Interviews de M. Jean-Louis Bianco, ministre des affaires sociales et de l'intégration, à France-Inter le 26 février et dans "Paris-Match" le 5 mars 1992, sur les zones de transit, la contamination des hémophiles par le virus du Sida, les élections régionales de 1992.

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Intervenant(s) : 

Média : France Inter - Paris Match

Texte intégral

France Inter : 26 février 1992

A. Ardisson : Vous avez bondi quand nous avons annoncé que le Conseil constitutionnel censurait les fameuses zones de transit, faute de garanties judiciaires, vous avez une autre interprétation ?

J.-L. Bianco : Ce n'est pas une autre interprétation. Mais il faut rappeler de quoi il s'agit. Il y a en France, comme dans les autres pays, des zones dans les aéroports, où on maintient pendant quelques temps des étrangers dont la situation n'est pas claire. Et ça vaut sans doute mieux que de les laisser partir dans la nature, pour qu'ils deviennent des clandestins. Ce que le gouvernement a voulu faire, c'est donner une base légale à ça, que la loi l'encadre. Et comme il y a eu un débat, c'est le Premier ministre qui a saisi le Conseil constitutionnel, c'est elle-même qui a demandé cette interprétation.

A. Ardisson : Il faut dire que c'était le ministre de l'Intérieur qui avait introduit cette disposition dans un amendement, ce qui n'est pas courant ?

J.-L. Bianco : Non, mais il y avait une urgence, parce qu'il y a un jugement qui va tomber prochainement, et il fallait qu'on ait une base légale claire. En plus, c'est pas le bagne ces zones de transit. Les gens sont dans des hôtels, c'est pas monstrueux. La question était, y-a-t-il assez de garanties ? Et ce que dit le Conseil constitutionnel, c'est qu'il n'y a pas assez de garanties, donc on va réécrire le texte pour suivre ce que nous a dit le Conseil constitutionnel. Mais il ne dit pas que c'est contraire à la Constitution, il dit que si la demande d'asile est manifestement infondée, l'article 8 ne méconnaît pas le quatrième alinéa du préambule de la Constitution. Donc ce n'est pas tout à fait exact de dire qu'il a considéré qu'on ne pouvait pas créer ces zones de transit, il a demandé plus de garanties. Lesquelles ? Que la demande d'asile soit manifestement infondée, que le délai soit raisonnable, il n'a pas dit lequel, et qu'il y ait un contrôle du juge judiciaire et non pas du juge administratif.

A. Ardisson : Ça veut dire qu'il n'interdit pas... ?

J.-L. Bianco : Il encadre très précisément les garanties qu'il faut apporter. Et c'est son rôle, et moi je m'en réjouis comme ministre des affaires sociales et de l'Intégration. Mais on ne peut pas dire qu'il l'interdit.

J.-L. Bianco : Mais ça veut quand même dire que le ministre de l'intérieur va être obligé de recommencer son texte ?

J.-L. Bianco : Oui, c'est bien parce qu'il y avait une difficulté que c'est nous-mêmes qui avons saisi le Conseil constitutionnel. C'est le fonctionnement normal de la Constitution. C'est un bon fonctionnement. Il y a un texte qui pose un problème, il y a eu un débat intéressant au Parlement et ailleurs, on saisit le Conseil constitutionnel, il nous dit ce qu'on doit faire, on le fait.

A. Ardisson : Le Monde d'hier révèle que des hémophiles ont été contaminés après le 1er octobre 85. La source, semble-t-il, provient de vos services. Est-ce exact ?

J.-L. Bianco : Que des hémophiles aient été contaminés après octobre 85, c'est malheureusement possible. C'est en effet le directeur général de la santé qui a communiqué au juge une pièce dont je regrette qu'elle se retrouve dans la presse, car non conforme au secret de l'instruction. Mais maintenant que cela est connu, je ne peux que le confirmer. Ça correspond à notre souci à B. Durieux et moi dans ce drame, de la vérité, de la transparence. Chaque fois que nous avons un élément d'information, nous le donnons à la justice ou lorsque c'est possible, nous le rendons public. En l'occurrence, il s'agit d'une note faisant état de cette hypothèse. Nous l'avons versée au dossier du juge pour qu'il puisse poursuivre son instruction .et déterminer les responsabilités.

A. Ardisson : Et pour l'indemnisation des hémophiles, du nouveau ?

J.-L. Bianco : L'indemnisation est en place. Le fonds d'indemnisation est créé, les locaux sont trouvés, les responsables sont nommés, les dossiers sont préparés. Elle va donc enfin pouvoir intervenir. J'ai souhaité que ça aille vite. Je regrette que cela ait pris un peu plus de temps que prévu. Ça n'efface pas la souffrance, mais au moins que l'on indemnise vite les familles et les ayants-droit.

A. Ardisson : Vous êtes tête de liste Energie Sud dans les Alpes-de-Haute-Provence. Nous avons eu hier soir le sondage BVA-France Inter-France lnfo-A2-FR3-Paris Match, il n'est pas très bon...

J.-L. Bianco : Il est franchement mauvais.

A. Ardisson : Tapie est largement devancé et par Gaudin et par les listes de Le Pen. Votre commentaire ?

J.-L. Bianco : Il est mauvais pour presque tout le monde. Il est très mauvais pour nous, il n'est pas bon aussi pour J.-C. Gaudin, il n'est hélas relativement bon que pour J.-M. Le Pen. Le commentaire : ça veut dire qu'il reste un mois et il faut se battre plus que jamais, expliquer et essayer de convaincre qu'une région livrée à Le Pen, ce serait une catastrophe nationale.

A. Ardisson : On n'a pas le détail pour votre département.

J.-L. Bianco : Mon département est trop petit et n'intéresse pas les sondeurs. Je ne m'en porte pas plus mal. Je fais mon travail, les électeurs font le vrai sondage.

A. Ardisson : On a le détail pour les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes. Ce qui est frappant, ce sont les mauvaises intentions prêtées aux lecteurs potentiels de L. Schwartzenberg, 13 % seulement.

J.-L. Bianco : Je ne comprends pas, car c'est un homme extraordinaire, avec un cœur, une honnêteté. Vraiment, je ne comprends pas ce score. Je suis convaincu que d'ici un mois, les électeurs, si c'est ça leur position actuelle, changeront d'avis. Un homme comme lui, vaut beaucoup plus que ça, même en termes strictement électoraux.

A. Ardisson : Vous n'avez pas le sentiment, en voyant ces chiffres, que la droite parlementaire n'a pas tort quand elle dit que désormais elle est le seul rempart contre le Front national ?

J.-L. Bianco : Elle a absolument tort. Surtout dans cette région. J.-C. Gaudin et les autres nous expliquent qu'ils sont le grand barrage au Front national. Mais ils oublient de rappeler qu'ils gouvernent avec lui. En région PACA, depuis cinq ans, J.-C. Gaudin a deux vice-présidents Front national. À Manosque dans mon département, il y a un adjoint à la sécurité et à la culture qui est Front national. Ils sont un peu comme des gamins qui disent qu'ils ne vont plus piquer dans la confiture et qui en sont barbouillés jusqu'aux oreilles. Ils ne sont pas crédibles dans ma région pour dire qu'ils sont un barrage puisqu'ils gouvernement avec eux.

A. Ardisson : Et ailleurs ?

J.-L. Bianco : Ça dépend des endroits. Il y a une droite qui heureusement est républicaine et combat le Front national. Et il y a une droite qui est complaisante. J'entendais ce matin la candidate député RPR qui a été exclue dans les Alpes-Maritimes, elle a dit quelque chose de tout à fait juste. Elle a été immédiatement exclue. Mais ceux du RPR et de l'UDF qui depuis des années, ça a commencé à Dreux en 83, gouvernent avec le Front national, jamais n'ont été exclus. Comment voulez-vous croire la droite qui n'a jamais exclu personne pour gouverner avec le Front national et qui vient nous dire maintenant, « je suis un rempart ». Ce n'est pas un rempart mais un tremplin pour le Front national.

A. Ardisson : Est-ce que la personnalité de Tapie, la manière dont il mène la campagne, ses termes, ne contribuent pas finalement à faire baisser le potentiel de sympathie de la gauche ?

J.-L. Bianco : Je ne crois pas du tout. La gauche est mal placée pour l'instant partout. Tapie va avancer des propositions et j'espère qu'elles seront entendues. Pas seulement les petites phrases qui sont en général le sel de notre vie politique. Ce n'est pas mon genre.

A. Ardisson : Vous n'approuvez pas ?

J.-L. Bianco : Je n'approuve pas le fait qu'on mette cela en exergue. Elles ont été dites ces phrases, mais on pourrait aussi parler un peu des propositions. Il va en faire, je les trouve excellentes, pour lutter contre le chômage, contre l'insécurité, améliorer la formation en région PACA. Bref, pour avoir une vraie politique et non pas un simple arrosage électoral, à quoi se résume la politique actuelle.

A. Ardisson : Si vraiment les sondages se transforment en réalité, à savoir en un très très mauvais score pour le gouvernement, il vous sera possible de conduire des réformes au-delà de ces régionales. Vous pourrez continuer avec le même gouvernement finalement ?

J.-L. Bianco : Avec le même gouvernement, je n'en sais rien. C'est l'affaire du Premier ministre et du Président. Il ne faut pas donner à ces élections plus de portée qu'elles n'en ont. Il s'agit d'élire des conseillers généraux et régionaux. Il ne s'agit pas de choisir le Président de la République, ni la majorité au Parlement. Donc ne mélangeons pas les genres. Le gouvernement, celui-là ou un autre, poursuivra son travail de réforme. C'est l'honneur de la politique que de faire son métier quelles que soient les circonstances.

A. Ardisson : Si c'est celui-là, pourra-t-il continuer ?

J.-L. Bianco : Il pourra continuer si le Premier ministre et le Président en décident ainsi. C'est à eux de décider.


Paris-Match : 5 mars 1992

Paris-Match : Vous qui aviez, au fond, une certaine « virginité politique », regrettez-vous aujourd'hui d'être candidat sur l'un des listes de Bernard Tapie ?

Bianco : Non, je ne le regrette pas. Dans mon département des Alpes-de-Haute-Provence, j'ai réglé sans difficulté tous les problèmes électoraux. Je suis solidaire de Bernard Tapie, de Léon Schwartzenberg, d'Elisabeth Guigou et de quelques autres pour mener le combat contre Le Pen...

Paris-Match : … « Quelques autres », dites-vous. Pas tous les autres ? Vous n'êtes donc pas d'accord avec la candidature de Daniel Hechter dans le Var ?

Bianco : Je ne m'occupe pas des problèmes du Var. Je me bats pour le développement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et pour celui de mon département. Et, je le répète, pour combattre Le Pen. La droite n'est pas crédible quand elle dit qu'elle est la mieux placée pour faire barrage à l'extrême-droite. Gaudin promet toujours qu'il ne gouvernera pas la région avec le Front national. Or c'est ce qu'il a fait depuis cinq ans avec l'aide de deux vice-présidents du FN.

Paris-Match : On vous entend peu. Ne vous sentez-vous pas assez seul à mener votre compagne au milieu de toutes ces empoignades ?

Bianco : J'ai toujours fait de la politique en choisissant mon propre chemin, ma propre manière d'être.

Paris-Match : Êtes-vous effondré de voir que, chaque jour, la campagne en PACA prend des allures de règlements de comptes « sordides » ?

Bianco : Je regrette profondément la détérioration du climat politique. Il faudrait que ses responsables comprennent qu'une bouillabaisse qui a tendance à trop bouillir finit par faire un très mauvais plat. Immangeable ! Qu'on parle enfin des vraies questions, comme la lutte contre le chômage, la réduction des inégalités ou la morosité des Français ! Que chacun reprenne ses esprits !

Paris-Match : Les résultats en PACA seront de toute façon très complexes. N'êtes-vous pas finalement, au milieu du désordre ambiant, un « outsider » pour diriger la région PACA ?

Bianco : Je ne le crois pas du tout. Mais il est vrai qu'à l'issue du scrutin, ce sera très compliqué arithmétiquement, car il n'y aura pas de majorité tranchée. Il faudra bien une coalition pour gouverner cette région. Je souhaite que celle-ci se fasse avec Bernard Tapie, le parti socialiste, les écologistes et tous les hommes et femmes qui refuseront à droite l'alliance avec le Front national.

Paris-Match : Certains, à Paris, disent aussi que vous pourriez, après les régionales, être le prochain Premier ministre…

Bianco : Je ne nourris pas d'autres ambitions aujourd'hui que celles de gagner mon canton, d'être, si c'est possible, président du conseil général des Alpes-de-Haute-Provence et de bien faire mon métier de ministre.

Paris-Match : Êtes-vous de ceux qui pensent qu'Édith Cresson doit partir ?

Bianco : Édith se bat avec un courage dont beaucoup feraient bien de s'inspirer au lieu de tirer contre leur propre camp.

Paris-Match : Êtes-vous d'accord avec Michel Rocard lorsqu'il dit que « la vie politique est vulgaire » et qu'« elle pourri ! » ?

Bianco : La médiocrité de la vie politique n'est pas pour moi une découverte. Si je m'y suis engagé, c'est justement parce que je voudrais que cela change et que les politiques donnent une autre image d'eux-mêmes. Ils devraient davantage « écouler » les Français et leur « expliquer » leur action. Une réforme chaque semaine, c'est trop !

Paris-Match : Comment réagissez-vous aux attaques dont François Mitterrand est aujourd'hui l'objet ? « Fin de règne », dit-on. « Il est trop vieux », expliquent certains. « Il faut qu'il parte », ajoutent d'autres…

Bianco : Je trouve ces attaques très injustes. Mois je connais la capacité de résistance et la détermination du Président. Je répondrai à ses détracteurs : "Ne vous réjouissez pas trop vite. »