Interview de M. Michel Vauzelle, ministre de la justice, à RTL le 12 mai 1992, sur le débat à propos du traité sur l'Union européenne, la commémoration du 8 mai 1945 et la politique de lutte contre la délinquance.

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RTL : L'opposition dit que, dans ce Traité, il est prévu une dérogation sur la question du droit de vote, pourquoi le Président de la République n'utilise-t-il pas cette possibilité ?

M. Vauzelle : Il n'y a pas révision d'articles de la Constitution, mais adjonction dans un titre nouveau appelé l'Union européenne et d'articles nouveaux. Il ne faut pas regarder cette révision de la Constitution, qui est une étape dans l'histoire de notre pays, il ne faut pas avoir peur de ces mots et regarder cela par le petit bout de la lorgnette. Il faut que les Français se rendent bien compte qu'avant de parler du droit de vote des Européens qui résideront pendant 10 ans en France et non privés de leurs droits civiques, il faut voir que cette étape va permettre à la France de préserver pour l'avenir la paix et la sécurité dont elle jouit depuis 40 ans. Fini la guerre avec l'Allemagne, fini la période d'hostilité avec des voisins européens. Nous avons instauré la paix et nous espérons d'une manière irréversible. Maastricht est une nouvelle garantie pour la paix. D'autre part, quand on sait ce qui se passe dans le monde, c'est un trésor que cette paix. Les Français sont très sensibles au fait de la disparition de l'URSS, il fait qu'il y a une tentation pour les États-Unis d'imposer leur politique à l'ensemble de la planète, il faut qu'il y ait une puissance qui équilibre la puissance américaine, tout en étant très amicale à son égard. Seule, la construction européenne peut permettre à la France de participer à cet équilibre.

RTL : Alors la question du droit de vote ?

M. Vauzelle : C'est la création d'une citoyenneté européenne, qui ne retire pas aux Français quelque chose. Trop souvent on présente les choses sous un aspect négatif, en disant qu'il y a des transferts de souveraineté. Je me suis élevé avec vigueur, suivant les indications données par le Président de la République, contre cette terminologie. Il y a des transferts de compétences, la souveraineté de la France reste intouchable et sacrée. Mais nous ajoutons à la citoyenneté nationale française, une citoyenneté européenne dont bénéficieront nos concitoyens, qui pourront bénéficier, dans l'espace communautaire, la réciproque est vraie, d'un certain nombre de droits, notamment celui de voter aux élections locales.

RTL : Êtes-vous ouvert à certains amendements qui garantiraient des choses, comme le demande l'opposition ?

M. Vauzelle : Le gouvernement montre une grande ouverture. Il l'a dit depuis le début, en acceptant les amendements de l'opposition forts importants.

RTL : La division de l'opposition est-elle utile au gouvernement ?

M. Vauzelle : Pas du tout. L'opposition gère ses affaires comme elle le peut et l'entend. Dans ce débat, il s'agit d'une affaire tellement importante, qui réclame un consensus national, que personne ne peut se réjouir des problèmes que les uns ou les autres connaissent. J'ai même beaucoup de peine quand je vois que M. Juppé dit qu'il rame depuis quatre ans et qu'il voit que tout ce qu'il a fait depuis quatre ans est en ce moment mis en lambeaux.

RTL : Après la ratification du Traité, la France ne pourra plus dire non si son intérêt vital est en jeu ?

M. Vauzelle : Je crois qu'il y a un principe qui est celui de la souveraineté. Un pays est souverain et il peut souverainement décider de partager avec d'autres pays certaines compétences. C'est ce que nous sommes en train de faire avec Maastricht. Il faut faire confiance à la France, à son rôle leader, en tout cas moteur dans la Communauté européenne, dans l'Union européenne, pour penser que chaque fois que l'intérêt national sera en jeu, il y aura une discussion au niveau des chefs d'État et de gouvernement, au sein du Conseil européen, pour que les problèmes soient réglés. C'est ce qui se passe depuis le début du Traité de Rome, en tout cas depuis qu'existe le Conseil européen, ce qui est plus récent.

RTL : Au Sénat, l'opposition proposera de nouveaux amendements. Seront-ils acceptés lorsque le texte reviendra à l'Assemblée nationale ?

M. Vauzelle : Nous aurons, au Sénat – et avec l'immense respect que nous portons à la sagesse des Sénateurs – la même ouverture et du cœur et de l'esprit que nous l'avons eue pour l'Assemblée nationale où il faudrait avoir beaucoup de mauvaise foi pour ne pas reconnaître qu'en acceptant quatre amendements fort importants, nous n'avons pas fait preuve d'ouverture.

RTL : Quand VGE explique que ce qu'on appelle le compromis de Luxembourg n'est plus d'actualité faute d'avoir été utilisé, vous êtes d'accord avec cette façon de voir ?

M. Vauzelle : M. Giscard d'Estaing, j'ai beaucoup de respect pour lui, mais il exprime sa façon de penser. La mienne est celle qui correspond à ce qui a été dit par le ministre d'État chargé des Affaires étrangères, par le Premier ministre, et qui sera répété cet après-midi par le Premier ministre sur ce point que vous évoquez et qui est celui du compromis de Luxembourg.

RTL : P. Bérégovoy parle d'une grande alliance des forces de progrès pour les prochaines législatives, dans ces forces de progrès, il y a les communistes qui sont fermement opposés à Maastricht. L'union de l'Europe, c'est le grand dessein du Président de la République. Paradoxe : vous concluez des accords électoraux avec un parti anti-européen ?

M. Vauzelle : Je n'ai rien conclu du tout. Je suis ministre de la Justice, je défends avec beaucoup de foi l'Europe, parce que l'avenir de la France, c'est en effet l'Europe. Je souhaite qu'il y ait unanimité là-dessus. Ce n'est pas possible. Et je constate que le débat a été très émouvant, on ne peut pas, même si on n'est pas du tout d'accord avec lui, ne pas reconnaître à M. Séguin à la fois beaucoup de talent et une grande conviction. Nous serons allés jusqu'au bout de ce débat, les communistes ont pris également position, nous verrons dans l'avenir pour les accords électoraux.

RTL : Le procureur de la République de Foix a refusé de participer aux cérémonies du 8 mai par solidarité aux magistrats ayant rendu l'arrêt Touvier.

M. Vauzelle : Ma réflexion est très sévère. Je suis garde des Sceaux pour veiller à l'indépendance de la magistrature, et je répéterai chaque jour ma confiance et mon respect pour les magistrats. En revanche, je n'oublie pas que je suis un ministre de la République et que le 8 mai est une date sacrée pour tous les Français. C'est la victoire sur le nazisme. Il est invraisemblable, inadmissible que quelqu'un qui est investi de fonctions importantes puisse se permettre de déclarer à la face des anciens combattants, qui méritent le respect de tous, ce qui a été déclaré. Je ne voulais pas prendre de décision avant de connaître le dossier. Mais je me propose, dans les heures qui viennent, de demander les sanctions qui conviennent.

RTL : P. Bérégovoy dit qu'en matière de petite délinquance, l'impunité est à proscrire, mais en 20 ans le nombre de détenus a augmenté de 80 %.

M. Vauzelle : En 81, il y avait certains socialistes, dont j'étais, qui étaient encore assez naïfs et un peu jeunes dans le métier ; nous avons appris. Aujourd'hui, quand on écoute parler le Premier ministre, on se dit qu'il y a là un langage responsable, mesuré, qui est excellent et que les Français jugent très bien. Nous n'avons pas changé de langage, mais nous avons adopté les précautions qui conviennent quand on dirige un grand pays comme la France. Dans le domaine de la sécurité, la gauche n'a pas changé. Il y a eu un programme de construction d'établissements pénitentiaires qui va s'achever. Pour autant, la solution du tout-carcéral n'a jamais été celle du gouvernement socialiste. C'est pourquoi, face au problème posé par la petite délinquance, je voudrais apporter deux réponses : la première c'est qu'il n'y a pas que la petite délinquance. Il y a la délinquance en col blanc. Ce n'est pas parce qu'un Monsieur est plus distingué qu'il ne doit pas être touché par la lutte contre la corruption. Le Premier ministre a dit que nous serions implacables. La justice passera et je veillerai à ce qu'elle passe. Quant à la petite délinquance, c'est une plaie terrible, car elle peut déclencher des réflexes, notamment dans les banlieues des grandes villes, qui débouchent sur des comportements inadmissibles dans une démocratie. La solution n'est pas seulement carcérale, il faut tout un environnement de dispositions qui vont être exposées rapidement : par le ministre de l'Intérieur demain en conseil des ministres, puis par le ministre de la Ville, enfin par le ministre de la Justice. Donc, tout un dispositif qui évite de déboucher sur la solution carcérale tout en ayant un environnement social, de façon à chasser les raisons de la petite délinquance.