblée.
C’est pourquoi, je souhaite que les dispositions de l’article 11 de la loi Hoeffel soient appliquées dans des conditions satisfaisantes afin que les moyens de remplir vos missions vous soient pleinement reconnus.
La fonction publique territoriale est intimement liée à la décentralisation. Son statut se caractérise par la recherche d’un compromis entre l’affirmation de fortes garanties statutaires et le respect du principe de libre administration des collectivités locales.
Comme M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur, je suis élu local et je compte travailler avec lui afin de maintenir un équilibre entre ces deux principes et laisser le champ ouvert aux adaptations nécessaires.
Pour déterminer le point d’équilibre aujourd’hui atteint, le législateur est fréquemment intervenu entre 1984 et 1994. Mais, au-delà des divergences d’approches, la parité et l’unité des fonctions publiques ont toujours continué de s’affirmer car elles constituent l’expression du primat des principes de service public qui imprègnent les administrations publiques locales comme elles participent de l’identité de l’État républicain. Bien sûr, la fonction publique territoriale a ses spécificités, nécessaires, indispensables, dont le ministre de l’intérieur, moi-même et vous tous, sommes aussi les garants car elles résultent de l’article 72 de la Constitution.
La fonction publique territoriale est, depuis 1984, et doit demeurer une fonction publique de carrière qui, seule, peut garantir l’indépendance de ses agents et leur fidélité aux principes du service public : l’égalité de traitement des citoyens usagers, la neutralité, la continuité et l’adaptation du service public.
Une telle approche de la fonction publique est aussi une garantie de qualité des agents publics locaux. Nécessaire pour réussir la décentralisation, la qualité d’une fonction publique de carrière représente aussi un atout précieux pour les élus locaux et les collectivités locales elles-mêmes.
Fort de ces convictions, fruits de mon expérience de maire et, jusqu’à ces derniers jours, de membre du Conseil supérieur, j’entends nouer un dialogue sincère avec l’ensemble des partenaires – élus, représentants du personnel, institutions de gestion, je pense au CNFPT et aux centres de gestion de la fonction publique territoriale – pour proposer les améliorations permettant de mieux faire vivre le statut sans le remettre une nouvelle fois en chantier.
Les principes sont en effet aujourd’hui bien établis et admis. Un réel consensus existe et l’objectif doit être l’efficacité du statut et de tout le dispositif, certes complexe, qui en découle.
La construction des cadres d’emplois de la FPT est désormais achevée.
Elle s’est effectuée dans des conditions globalement satisfaisantes, certes un peu longues, j’en conviens, mais qui ne justifient pas un réexamen d’ensemble. Les imperfections qui peuvent çà et là subsister devront être examinées, mais avec le souci constant de ne pas rompre les équilibres généraux qui ont été trouvés.
Mes premiers contacts, comme ministre, avec les représentants et les gestionnaires de la fonction publique territoriale me conduisent à constater une attente générale de considération et de dialogue, attente exprimée notamment par les représentants du personnel mais à laquelle les élus que j’ai rencontrés se sont montrés également très sensibles.
Dans la droite ligne des orientations de politique générale fixées par le Premier ministre, j’entends répondre à cette attente par un travail approfondi de concertation dans les mois à venir.
J’ai d’ores et déjà commencé, et je continuerai dans les jours à venir, de recevoir toutes les parties prenantes du dialogue social dans la fonction publique territoriale : élus, syndicats, dirigeants des organismes de formation et de gestion.
S’agissant de la fonction publique territoriale, la concertation doit à mon sens s’appliquer en priorité aux améliorations susceptibles d’être apportées à la gestion des ressources humaines.
En effet, malgré des progrès incontestables inscrits dans la loi du 27 décembre 1994, de nombreuses questions relatives au recrutement, à la formation et à la gestion des carrières des fonctionnaires territoriaux demeurent sans réponses pleinement satisfaisantes. Les difficultés de recrutement dans certaines filières, le contenu et le temps des formations initiales ou d’adaptation à l’emploi, les modalités d’organisation des concours doivent notamment faire l’objet d’une réflexion approfondie.
L’adaptation de la formation aux besoins des fonctionnaires et d’un service public de proximité d’une part, aux attentes légitimes d’efficacité des employeurs que sont les élus d’autre part, représente un enjeu de tout premier plan. Les usagers, nos concitoyens, doivent trouver, dans les services publics locaux, le meilleur de ce que nous trouvons dans notre tradition française de la fonction publique.
Pour répondre à ces attentes légitimes, la gestion des ressources humaines, qui comporte un volet statutaire et réglementaire nécessaire, doit évoluer vers des formes plus dynamiques afin de développer les capacités d’innovation, d’adaptation et d’efficacité des fonctionnaires territoriaux.
En ce sens, les questions relatives à la formation et à la gestion des carrières apparaissent aujourd’hui constituer le terrain privilégié de recherche et de concertation pour tous ceux qui souhaitent réellement moderniser la gestion de la fonction publique dans le respect des règles statutaires.
En ce qui concerne les procédures de recrutement et la formation, des ajustements doivent être envisagés.
La loi du 27 décembre 1994 a réparti la responsabilité de l’organisation des concours entre trois pôles :
- le CNFPT ;
- les centres de gestion ;
- les collectivités non affiliées.
Or, la ligne de partage entre le CNFPT, les collectivités locales et les centres de gestion ne répond pas toujours à une logique fonctionnelle claire et lisible tant pour les élus que pour les fonctionnaires ou les candidats qui aspirent à rejoindre la fonction publique territoriale.
Par ailleurs, si je n’entends nullement revenir sur le principe de décentralisation des concours, je souhaite garantir une parfaite égalité de traitement aux candidats et un recrutement aussi homogène que possible aux élus.
Les conditions d’une désignation des jurys au niveau national pourraient être étudiées afin d’apporter une meilleure réponse à ces deux attentes sans bouleverser l’organisation des concours.
Le recrutement des cadres supérieurs des collectivités locales soulève pour sa part des difficultés particulières auxquelles il convient de porter remède. Je pense notamment aux ingénieurs et plus encore aux administrateurs. Le directeur du cabinet du Premier ministre, vous le savez tous, connaît bien ce sujet. Je crois que cela peut être un atout pour définir les voies et moyens d’une amélioration substantielle du traitement de ce dossier.
En effet, lors du dernier concours, alors que 20 places étaient offertes, seule une promotion de 6 élèves a pu être constituée en première instance.
L’intervention d’une seconde délibération du jury n’a pas substantiellement amélioré cette situation puisque l’effectif n’a pu qu’être porté à 10.
Ces difficultés de recrutement trouvent une part essentielle de leur origine dans le fait que le concours d’administrateur n’est pas perçu dans sa spécificité par les candidats qui n’y voient le plus souvent qu’un pis-aller auquel ils se résolvent en cas d’échec au concours de l’ENA.
Une meilleure perception de la nature de ce concours et de l’intérêt des fonctions auxquelles il prépare suppose assurément de le simplifier et de le professionnaliser afin qu’il constitue la voie normale de recrutement de l’encadrement supérieur des collectivités territoriales.
Je souhaite enfin qu’une réflexion s’engage sur la situation des lauréats au concours à l’issue de la formation initiale : si les besoins de recrutement sont avérés, si le concours est sélectif et la formation octroyée de qualité, rien ne saurait s’opposer par principe à ce que la primauté du mérite l’emporte sur l’intuitu personae. C’est un sujet difficile, je le sais, mais il doit être abordé ; nous verrons ensemble les réponses qui peuvent y être apportées. Je n’ai, pour ma part, aucun a priori en la matière. Les choix personnels devant, a contrario, évidemment prévaloir au moment du détachement sur des emplois de direction.
Le concours d’administrateur territorial n’est qu’un exemple que j’ai pris pour illustrer les difficultés persistantes de recrutement auquel tous les élus locaux se trouvent confrontés.
Comme maire, j’ai également connu des difficultés du même ordre, par exemple, dans la filière technique pour recruter un ingénieur ou même des cadres de catégorie B.
Par ailleurs, lors de mes premiers entretiens avec les partenaires sociaux et les élus, m’ont été signalées des difficultés sensiblement équivalentes pour certains cadres d’emplois de la filière sociale.
Enfin, chacun connaît les difficultés rencontrées pour, par exemple, recruter des conservateurs du patrimoine.
S’agissant de la formation professionnelle, je constate tout d’abord l’existence d’une demande croissante de qualité du service rendu et de formation de la part des citoyens en direction des collectivités locales. Les personnels territoriaux eux-mêmes sont désireux de répondre aux exigences d’un service public de qualité et de proximité, en constante évolution du fait de la décentralisation, de la diversité des structures locales et des demandes nouvelles, exprimées par la population et décidées par les élus.
Dans ce contexte, le CNFPT joue un rôle de tout premier plan.
Il tend de plus en plus à permettre aux collectivités locales d’analyser leurs propres besoins dans les meilleures conditions et les aide à trouver les réponses les plus pertinentes et les plus efficientes.
À cette fin, je souhaite que les possibilités de conventionnement avec les écoles d’application de la fonction publique de l’État ou d’autres institutions publiques soient pleinement utilisées.
Dans cette perspective, une collaboration avec l’ENA et les IRA, pour la filière administrative, avec l’École nationale des ponts et chaussées et l’École nationale des travaux publics de l’État, pour la filière technique, peut être étudiée.
Une telle collaboration, outre son intérêt technique, permettrait de constituer des éléments de formation de base communs entre les fonctionnaires de l’État et les fonctionnaires territoriaux. Sans qu’il y ait, là encore, d’a priori de ma part, je souhaite, tout en sachant les difficultés que cette question pose, que ces sujets soient sérieusement et complètement étudiés.
Voilà quelques pistes que je me propose de demander à une personnalité qualifiée d’explorer afin de rédiger, après une large concertation, un rapport d’étude et de propositions approfondi.
Ce rapport, qui devra faire un point aussi complet que possible des situations locales, devra m’être remis dans les 6 mois et pourra servir de base, non à une refonte d’ensemble, mais à la recherche de solutions concertées et maîtrisées à des questions réelles, sérieuses, qui ne peuvent demeurer sans solution, sinon, c’est l’édifice même de la fonction publique territoriale qui pourrait être ébranlé.
La gestion des carrières est également perfectible.
Le problème récurrent des quotas d’avancement se pose à tout ministre en charge de la fonction publique territoriale.
Souvent perçus sous leur seul aspect de limitation des possibilités d’avancement et de promotion, les quotas répondent toutefois aux nécessités fonctionnelles d’une gestion de la fonction publique territoriale qui n’apparaisse pas trop décalée par rapport aux autres fonctions publiques. De ce fait, il ne saurait être question, sous prétexte qu’elles produisent des effets pervers incontestés, de procéder purement et simplement à l’abolition des règles de quotas : une telle orientation irait à l’encontre de l’intérêt des personnels eux-mêmes et conduirait à d’autres effets pervers et, notamment, à une réduction, à terme, des possibilités de mobilité au sein de la fonction publique territoriale ou entre les fonctions publiques.
D’autre part, elle risquerait de privilégier les carrières effectuées dans les collectivités « riches », pouvant éventuellement assumer cette disparition des quotas, les collectivités financièrement moins bien dotées continuant à les appliquer de fait.
Les élus, les usagers et les fonctionnaires seraient en définitive les perdants d’un tel système.
Pour autant, la tendance au ralentissement des recrutements pose avec une acuité particulière le problème des quotas d’avancement et de promotion interne alors même que la qualification des agents augmente.
Dans ces conditions, je propose qu’une réflexion soit engagée afin de déterminer la nature des mesures d’assouplissement propres à maintenir une certaine fluidité des carrières.
En ce qui concerne la filière technique, je sais qu’une formation spécialisée du Conseil supérieur travaille à une analyse des problèmes et à la définition de solutions envisageables.
Pour de multiples raisons, je suis moi-même un ingénieur de formation, je souhaite voir évoluer graduellement les choses.
Si l’amélioration des déroulements de carrière doit être recherchée à l’intérieur des cadres d’emplois et des collectivités territoriales, elle doit aussi prendre la forme d’un développement des possibilités de mobilité offertes aux fonctionnaires territoriaux.
La mobilité répond sans conteste à un souci d’amélioration de la qualité des fonctionnaires et du service qu’ils rendent aux citoyens. La diversité des expériences, la prise en compte de contraintes d’action et de décisions originales permettent de toute évidence aux fonctionnaires d’être plus réactifs et de s’adapter à l’évolution des demandes sociales.
Cet enrichissement de l’expérience professionnelle ne doit pas à mon sens se limiter à la seule sphère de compétence des collectivités locales.
La mobilité entre les trois fonctions publiques, dont le principe est érigé en garantie fondamentale de la carrière de tous les fonctionnaires, doit devenir une réalité concrète, une pratique naturelle, une démarche volontaire.
C’est pourquoi, j’envisage de faire procéder à un bilan des pratiques constatées en matière de mobilité permettant une approche raisonnée d’une question trop souvent abordée par des cas individuels.
Monsieur le président, Monsieur le ministre, Mesdames et Messieurs, vous me trouverez, dans cette réflexion et cette concertation, animé d’un esprit d’ouverture d’une volonté de réforme qui fasse autant appel à l’incitation librement consentie qu’à la réglementation.
Je m’attacherai prioritairement à ce que les accords passés avec mon prédécesseur, et notamment ceux qui concernent la résorption de l’emploi précaire et le dispositif de congé de fin d’activité, soient appliqués dans les meilleures conditions possibles.
La crédibilité du dialogue social repose en effet sur le respect de la parole donnée et j’entends faire procéder à un bilan d’exécution de ces deux accords pour en corriger les difficultés de mise en œuvre.
Dans la fonction publique territoriale, les objectifs fixés dans le cadre du protocole Durafour ont été atteints. Certes, tout n’est pas parfait, et certains dérèglements ou difficultés de gestion, je pense notamment à la nouvelle bonification indiciaire, appellent une réflexion complémentaire. Je note toutefois, avec satisfaction, qu’un accord négocié et pluriannuel a pu être mis en œuvre, dans des conditions globalement satisfaisantes. Comme mon prédécesseur l’avait annoncé, un bilan de l’application du protocole Durafour sera présenté aux organisations signataires lors de la dernière commission de suivi et les ultimes mesures d’application seront mises en œuvre dans les prochains mois.
Je ne voudrais pas conclure mon intervention avant d’avoir évoqué un aspect fondamental de la politique du gouvernement en faveur de l’emploi des jeunes, la création de 350 000 emplois de services de proximité.
J’ai déjà évoqué ce sujet lors de mes premiers entretiens avec les syndicats de fonctionnaires et les associations d’élus.
À ce stade, rien n’est figé et le Conseil supérieur peut apporter sa contribution à une bonne gestion de ce dossier.
Le Gouvernement procède dès maintenant à une évaluation des besoins à satisfaire.
De nombreux ministères et de nombreux partenaires, au premier rang desquels se trouvent les collectivités locales, mais également toutes les associations ou les entreprises qui œuvrent dans le secteur public local, se trouvent impliqués dans ce dossier.
Je considère que la réussite de cette action ambitieuse au service de nos concitoyens doit donner lieu à une concertation approfondie entre tous ceux qui sont appelés à en devenir les acteurs dès le stade de sa conception.
Tels sont, Mesdames et Messieurs, les principaux points de repère qui guideront l’action que je conduirai en étroite concertation avec le ministre de l’intérieur.