Rapport de M. Jean-François Gau, membre du Comité national du PCF, sur le soutien du PCF au gouvernement et la création d'"espaces citoyens", Paris le 6 septembre 1997, paru dans "L'Humanité" du 8.

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Circonstance : Réunion du comité national du PCF à Paris le 6 septembre 1997

Média : L'Humanité

Texte intégral

Cela fait maintenant trois mois qu’avec le changement de majorité et de gouvernement une page nouvelle s’est ouverte pour notre pays.

Ce fut une situation imprévue. Pour Jacques Chirac, bien sûr, qui n’avait pas imaginé que le piège des élections anticipées qu’il avait échafaudé se refermerait sur loi et sur la droite. Mais aussi pour tout le monde, et singulièrement pour nous, qui avions entrepris de travailler aux conditions de changement dans la perspective de l’échéance de 1998. Songeons que, si ce calendrier n’avait pas été aussi radicalement bouleversé, notre parti aurait aujourd’hui derrière lui un acquis de plusieurs mois d’assises pluralistes, ayant pour but de dégager les contours d’une réelle politique de gauche, et qu’il lui resterait six mois de campagne électorale pour tenter de la faire prévaloir…

Ce que nous vivons constitue aussi une situation inédite. Car, comme le remarquait Robert Hue lors du comité national des 24 et 25 juin, la gauche n’a pas remporté les élections en gagnant les Français à un programme de changement élaboré et conclu entre ses différentes composantes. La présence de communistes au gouvernement n’est pas le résultat « mécanique » de leur participation à une union autour d’un programme. Il n’y a à cet égard rien de comparable avec les expériences passées.

Ajoutons : rien de comparable non plus avec les expériences présentes. La France est aujourd’hui le seul pays de l’Union européenne – et, au-delà, le seul pays capitaliste développé – dont le gouvernement comprenne des ministres communistes.

Cette présence résulte de la décision des adhérents de notre parti dans leur majorité, prise à l’issue de deux soirées de débat empreint d’une liberté de ton, d’une exigence, d’une fraternité que nous gardons toutes et tous en mémoire. Quel qu’ait été le choix qu’ils et elles ont finalement exprimé, les communistes ont été animés en cette circonstance d’une même préoccupation, qui continue d’être la leur aujourd’hui : dans une telle situation qui comporte tellement d’inconnues – de potentiel, mais aussi des risques –, comment, par quelle attitude, par quel type d’initiatives le Parti communiste peut-il faire face à l’idée qu’il se fait de ses responsabilités devant notre peuple ?

Pour répondre à cette question, nous avons pris en considération ce que les Français ont dit par leur vote. Et spécialement ce qu’en somme, ils nous ont dit. Ils ont donné la majorité à la gauche en permettant à celle-ci d’affirmer son pluralisme, notamment en donnant la possibilité à notre parti – c’est-à-dire aux exigences sociales, démocratiques, nationales dont il est porteur – de jouer un rôle dans le processus, qui allait s’enclencher. Nous avons décidé de jouer ce rôle parce que c’est ce qu’on attend de nous. De faire tout ce qui peut dépendre de nous pour que la gauche, cette fois, réussisse, ce qui implique que les aspirations exprimées par les Français lors des élections législatives soient satisfaites, que des solutions neuves, réelles soient enfin apportées aux graves problèmes de notre société et de notre pays.

Personne ne peut nier que notre comportement et notre action durant ces trois mois ont été conformes à cette volonté politique constructive et déterminée. Cela ne signifie pas que tout ce que nous avons fait – je parle de « nous », communistes, de la direction nationale à la cellule et à notre presse – ait totalement répondu à cette ambition. Des maladresses, des erreurs, on en repérera aisément. Corrigeons-les. En ayant l’honnêteté de reconnaître que nous sommes en phase d’apprentissage.

Surtout, cette période aura compris les deux mois de congés d’été, qui ne sont évidemment pas les plus propices à la prise d’initiative politique. Le gouvernement a lui-même indiqué qu’il la mettait à profit pour travailler aux grands dossiers qui doivent être traités à la rentrée et dans les semaines qui viennent.

Eh bien, nous y sommes.

C’est donc maintenant que le plein déploiement de l’activité communiste va être tout à la fois le plus indispensable et le plus utile. Dans quel contexte cette activité doit-elle s’effectuer et comment peut-elle être efficace ? Quel type d’initiative prendre ? Ce sont les deux parties de cette introduction à notre discussion.

I. Les grands traits de la situation ouverte en juin et l’attitude des communistes

1. Contribuer à faire du besoin de changement la donnée politique déterminante

Connaître la situation que nous voulons faire évoluer positivement, c’est d’abord être conscient de l’état d’esprit réel des Français et, en premier lieu, de celles et ceux qui ont porté la gauche au pouvoir. Une partie importante du rapport au dernier comité national avait été consacrée à cette question.

Pour bien saisir la nature des attentes sociales, il nous faut faire effort pour les entendre réellement telles qu’elles sont, et non telles que nous voudrions qu’elles soient. Il nous faut bien prendre en compte tous les aspects, toutes les dimensions qui viennent en quelque sorte se télescoper dans les cœurs et dans les têtes. Il y a bien sûr le poids de l’insupportable (…), mais il y a aussi le poids considérable des années de « pédagogie des contraintes » (…), « contraintes » de l’économie, des marchés financiers, de la mondialisation, de l’Europe. Et il y a aussi le poids des angoisses profondes qui naissent des blessures de la société, de la précarité, des rêves brisés et de l’avenir incertain.

Ce véritable « télescopage » entre le sentiment qu’on ne peut plus continuer comme ça et celui du doute sur la possibilité d’y parvenir est une donnée de base qui s’impose à toute action politique, de qui que ce soit.

Nous nous tromperions du tout au tout si nous pensions que la signification de la victoire de la gauche il y a trois mois est celle que nous voulions donner à cette victoire en mars 1998, à savoir l’adhésion de notre peuple à un projet politique de changement incluant la nature et les conditions de celui-ci. Et nous porterions à nous-mêmes un grave préjudice si nos prises de position et nos initiatives se fondaient sur cette erreur d’appréciation. Contribuer à ce que notre peuple se donne un tel projet n’est pas une tâche relevant du passé et qui a permis à la gauche de l’emporter : c’est une tâche à accomplir alors que le pays a un gouvernement auquel participent des communistes. Problème totalement inédit, que nous n’avons pas envisagé à notre congrès, mais qui est le nôtre et qu’il nous faut affronter.

« Peut-on réellement changer ? Et par quels moyens ? » Nous savons bien que les réponses à ces questions cruciales sont loin d’être maîtrisées à l’échelle de notre peuple. Oui, le sentiment de fatalité demeure fort ; et le rejet des politiques, « qui ne tiennent jamais leurs promesses », ne demande qu’à renaître. Le grand patronat, la droite et l’extrême droite jouent de ces réalités persistantes pour tenter de les accroître. Soyons conscients que, même si c’est bien sûr involontairement, le discours qui, sous le couvert de la lucidité, décrit la situation comme bouchée et conduisant inévitablement à la déception et à l’échec tend au même résultat. Car dire qu’il n’y a rien à faire conduit… à ne rien faire.

Le rapport des forces actuel n’est pas un carcan

Quelques mots à ce propos pour être bien clair. Il ne s’agit pas de demander aux communistes d’accueillir désormais chaque décision gouvernementale par des trépignements de joie ! Nous ne sommes pas prêts à renoncer à notre esprit critique, et même frondeur, et ce n’est pas non plus ce que les gens attendent de nous, qui n’ont que faire de béni-oui-oui. La question n’est pas là. Elle est que rien ne saurait nous conduire à considérer le rapport de forces actuel comme un carcan qui condamnerait notre peuple à l’impuissance.

Ce que nous avons dit à cet égard à notre 29e congrès demeure totalement d’actualité : « La réalité, c’est, aux côtés de difficultés et d’obstacles dont il faut prendre toute la mesure, le grand facteur d’espoir qui constitue la force croissante du refus de l’ordre actuel, de la mise en accusation de l’argent-roi, des exigences de neuf. Personne ne peut ignorer ces refus et ces exigences. C’est en leur donnant plus de poids politique qu’on fera évoluer les réalités elles-mêmes. »

Car ce peuple est celui qui a « fait » ou qui a entouré de sa sympathie le mouvement social de la fin 1995. Qui s’est dressé, notamment dans sa jeunesse, contre les lois Pasqua-Debré et le Front national il y a quelques mois. Et qui, en mai et juin derniers, a trouvé en lui le ressort, la clairvoyance nécessaire pour pulvériser le scénario que messieurs Chirac et Juppé avaient écrit avec la dissolution de l’Assemblée nationale.

La sanction extrêmement lourde qui a frappé la droite au pouvoir a d’abord été l’expression du refus d’une politique aggravant le chômage et rendant la société de plus en plus injuste, violente et inhumaine. Les Français ont mis un nouveau gouvernement en place pour qu’il s’attaque réellement à ces problèmes. Ils apprécient qu’il en manifeste la volonté. Ils ne demandent pas des résultats définitifs immédiatement, mais ils jugeront aux résultats.

N’est-ce pas ainsi qu’il faut interpréter les enquêtes d’opinion parues cet été qui indiquent une progression continue tout à la fois de la « cote » du Premier ministre et de certaines inquiétudes ? Pour ne prendre qu’un seul exemple. Jean-Luc Parodi commente le baromètre IFOP – « Journal du Dimanche » du 24 août qui situe Lionel Jospin à 51 %, en notant : « L’impatience n’est jamais très loin : “Ce n’est pas tout à fait ce que j’attendais” (sympathisant PC) ; “On fait du superficiel” (PS) ; “Ça n’avance pas vite, tout ce qu’il promet” (écologiste). » Même tonalité du commentaire du sondage CSA - « Le Parisien » le 4 septembre : « La méthode Jospin plaît (…), mais attention, ce n’est pas tout à fait l’état de grâce ! (…) Le Premier ministre est attendu au tournant de l’emploi. »

Quiconque sous-estimerait la force du besoin d’améliorations réelles, tangibles, la portée de l’attente de changement se condamnerait irrémédiablement à l’échec. Nous n’avons assurément pas l’intention de commettre une telle erreur ! Nous voulons contribuer à surmonter dans la pratique les doutes, les hésitations, les divisions dont souffre le mouvement transformateur en investissant tous les champs d’intervention possibles pour donner sa pleine force politique au besoin de changement et en faire la donnée déterminante.

2. Faire reculer le grand patronat, la droite et l’extrême droite

Vouloir contribuer à la conquête des changements souhaités par notre peuple, c’est d’abord, bien évidemment, repousser les pressions, les résistances, les oppositions qui y font obstacle. Elles ne manquent pas, et sont croissantes. Je ne pense pas utile d’y insister devant le comité national : les intérêts que ces changements nécessaires heurtent de front sont considérables.

Il n’y a pas eu besoin, si je peux dire, de leur faire un dessin pour que le grand patronat, les puissances d’argent qui sont la classe dirigeante de ce pays le comprennent. Cet été, une revue économique a évoqué « les 1 200 milliards investis en France et prêts à s’enfuir » … Les premières semaines du nouveau gouvernement ont été ponctuées de plans dits « sociaux » et de licenciements en cascade, pendant que les mesures autoritaires et les sanctions se sont multipliées dans bien des entreprises contre celles et ceux qui osent relever la tête. Partout, les organisations patronales s’organisent pour tenter de torpiller la moindre avancée sociale. Le point d’orgue de cette offensive sera l’initiative à grand spectacle du CNPF le 23 septembre, où il sera « démontré » à satiété que la réduction du temps de travail, la hausse des salaires et l’encadrement des licenciements conduiraient inéluctablement à développer le chômage…

Face à cette agressivité tous azimuts, nous attachons la plus grande importance à la riposte indispensable des salariés, des privés d’emploi, des « exclus ». Nous n’avons évidemment pas à dicter leur conduite à leurs syndicats et associations, et nous ne cherchons nullement à envenimer les choses pour on ne sait quelle raison obscure. Mais on peut être sûr que, face à chaque coup porté par les forces patronales et financières, les communistes seront de toutes les luttes sociales, de toutes les actions populaires et qu’ils contribueront à ce qu’elles soient les plus larges et les plus déterminées possibles.

Dans le même temps, nous continuerons à développer en ce domaine notre propre intervention politique. Ainsi en a-t-il été des quatre propositions que notre parti a avancées début juillet contre les plans de licenciements par la voix du secrétaire national, qui ont nourri de nombreuses initiatives.

Crise de la droite et ambitions du Front national

Sans doute doit-on noter que le grand patronat est d’autant plus conduit à combattre en première ligne qu’il lui faut pallier ce qu’il considère comme des insuffisances de ses représentants politiques.

On ne peut que le constater, en effet :  la défaite que la droite a enregistrée il y a trois mois a été pour elle un traumatisme qu’elle peine à surmonter. Les divisions, parfois haineuses, qui opposent son personnel politique en ont été avivées. Le chef de l’État, qui tente de se poser, comme ses interventions en juillet et en août le montrent, en chef de l’opposition n’est pas épargné par les critiques de son propre camp. Il est probable que sa baisse dans les sondages ne les atténuera pas.

« Faut-il ou non un parti unique de la droite ? »  « Faut-il ou non s’allier avec le Front national ? » On voit bien que ces débats qui agitent le RPR et l’UDF ne ressortent pas seulement de la tactique électorale, mais qu’ils sont de nature véritablement stratégique, identitaire. Je l’ai dit, aucune force politique ne peut désormais ignorer l’état d’esprit d’une majorité de notre peuple qui la conduit à rejeter la politique suivie jusqu’ici. Bien des dirigeants de droite se rendent compte de la grande difficulté qu’il y a à se présenter devant les Français en leur disant : « Redonnez-moi le pouvoir pour que je fasse comme Édouard Balladur ou Alain Juppé. » Mais faire différemment : comment ? et avec qui ?

En attendant d’avoir répondu à ces questions, la droite relaie la propagande du patronat. Ces trois mois l’auront vue se battre pour le respect du passage à l’euro ; pour la défense des profits des entreprises ; pour les privatisations, comme on vient de le voir à propos d’Air France. Et elle se prépare à « rebondir » dans le débat parlementaire.

Cette crise de la droite et la place qu’y prend le Front national ne jouent-ils pas en faveur de ce parti ? Celui-ci, depuis les propos de Bruno Mégret en juin, multiplie les initiatives pour montrer que, si les contentieux entre la droite et l’extrême droite sont réels, l’une et l’autre font partie d’une « même famille ». Des passerelles sont lancées. Est-ce extrapoler que de penser qu’elles sont d’ores et déjà empruntées ?

Toutes ces évolutions conduisent le Front national à céder de plus en plus au vertige de ses ambitions. C’est ainsi que, lors de son université d’été, à Orange, il a décidé de constituer « un gouvernement virtuel capable d’assurer en cas de désastre national ou d’alternative politique le gouvernement de la République » !

Plus sérieusement, on doit noter que cette réunion a été dominée par deux thèmes.

En premier lieu, la préparation des élections régionales, que l’extrême droite a espoir de transformer en nouvelle manifestation de son implantation électorale.

En second lieu, la place redevenue prépondérante de l’anticommunisme, qui constitue aujourd’hui un axe majeur de la propagande lepéniste.

Disons-le cette reconnaissance implicite – à la manière de l’hommage du vice à la vertu – du rôle que notre parti joue dans la lutte contre l’extrême droite nous honore. Nous avons réaffirmé à notre congrès notre volonté de « relever le défi lancé par le Front national à la société » et nous nous y tenons. C’est ainsi que nous avons fait de ce combat un des principaux axes de notre campagne électorale : nous avons, par exemple, été les seuls à publier une affiche anti Le Pen.

Plus que jamais, nous sommes décidés à être présents sur le terrain, dans le débat et dans l’action, pour faire reculer l’extrême droite. Nous nous réjouissons ainsi de la grande résonance qu’a eue l’initiative prise par les communistes parisiens à l’issue d’une rencontre citoyenne tenue à la fin juillet et qui se traduit aujourd’hui par l’appel d’une quarantaine d’associations à manifester le 27 septembre à Paris, jour de la fête du Front national.

La préparation des élections régionales

Puisque j’ai évoqué les élections régionales, j’en dirai quelques mots à ce moment de cette introduction.

On le sait maintenant, leur mode de scrutin ne sera pas modifié, puisque, après que le Parti socialiste a avancé l’idée de consulter les autres formations de la majorité à ce propos, Lionel Jospin a finalement tranché en y renonçant. Nous avions, en ce qui nous concerne, rappelé notre position de principe – la proportionnelle intégrale pour toutes les élections – et nous avions indiqué que nous ne saurions approuver le gouvernement s’il proposait en octobre une loi ayant pour seul objectif de modifier le mode de scrutin des élections régionales, de surcroit quelques mois avant leur tenue. Nous avons également proposé de travailler avec les autres forces de gauche et écologistes à un dispositif d’ensemble « de démocratisation et de modernisation de la République », dans l’esprit indiqué par la déclaration commune Parti socialiste-Parti communiste du 29 avril. Le Parti socialiste a proposé de reprendre cette réflexion au lendemain des élections régionales.

Cela dit, on voit bien que cette consultation va se tenir dans un contexte et avec des enjeux totalement nouveaux. Le RPR et l’UDF ont d’ores et déjà annoncé leur décision d’aller unis à cette bataille dans le but de préserver leur « capital », qui est considérable – la droite dirige actuellement vingt régions sur vingt-deux ! –, et de handicaper ainsi d’autant, sur la quasi-totalité du territoire, la politique du gouvernement de gauche. Le Front national, de son côté, par à l’assaut, comme je l’ai indiqué, avec de grandes ambitions.

Dans de telles conditions, les forces de gauche et écologistes, rassemblées dans la majorité parlementaire et au gouvernement, doivent-elles aborder cette échéance comme elles l’ont fait pour les précédentes, en se présentant chacune pour leur part au suffrage des électeurs afin de faire connaître leurs idées respectives – ce qui est fort légitime ? Ou doivent-elles se fixer un objectif nouveau, rendu possible depuis les élections législatives et devenu nécessaire à la réussite de la politique de la gauche, qui est de conquérir, puis d’exercer ensemble la direction de nombreux conseils régionaux ?

De la discussion du bureau national et de celle d’une réunion des secrétaires de comité régional, cette semaine, il ressort la proposition faite au comité national de recommander aux fédérations, auxquelles appartient la décision, de se prononcer et de s’engager résolument en faveur de larges listes d’union permettant à la gauche de gagner nombreux conseils régionaux, à la direction desquelles les communistes joueraient tout leur rôle ; permettant en tout état de cause d’élire davantage de conseillers régionaux de gauche et écologistes, parmi lesquels davantage de conseillers régionaux communistes. Une simulation mathématique à partir des élections législatives – qu’il faut donc prendre avec beaucoup de précaution, puisqu’elle ne prend pas en considération les données propres au scrutin régional – indique qu’en cas de telles listes d’union, notre parti pourrait gagner 89 sièges. Seuls 5 départements, contre 32 aujourd’hui, pourraient ne pas avoir de conseillers régionaux communistes.

Bien sûr, tout cela mérite que le comité national en discute !

En tout état de cause, il est important que les fédérations désignent et commencent à faire connaître leurs candidates et leurs candidats. De même que le caractère de la liste, cette désignation nécessite une certaine mise en harmonie au niveau régional, puisqu’il faut tenir compte des responsabilités que des conseillers régionaux communistes pourraient assumer dans l’exécutif si la gauche était majoritaire. Il s’agit également de veiller à ce que nos candidatures soient en conformité avec le projet de loi sur la limitation du cumul de mandats que le Premier ministre s’apprête à déposer à la mi-septembre.

3. Travailler à ce que s’élabore et s’applique une politique nouvelle

Bien sûr, ce rôle de force active et constructive que nous voulons jouer afin de contribuer à ce que soit répondu à l’attente de changements de notre peuple, nous devons l’exercer en saisissant toutes les possibilités offertes depuis juin, depuis la formation d’une majorité et d’un gouvernement auxquels nous participons.

Au sein de ce gouvernement, l’apport des trois ministres communistes est reconnu, et il est apprécié positivement par l’opinion. Celle-ci sent, intuitivement – et légitimement –, que certains des choix effectués sont empreints de notre démarche. Il en est ainsi, par exemple, de l’augmentation de 22 milliards de francs de la taxe sur les profits des grandes entreprises et sur les plus-values. Ou encore de la hausse sensible de l’allocation de rentrée scolaire, de la réouverture de 800 classes, de certaines dispositions du plan emploi-jeunes…

La politique actuelle n’est donc pas – c’est enfoncer une porte ouverte – la politique de la droite : nous ne sommes ni en train de subir la cure de super-austérité qu’Alain Juppé serait en train d’appliquer si l’Assemblée n’avait pas été dissoute, ni de connaître le virage ultra-libéral que Philippe Séguin et Alain Madelin imposeraient actuellement si la droite l’avait emporté en juin dernier.

Pour autant, la politique qui se dessine – c’est une autre banalité – n’est pas la reprise de nos propres choix, des propositions que nous avons avancées lors du 29e congrès et que nous continuons à considérer comme bonnes.
Je l’ai montré, le refus de la politique antérieure, l’attente de changements, d’améliorations réels sont très forts. C’est pour y répondre que le gouvernement de gauche a été formé, et c’est parce que tel est son objectif proclamé que nous y participons. Pour autant, je l’ai montré également, le flou sur le contenu et les moyens de ces changements demeure la donnée générale au sein de notre peuple. Ce paradoxe s’est, à sa manière, exprimé dans le rapport de forces électorales, qui a lui-même présidé à la constitution de la majorité et du gouvernement.

En ce qui nous concerne, nous agissons au sein de cette majorité et de ce gouvernement à partir des objectifs énoncés dans la déclaration commune du 29 avril. Nous ne la considérons pas comme un texte sacré, intangible. Elle n’est pas non plus, je l’ai dit, un programme d’action gouvernementale. Mais les grandes orientations d’une politique nouvelle que les deux partis y ont définies sont pour nous le cadre général dans lequel s’inscrit notre apport au processus qui s’est enclenché.

Être réaliste, c’est faire du neuf

Lors de la réunion de juin du comité national, nous avons mis en évidence ce que nous avons appelé « les grands défis » auxquels notre pays est confronté. Qui pourrait en nier l’existence ? Nous n’avons inventé ni l’ampleur des inégalités sociales, devant l’emploi, le revenu, le savoir, le pouvoir. Ni l’inhumanité et la violence croissantes de la société. Ni le gonflement de la croissance financière contre la croissance réelle : 7 721 milliards de francs de transaction à la Bourse de Paris en 1996. Ni l’antagonisme entre, d’une part, le besoin d’une construction européenne de progrès et d’une mondialisation de co-développement et, d’autre part, l’Europe et la mondialisation telles que les marchés financiers les pilotent.

Ces problèmes appellent des solutions. C’est ce que les Français ont exigé par leur vote. Et, puisque ce qui a été fait par les gouvernements précédents n’a cessé de les aggraver, ces décisions doivent nécessairement être nouvelles. Être réaliste, c’est faire du neuf. Voilà pourquoi, comme Robert Hue l’a indiqué lors de sa conférence de presse du 28 août, nous considérons que l’heure est à l’engagement d’une toute autre logique que celle qui a prévalu ces dernières années.

Je reprends ce qu’il a dit à ce propos :
« Il y a besoin d’engager rapidement les réformes de la fiscalité et du crédit évoquées dans la déclaration commune Parti communiste-Parti socialiste du 29 avril dernier. Ces réformes sont indispensables à la fois pour dégager les ressources publiques afin de financer les dépenses sociales nécessaires et urgentes, et pour alléger les charges financières des entreprises – notamment les PME-PMI – afin qu’elles puissent assurer le progrès des salaires, la réduction du temps de travail et une politique nouvelle de développement créateur d’emplois dans la production et les services.

Il est en même temps nécessaire d’avancer vers un véritable renversement des priorités, faisant du progrès social, de l’augmentation du pouvoir d’achat et de la réduction du temps de travail les moteurs de ce développement durable et humain, qu’ensemble les forces de gauche et les écologistes se sont fixé comme objectif.

Inséparablement, parce qu’il s’agit d’une condition de succès de ces réformes, il faut aussi avancer vers la conquête pour les salaires, les citoyens des nouveaux droits évoqués dans la déclaration commune : droit d’expression, droit à l’information sur les décisions et possibilité de peser sur les choix de l’entreprise, notamment sur ceux concernant l’emploi.

Tout ne doit ni ne peut être fait tout de suite, c’est une évidence. Mais c’est une autre évidence que, pour réussir dans la durée de la législature pour laquelle la majorité a été élue, c’est maintenant qu’il faut prendre les dispositions pour engager ces réformes profondes tant attendues.

On l’aura compris, l’objectif de cette introduction est de préciser le sens de l’attitude de notre parti et non de passer en revue l’ensemble de la politique gouvernementale. C’est pourquoi des pans entiers de celle-ci y sont traités en quelques mots, voire passés sous silence. Lundi et mardi, les parlementaires communistes vont se réunir pour jouer tout leur rôle dans les grands débats qui s’annoncent à propos de nombreux dossiers, particulièrement dans l’élaboration du budget, afin d’améliorer les projets qui seront proposés par le gouvernement.
En tout état de cause, nous sommes décidés, face à chacune des questions posées, à faire connaître nos propositions afin que des réponses réellement neuves leur soient apportées ; à faire preuve de beaucoup d’esprit inventif, constructif pour contribuer à ce que s’élabore une politique nouvelle.

Nous voulons aider à surmonter obstacles et contradictions

Nous n’imaginons pas que ces idées prévaudront d’elles-mêmes. Nous nous concevons inséparablement comme une force de proposition et comme une force d’intervention, d’initiative, pour aider les intéressés à s’emparer de toute possibilité nouvelle d’avancée et aussi à surmonter les obstacles et les contradictions qui se présentent.

Que des décisions gouvernementales soient, en effet, marquées par des contradictions ne doit pas nous étonner : c’est l’effet du rapport des forces, que j’ai évoqué. Mais en choisissant ce rapport de forces, notre peuple n’a pas pour autant choisi de subir telle ou telle disposition qui en découle.

Prenons la contradiction qui, à nos yeux, est la plus évidente, et aussi la plus lourde d’avenir : celle que nous décelons entre l’intention affirmée par le gouvernement de favoriser la croissance et l’emploi, et son engagement en faveur de l’euro.

Pourquoi « contradiction » ? Parce que, comme ne cessent de l’expliquer ses promoteurs, notamment en Allemagne, un des buts essentiels de l’euro est de répondre aux vœux des marchés financiers, de favoriser davantage encore la croissance financière. Et cela – combien d’études le montrent-elles ! – au détriment de la croissance réelle et de l’emploi. Tout récemment encore, un responsable de la Bundesbank a mis les choses au point en déclarant que « répandre l’espoir que l’union monétaire soulagera considérablement le problème du chômage, c’est faire peser de fausses promesses sur le démarrage de l’UEM ».

D’autre part – les défenseurs de la monnaie unique y insistent également –, l’abandon de la monnaie nationale, du franc, signifierait l’abandon d’un pan essentiel de la souveraineté nationale. Avec une Banque centrale indépendante des instances politiques, protégée des pressions des mouvements sociaux et des opinions, avec la discipline budgétaire renforcée par le pacte de stabilité, l’euro porte en lui une logique d’intégration politique. C’est un choix, qui touche au devenir même de la souveraineté nationale. Quand, à quelle occasion les Français ont-ils en conscience décidé d’y renoncer ?

Enfin, les problèmes sont loin d’être réglés dans les autres pays de l’Union européenne. En Allemagne, l’idée d’un report fait son chemin, en relation avec les difficultés à remplir les critères et le sentiment de l’opinion, aujourd’hui majoritairement opposé à l’euro. Et, on le sait, le gouvernement suédois vient de décider de surseoir à son entrée dans l’euro, jugeant la situation trop incertaine.

Y a-t-il une alternative réaliste, efficace à cette intégration monétaire telle qu’elle est envisagée par le traité de Maastricht ? Nous le pensons. Pour nous, le choix n’est nullement entre l’euro et le repli. Face à la guerre que se mènent les marchés financiers, nous avançons l’exigence d’une intensification de la coopération monétaire sur la base des monnaies nationales. Avec pour finalité une autre utilisation de l’argent : pour l’emploi, le cofinancement de projets communs, la réduction des inégalités de développement, la solidarité face aux États-Unis et aux attaques spéculatives, et comme point d’appui pour une réforme du système monétaire international. C’est le sens de notre proposition d’un fonds européen et d’une monnaie commune fondée sur les monnaies nationales.

Peut-être certains nous diront-ils : « Bon, vous avez vos positions, mais, enfin, les choix sont faits et c’est comme ça. » Mais qui peut décider de ces choix, sinon notre peuple ? Or, celui-ci évolue. Selon une étude réalisée en avril dernier, mais publiée cette semaine, commandée par la Commission européenne, les partisans de l’euro en France seraient passés en un an de 57 % à 49 %, ses opposants de 37 % à 44 %. « Le sentiment d’inquiétude, commente le journal “La Tribune”, progresse au fur et à mesure que l’échéance monétaire se précise, mais également, semble-t-il, au fur et à mesure que la population apparaît mieux informée » ! Ainsi, non seulement le débat n’est pas clos, mais il s’impose. Est-il abusif de penser que ce que nous avons fait avant les élections avec notre pétition n’est pas pour rien dans cette évolution ? Nous sommes décidés à poursuivre nos efforts, dans le débat et dans l’action, pour que s’engage un débat à l’échelle du pays sur les objectifs que doit se fixer la construction européenne et le contenu de sa réorientation, ce grand débat national devant déboucher – c’est notre proposition – sur une consultation du peuple français par un référendum.

Des possibilités nouvelles d’intervention

Un autre exemple des possibilités nouvelles d’intervention qui nous sont offertes, et donc de la nature nouvelle de cette intervention, est le plan emploi-jeunes.

Oui, il y a du neuf avec ce projet, qui suscite beaucoup d’espoir parmi les premiers concernés : pour la première fois, une autre logique est affirmée, qui conduit à créer 350 000 emplois à partir de besoins nouveaux existant dans le secteur public liés à l’évolution de notre société. Et, oui, il y a des ambiguïtés dans les propositions avancées, avec des dangers de dévoiements, de déréglementations possibles.

Bref, il y a des progrès incontestables et il y a des risques qui ne le sont pas moins. Eh bien, prenons cette réalité telle qu’elle est pour aider les jeunes et la population à s’en saisir afin qu’elle ne demeure pas en l’état, mais se rapproche le plus possible de leurs aspirations et des besoins du pays ! Par exemple, contribuons à une élaboration démocratique des propositions d’emplois nouveaux nécessaires, à partir d’un recensement effectué avec les intéressés des besoins dans les villes, les entreprises publiques, les établissement scolaires. Posons la question de la formation à ces nouveaux métiers ainsi que celle de leur financement. Et travaillons dès à présent à la pérennisation de ces emplois, à l’embauche définitive sous statut public.

Un dernier exemple : le débat autour des privatisations. S’il est une phrase qui a été abondamment commentée cette semaine, c’est celle de Jean-Claude Gayssot dans son interview à « L’Humanité » : « Ni privatisation ni statu quo. » De fait, de grandes entreprises publiques sont confrontées à des exigences réelles : la nécessité de coopérations étendues, internes et internationales, ainsi que le besoin, souvent important, de capitaux nouveaux. Peut-on y répondre sans privatisation, rampante ou déclarée ? Nous le pensons. On peut conclure des accords de coopérations à long terme avec des entreprises françaises ou étrangères. Des expériences de tels accords prouvent qu’ils sont plus stables et plus favorables au codéveloppement de ses protagonistes que ne le sont des prises de participation, pouvant être soumises aux aléas des marchés financiers. Quant au besoin de financements, ils n’impliquent pas non plus l’appel à ces marchés financiers, avec toutes les pressions qui en découlent sur l’emploi, si on prend des mesures nouvelles en faveur du crédit. On peut, d’autre part, envisager la possibilité d’autres actionnaires publics. Enfin, si on parle d’« ouverture » des entreprises publiques, ne doit-elle pas d’abord être l’ouverture à l’intervention et au contrôle des salariés et des populations ?

Ce sont toutes ces idées et ces propositions que nous soumettons aux intéressés afin de contribuer à ce que le débat nécessaire qui s’est engagé permette de déboucher sur des solutions se dégageant réellement de la logique ancienne, des dogmes du « libéralisme ».

Je pourrais continuer avec d’autres exemples de nos interventions. Il en est ainsi à propos des projets de loi en cours d’élaboration sur l’immigration et le code de la nationalité, à propos desquels nous rappelons notre exigence d’abrogation des lois Pasqua, tout en soulignant les avancées importantes que contiennent d’ores et déjà ces projets. Ou des idées avancées par « L’Humanité » dans l’optique de la conférence sur l’emploi, les salaires, la réduction du temps de travail. Ou de la décision que nous avons prise de constituer une commission nationale chargée de contribuer à l’intervention citoyenne dans les entreprises, les services publics, les localités sur les questions du financement. Ou encore de la contribution qui doit être la nôtre dans la préparation des Assises de la santé, ou vis-à-vis des projets qui s’élaborent dans l’Éducation nationale.

Pas un terrain que nous voulions négliger

Notre ambition est donc claire : il n’est pas un terrain que nous voulions négliger pour faire entendre notre voix de Parti communiste, de parti de la transformation de la société. Nous le faisons en prenant la réalité telle qu’elle est pour contribuer à la faire évoluer dans le sens des changements espérés par notre peuple ; en faisant valoir les besoins et les aspirations populaires dans le débat à gauche afin que celle-ci réponde à ce qu’on attend d’elle ; en travaillant à une dynamique sociale et politique neuve qui conditionne la réussite d’une politique nouvelle.

II. Une initiative marquante, « stratégique », du Parti communiste : la création d’espaces citoyens

C’est afin de favoriser cette dynamique politique que le bureau national a avancé l’idée – que j’ai eu l’occasion d’exposer dans « L’Humanité » le 29 juillet – de la création à l’initiative des communistes de lieux nouveaux de débat, de solidarité, d’action, ce que nous proposons d’appeler des « espaces citoyens ».

La création de ces espaces « colle » à l’évidence aux besoins politiques d’aujourd’hui ; elle n’est pas pour autant la conséquence. On peut penser que, même si la situation n’était pas celle que nous connaissons désormais, notre parti aurait été conduit, par son évolution même, par le développement de sa mutation, à prendre une initiative de ce type, permettant de donner davantage d’ampleur et de force à sa démarche citoyenne. Il s’agit, en effet, d’une décision d’ordre stratégique, et il n’est sans doute pas inutile de s’en expliquer.

Une culture communiste de la démocratie

Cette démarche citoyenne, qui est au cœur de notre mutation, prolonge et donne un sens nouveau au choix que nous avons fait il y a plus de vingt ans en faveur de la démocratie. En affirmant que « la démocratie, la liberté, c’est aujourd’hui le terrain principal du combat de classe », notre 22e congrès de 1976 a engagé un processus de réévaluation global de ce que fut l’identité communiste. Car l’histoire a voulu que les valeurs de la République, de liberté, de citoyenneté, d’État de droit, et celles liées au mouvement ouvrier, à la transformation sociale aient été longtemps séparées. Les mettre en relation intime, jusqu’à placer la démocratie au cœur du combat de classe, a entraîné au long de ces années tout à la fois l’abandon de certaines des notions les plus constitutives de notre ancienne identité communiste et des prises de position constituant de réelles avancées.

Par exemple, en 1977, dans un texte solennel que nous avions remis à la CFDT qui précisait notre Déclaration des libertés de 1975, nous écrivions : « Nous voulons que les citoyens exercent le pouvoir. Il s’agit d’inverser l’évolution historique qui a concentré la décision politique entre les mains d’une « élite » (…). Il s’agit d’en finir avec toute forme de pouvoir éloignée des citoyens et de ramener les centres de décision au plus près des intéressés (…). Il s’agit de favoriser l’initiative et l’intervention des citoyens dans les affaires publiques à tout niveau. » Durant toutes ces années, nous avons publié de nombreux textes traitant de notre volonté d’accroître toutes les libertés. Nous avons repris à notre compte la notion d’autogestion, dont nous avons fait un qualificatif de notre projet socialiste d’alors. Nous avons formulé des propositions institutionnelles permettant des progrès sensibles de la participation des citoyens et de la démocratie directe. Nous nous sommes donné une conception large des droits de l’homme et avons mené de grandes actions en sa faveur – pour Mandela, comme pour plusieurs prisonniers politiques dans les pays de l’Est. Depuis dix-sept ans, le Comité des droits de l’homme, que préside Georges Marchais, agit, intervient, parfois avec discrétion, en d’autres cas avec retentissement, dans le souci de l’efficacité maximale. L’importance que nous accordons aux valeurs dont il est porteur va lui permettre de s’engager dans un renouvellement de son activité en vue du développement de celle-ci.

Lorsque nous parlons de démocratie, de citoyenneté, cela ne signifie donc pas que nous venons de découvrir ces notions, que nous venons de naître à ces valeurs. Les communistes ne pourraient pas en faire aujourd’hui le cœur de leur pratique politique si une véritable culture communiste de la démocratie n’avait pas grandi depuis vingt ans en contradiction avec notre ancien modèle de pensée.

Mutation du parti et démarche citoyenne

Et pourtant, notre démarche d’avant le 28e congrès n’était pas celle d’aujourd’hui. Pourtant, c’est avec raison qu’il faut parler de mutation à propos de la place que nous accordons à l’intervention citoyenne dans notre stratégie.

Cette intervention élargie était notre but, une des dimensions du socialisme démocratique pour lequel nous militions qui se construirait par l’adoucissement des possibilités d’action de chaque individu. C’est aujourd’hui – on comprend qu’il s’agisse d’une différence essentielle – le moyen, à nos yeux, de toute possibilité de pas en avant.

Ce qui nous a conduits à ce changement, c’est avant tout la recherche de réponses nécessairement différentes aux questions qui font que nous sommes le Parti communiste : « Quelle est la voie adaptée à notre époque pour mener à la transformation sociale, au dépassement du capitalisme ? Quel levier employer pour que notre peuple puisse se rassembler afin de peser efficacement sur la réalité et la transformer ? »

Des « réponses nécessairement différentes », parce que l’expérience a mis en valeur cette nécessité.

Expérience de la chute des pays de l’Est, qui nous a enseigné que la condition, pour que les événements ne se retournent pas contre les intéressés, est que ceux-ci en aient à tout moment la maîtrise et le contrôle.

Expérience de la crise de la politique et de la citoyenneté dans notre pays, qui n’a naturellement pas épargné notre parti.

Expérience, enfin, que les militantes et les militants communistes ont faite à partir de la fin des années quatre-vingt au sein du parti, qui a donné un autre sens à la notion de souveraineté et d’intervention de chaque adhérent, jusqu’à rendre possible le dépassement du centralisme démocratique.

C’est l’ensemble de ces efforts et de ces expériences qui nous a amenés à considérer il y a trois ans et demi, au 28e congrès, que le moyen efficace de changer les réalités politiques en faveur du peuple est « la promotion de la capacité d’intervention de chaque individu ». Nous en avons fait la règle de notre action, la base de chacune des initiatives que nous avons prises depuis lors et notamment depuis que nous avons lancé l’idée du Pacte unitaire pour le progrès. On peut rappeler les principes d’entre elles : les forums pluralistes du début 1996, qui ont incontestablement introduit du neuf dans la vie politique française : les rencontres publiques que nous avons organisées à la fin 1996 dans la préparation du 29e congrès pour l’ouvrir davantage sur la vie ; les assises pour le changement, à peine ébauchées ; enfin, sur la lancée de la consultation des communistes quant à la participation au gouvernement, les rencontres citoyennes dont nous avons décidé la tenue lors de notre dernière réunion.

Nous avons conçu ces rencontres avec l’objectif non pas seulement d’avoir un échange de vues sur la formation du nouveau gouvernement et sur ses premières décisions, mais de proposer aux citoyens d’être parties prenantes de la construction des changements auxquels ils aspirent. C’est pourquoi nous les avons conçues comme participant d’un mouvement général, national, et engageant un processus appelé à se développer.

Le bilan qu’on peut faire de cette initiative est encourageant. On en a déjà fait état. 837 rencontres tenues en juin et juillet, avec une participation allant de quelques dizaines à plusieurs centaines de personnes. Un intérêt marqué pour la discussion des questions politiques essentielles. Une satisfaction exprimée à l’égard de notre volonté d’engager une nouvelle façon de faire de la politique, associant à part entière les citoyens. Une disponibilité à poursuivre en ce sens.

Créer puis faire vivre un élément nouveau dans le paysage politique français

Nous proposons, avec la création des espaces citoyens, de répondre à cette demande en amplifiant cette démarche engagée. De nous donner pour ambition de créer, puis de faire vivre durablement un élément nouveau dans le paysage politique français : un lieu désormais offert aux citoyens pour déployer leur intervention et la rendre plus efficace.

Bien sûr, nous n’avons pas la prétention d’occuper la totalité de l’espace public : il s’agit d’initiatives du Parti communiste, avec les forces qui sont les siennes. Mais, c’est vrai, nous considérons qu’au sein de cet espace public, la place occupée par les forces du conformisme et de la résignation est bien trop importante. Nous voulons fonder un lieu nouveau à la disposition de celles et ceux qui aspirent à de réels changements et souhaitent agir ensemble en leur faveur. C’est à elles et eux que nous nous adressons, dans une démarche d’ouverture et de rayonnement, ce qui implique tout à la fois que toute la population du « territoire » concernée soit informée de la tenue de chaque réunion, puis de ce qui y sera débattu et décidé ; et aussi, que le caractère et les objectifs de cette initiative soient clairement précisés.

Écartons d’avance tout malentendu. Personne n’a à l’esprit de considérer ces espaces comme une sorte d’entonnoir par quoi devrait désormais passer toute l’activité communiste ! Ni la vie de notre parti, ni son activité, ni même son action pour favoriser l’intervention citoyenne ne vont se réduire à la seule animation de ces lieux nouveaux.

Personne n’imagine non plus ce qui va s’y construire va fournir la clé miraculeuse qui ouvrira toutes les portes aujourd’hui fermées ! La dynamique sociale et politique que nous voulons favoriser suppose des efforts et des initiatives diversifiées.

L’impact potentiel des espaces citoyens

Pour autant, mesurons l’impact potentiel de cette proposition. Elle prend de front, pour lui donner une issue possible, ce qui est à la base de la crise de la politique et de la citoyenneté, à savoir la demande de plus en plus pressante des individus d’avoir la maîtrise des décisions qui les concernent.

La droite est naturellement particulièrement concernée par cette crise et les exigences dont elle témoigne. Sa condamnation, les 25 mai et le 1er juin, exprime tout à la fois le refus d’une politique et la sanction d’une façon de gouverner faite d’arrogance, de reniement des engagements et de mépris ; de la « méthode Juppé », pour parler vite. Ce problème est très grave pour la droite, car il lui faudrait, pour lui apporter des réponses nouvelles, dépasser une façon d’être qui colle à la peau de son personnel politique. Celui-ci vit quotidiennement, pour y adhérer, la concentration des richesses et des pouvoirs qui est le propre de la classe dominante. On lui a appris que, « par nature », la direction du pays ne peut qu’être exercée par une élite qui doit savoir expliquer ses décisions aux citoyens. Que ceux-ci demandent non pas d’être éduqués, mais d’avoir voix au chapitre est pour la droite totalement inintelligible. Il y a là pour elle une vraie difficulté de retard culturel au regard des aspirations d’aujourd’hui.

Le Parti socialiste est bien davantage conscient de ce problème. Pour lui aussi, le désaveu dont il a fait l’objet au début des années quatre-vingt-dix a été dû non seulement à la politique qu’il a menée au gouvernement, mais aussi à son comportement au pouvoir. Depuis que Lionel Jospin a accédé à la direction du Parti socialiste, il s’emploie à modifier cette image. Lors de l’université d’été de son parti, le 31 août, il a exposé l’« autre façon de gouverner » qu’il préconise : « un gouvernement où l’on débat », « un gouvernement qui dialogue pour agir ». Le 3 juillet, sur France 2, il avait ainsi indiqué que cet échange avec le pays permettrait de « trancher », « s’il fallait faire un choix plutôt dans un sens que dans l’autre ». Cette méthode, qui demande bien sûr des actes pour être perçue par les Français, est incontestablement différente de celle de la droite. Elle ne va pas, toutefois, jusqu’à faire procéder les décisions du débat citoyen. Des municipalités à direction socialiste offrent à celui-ci une possibilité d’exister, au moyen de comités de quartier. Mais son prolongement possible ne déborde pas, alors, le cadre local. Nous proposons tout autre chose : des lieux qui soient des lieux de proximité, où il n’est bien sûr pas exclu qu’on traite des problèmes locaux, mais où la possibilité soit offerte aux individus de débattre et d’agir sans instances intermédiaires à propos du plus haut niveau, national et européen. Des lieux où les choix politiques les plus essentiels soient imaginés ou appréciés à partir de la vie réelle.

J’y insiste, cette question de la place accordée ou non aux citoyens dans la prise de décision et dans l’exercice du pouvoir, nous ne la posons pas arbitrairement. Cette demande s’exprime dans la société : selon un sondage récent, 83 % des gens souhaitent être davantage associés aux décisions. N’en avons-nous pas fait l’expérience dans nos rencontres citoyennes : dans près de la moitié d’entre elles, la fermeture annoncée de Superphénix est venue en débat. Et cela, non pas parce que leurs participants étaient a priori passionnés par ce sujet, mais parce qu’ils avaient été choqués de l’absence de concertation qui a entouré ce choix. La perception de la légitimité d’une décision est aujourd’hui étroitement liée à la méthode – démocratique ou non – au moyen de laquelle elle est prise.

Moins que jamais, un bon contenu et un moyen de transmission efficace suffisent par eux-mêmes à faire partager une idée. La formation de l’opinion – et singulièrement d’une opinion progressiste, transformatrice – est beaucoup fonction des échanges et des expériences personnelles qui conduisent à ce qu’on s’approprie ou non cette opinion. Les grévistes de 1995 ne l’ont-ils pas vécu ainsi ?

Telle est la portée des espaces citoyens. Des lieux proches des citoyens, qui leur soient accessibles – à l’échelle d’une ou de plusieurs entreprises, d’une localité ou d’un quartier de grande ville – permettant d’inaugurer un nouveau type de vie et d’intervention démocratiques, que nous proposons, comme nous l’avons dit, de concevoir comme des lieux de débat, de solidarité et d’action.

Des lieux de débat, de solidarité, d’action

Des lieux de débat. Le besoin de libérer la parole, la soif de communication vraie sont très forts. Il s’agit de donner l’occasion aux citoyens d’exprimer librement leur opinion, de formuler leurs exigences, d’accéder à des informations qui contribuent à leur réflexion, et ainsi d’échanger leurs idées, leurs connaissances, leurs expériences, dans un rapport de respect mutuel et d’égalité, de progresser vers la construction de réponses politiques neuves. Bien sûr, les communistes n’ont pas l’intention de participer de façon neutre à ces débats, mais d’y contribuer, dans leur diversité, avec leurs idées et leurs propositions.

Des lieux de solidarité. La crise de la citoyenneté, c’est aussi l’isolement, la détresse, le désarroi. Modifier les réalités dans le sens de la justice et la dignité, c’est faire tout ce qui est possible tout de suite en ce sens : nouer ou renouer des relations humaines, retisser le lien social par la fraternité, établir des rapports nouveaux avec les militants du mouvement associatif. Exercer ce que notre congrès a appelé une « fonction communiste nouvelle ».
Enfin, des lieux d’action. Comme l’écrit, avec ses mots, Dominique Wolton, « aujourd’hui, le citoyen est un géant en matière d’information et un nain en matière d’action ». “À quoi bon savoir tout sur tout si je ne peux rien faire ?” D’autant qu’en un demi-siècle se sont effondrées les structures militantes, associatives, syndicales, politiques qui donnaient au citoyen le sentiment de pouvoir agir. L’individu se retrouve face à la société. Le problème central, pour l’avenir de la démocratie de masse, reste celui de l’action politique ». Le but de ces espaces est de favoriser l’intervention des citoyens, ce qui suppose que soient prises des décisions, de prolonger le débat par des initiatives, des propositions d’action dont on examine ensemble les modalités. Nous avons déjà un exemple parlant, avec l’idée lancée à la rencontre de Paris à propos de la fête du Front national, des prolongements possibles de telles décisions d’actions.

Je résume. Des lieux de proximité immergés dans la vie, la société civile, le mouvement social ; instituant une relation directe entre individus et décisions politiques ; à l’initiative d’un parti dont on sait que la raison d’être est la transformation de la société et qui a fait la preuve de sa volonté d’encourager la démocratie directe, le travail citoyen… J’ai parlé d’impact possible de cette initiative : on peut l’imaginer quand on connaît l’importance prise dans la société par les valeurs et les aspirations auxquelles elle fait écho.

Des dispositions vont devoir être prises, sans lesquelles on ne saurait imaginer de dynamique politique d’ensemble, afin que ce qui se dira et se décidera dans ces espaces « remonte », soit relayé, connu dans les autres espaces. Cette interaction impliquera l’établissement de procès-verbaux, de comptes rendus et une coordination aux niveaux départemental, régional, national avec des initiatives inspirées de la même démarche prises à ce niveau. Ne peut-on imaginer que l’« Humanité dimanche » soit ainsi le trait d’union permettant cet échange d’idées et d’information ?

Nous le pressentons, la création puis la vie de ces espaces vont introduire du neuf dans la vie même de notre parti. L’expérience de relations inédites que les communistes vont établir avec d’autres, en s’associant à la fondation, à l’activité, à la coordination de ces espaces, va nourrir notre pratique politique d’aujourd’hui. Leurs débats et leurs décisions vont donner un aliment supplémentaire à l’activité de nos cellules, à l’intervention de nos élus, relais des exigences qui se dégageront. Nos propositions vont gagner en efficacité en étant soumises à la réflexion et à l’échange dans ces lieux nouveaux, et, pourquoi pas ? en y étant élaborées et formulées. Parmi ces propositions, nous avons à réfléchir à des dispositions institutionnelles permettant en tout domaine d’élargir le pouvoir d’intervention et de décision des citoyens.

Enfin, du neuf dans la vie du parti, ce sont les efforts politiques importants qui vont être demandés aux militants et aux directions à tout niveau pour contribuer à la création puis à la vie régulière de ces espaces, à la qualité de leurs échanges d’idées, à l’efficacité de leurs actions, à leur expression publique, à leur coordination. Ce n’est pas hors de notre portée ; mais ne nions pas que cela demande des dispositions précises, qui ne se décideront pas d’elles-mêmes. Nous aurons sans aucun doute à y revenir, sur la base de nos premières expériences, dans les semaines, les mois qui viennent.

Assurer un très grand succès de la Fête de l’humanité

Cet engagement des directions – je n’apprendrai rien au Comité national – est également particulièrement indispensable pour contribuer à ce que, jusqu’à vendredi, samedi prochains, des initiatives publiques et en direction des adhérents du parti se développent afin d’assurer un très grand succès de la Fête de l’humanité.

La possibilité nous en est offerte. Car, au-delà de celles et ceux qui sont venus à la Fête ces dernières années, beaucoup d’électrices et d’électeurs de gauche, de jeunes sont disponibles pour y participer, souvent pour peu qu’on leur pose la question, voire que l’information leur parvienne. On mesure tout le positif que peut permettre, pour eux comme pour nous, cette rencontre avec les communistes tels qu’ils et elles sont. Et l’importance politique exceptionnelle, en vue de toutes les échéances à venir, que peuvent revêtir un tel rassemblement et les actes politiques qui le marqueront : le discours de Robert Hue, les multiples débats qui se succèderont, la tenue d’un espace où les dirigeants nationaux du parti seront à la disposition des visiteurs qui souhaiteront dialoguer avec eux.

Ce succès est à notre portée. Il est, bien sûr, conditionné par la préparation de la Fête, la diffusion de la vignette. Du point fait avant-hier se dégage le constat d’une accélération : la semaine qui vient de s’écouler a été, dans l’ensemble, meilleure que la même semaine de l’an dernier. Il s’agit donc, partout, de prendre les dispositions pour continuer, accentuer ce mouvement dans la dernière semaine.

La Fête est celle de nos journaux. Je rappelle que nous avons décidé d’organiser un grand et profond débat dans le parti sur ce que nous attendons de « L’Humanité » et de l’« Humanité dimanche », ainsi que sur nos efforts de diffusion. Dans la perspective du prochain comité national, qui en débattra, il nous faut donc veiller à prendre rapidement les initiatives fédérales ou de section nécessaires.

Algérie : solidarité

Permettez-moi un ajout dans ce rapport, qui se rapporte à la situation de l’Algérie.

Nous les savons, l’horreur y succède à l’horreur : des femmes, des enfants, des familles entières suppliciées, égorgées par centaines, victimes du terrorisme intégriste.

Pour exprimer notre engagement auprès du peuple et des démocrates algériens, nous envisageons plusieurs initiatives. Tout d’abord, un rassemblement de solidarité sera organisé, lors de la Fête de l’humanité, le samedi à 18 heures, devant la scène de l’espace international. Ensuite, nous proposons plusieurs initiatives complémentaires afin d’exprimer notre solidarité avec les forces de résistance en Algérie et avec les Algériens en France, pour refuser la banalisation de l’intégrisme, pour faire grandir l’exigence d’une politique de coopération franco-algérienne.

Le Bureau national pense qu’on ne peut pas s’en tenir là. Ne faut-il pas décider qu’une délégation de notre parti se rende bientôt en Algérie afin de rencontrer l’ensemble des forces de résistance dans ce pays, puis de rendre compte publiquement au retour ? Une initiative culturelle large, en région parisienne et dans quelques grandes villes, pourrait aussi être organisée, ainsi que l’édition d’une carte postale à faire signer largement et à envoyer en Algérie.

Nous nous tiendrons, aujourd’hui comme hier, au côté du peuple algérien.

À la fin des travaux du Comité national, Jean-Paul Magnon a proposé que le prochain Comité national, qui a à son ordre du jour la question du travail de la direction et celle de « L’Humanité », soit préparé, sur le premier point, par un collectif qui serait chargé de rédiger un pré-rapport aux alentours du 22 septembre. Celui-ci serait ensuite transmis à chaque membre du Comité national, qui sera également invité à envoyer sa propre contribution avant la session des 10 et 11 octobre. Ce collectif est composé de : Sylviane Ainardi, Richard Béninger, Alain Blanchard, Bernard Calabuig, Jean-Claude Danglot, Brigitte Dionnet, Martine Durlach, Denis Duvot, Richard Gispert, Manuela Gomez, Dominique Grador, Francette Lazard, Jacques Le Digabel, Jean-Paul Magnon, Roger Martelli, Claude Pondemer, Jacques Tibéri et Bernard Violain.

Nicolas Marchand a alors pris la parole pour indiquer qu’il lui semble difficile qu’un débat approfondi ait lieu sur deux questions en deux jours. Robert Hue a marqué son accord avec cette préoccupation, proposant que le Comité national des 10 et 11 octobre soit exclusivement consacré à l’examen du travail de la direction ; une autre session ayant lieu quinze jours plus tard sur « L’Humanité ».