Texte intégral
France-Soir : 12 mars 1992
France-Soir : On accuse le reality show de spéculer sur le malheur humain. Est-ce vrai de cette nouvelle émission ?
Michel Gillibert : Si l'émission avait tourné au roman triste, on pourrait critiquer, mais là, au contraire, le propos est de montrer qu'en dépit du malheur et du handicap il reste toujours de l'espoir. C'est difficile à croire… Moi-même, quand on m'a récupéré après mon accident, si on m'avait dit qu'un jour je serais derrière ce bureau à faire ce que je fais, je ne l'aurais pas cru. J'étais une momie vivante. Et je répète toujours : les uns pourraient devenir les autres en moins d'une seconde. Avant je ne le savais pas, maintenant je le sais. Cette émission est positive, parfois même pleine d'humour. L'inconscient dicte souvent que les handicapés ne doivent pas vivre comme les autres, qu'un handicapé qui n'est pas triste est forcément suspect. À nouveau l'émission aura été bénéfique en évitant de tels pièges.
France-Soir : Est-ce vraiment utile d'offrir en première partie des reconstitutions d'accident de voiture ?
Michel Gillibert : Il n'est pas mauvais de voir ce qui arrive vraiment dans ces cas-là. De telles images aident à réaliser ce que peut donner sur un corps un accident de voiture, causé par une conduite en état d'ivresse ou par la vitesse. Je me souviendrai toujours d'une jeune fille à Lorient, très belle, qui ne pouvait plus bouger du tout. Eh bien, le type qui l'avait accidentée avait déjà tué une personne. Si de telles images ont un caractère préventif, je ne vois pas où est le voyeurisme.
France-Soir : Vous abordez aussi le thème de l'amour…
Michel Gillibert : C'est sans doute la première fois que l'on montre à la télévision qu'être handicapé n'empêche pas d'aimer, d'avoir des enfants parfois. C'est toujours un tabou et il faut le faire sauter. Quand on pense à ces jeunes gens de 18-20 ans que la vie oblige déjà à renoncer à un certain nombre de choses, on peut tout de même comprendre qu'ils aient toujours en eux l'envie d'aimer quelqu'un. On se marie, se fiance, c'est la vie.
France-Soir : Pour parler ainsi, il vous a fallu retrouver l'espoir. Comment y êtes-vous arrivé ?
Michel Gillibert : Après un accident, tout donne l'impression que l'on ne s'en sortira pas. Ambulances, sirènes, le bruit des hôpitaux où les gens parlent fort, et où l'on entend « Il ne passera pas la nuit »… Tout est là pour vous donner l'impression que c'est foutu. Sylvie, une des jeunes filles en plateau, est accidentée depuis moins d'un an, et elle n'a pas encore trouvé la force. Après mon accident, je suis resté deux ans entre la vie et la mort. Parfois j'avais envie de me foutre en l'air, et puis il y avait mes trois enfants… La petite est née dix jours après mon accident, elle ne m'a jamais vu marcher. J'ai compris qu'il y avait autre chose à faire… Alors j'ai recommencé (...)
RMC: 13 mars 1992
P. Lapousterle : Le « reality show » vous pose problème ou non ?
M. Gillibert : J'ai assisté à l'émission « La vie continue ». Là, on m'avait expliqué que ce ne serait pas l'émission pleurnicharde. Dans cette émission, on est très vite passé à la réalité. Et parfois, la réalité peut être très dure. C'était important de la montrer aux gens qui boivent en conduisant ou qui vont très vite et qui oublient qu'ils peuvent rendre une personne paralysée pour toujours.
P. Lapousterle : Le fait de voir le drame reconstitué ajoute au fait même ?
M. Gillibert : C'est bien fait. C'est une histoire que l'on raconte. Là, on s'attaque de façon plus intime à une réalité. On explique l'évolution. Je n'aurais pas été d'accord si l'évolution avait été dramatisée.
P. Lapousterle : Vous qui avez subi une telle réalité, est-ce que l'exemple est nécessaire pour que la vie continue ?
M. Gillibert : L'histoire n'est faite que d'exemples. Cela donne l'espoir. Si untel y arrive, pourquoi d'autres n'y arriveraient pas ? C'est là que notre politique pour les personnes handicapées doit être extrêmement vigilante. Il est plus facile pour certaines personnes de dépasser le handicap quand elles sont entourées, que pour d'autres qui sont seules et qui n'ont pas de moyens. Nous devons prendre en considération ces situations d'injustice. Il y a 14 ans, quand j'ai eu mon accident d'hélicoptère, il n'y avait pas d'émissions de ce type-là qui parlaient librement de ces choses. J'ai combattu pour que l'on puisse informer la société d'une réalité à plusieurs visages. On souffre et on peut dépasser le handicap. Mais il faut aussi que toute la société y participe. Si la société n'est pas au courant, car elle fuit le malheur, elle ne sera jamais là pour participer à cette aventure, c'est-à-dire une nouvelle naissance. Nous, accidentés de la vie, nous apportons beaucoup aux autres. Car cette expérience nous amène à une nouvelle naissance. Le langage que nous avons n'est pas tout à fait le même. L'absurde a pris un sens, le dérisoire également. C'est important que ceux qui n'ont jamais eu de problème soient conscients de tout cela.
P. Lapousterle : Quel serait le meilleur titre : « La vie continue » ou « Une nouvelle vie » ?
M. Gillibert : C'est une même réalité. Tout être humain a plusieurs étapes de bonheur ou de malheur, mais c'est la réalité. C'est pour cela que cette émission m'a plu.