Texte intégral
L'Événement : Tête de liste aux européennes, président par intérim du RPR, vous avez été acclamé récemment par les militants RPR qui vous huaient il y a deux ans. Vous tirez de ces manifestations un sentiment de dérision ou de jouissance ?
Nicolas Sarkozy : Ni l'un ni l'autre. Je ne suis pas de ceux qui regardent derrière eux. Je n'oublie rien, et je ne renie rien. Mais, surtout, tous ces événements qui se sont enchaînés en cinq ans m'ont appris une chose essentielle : que la prudence et la distance étaient des vertus politiques fortes. Pour le reste, il n'y a ni triomphe définitif ni échec irrémédiable.
L'Événement : Avec le recul comprenez-vous la défection de Philippe Seguin ?
Nicolas Sarkozy : Pour avoir vécu vingt et un mois très intenses auprès de Philippe Seguin, je comprends sa décision sur le plan humain. Je ne dirais pas la même chose au plan politique.
L'Événement : Vous êtes parti dans la campagne avec un dynamisme et une fougue salués par tout le monde. Mais cela amène à égratigner des gens, y compris vos ex-partenaires et vos alliés potentiels. Est-ce le meilleur moyen d'aider Chirac à faire l'addition des voix de l'opposition le 13 juin ?
Nicolas Sarkozy : Vous me dites que cela conduits à égratigner partenaires et amis, c'est toute la difficulté. J'ai voulu l'union ; François Bayrou, et c'était son droit, a tout fait pour que cela ne se fasse pas. Donc il va y avoir de la concurrence voire compétition. La question est de débattre projet contre-projet sans que cela tourne à l'affrontement. Depuis huit jours, on a à peu près trouvé la tonalité. Charles Pasqua refuse l'Europe, je ne me sens en rien proche de cette France rabougrie, petite, frileuse, rejetant l'Europe, sans alternative. Bayrou ne parle que de l'Europe, c'est une position ultra-européiste dont l'ambition ultime sera de faire de la France une région de l'Europe. Je souhaite un autre avenir pour notre pays.
L'Événement : Au moment des négociations avec Bayrou, vous étiez prêt à faire des concessions ?
Nicolas Sarkozy : Je suis tout à fait prêt même à y revenir. Sur l'Europe de la défense, pas de problème, je la considère comme une priorité. La deuxième condition, c'était le Constitution européenne, Philippe Seguin l'avait proposée lui-même, même si je préfère l'expression « charte européenne ». Troisième proposition : l'élection d'un président de l'Europe mais, dans mon esprit, il ne peut être que l'élu des quinze chefs d'État et des gouvernements au sein du Conseil européen, pour une durée de deux ans. Le jour où un président de l'Europe est élu par 350 millions d'Européens, il faut le dire aux Français qu'on supprime le président de la France élu par 58 millions de Français. J'ai souhaité que l'on mette en exergue nos convergences. Bayrou et Pasqua ont voulu qu'on appuie sur les divergences. Quant à la question de la tête de liste, je ne vois toujours pas pourquoi un gaulliste n'était pas légitime alors que le RPR est la première formation de l'opposition.
L'Événement : Un des problèmes de votre campagne n'est-il pas que ce soit Nicolas Sarkozy qui soit le porte-parole du président de la République ? Sarkozy parlant pour Chirac, est-ce que c'est crédible ?
Nicolas Sarkozy : Porte-parole n'est pas adapté à la situation, ni à celle du président de la République ni à la mienne. Les responsabilités ne sont pas les mêmes, plus grandes pour lui, plus faibles pour moi, plus politiques pour moi, plus nationales pour lui. L'entente avec le président de la République est-elle crédible ? La réponse est à l'évidence positive. Cette entente est porteuse d'un formidable message, celui de la vraie réconciliation. J'ai parfaitement conscience d'avoir été l'un des symboles de la division : en 1995, j'ai fait un choix, je l'ai fait dans la clarté en en assumant toutes les conséquences. C'était le même choix que Bayrou, même si nous l'avons assumé différemment. Chacun son style, je ne juge pas, je ne critique pas.
L'Événement : En cas de prolongation du conflit Kosovar, est-ce qu'il n'y a pas un risque pour vos listes ?
Nicolas Sarkozy : Si c'était si facile, je ne suis pas persuadé que le consensus se serait fait sur moi avec tant de spontanéité ! Chacun sait bien que, dans une élection à la proportionnelle nationale, les grandes listes sont plus exposées que les petites. Cela n'enlève rien à ma conviction absolue que, sur le Kosovo, il fallait agir et que l'on doit continuer jusqu'à obtenir des résultats, quel que soit le prix à payer pour nous. Notre génération a trop attendu que les démocraties se décident enfin à réagir et arrêtent d'avoir des grands principes dans les mots et aussi une grande capacité à ne pas agir dans les faits, des belles paroles et pas de colonne vertébrale, pour ne pas se réjouir que, enfin, une décision ait été prise et dans le sens de la fermeté.
L'Événement : Le score des européennes est-il une des clés de votre confirmation ou non-confirmation à la tête du RPR ?
Nicolas Sarkozy : Cela va se jouer sans doute, je suis très serein cependant. Le 13 juin, je peux être seul, ça me rappellera des souvenirs... J'ai confiance. Je sais que notre campagne est en train de percer. Mon objectif est de concurrencer la liste socialiste. Je me battrai pour cela voix par voix.
L'Événement : L'image de Sarkozy, ambitieux sans scrupules, éventuellement sans loyauté, vous pèse, vous laisse indifférent, vous fait rire ?
Nicolas Sarkozy : Cette image est parfois véhiculée par le microcosme. Heureusement, si j'en juge par mes résultats, elle n'est pas la mienne dans l'opinion. Cela ne me fait pas rire, cela ne me pèse pas. C'est un élément avec lequel il faut faire, pour une raison simple : dans la vie politique française, on ne peut pas arriver jeune au premier plan et devenir malade à la première critique. Jusqu'à présent, d'autres critiques m'ont été épargnées, celle de ne pas travailler, ou d'avoir des neurones intellectuels insuffisants ! Je pense qu'au contraire le reproche que l'on peut me faire c'est d'être trop transparent, trop franc, même parfois trop abrupt.
L'Événement : Pourquoi avez-vous choisi Édouard Balladur ?
Nicolas Sarkozy : C'est une autre histoire, c'était au moment de ma vie politique que je n'ai jamais renié parce qu'il est le résultat de la très grande proximité qui me lie à Édouard Balladur.
L'Événement : Vous avez été le premier des balladuriens. Est-ce qu'aujourd'hui Balladur n'est pas le premier des sarkoziens ?
Il n'y a pas de sarkozien. Il y a aujourd'hui une famille gaulliste réunie. Cela prouve qu'au moins la loyauté réciproque entre Édouard Balladur et moi à surmonté beaucoup de choses.
L'Événement : Il y a, depuis plusieurs années, une espèce de lutte sourde mais quelquefois féroce entre Sarkozy et Pasqua sur les Hauts-de-Seine. Cette campagne n'est-elle pas l'occasion de solder les comptes ?
Nicolas Sarkozy : C'est une légende qui a beaucoup servi. Elle date de 1983, une époque où je l'ai battu à la mairie de Neuilly. Je n'ai aucun ressentiment contre Charles Pasqua, bien au contraire. Je veux défendre, et je crois profondément que pour la France il n'y a pas d'alternative au choix européen. Je croix profondément au clivage gauche-droite, majorité-opposition, et je trouve un peu triste que Charles Pasqua, après avoir été ce qu'il a été, essaye de séduire quelques colistiers de gauche pur se donner un vernis qui n'a jamais été le sien. Notre désaccord politique est suffisamment fort pour que je m'abstienne d'une polémique qui n'amène à rien.
L'Événement : Il y a un autre affrontement, avec Bayrou ?
Nicolas Sarkozy : François Bayrou et moi n'avons jamais été très proche. Mais je n'ai aucun ressentiment à son égard et je ne m'inscrirai pas dans une de ces luttes sournoises qui ont empoisonnée la droite pendant des années avec des duels trop célèbres. Je ne suis pas obsédé par ce qu'il fait. La compétition est une chose normale. Cela ne doit jamais dépasser certaines limites. C'est cela la modernité du combat politique.
L'Événement : Seguin est-il selon vous un homme d'État ?
Nicolas Sarkozy : Il en a la dimension intellectuelle, le souffle et le charisme. Il lui reste à prouver qu'il a choisi d'en faire un choix de vie.
L'Événement : Vous avez l'air d'en douter ?
Nicolas Sarkozy : Certainement pas.
L'Événement : On ne peut pas du tout exclure que Philippe Seguin soit candidat à la présidentielle ?
Nicolas Sarkozy : C'est à Philippe Seguin de répondre à cette question. Il a toujours soutenu Jacques Chirac. Une élection présidentielle, jamais personne ne peut être sûr de la gagner. Mais, ce qui est certain, c'est que président sortant gagne toujours la primaire. Voilà pourquoi je crois que la meilleure stratégie sera de soutenir Chirac.
L'Événement : Comment avez-vous réagi en voyant le petit-fils de Charles de Gaulle sur la liste de Le Pen ?
Nicolas Sarkozy : Cela prouve que l'acquis est plus important que l'inné.
L'Événement : Sur la Corse, vous êtes curieusement moins véhément que l'UDF. Pourquoi ?
Nicolas Sarkozy : L'affaire corse est suffisamment grave pour qu'on s'abstienne d'être véhéments. La motion de censure proposée par l'UDF, pourquoi pas ! Mais quelle motion de censure, avant d'avoir les éléments de l'enquête ? Ça ne servirait à rien, si ce n'est à raccommoder la majorité. La question n'est pas de demander la démission du gouvernement mais d'exiger pour les Français la vérité. Et cette affaire va nous réserver encore bien des surprises. Donc, la motion de censure, nous la déposerons lorsque tous les éléments seront sur la table, qu'on saura jusqu'où remonte cette affaire et qu'on pourra en tirer les conséquences politiques. La parole est pour l'instant à la justice, à l'enquête et à la vérité.
L'Événement : Est-ce que Lionel Jospin a manqué de réflexe politique ?
Nicolas Sarkozy : Je pense surtout qu'il a fait une grande erreur politique. On ne répond pas à l'exception corse de la violence par des structures d'exceptions de l'État. On répond à l'exception par la normalité républicaine.
L'Événement : Il doit y avoir une responsabilité politique.
Nicolas Sarkozy : C'est l'évidence. Un État moderne est celui où les responsables sont identifiables. Qui peut penser que la responsabilité politique dans cette affaire lamentable n'est pas d'abord celle de Lionel Jospin ?
L'Événement : S'il est avéré que le préfet Bonnet rendait des comptes à Matignon, est-ce qu'il doit y avoir des sanctions à Matignon, dans les ministères ?
Nicolas Sarkozy : Nous le verrons bien. Mais je voudrais simplement rappeler que les cabinets n'existent pas. Ce n'est pas une autorité juridique en soi. Le juge d'instruction a décidé d'entendre les proches collaborateurs du Premier ministre, et je rappelle simplement qu'au début, Mme Guigou disait : « Cette affaire est une affaire de gendarmes. » On est aujourd'hui bien loin.
L'Événement : Votre prudence n'est-elle pas inspirée par le fait que vous avez, dans d'autres gouvernements, géré le problème avec une réussite pour le moins moyenne et puis parce que le personnel politique de Corse, qui est très majoritairement de droite, est lui aussi plus « trempé qu'humide » ?
Nicolas Sarkozy : Quelles que soient nos erreurs du passé, jamais une telle « affaire d'État » ne pourrait nous être imputée.
L'Événement : Comment faites-vous maintenant que Jacques Chirac ne veut plus vous recevoir ?
Nicolas Sarkozy : On fait différemment...