Interviews de M. Hervé de Charette, président du PPDF et président délégué de l'UDF, dans "Libération" du 1er mars 1999 et à France 2 le 3, sur les divisions de la droite avant les élections européennes 1999.

Prononcé le 1er mars 1999

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Libération - Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Libération - Télévision

Texte intégral

LIBÉRATION : le 1er mars 1999

Q - Le RPR et Démocratie libérale vous proposent de discuter demain dans le cadre d'une réunion de l'Alliance. Vous semblez refuser le dialogue, pourquoi ?

Pas du tout. Au contraire, nous sommes désireux de nous réunir, et le plus tôt sera le mieux. François Bayrou, dans une lettre à Philippe Séguin, a demandé qu'on réfléchisse à un ordre du jour. Nous en avons proposé deux : soit nous rediscutions d'une tête de liste commune aux européennes, soit, s'ils ne voulaient pas en entendre parler, nous débattions d'un cadre de bonne conduite. Ils ont tout refusé.

Q - Ne craignez-vous pas que votre électorat soit déboussolé par ces querelles ?

Je sais que beaucoup de gens regardent ce qui se passe comme un spectacle classique et désolant de la division des droites françaises. C'est cela, bien sûr, mais c'est aussi autre chose. Nous assistons à la naissance douloureuse mais nécessaire d'une opposition nouvelle où l'UDF impose, par sa détermination et son courage, l'idée que, pour s'opposer ensemble aujourd'hui et pour gouverner ensemble demain, il faut d'abord partir du respect mutuel entre nos deux formations et de la reconnaissance de nos différences légitimes. Voilà pourquoi je soutiens à fond la démarche de François Bayrou ; mieux, je l'exhorte à défendre sans faiblir nos convictions à propos de l'Europe et de l'Alliance. Son intransigeance sur ces deux questions essentielles est vitale pour l'UDF mais aussi pour l'opposition tout entière. Nous nous sommes fixé une ligne à l'UDF, nous ne nous en départirons pas.

Q - L'ancien président de la République et fondateur de l'UDF, Valéry Giscard d'Estaing, semble donner raison à Philippe Séguin. Ne pensez-vous pas que l'UDF apparaît comme le diviseur dans cette affaire ?

Il faut s'en tenir à une idée simple : une liste d'union ne pouvait se faire que sur une ligne fortement européenne et avec une tête de liste choisie en commun. Ce n'est pas ce qui s'est passé. Le RPR a désigné seul son candidat, et Philippe Séguin s'est autoproclamé chef de l'opposition. Il ne nous a été proposé que de nous y rallier. Eh bien non, nous ne sacrifierons pas notre conception fédérale de l'Europe pour des opérations de politique intérieure française. Dans cette affaire, il y a eu beaucoup d'occasions manquées, mais pas de notre fait. Il eût été sans doute préférable d'avoir une liste commune, mais c'est ainsi. Il n'est d'ailleurs pas trop tard. Que le RPR arrête de nous dicter sa loi et tout redeviendra possible. Sans hostilité, ni rancune.

Q - Ne prenez-vous pas le risque, en tout cas, de voir la liste socialiste arriver en tête à l'issue du scrutin de juin ?

Les deux listes des partis d'opposition correspondent à des sensibilités différentes sur l'Europe. L'idée d'un code de bonne conduite est importante pour nous, car cela permettra d'organiser le débat devant l'opinion publique sur le seul terrain qui compte, celui des engagements et des convictions. Au lendemain des européennes, il faudra bien sûr faire les additions entre les forces de droite et du centre, avec pour ambition de rassembler autour du président de la République tous ceux qui se retrouvent dans les idéaux de l'opposition.

Q - L'Alliance n'est-elle pas morte ?

Non, et elle reste une exigence fondamentale dans la reconquête du pouvoir. Née dans des conditions équivoques et organisée selon des règles ambiguës, l'Alliance n'a jamais fonctionné de façon satisfaisante. Depuis trois mois, elle a accumulé les contre-performances. On l'a vu avec l'épisode de l'élection à la présidence de région Rhône-Alpes, où nous avons été matraqués par nos partenaires dans des embuscades montées de toutes pièces. Les oukases, le mépris, les manoeuvres politiciennes, ça ne peut pas durer. Il faut que l'Alliance soit un lieu où on discute, débat, partage. Il faut revoir notre Alliance de la cave au grenier. Je fais trois propositions pour améliorer son fonctionnement.

D'abord, les responsables de campagne doivent fixer des règles de fonctionnement entre les différentes formations. En second lieu, chacun doit reconnaître que nul n'a le monopole de l'Alliance. Enfin, il faut préparer dès maintenant une nouvelle définition de l'Alliance, où tout le monde sera sur un pied d'égalité. Dans ce cadre, nous devrions nous réunir au lendemain des élections pour travailler sérieusement ensemble dans un grand séminaire de la droite.


France 2 : 3 mars 1999

Q - On sait que le torchon brûle légèrement – c'est peut-être un euphémisme – entre le RPR et l'UDF à propos des élections régionales.

-“Non. Excusez-moi, Madame, j'espère que non. Il y a eu un débat qui a duré trois mois et je pense qu'il est terminé maintenant, entre le point de savoir s'il fallait faire deux listes ou une seule liste. Il y avait des arguments dans un sens et franchement il y avait des arguments dans l'autre. J'étais plutôt pour qu'on fasse une seule liste, mais finalement, pour diverses raisons, il y aura une liste du RPR et une liste de l'UDF. Je ne crois pas qu'il faut traiter cela comme un drame.”

Q - Ce n'est pas un drame, mais la réunion de l'Alliance qui était prévue hier entre les différentes formations de l'opposition n'a pas pu se tenir quand même ?

-“Oui. M. Séguin qui a décidé de ne pas la réunir et de la reporter. J'espère qu'elle aura lieu. Je pense qu'il ne faut pas traiter cela comme un drame en ce sens qu'il faut reconnaître que dans l'opposition d'aujourd'hui, il y a des gens, pas seulement chez les dirigeants – chez les élus et les dirigeants évidemment mais aussi dans l'opinion publique – il y a des gens qui sont franchement pour l'Europe, moi je suis dans cette catégorie, d'autres qui sont franchement contre, comme M. Pasqua, qui aura des électeurs, vous le verrez, et puis il y a des gens qui font l'Europe avec une certaine résignation…”

Q - Comme P. Séguin, par exemple.

-“Voilà, par exemple. Eh bien, au fond, ce n'est pas un drame que chacun puisse avoir ses candidats dans une élection – il ne faut jamais oublier cela – qui est à la proportionnelle nationale avec des listes nationales où le fait d'avoir plusieurs listes ne pose pas de problème, n'a pas d'inconvénient, n'a pas de conséquences négatives. Si on était un scrutin pour élire les députés nationaux – scrutin majoritaire -, eh bien, on dirait : alors on n'y comprend rien, parce que pour élire un député, il faut faire 50 % des voix. Mais là, pour faire une liste, si vous avez 10 % des voix, si vous avez 5 %, si vous avez 20 %, eh bien, vous aurez 5 %, 10 %, 20 % des députés.”

Q - Mais on a quand même le sentiment que le Chef de l'Etat appelle à l'union de l'opposition. On sait qu'il appelait de ses voeux une liste unique. V. Giscard d'Estaing qui vous a un peu lâchés d'ailleurs appelle aussi de ses voeux une liste unique. On se demande un petit peu dans quel état l'opposition va se retrouver à l'issue du scrutin ?

-“Eh bien, d'abord, moi je pense que rien n'empêche de faire l'union. On peut être différent et ensemble.”

Q - C'est la gauche plurielle qui vous donne des idées ?

-“Par exemple. On pourrait peut-être trouver un autre mot, parce que la gauche plurielle ne va pas très bien. Si vous voulez qu'on en parle, je suis prêt à le faire, et notamment sur l'Europe. Regardez sur l'Europe. Hier, j'étais à l'Assemblée nationale. On a entendu le président du groupe communiste qui est venu à la tribune, – enfin ce n'était pas le président, c'est un autre député, mais peu importe – qui est venu à la tribune et qui a déposé une motion pour dire : on arrête de discuter d'Amsterdam, tellement ce traité est mauvais, on le rejette. Ensuite, on a eu un responsable du groupe RCV,  – un groupe Verts-Radicaux de gauche, etc. – qui est monté à la tribune pour dire : il ne faut pas discuter de ce traité tellement il est mauvais. Alors, vous voyez qu'à gauche, il y a de vraies divisions. Je répète : je ne trouve pas, même si on pouvait avoir une autre idée – je comprends qu'on peut avoir une autre idée – mais je ne crois pas que ce soit vraiment une tragédie politique de constater que dans l'opposition, sur l'Europe, il y a une diversité des positions, et cela n'empêche pas d'être ensemble, c'est-à-dire le jour où viendra l'élection législative, ou l'élection du Président, à ce moment là, il faudra être ensemble, c'est-à-dire il faudra avoir fait une coalition, il faudra avoir travaillé ensemble pour dire : nous nous présentons devant les électeurs avec un programme pour le Gouvernement. Mais nous n'en sommes pas là. Au soir des élections européennes, le 13 juin, vous aurez toujours le même Président de la République, le même Premier ministre, la même majorité socialiste, malheureusement d'ailleurs, et par conséquent, ce n'est pas cela l'enjeu de l'élection européenne. L'enjeu de l'élection européenne, c'est envoyer à Strasbourg des députés européens qui correspondent à ce que vous pensez, vous, madame, moi, d'autres qui vont pouvoir dire : je choisis ceux-là parce qu'ils sont plus près des convictions que j'ai sur l'Europe.”

Q - Quand vous expliquiez il y a quelques jours dans Libération que vous aviez été trahi par le RPR, le terme, quand même est assez fort !

-“Ce n'est pas un mot que j'ai employé.”

Q - C'était le sous-titre du papier.

-“ Non, non, non. Nous avons été matraqués, ce n'est pas pareil.”

Q - Matraqué ! alors, il faut recoller les morceaux quand même ?

-“Je pense qu'il faut essayer de tourner la page. Nous n'avons pas apprécié dans cette période des deux ou trois mois qui sont passés, certains événements, comme par exemple la façon dont nous avons été traités à Lyon. Bon, voilà, c'est ça que je voulais dire. Mais ceci étant, puisqu'il faut parler franchement – dans la vie politique, il ne faut pas prendre des circonlocutions et parler comme les diplomates du XVIIIème siècle – et donc je dis les choses comme elles sont, mais en même temps, il faut essayer de tourner les pages, d'avancer ensemble, de se dire qu'évidemment, la seule chose vraiment centrale que dans l'opposition nous ayons à faire, c'est de préparer la future alternance.”

Q - Vous pensez qu'aujourd'hui, on peut dire : on reste fâché pendant quelques mois et puis, une fois que ce délai sera passé, on se réconcilie et tout ira bien.

-“Fâché, j'espère que non. Mais on est différent, et moi je suggère que dans l'opposition, nous apprenions à reconnaître la différence des uns et des autres. Pas la pensée unique, pas le langage unique, pas le même ton pour tout le monde. Mais : les uns pensent comme ceci, les autres pensent comme cela, mais ils sont décidés à travailler ensemble, et donc ils discutent, et au bout, ils s'entendent sur un programme de gouvernement, quand arrive le jour de l'élection législative.”

Q - Quel est le score que vous considéreriez comme bon pour l'UDF ?

-“Le meilleur possible.”

Q - Bien sûr, tout le monde dit cela, mais vous avez quand même une petite idée ?

-“Non, franchement, c'est assez difficile de faire les pronostics, parce que dans cette élection, il y a beaucoup d'éléments d'incertitude. D'abord, la participation, on ne sait pas ce qu'elle va être. Elle a été très faible aux précédentes élections européennes, et de plus en plus faible, comme si au fond, les gens se détournaient de cette élection. C'est regrettable parce que le Parlement européen a de plus en plus de pouvoirs, et des pouvoirs de plus en plus importants. J'espère que la participation sera plutôt en augmentation, c'est ce que disent les spécialistes aujourd'hui. On verra bien. Ensuite, ce qui m'intéresse, c'est : quel sera le rapport droite-gauche, c'est-à-dire combien il y aura de voix qui vont se porter sur l'ensemble des listes de l'opposition par rapport à un nombre de voix qui vont se porter sur l'ensemble des listes de la majorité. Evidemment, moi cela m'intéresse beaucoup. Autrement dit, j'ai l'intention, le 13 juin au soir, de faire l'addition des voix de la liste UDF que je soutiens et de la liste RPR. Même si ce ne pas les mêmes sensibilités sur l'Europe, c'est le même combat national.”