Interviews de M. Alain Deleu, président de la CFTC, dans "L'Est Républicain" du 5 septembre 1997, "Nord Eclair" du 12, "La Croix" du 26, à RMC le 29 et dans "Les Dernières nouvelles d'Alsace" du 30, sur la réforme des prestations familiales, et sur la Conférence sur l'emploi, les salaires et le temps de travail du 10 octobre.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - L'Est républicain - La Croix - Les Dernières Nouvelles d'Alsace - Nord éclair - RMC

Texte intégral

L'Est Républicain - 5 septembre 1997

J.-L. Denes : Sincèrement, croyez-vous à la réussite du grand rendez-vous de la conférence des salaires, de l'emploi et du temps de travail qui doit avoir lieu en fin de mois ?

A. Deleu : C'est un pari délicat. Mais il faut le réussir. C'est vrai que si on fait la somme des intérêts particuliers du gouvernement qui a un projet assez général, du patronat qui n'est pas décidé, et des syndicats qui ont des approches différentes, on risque d'arriver à une conclusion en peau de chagrin. C'est pourquoi il faut que chacun se dépasse pour trouver des solutions ensemble.

J.-L. Denes : Mais côté syndical avez-vous déjà travaillé à une position commune ?

A. Deleu : A l'heure qu'il est, non. Chacun a ses priorités et le gouvernement fait des hypothèses. Maintenant que Martine Aubry a entendu chacun, il faut qu'elle nous donne la ligne de ses propositions et qu'on puisse avoir des discussions bilatérales entre syndicats et répondre de manière cohérentes à ses pistes.

J.-L. Denes : Comment et sur quoi pouvez-vous vous entendre entre forces syndicales ?

A. Deleu : Le coeur du sujet, c'est l'emploi : comment concrètement faire en sorte qu'il y ait du travail pour les gens… Avec cette proposition d'amener le temps de travail à 35 heures. C'est le point clé, même si à nos yeux ce n'est pas la seule manière de traiter le problème, car on pourrait tout aussi bien développer le libre choix vie familiale vie professionnelle.

J.-L. Denes : Sur les 35 heures, les divergences sont grandes. Le front syndicat auquel vous appelez, n'est-il pas condamné par avance ?

A. Deleu : La loi de Robien permet déjà les 35 heures sans perte de salaire, puisqu'il y a compensation par l'Etat. On a une bonne base de discussion avec cette loi qui est efficace, fonctionne et permet d'expérimenter des négociations de temps de travail dans lesquelles les salariés ne paient pas le partage du travail. Car dire on fait un partage du travail et ce sont les salariés seuls qui le paient n'aurait pas de sens…

On aborde une période de croissance économique qui se précise, c'est le moment de prendre l'initiative et de ne pas rester bien sagement dans les formes classiques de gestion de l'emploi. C'est le moment de prendre des risques…


Nord Eclair - 12 septembre 1997

M. CH. Debieuvre : Au moment où la dernière Renault sort des ateliers de Vilvorde, vous dénoncez cette deshumanisation du travail que vous rencontrez dans votre action. Comment refuser ce qui est aux yeux de beaucoup inéluctable dans notre économie ?

Alain Deleu : Le travail c'est comme le pain, ça se partage assure l'abbé Pierre. Moi je dis que le travail, c'est comme le pain, ça se multiplie. Nous pensons à la CFTC qu'il faut repartir les besoins des hommes et des femmes pour reconstruire une prospérité économique. Nous vivons une aventure technologique. Nous voyons naître de nouveaux besoins et donc de nouveaux métiers. Ces besoins, c'est le temps de vivre. Vivre une vie de travail mais aussi toute une vie personnelle et familiale.

M. CH. Debieuvre : Vous ne fixez donc pas l'objectif aux seules 35 heures de travail ?

Alain Deleu : La réduction collective du temps de travail avec des embauches évidemment en contrepartie n'est qu'un élément. Ce sera un thème évidemment (illisible) de la conférence nationale, l'occasion de pousser la semaine de 4 jours, sans diminuer les garanties des salariés et leurs conditions d'emploi et de niveau de vie et s'attaquer à toutes les formes d'abus et d'excès de travail chez les cadres et les non cadres.

Mais pour nous, l'essentiel c'est permettre à chacun de trouver à différent moments de sa vie un bon équilibre entre vie professionnelle, vie personnelle, formation, vie familiale, associative et civique avec différentes dominantes selon les différent temps. Pour y parvenir, nous devons faire évoluer le statut du travailleur, en sortant d'une logique purement productiviste à court terme. De ce statut, des perspectives d'évolution au cours d'une vie, il en sera question dans mon livre "Travail, reprends ta place" qui va sortir dans un mois.

Pour nous, il ne s'agit pas que d'un objectif à long terme, il éclaire tout notre travail quotidien sur les multiples dossiers d'actualité.

M. CH. Debieuvre : Le changement de gouvernement modifie-t-il votre attitude ?

Alain Deleu : Nos préoccupations n'ont pas changé, car le chômage, la précarité, les inquiétudes sur la protection sociale sont toujours là. Le changement de gouvernement n'a pas effacé les attentes pressantes de millions de personnes, celles de plus en plus nombreuses sans travail, celles qui vivent dans la crainte du lendemain. Les Français veulent une croissance économique qui profite aux salariés et à l'emploi. L'actuel gouvernement veut le dialogue. Nous sommes ouverts à ce dialogue qui pour l'instant fonctionne.

Une réelle politique de la famille.

M. CH. Debieuvre : Et vous êtes en harmonie avec le ministre de l'Emploi et de la Solidarité ?

Alain Deleu : Mercredi dernier, j'ai rencontré pendant deux heures Martine Aubry. Elle écoute bien. Nous avons cependant un sujet fort de désaccord. Il porte sur cette mesure déjà décidée de placer les allocations familiales sous conditions de ressources. Outre le fait que c'est démagogique, il y a un risqué d'appliquer un même raisonnement pour l'assurance maladie et pour d'autres choses. Nous n'acceptons pas cette mesure tant qu'on n'a pas décidé tous ensemble d'une vraie politique familiale. Il est important que les mouvements familiaux se mobilisent pour obtenir ce contrat de progrès pour les familles.

M. CH. Debieuvre : Et les emplois-jeunes, vous applaudissez ?

Alain Deleu : Nous avons approuvé l'objectif qui consiste à identifier les besoins réels de la vie collective et à embaucher des centaines de milliers de jeunes pour y répondre. Cette démarche rompt avec les habituels emplois et stages parkings qui intéressent surtout les statistiques. Mais il faut que ces nouveaux emplois aidés deviennent solvables et durables. Nous disons non au sous-emploi, sous rémunéré.

 

La Croix - 26 septembre 1997

Gérard Adam : Que pensez-vous de l'action du gouvernement en matière de politique familiale ?

 

Alain Deleu : Le gouvernement montre ce que n'est pas une politique familiale. Une famille vit dans la durée, et une politique familiale c'est un contrat à long terme avec l'Etat. Aujourd'hui, si les familles françaises ont un enfant de moins qu'elles ne le souhaitent, c'est parce qu'elles n'ont pas confiance dans l'avenir. Elles ne veulent pas mettre au monde un enfant qui risque d'être un chômeur dans vingt ans. C'est dire la profondeur de cette perte de confiance. En cassant la situation d'une catégorie de familles, considérées comme aisées, le gouvernement pose un acte de rupture au regard de la confiance. Au-delà de la minorité de familles visées par les mesures gouvernementales, ce sont toutes les familles qui reçoivent le message que les engagements d'un gouvernement peuvent ne pas être tenus par un autre.

Gérard Adam : Le gouvernement évoque la possibilité d'allocations familiales dès le premier enfant. Ceci ne comprennent-ils pas cela ?

Alain Deleu : Ce n'est pas sérieux. Le gouvernement s'accroche à une décision dont aucune organisation familiale et syndicale ne veut. Pour lever la pression, il évoque une hypothèse qui pourrait être discutée l'année prochaine quand personne ne s'intéressera plus à la politique familial. Une attitude sérieuse consisterait à entendre le message des familles et à ouvrir des discussions réelles.

Gérard Adam : Qu'allez-vous faire maintenant ?

Alain Deleu : Seule une mobilisation de grande envergure obligera le gouvernement à respecter les droits des familles. C'est la condition d'une réussite de l'action. Notre priorité est là. Des discussions ont lieu au sein des associations familiales sur l'opportunité d'une action publique. J'ai dit à Hubert Brin, le président de l'Union des associations familiales, qu'il fallait que celle-ci joue pleinement son rôle pour obtenir qu'aucune décision ne soit prise avant une discussion globale avec le gouvernement. Si ce n'est pas le cas, nous mènerons les actions nécessaires.

Gérard Adam : Pour vous, quelles est aujourd'hui la priorité des priorités pour la conférence sur l'emploi, les salaires et le temps de travail ?

Alain Deleu : C'est l'engagement du patronat pour une action efficace en faveur de l'emploi.
Les attentes des salariés sont variées et un ensemble de mesures diversifiées est nécessaire. La possibilité de partir en préretraite en permettant l'embauche d'un jeune – c'est l'Arpe : allocation de remplacement pour l'emploi – est, par exemple une revendication forte des salariés. La demande de réduction de la durée du travail dépend, quant à elle, des secteurs et suscite débat chez les salariés.

Gérard Adam : Un compromis avec le patronat sur le temps de travail est-il possible ?

Alain Deleu : C'est la question essentielle. Les récentes déclarations de Jean Gandois donnent le sentiment que le patronat ne veut pas avancer. Le contraste est maximum entre un gouvernement qui fait des 35 heures un objectif majeur et un patronat qui n'en veut pas.

Gérard Adam : Quelles peuvent être les bases d'un compromis ?

Alain Deleu : Un accord serait possible à trois conditions. D'abord que le gouvernement s'engage à soutenir financièrement les accords de réduction du temps de travail, ensuite que le patronat prenne en compte les aspirations des salariés, et enfin que les partenaires sociaux soient d'accord pour que ce soit la négociation qui rende opérationnelle la loi cadre prévue par le gouvernement.

Gérard Adam : Les aides de l'État ne coûteront-elles pas très cher ?

Alain Deleu : Je ne vois pas pourquoi le gouvernement se désengagerait financièrement alors qu'il fait de la réduction du temps de travail sa priorité. Certaines exonérations de charges coûtent encore plus cher pour un résultat moindre.

Gérard Adam : Des alliances sont indispensables entre les syndicats. De quelle autre confédération vous sentez vous le plus proche ?

Alain Deleu : Nous n'avons pas de partenaire préférentiel. Nous sommes pragmatiques, agissant dossier par dossier. Nous pensons que l'objectif de réduction du temps de travail porté par la CFDT et la CGC est nécessaire. On ne peut pas se priver de ce moyen pour diminuer le chômage, même si le résultat de l'opération n'est pas certain. Par ailleurs, nous constatons une attente forte sur l'Arpe. Avec FO, nous pensons qu'il est nécessaire d'amplifier ce dispositifs

Gérard Adam : N'êtes-vous pas aussi proche de la CGT sur le maintien du salaire en cas de réduction du temps de travail ?

Alain Deleu : Les salariés ne sont pas disposés à accepter une baisse significative de leur salaire. Ils ont des engagements et, souvent, un revenu tout juste suffisant. Est-ce aux syndicats de remettre en cause une législation qui, pour une fois, ne fait pas des salariés les dindons de la farce des mesures pour l'emploi ?


RMC - 29 septembre 1997

P. Lapousterle : On prépare activement la Conférence sur les salaires, le temps de travail et les emplois. Les membres les plus éminents du Gouvernement ne sont pas d'accord. M. Aubry veut une loi et une application rapide. D. Strauss-Kahn, plus prudent, pense qu'il faut un peu plus de temps et s'interroge sur la nécessité d'une loi. Votre position, M Deleu, quand vous serez à cette table ?

Alain Deleu : Nous dirons qu'il faut accélérer la cadence sur l'action pour des créations d'emplois par une baisse du temps de travail. Il faut aller plus vite. On a commencé à le faire par des mesures, qui produisent des effets, il faut accélérer. Et donc, nous serons réalistes, mais on ne peut pas en rester à la situation actuelle.

P. Lapousterle : Accélérer, ça veut dire ?

Alain Deleu : Cela veut dire, par exemple, que pour la mesure concernant les salariés âgés qui peuvent partir après 40 ans, et avec création d'emploi-jeune en face de cela, il faut étendre cette mesure à toutes les personnes qui ont 40 ans d'activité, sinon peut-être moins. Là, il y a une mesure à prendre. Il faut aussi renforcer l'appui de l'Etat, la baisse du temps de travail, 35 heures ou 4 jours, les formules sont diverses. Autrement dit, il faut développer, renforcer le dispositif de Robien, pour qu'il puisse se développer. Il a déjà créé 7 500 emplois, ce n'est pas négligeable.

P. Lapousterle : Mais ça va être abandonné ?

Alain Deleu : Oui, et c'est un tort. Il ne faut pas le faire. Il faut prolonger cela. Les politiques qui consistent à changer tous les deux ans de cap sont des politiques qui ne tiennent pas la route.

P. Lapousterle : Vous pensez qu'on peut aujourd'hui demander au Gouvernement de continuer d'appliquer la loi Robien ?

Alain Deleu : Bien sûr, il le doit. Je ne sais pas s'il le fera mais il le doit. Il peut l'appeler autrement, il peut la transformer, la faire évoluer. Parce qu'à mesure où elle va se développer, il faudra évidemment adapter. Mais si l'Etat n'apporte pas son concours aux entreprises et aux salariés qui négocient une baisse du temps de travail, nous ne verrons pas d'évolution importante sur ce sujet.

P. Lapousterle : M. Deleu, 35 heures payées 39, est-ce qu'il faut une loi, et est-ce qu'il faut une date butoir ?

Alain Deleu : Oui, il y a une loi pour ça. La loi existe, la loi Robien, on vient d'en parler. Cette loi permet aujourd'hui de payer 39 heures pour 35 heures de travail. C'est la loi française pour tous. Alors, faut-il continuer, c'est ça la question. Nous pensons que si le patronat doit payer 39 heures pour 35 heures effectives, sans apport de l'Etat, en général il ne le fera pas. Il y aura des cas où il le fera, parce qu'on trouvera des solutions de productivité. Mais il ne le fera pas en général. Et si les salariés doivent accepter une baisse de leurs ressources à cette occasion, beaucoup d'entre eux ne pourront pas l'accepter. Autrement dit, c'est l'impasse s'il n'y a pas prolongation de l'action de l'Etat pour soutenir ces négociations pendant plusieurs années, de telle façon qu'effectivement - système de Robien, j'y reviens encore - les accords puissent se conclure. On dépense beaucoup d'argent inefficacement pour l'emploi. Des dizaines de milliards de I'Etat sont dépensés chaque année, sans efficacité, au nom de l'emploi. Pourquoi ne pas réaffecter ces sommes à des mesures qui vont vers les salariés et, de ce fait, réellement vers l'emploi ?

P. Lapousterle : Est-ce qu'il faut une date butoir, Monsieur Deleu ?

Alain Deleu : Il faut que les mesures s'appliquent à une date donnée. Il faut que celles-ci produisent leurs effets : nous ne sommes pas pour une décision qui serait en l'an 2000, 2001, 2002 : tout le monde à 35 heures. Nous n'y croyons pas. Mais même sur le terrain. Allez sur le terrain, vous verrez, les gens ne sont pas tous de cet avis-là. Il y a des avis partagés. Donc, nous sommes pour une loi qui favorise, encourage et permette une négociation de branche des entreprises, sur les 35 heures. Et qu'ensuite, à la carte, chaque entreprise, avec les salariés, trouve la solution qui correspond à sa situation, et pour les cadres et pour les non-cadres.

P. Lapousterle : Qu'est-ce que vous pensez des déclarations du CNPF menaçant de ne pas aller à la table des négociations ?

Alain Deleu : Je ne parviens pas à imaginer qu'ils ne seraient pas à la table des négociations. En réalité, cela fait partie de l'action de communication d'avant négociation.

P. Lapousterle : Gesticulation ?

Alain Deleu : Gesticulation, ou plutôt faire en sorte qu'on puisse considérer comme un résultat positif qu'ils viennent. C'est quand même un comble ! Sur un problème de 3 200 000 chômeurs en France, plus tout ceux qui ont renoncé à demander et à chercher un emploi, que le CNPF puisse dire : je ne sais pas si je vais à une réunion sur l'emploi, c'est stupéfiant Ce serait une démission. Et moi, je ne souhaite pas que M. Gandois démissionne.

P. Lapousterle : L. Jospin parle ce soir à la télévision. Vous attendez des éclaircissements sur des points précis. Vous aimeriez avoir des précisions ?

Alain Deleu : Je souhaite que le Premier ministre reprenne cette formule qu'il avait employée en arrivant à Matignon, à savoir qu'il est pour le dialogue et la négociation et que les décisions seront prises avec les gens, avec les responsables. Et je crois qu'il y a pas mal de sujets sur lesquels il faut trouver une solution avec le CNPF, avec les syndicats. On le voit sur le temps de travail, je pense qu'il faut le voir aussi sur la précarité de l'emploi. Je crois qu'il faut qu'il nous dise ce qu'il va faire pour enfin faire reculer cette précarité de l'emploi qui écrase tant de personnes aujourd'hui. Cette flexibilité à outrance que réclame le CNPF, encore davantage, là il faut qu'il le fasse. Et puis aussi sur la famille : s'il pouvait avoir la bonne idée de nous dire qu'avant d'avoir discuté avec nous sur le fond, il ne prend pas de décisions qui vont contre les familles, ce serait un résultat positif pour aujourd'hui.

P. Lapousterle : Vous pensez que M. Jospin ne discute pas assez avant de décider ?

Alain Deleu : Les contacts ont lieu, on discute mais ce qu'il faut, surtout, c'est qu'on tienne compte des avis des gens. Sur l'affaire familiale, par exemple, moi j'ai été très choqué par le fait qu'on nous dise au début de l'été que, bien sûr, tous les syndicats étaient contre, tous les mouvement familiaux étaient contre mais ça n'avait aucune importance puisque le Gouvernement était pour, et l'opinion. C'est un peu facile. J'appelle ça un peu de la démagogie.

P. Lapousterle : Tout bien considéré, quel est l'inconvénient à ce que les familles qui ne connaissent pas les ennuis de fin de mois payent, ou n'aient pas l'intégralité des déductions fiscales qu'ils avaient, à partir du moment ou ça touche 50 000 familles ?

Alain Deleu : Les chiffres, on verra. Depuis juin, j'entends des chiffres ! D'abord, ce que je dirais, c'est qu'à la CFTC, les salariés qui vont être touchés par cette décision sont peu nombreux, et que notre préoccupation principale est vers ceux qui ont des revenus plus faibles. Cela étant dit, il ne faut pas être naïf. Pourquoi prend-on cette mesure ? Pour faire payer les riches ayant charge de famille, pour résumer, alors qu'on ne prend pas des mesures de fiscalité plus justes. Si on parle justice sociale, on parle justice fiscale. Je suis frappé par cela. Pourquoi, par exemple, on décide de placer sous condition de ressources les allocations familiales et pas les prestations maladie ? C'est curieux, pourquoi ? Parce qu'on considère qu'il est normal que tout le monde ait des compensations de charges en termes de maladie mais pas en termes de famille. Quelle est la raison ? Pour moi, elle est idéologique. Et au-delà de la mesure elle-même, qui peut être controversée à l'infini, il y a le signe, à travers cela, qu'il y a une approche peut-être un peu idéologique des problèmes et donc inquiétante.

P. Lapousterle : Vous pensez qu'une modification du quotient familial serait meilleure ?

Alain Deleu : Je suis prêt à discuter d'une réforme fiscale. Simplement, aujourd'hui, le niveau des prestations fiscales ne permet pas de compenser les charges réelles des familles. C'est très en deçà de la perte de niveau de vie. Et donc parler de prélever encore davantage par la fiscalité sur ces prestations familiales, alors qu'elles ne vont pas au niveau suffisant, ce n'est pas d'actualité. Si, un jour, on obtient un vrai contrat de progrès comme on le demande c'est-à-dire une vraie garantie de l'évolution du niveau de vie des familles et de leurs ressources familiales, on pourra discuter. Ce n'est pas, apparemment, le projet de L. Jospin, il fait des économies sur le sujet. Il n'investit pas, il, fait des économies.

P. Lapousterle : Un mot sur cette grande Conférence dont tout le monde attend des avancées décisives. Votre intuition est qu'on va progresser le 10 octobre, ou bien la déception sera au coin de la rue ?

Alain Deleu : Je n'en sais rien. On peut très bien avoir un résultat positif le 10 octobre. Cela suppose que le patronat accepte de décider avec nous de refuser le chômage. C'est fort, cette formule, mais jadis, ATD-Quart Monde annonçait le refus de la misère. Il faut refuser le chômage de la même façon. Et donc, s'engager sur des mesures nouvelles. Si on reste dans l'ornière des calculs économiques, on trouvera toujours dix bonnes raisons de ne rien faire et on ne fera rien et on restera avec 700 000 ou 800 000 jeunes sur le pavé. C'est inacceptable !

P. Lapousterle : Et J. Gandois est prêt à cela ?

Alain Deleu : Personnellement, je le pense mais le CNPF, je ne sais pas.


Dernières nouvelles d'Alsace - 30 septembre 1997

Dernières nouvelles d'Alsace : Comment vous positionnez-vous dans le débat sur la réduction du temps de travail ?

Alain Deleu : Bien sûr, nous jugeons indispensable d'accélérer la réduction du travail, mais nous souhaitons qu'elle soit pensée et organisée pour permettre vraiment la création d'emplois. C'est la raison pour laquelle nous sommes particulièrement intéressés par la semaine de quatre jours car elle oblige à une réorganisation du travail où la création d'emplois est carrément nécessaire... A la CFTC, nous défendons une approche globale de la question.

Dernières nouvelles d'Alsace : C'est-à-dire ?

Alain Deleu : Nous voulons qu'on ait recours à un panel de solutions adaptées aux entreprises comme l'ARPE (allocation de remplacement pour l'emploi) qui permet à des salariés ayant déjà 40 ans d'activité de partir en retraite, avec une aide publique. Mais au delà de ce type de dispositif, nous sommes attachés à la notion de libre choix entre vie privée et vie professionnelle.

Dernières nouvelles d'Alsace : 35 heures payées 39 : comment vous situez-vous par rapport à ce concept qui divise le gouvernement lui-même ?

Alain Deleu : La référence aux 35 heures est centrale parce qu'elle correspond à un engagement électoral de Lionel Jospin. Mais nous ne pensons pas qu'il soit acceptable de nous faire venir le 10 octobre (jour de la conférence nationale sur l'emploi) pour nous dire : «négociez». L'Etat se doit de s'engager pour accélérer le processus, mais sans autoritarisme. Cela dit, je ne suis pas sûr qu'une loi fixant les 35 heures correspondrait à toutes les situations. Le rôle du gouvernement, c'est de rendre possible la négociation entre des partenaires.

Dernières nouvelles d'Alsace : Que préconisez-vous?

Alain Deleu : Il y a la loi Robien, qui a permis une montée en charge de la réduction du temps de travail et apporté de vrais emplois. Il faut de la continuité ! Il serait tout de même paradoxal que M. Jospin fasse moins bien que son prédécesseur... Quant à la question salariale, elle ne peut être discutée que par les partenaires sociaux.