Texte intégral
RTL : Les Européens ont décidé de bousculer le calendrier et de fixer avec huit mois d'avance, dès le mois de mai prochain, les parités irrévocables des monnaies qui composeront l'euro. Ça veut dire qu'en fait, l'euro, c'est déjà fait ?
P. Moscovici : Ça veut dire qu'en avril-mai, on va décider quels sont les pays qui sont dans la zone euro : pour nous, il faut qu'il y en ait le maximum en remplissant les critères mais cela sera d'application immédiate. C'est-à-dire qu'à partir du moment où l'on saura quels sont les pays choisis, les parités seront irrévocables. Avant, il y avait un délai qui était fixé entre mai 1998 et le 1er janvier 1999 ; ce délai pouvait prêter à des spéculations mais, en pratique, effectivement, il n'y aura plus du tout de fluctuations entre les monnaies après mai 1998. Donc l'euro existera.
RTL : Oui, mais pour décider ça aujourd'hui, ça veut dire qu'on a décidé de manière irrévocable de faire l'euro ?
P. Moscovici : Pour moi, c'est une question qui se pose à peine, l'euro se fera. Reste à savoir dans quelles conditions il se fera, c'est-à-dire avec quelles monnaies, et ça c'est le jugement qui est encore libre des ministres des Finances et des chefs d'Etat et de Gouvernement Mais moi, je suis optimiste, je pense qu'on ira vers une base large qui regroupera au moins une dizaine de monnaies et notamment des pays comme l'Italie. Et pour nous, c'est quelque chose d'important.
RTL : Donc l'euro, c'est désormais une réalité tangible ?
P. Moscovici : Il reste six mois qui sont toujours des mois pendant lesquels on va s'interroger, spéculer, s'inquiéter pour certains, se réjouir pour d'autres. Mais c'est vraiment quelque chose en marche.
RTL : Le référendum évoqué par R. Hue, dimanche dernier, c'est de l'histoire ancienne ?
P. Moscovici : Il me semblait que les Français avaient déjà voté sur cette question, sur le traité de Maastricht qui lançait justement toute la perspective de l'euro. Il s'est passé des choses nouvelles entre-temps, comme par exemple le Traité d'Amsterdam, mais je crois qu'il ne faut pas mélanger les sujets. Sur la monnaie unique, le débat a déjà eu lieu ; sur le Traité d'Amsterdam, il y a une ratification qui est prévue, le début, aura lieu. Mais je me souviens aussi d'un temps où les communistes - ils n'avaient pas forcément tort - critiquaient la procédure de référendum. Somme toute, ce n'est pas forcément la plus démocratique. Et n'oublions qu'il faut que le Président de la République convoque pour le référendum.
RTL : Vous avez la sensation que les conditions françaises ont été acceptées pour la création de l'euro ?
P. Moscovici : Si je les reprends, j'ai l'impression qu'on avance bien. On a maintenant un sommet sur l'emploi qui va essayer d'équilibrer la politique monétaire par une politique de croissance et d'emploi. On a un dollar qui n'est plus sous-évalué, qui a monté, même s'il fluctue. On a une base qui est de plus en plus large : nous souhaitions, par exemple, que l'Italie y soit ; l'Italie a fait des efforts, elle y sera peut-être. Et puis il y a aussi autre chose qui s'est passé à Mondorf, ce week-end, c'est-à-dire que la proposition de D. Strauss-Kahn, celle d'un conseil de l'euro informel, c'est-à-dire d'une autorité politique qui peut dialoguer avec la Banque centrale, elle avance. Et donc, au total. Moi j'ai envie de dire : là-dessus, nous tenons nos promesses, nous sommes en train de faire l'euro mais dans des conditions qui sont absolument compatibles avec l'emploi.
RTL : Le franc est actuellement à son niveau le plus haut depuis des années par rapport au deutschemark puisque le deutschemark cote à peine plus de 3,35 francs - c'est ce que l'on appelle le cours pivot, c'est-à-dire la valeur moyenne qui avait été retenue à l'origine dans le système monétaire européen. Est-ce que ça veut dire que, finalement, les décisions politiques, comme celle de faire l'euro, s'imposent au marché ?
P. Moscovici : Ça veut dire que les marchés, je crois, ont compris quelle était la politique du Gouvernement. Et la politique du Gouvernement, c'est effectivement de s'engager résolument dans cette voie qui est celle de la stabilité. Quand on a pris des mesures pour 1997, avec le relèvement temporaire de l'impôt sur les sociétés, quand chacun voit que le projet de loi de finances pour 1998 se prépare avec la volonté extrêmement claire d'avoir des déficits publics inférieurs à moins de 3 %, l'euro est sanctionné positivement parce l'euro, c'est plus de stabilité, c'est moins de spéculation, c'est la baisse des taux d'intérêt. Je signale d'ailleurs - vous parliez de R. Hue tout à l'heure - qu'il y a d'excellentes raisons pour faire l'euro quand on est de gauche ; c'est la seule façon d'avoir une monnaie puissante pour une Europe puissante qui fait face aux Etats-Unis et à la monnaie dominante, le dollar.
RTL : Continuons à parler de R. Hue. Quand il dit que l'équilibre comptable voulu par Maastricht empêche, en réalité, L. Jospin de pratiquer une politique de relance - et c'est peut-être cela qui l'amène à dire, il n'y aura pas 35 heures payées 39 -, vous lui répondez ?
P. Moscovici : Je lui réponds qu'il y a plusieurs questions là-dedans. La première : Maastricht n'empêche pas de faire une politique de relance. Nous sommes en train de le faire par exemple avec le plan emploi des jeunes. Il faut savoir comment dépenser mieux et pas seulement comment dépenser plus. Deuxièmement, quoi qu'il en soit on ne peut pas faire de déficit public. Et troisièmement, les 35 heures payées 39, ça n'a jamais été le slogan du Parti socialiste. Nous disons : faire les 55 heures sans baisse de salaire, ce qui est substantiellement différent, parce qu'il peut y avoir des incitations, il peut y avoir un étalement dans le temps, il y a aussi la question du partage des gains de productivité. C'est une question beaucoup plus souple et beaucoup plus décentralisée. Et quand L. Jospin dit : "35 heures payées 39, ce serait antiéconomique", il a raison. Il faut faire ça avec les entreprises, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire les 35 heures. C'est un des enjeux de la conférence salariale.
RTL : Le basculement de cotisations sociales sur la CSG qui était retenu, apparemment, c'est un taux extrêmement important, il y aura 4 points de CSG contre plus de 5 points de cotisations sociales qui sont abandonnés, c'est pour permettre justement une hausse des salaires ?
P. Moscovici : Exactement, D'abord on a un système qui est actuellement injuste parce que les cotisations maladies, en fait, frappent surtout ceux qui ont moins. Donc on veut être plus juste, comme dans d'autres pays. Ensuite, on veut redonner du pouvoir d'achat parce qu'on substitue effectivement des cotisations sociales existantes qui touchent uniquement les salaires, par de la CSG qui touche tous les revenus. Et à partir de là, il y a un basculement qui se fait, il y a un gain de pouvoir d'achat pour les Français. Mais je précise que ceux qui paient moins de cotisations-maladie, comme les retraités, comme les fonctionnaires, ne devraient pas être touchés, il y aura une compensation spécifique pour eux. Et enfin, cette CSG nouvelle est déductible, et donc toutes les critiques qui ont pu être faites dans le passé sur : impôt nouveau, etc., ne me paraissent pas fondées. Donc c'est une mesure d'efficacité, c'est une mesure de justice, c'est une mesure de relance du pouvoir d'achat Je crois que ça sert aussi à amorcer la pompe de la conférence sur les salaires, l'emploi, la réduction du travail. L'arbitrage a été rendu, il me parait tout à fait équilibré.
RTL : Relance du pouvoir d'achat modeste tout de même ?
P. Moscovici : Oui, sans doute modeste, mais l'Etat fait un signe, ça représentera quelque chose comme 1,2 ou 1,5 % de pouvoir d'achat en plus. Honnêtement, ceux qui nous écoutent savent que ça fait un certain temps qu'il n'y a pas eu de tels signes, notamment du fait de la fiscalité ou de la parafiscalité.
RTL : Dans le débat sur l'emploi pour les jeunes, M. Aubry dit : nous voulons créer un modèle de développement européen. Est-ce que ça veut dire que vous espérez obtenir, au Sommet de Luxembourg sur l'emploi, en novembre prochain, la décision d'incitation financière des institutions européennes en faveur de l'emploi ?
P. Moscovici : On espère trois choses : d'abord que les stratégies nationales seront mieux coordonnées et notamment que l'on va faire ce qu'on appelle l'échange de bonnes pratiques. Et notre plan pour l'emploi des jeunes, c'est typiquement le genre de bonne pratique qu'on aimerait voir se répandre en Europe. On va donc informer, et je pense aussi à la réduction du temps de travail. Deuxième chose, c'est une stratégie non plus coordonnée entre les nations, mais une stratégie de l'Europe pour l'emploi. Et peut-être la Banque européenne d'investissement, qui existe, qui est à Luxembourg, pourra mobiliser des crédits, je pense plusieurs milliards d'ECU, c'est-à-dire plusieurs dizaines de milliards de francs pour l'investissement dans les grands travaux, dans les PME, dans la recherche, dans l'Education. La troisième chose qu'on espère, c'est qu'il y aura un renforcement du dialogue social européen. Le nouveau modèle en Europe pour l'emploi, honnêtement, il ne va pas naître en un seul jour, il ne faut pas charger la barque de ce Sommet. Mais s'il y a une avancée concrète, ça sera la première, et ça prouvera qu'on peut faire une Europe qui ne soit pas seulement monétaire mais aussi économique, mais aussi sociale, une Europe pour la stabilité, mais aussi une Europe pour la croissance et pour l'emploi. Et c'est au fond ça, le nouveau modèle.