Texte intégral
C. Poznanski : La France sera an rendez-vous de l’euro » a déclaré Lionel Jospin devant les ambassadeurs de France. Est-ce que cela n’est pas un peu trop d’optimisme et sur quoi est-il fondé ?
Pierre Moscovici : Il est fondé sur trois choses : d’abord sur une volonté politique qui est claire. C’est fondamental de faire l’euro aux Etats-Unis – la monnaie dominante, la puissance dominante. Je crois que cette volonté est fondée sur des réalités : la réalité, c’est que la croissance, semble-t-il, reprend Dominique Strauss-Kahn, qui n’est pas homme à annoncer des choses à la légère, nous dit qu’on sera entre 2,8 et 3 % l’an prochain. Il y a un mieux qui provient à la fois de la consommation, de l’investissement – je l’espère – et de l’exportation. Et puis troisièmement, il y a les mesures que le Gouvernement a pris en matière budgétaire. A la fois des mesures pour 1997 après l’audit des finances publiques, relever temporairement l’impôt sur les sociétés, des entreprises qui ont un bénéfice substantiel et puis le projet de loi de finances 1998 qui, lui, va prévoir une maîtrise de la dépense publique au niveau de l’inflation. C’est-à-dire à peu près 1,5 %. Tout cela doit permettre à la France de se qualifier haut la main pour l’euro en étant à 3 % en 1998. Je pense moins. »
C. Poznanski : Le plus nombreux possible d’Etats, c’est-à-dire ?
Pierre Moscovici : Vous savez, pour que l’euro soit la monnaie de cette Europe puissante que j’évoquais, que le Président de la République d’ailleurs a évoquée, lui-même, face aux Etats-Unis, il faut que l’euro soit fait sur une base large. ET je crois que des pays qui accomplissent des efforts exceptionnels en matière de finances publiques, qui mènent des politiques courageuses – je songe à l’Italie – devraient avoir leurs chances de se qualifier.
C. Poznanski : Comment concilier l’indépendance de la Banque central européenne et le renforcement de la coopération économique et monétaire ?
Pierre Moscovici : Je crois qu’il n’y a pas de contradiction. Vous savez, la Banque centrale européenne sera un instrument indépendant mais en même temps fédéral. Il y aura autant de voix que de pays qui appartiendront au Conseil de la Banque centrale. Je crois que, tout naturellement, en face, pas pour la contrebalancer mais pour dire au fond quelle va être la politique économique de l’Europe et quelles vont être les politiques économiques suivies par chacun des Etats, il faudra bien qu’il y ait une instance politique. Et cette instance politique, c’est un pôle de coopération économique qui est d’ailleurs prévu par le traité, c’est l’article 103 du traité Dominique Strauss-Kahn, avec les ministres des Finances, est en train de travailler pour qu’au Conseil européen du Luxembourg en décembre on remette au fond, l’Europe sur ses deux pieds. La Banque centrale et la monnaie, mais aussi des politiques économiques plus volontaires pour la croissance et je n’oublie pas le Conseil européen du Luxembourg, celui-là en novembre, sur l’emploi qui est fondamental.
C. Poznanski : Justement, qu’est-ce que vous en attendez ? Il y a quand même un changement de climat. Il y a trois mois, il y avait une tension très vive. Vous-même, vous disiez qu’on pouvait aller jusqu’à la crise au moment du pacte de stabilité, et puis aujourd’hui tout va bien ?
Pierre Moscovici : Je crois que les choses progressent, Lionel Jospin était hier à Bonn, voir Helmut Kohl. Je le voyais tout à l’heure à la rencontre des ambassadeurs : cela s’est passé exceptionnellement bien. Vous savez, avec les Allemands, il faut nouer une relation de confiance, une relation personnelle et l’entretien entre Kohl et Jospin, cela s’est passé comme cela. Ils ont commencé, je crois, par parler plus de trois quarts d’heure de leurs histoires personnelles, de leurs histoires politiques, faire connaissance personnellement et ensuite ils se sont livrés à un très large tour d’horizon. D’où il est ressorti, notamment, une très forte convergence sur l’euro, une volonté d’aller ensemble sur l’emploi et puis un passage en revue des problèmes européens. Tout cela fait qu’aujourd’hui la France et l’Allemagne parlent de façon assez proche.
C. Poznanski : Mais dans le passé les premiers ministres allaient plus vite voir en tête-à-tête le Chancelier Kohl. Là, il a fallu attendre le 27 août pour qu’il y ait cette prise de contact.
Pierre Moscovici : Et même le 28 août. Mais c’est assez logique en même temps. Il fallait que l’on installe notre politique économique et pour ça, il fallait notamment connaître la situation – l’audit des finances publiques n’était pas une manœuvre politique, c’était quelque chose d’indispensable – et puis après il y a eu les vacances. En Allemagne, les vacances c’est quelque chose. Le Chancelier n’était pas là. Lionel Jospin souhaitait y aller plus tôt. On lui a fixé cette date-là et ça tombe à pic parce que maintenant on voit bien qu’il y a une crédibilité de la politique française ; que nous sommes à la fois en train de lutter pour l’emploi ; que nous luttons pour l’emploi en France ; que nous luttons pour l’emploi en Europe. Et de ce Conseil européen au Luxembourg j’attends, par exemple, qu’à travers la Banque européenne d’investissements il relance les projets pour les PME, sur la recherche, sur l’éducation.
C. Poznanski : Ce Conseil extraordinaire sur l’emploi n’est-il pas un geste des Allemands juste pour nous faire plaisir, sans mesure et sans décision ?
Pierre Moscovici : Non, il faudra qu’il y ait des conclusions opérationnelles qui en sortent. Nous avons fait des propositions à la présidence luxembourgeoise – qui est extrêmement dynamique, présidée par M. Junker, qui est un chrétien-démocrate très vigoureux et avec une tonalité sociale très forte -, il faut qu’il en sorte des résultats. Pour nous, c’est quelque chose de fondamental. Donc, il y a l’emploi et en même temps il y a la construction européenne, deux choses qui ne s’opposent pas. Imaginez ce qui se passerait si l’Europe ne se faisait pas. Si l’euro ne se fait pas, il n’y a plus de perspective historique pour l’Europe. C’est quelque chose de fondamental. D’ailleurs, le fait qu’on s’en inquiété, par exemple aux Etats-Unis, est plutôt un bon signe.
C. Poznanski : Vous dites « Confiance entre la France et l’Allemagne », mais est-ce qu’il n’y a pas aussi un changement dans le rapport de force ? Le Chancelier Kohl est quand même plus affaibli qu’avant les vacances ?
Pierre Moscovici : Moi ce qui me frappe, c’est que j’aimerais que nos compatriotes rentrent de vacances en se disant que la France ne va pas si mal. La France ne va pas si mal sur le plan économique. La France ne va pas si mal sur le plan politique, elle a la stabilité.
Elle a un Gouvernement qui, je crois, a empoigné vraiment les problèmes. Elle a un Premier ministre qui a changé de méthode, qui essaie vraiment d’installer une pratique beaucoup plus démocratique dans le pays, de dialogue avec les Français et tout ça fait que, du point de vue français, il y a une crédibilité, une stabilité. En Allemagne, il y a peut-être des problèmes politiques. En même temps Helmut Kohl est une formidable bête politique et puis surtout, il a un projet historique, c’est faire l’euro. Donc ne nous occupons pas des rapports de force. Simplement ce que je constate c’est qu’aujourd’hui, y compris dans la presse allemande, il y a beaucoup moins de doute. On ne dit pas : que vont faire les socialistes ? On voit bien que les Français – tous les Français – le Gouvernement français, le Président de la République veulent faire l’euro et que l’euro se fera.
C. Poznanski : Comme Hubert Védrine, vous dites qu’il n’y a pas le moindre nuage entre le Président et vous ?
Pierre Moscovici : Pour ce qui concerne le domaine que je partage avec Hubert Védrine, c’est-à-dire les Affaires étrangères, on constate effectivement que dans huit cas sur dix, nous sommes spontanément d’accord et que dans les deux autres, jusqu’à présent, il n’y a pas eu de difficultés. Cela dit, la vie politique reprendra ses droits. Elle reprendra ses droits avec une opposition qui finira bien quand même par rentrer. Elle reprendra sans doute un jour ses droits avec le Président de la République, mais pour l’instant profitons de cette capacité à avancer ensemble.
C. Poznanski : Jack Lang disait qu’il ne signerait pas le Traité d’Amsterdam parce qu’il voulait l’élargissement après l’accord sur les nouvelles institutions.
Pierre Moscovici : Qu’il faille effectivement réformer les institutions européennes me paraît quelque chose d’incontestable, je l’ai redit hier aux ambassadeurs. Il faut un préalable institutionnel à l’élargissement. Ça c’est vrai et, de ce point de vue-là, Amsterdam est une déception ; personne ne l’a caché. Il ne faut pas pour autant en tirer la conclusion qu’en tire Jack Lang. Il faut ratifier Amsterdam. Voilà un traité qui a été négocié par la France, qui a été adopté dans un Sommet où il y avait Jacques Chirac et Lionel Jospin. Il va être signé par le ministre des Affaires Etrangères français d’ici un mois, donc soyons sérieux, la parole de la France est quand même engagée.
Mais en même temps il faudra reprendre la démarche et sur les institutions, là, Jack Lang a raison. Il faudra effectivement compléter ce Traité d’Amsterdam, une fois qu’il sera signé par autre chose qui permettra d’avoir une Europe qui soit gérable. Parce que, même pour les pays qui veulent adhérer à l’Europe, si celle-ci a des institutions qui ne fonctionnent pas ils ne viendront pas. Il faut une Europe forte, une Europe qui marche. Une Europe qui marche suppose aussi une Europe politique. »
C. Poznanski : Lionel Jospin, devant les ambassadeurs, a parlé de décision importantes pour les industries de Défense. On pense bien sûr à Thomson et à l’Aérospatiale. Quand et comment ?
Pierre Moscovici : Le Gouvernement travaille mais ce que Lionel Jospin a voulu dire, c’est que les Américains ont procédé, dans leur industrie à des restructurations essentielles ; que ce sont nos concurrents ; qu’on ne peut pas les laisser dominer tout ça et que la réponse doit être européenne. Il a pu constater hier avec le Chancelier Kohl, que c’était une préoccupation forte voire une demande des Allemands. Il a pu constater il y a une semaine, avec Tony Blair, que les Anglais étaient intéressés donc attendons-nous à ce que les choses bougent et à ce que l’Europe s’organise enfin dans le domaine des industries d’armement.