Interviews de Mme Véronique Neiertz, secrétaire d'État chargé des droits des femmes et de la vie quotidienne, dans "Le Parisien" et à Europe 1 le 18 janvier 1992, sur sa proposition d'installer des distributeurs de préservatifs dans les lycées et son souhait d'allonger le délai légal pour une IVG.

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Média : Le Parisien - Europe 1

Texte intégral

Le Parisien : 18 janvier 1992

Le Parisien : Aucune intervention de commandos anti-IVG n'a, à ce jour, abouti à une condamnation pénale. Pourquoi ?

Véronique Neiertz : Face à ces commandos anti-IVG, qui débarquent dans un hôpital pour empêcher tout avortement, il y a deux stratégies possibles. La première consiste à minimiser leur action, puisque tout cela est manifestement fait pour attirer l'attention. Autant donc en parler le moins possible et ne pas jouer le jeu. L'autre attitude, la mienne en l'occurrence, c'est qu'il faut absolument réagir, donner des recommandations concrètes au personnel concerné, infirmières et directeurs. Nous avons créé un groupe de travail pour réfléchir autour de la notion de « voies de fait », qui permettrait de les condamner : il y a bien agression et paralysie du service public. La loi doit être appliquée devant ces fanatiques, ces intégristes religieux, ces fascistes au sens lepéniste du terme. N'a-t-il pas qualifié l'IVG de « menace intérieure » ? Tout cela me rappelle Vichy.

Le Parisien : Pourquoi une telle pénurie de personnel dans les services d'IVG ?

Véronique Neiertz : Il y a sûrement un problème, notamment pendant les vacances. Mais les hôpitaux sont en mesure d'accueillir tout le monde. Je suis personnellement favorable à un allongement du délai légal pour l'avortement (douze semaines aujourd'hui), ce qui aurait l'avantage de ne plus envoyer autant de femmes à l'étranger. Malheureusement, le climat n'est pas très propice à une telle modification... Mieux vaut développer avant tout la contraception.

Le Parisien : Les préservatifs, justement, comment en augmenter l'usage ?

Véronique Neiertz : Je suis favorable à l'installation de distributeurs de préservatifs partout, dans tous les lieux publics ! Y compris dans les lycées. Quant à leur prix, il devrait être nettement plus bas. La gratuité ? Ce n'est peut-être pas la solution, notamment parce qu'il faut un coût symbolique à toute chose. Mais pourquoi ne pas abaisser leur prix à 1 F pièce par exemple ?

Et puis, d'ici à un mois et demi, le nouveau préservatif féminin sera disponible en France. C'est important, car les filles doivent elles aussi se sentir concernées. Avant la fin du premier semestre d'ailleurs, une campagne d'information sur la contraception auprès des très jeunes sera lancée. Ce sera une première.


Europe 1 : 18 janvier 1992

S. Attal : Vous suggérez la mise en place de distributeurs de préservatifs dans les lycées. Pourquoi ?

V. Neiertz : D'abord, ce n'est qu'une suggestion personnelle qui n'engage pas le gouvernement. Je viens d'avoir les résultats d'une enquête sur la sexualité des jeunes de 12 à 20 ans. Cette enquête montre d'une part, que l'âge de la première relation sexuelle a beaucoup baissé depuis quelques années. Ça se passe vers 15 ou 16 ans maintenant, que d'autre part, les jeunes de cette tranche d'âge jugent le préservatif comme le plus adapté à leurs relations sexuelles qui sont occasionnelles ou épisodiques. Un autre point également : ils s'estiment bien informés sur la contraception, mais 20 % sont incapables de citer un seul contraceptif. Donc, je pense qu'il faut faire une vaste campagne d'information destinée aux très jeunes, pour leur expliquer ce que c'est que la contraception et je ferai cette suggestion que les préservatifs devraient être beaucoup plus accessibles dans tous les lieux publics et pourquoi pas dans les lycées et collèges.

S. Attal : Accessibles financièrement ?

V. Neiertz : Tout à fait. Si la distribution était beaucoup plus large, on en vendrait beaucoup plus et les prix baisseraient. Je pense qu'il faudrait que le préservatif ne coûte pas beaucoup plus que 1 ou 2 Francs.

S. Attal : Quelle serait la réaction des enseignants ?

V. Neiertz : Les enseignants, ils en ont vu d'autres. De toute façon, c'est déjà pratiqué dans certains établissements scolaires et en tout cas dans les grandes écoles.

S. Attal : Vous avez toujours été pour le remboursement de la troisième génération de pilules. Est-ce que ça va se faire ?

V. Neiertz : J'ai dit aux femmes qui m'écoutaient cet après-midi qu'il fallait interrompre le processus de déremboursement qui s'était instauré ces dernières années, parce que les laboratoires ne demandaient plus le remboursement des pilules contraceptives qu'ils mettaient sur le marché. C'est ce qui a été fait avec la décision du Premier ministre de rembourser le trimordiol qu'utilisent 750 000 femmes et le microval qu'utilisent 36 000 femmes. Je pense effectivement qu'il faut aller plus loin et maintenant, examiner les conditions de remboursement des pilules nouvelles dites de troisième génération. J'attends les conclusions du rapport du professeur Stira pour aider à cette décision.

S. Attal : Et le problème de l'équilibre de la Sécurité sociale ?

V. Neiertz : L'équilibre de la Sécurité sociale, la maîtrise des dépenses de santé, c'est tout à fait nécessaire. Mais, ils ne doivent pas se faire sur le dos de la contraception. C'est un problème de santé publique et de prévention non seulement des grossesses des mineurs, mais aussi des risques de sida. Je ne vois pas pourquoi on demanderait aux pilules contraceptives des choses que l'on ne demande pas aux autres médicaments qui sont pris en charge par la sécurité sociale lorsqu'ils sont mis sur le marché.

S. Attal : Comment se fait-il qu'en France, aujourd'hui encore, il y a environ 3 à 5 000 femmes qui sont obligées d'aller à l'étranger ?

V. Neiertz : C'est parce que la loi VEIL prévoit qu'on ne peut avorter en France que jusqu'à douze semaines, et que bien souvent, les femmes arrivent trop tard dans les centres d'IVG pour qu'on puisse respecter les délais qui est légal en France, de sorte que les personnels, pour rester dans la légalité, effectivement les envoient en Angleterre ou aux Pays-Bas. Je serais tout à fait pour qu'on allonge cette durée, mais je ne crois que le climat actuel y soit très propice.

S. Attal : Qu'entendez-vous par là ?

V. Neiertz : J'entends par là que se développe un climat ambiant de remontée de l'ordre moral au sens que le régime de Vichy donnait à ce mot. Quand je vois les déclarations de LE PEN qui fait de l'IVG une menace intérieure et qui veut abroger la loi VEIL, quand je vois que beaucoup de personnalités de la droite enfourchent le même discours, quand je vous la montée des intégrismes religieux qu'ils viennent aussi bien du Vatican que de Téhéran, d'Alger ou des États-Unis, quand je vois les commandos anti-IVG qui restent impunis, je me dis que le climat, en France, est dangereux pour les femmes et je remercie celles qui l'ont dénoncé cet après-midi à la Sorbonne.

S. Attal : Vous ne présenterez donc pas de projet de loi visant à allonger le délai légal de l'avortement ?

V. Neiertz : Je cherche activement, avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice la façon de sanctionner les commandos anti-IVG qui empêchent les personnels de faire leur travail et les femmes qui sont venues demander un avortement de le faire en toute tranquillité. Ils empêchent une loi votée par le parlement d'être appliquée normalement.


RMC, TF1, A2 : 18 janvier 1992

V. Neiertz : Je viens d'avoir les résultats d'une enquête qui a été faite auprès des très jeunes, entre 14 et 20 ans, sur leur vie sexuelle, qui montre que, d'une part, l'âge où on a sa première relation sexuelle a baissé en France. C'est 15-16 ans, aujourd'hui. Ensuite, les jeunes s'estiment informés sur la contraception, mais que 20 % sont incapables de nommer un contraceptif. Donc, je pense, mais c'est un vœu personnel qui n'engage pas le gouvernement, que de généraliser la distribution de préservatifs dans tous les lieux publics serait une excellente chose, et pourquoi pas dans les collèges et lycées.

Q. : À quand la nouvelle campagne en faveur de la contraception auprès des jeunes ?

V. Neiertz : Elle aura lieu, je l'espère, au printemps, car, une campagne sur la contraception, il n'y en a pas eu depuis dix ans. Elle est délibérément orientée vers les très jeunes, les 12-20 ans, et elle doit les renvoyer aux centres de planning le plus proches de leur domicile.