Interviews de M. Hubert Curien, ministre de la recherche et de la technologie, à RTL le 9 juin 1992 et à "France-Soir" le 13 juin 1992, sur la sensibilisation des politiques et des citoyens à la recherche scientifique, à Rio lors de la CNUED et à Paris lors de la manifestation "La science en fête".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : RTL - France soir

Texte intégral

P. Caloni : Vous rentrez de Rio. On sent que cela a été à moitié réussi, "ça grippe un peu"…

H. Curien : On a fait du bon travail. Mon regret est peut-être que les scientifiques rencontrent trop peu les politiques, l'organisation ne s'y prête guère. Leurs lieux de réunions sont distincts. Ce qui ne facilite pas le dialogue.

P. Caloni : Vous pensez que ce serait une bonne chose que des scientifiques rencontrent plus les politiques ?

H. Curien : Oui.

P. Caloni : Tout le monde regarde du côté des Américains…

H. Curien : Oui, surtout les Brésiliens qui aimeraient bien que les Américains fassent des gestes en faveur du Tiers-Monde, des gestes pour la protection de l'environnement.

P. Caloni : Les Brésiliens sont bien ceux qui laissent massacrer la forêt…

H. Curien : ils ont des problèmes. Ils ont eu des imprudences c'est vrai, mais ils ont pris conscience de la nécessité absolue de travailler sur la forêt et de la protéger, de l'exploiter convenablement.

P. Caloni : Que peut-on attendre vraiment de concret de ce Sommet ?

H. Curien : On peut en attendre le fait que les gens se sont rencontrés, se sont vus, ont discuté, se sont sentis impliqués. Ensuite, les scientifiques entre eux se sont rencontrés, ont échangé des idées sur les programmes de biologie, de géologie, l'observation de la Terre par satellite. On sent une meilleure cohésion quant à l'utilisation des résultats.

P. Caloni : La terre est-elle vraiment en danger ?

H. Curien : Si nous réagissons bien et vite, la Terre n'est pas en danger. Je ne suis pas de ceux qui veulent faire de la Terre un sanctuaire généralisé. Il faut aménager notre Terre, de façon utile, économe, confortable.

P. Caloni : Vendredi, samedi, dimanche "La Science en fête" ?

H. Curien : Oui. La dernière fois on avait déjà réussi, mais c'était un peu parisiano-parisien. Cette fois, c'est tout le territoire qui participe. Il y aura plus de 1 000 manifestations sur le territoire. Nous verrons des expositions, on entendra des conférences, des contacts, des discussions entre le public et les scientifiques, des laboratoires ouverts au public. Le tout gratuit.

P. Caloni : Comment se porte Hermès ?

H. Curien : C'est un des programmes spatiaux auxquels nous nous intéressons. Je ne voudrais pas que tout se focalise autour d'Hermès quand on parle d'espace. Hermès, on en parle plus que les autres, car c'est peut-être le programme qui est le plus discuté. Mais à côté de cela nous faisons des télécoms, des satellites pour téléphoner, nous faisons de l'observation avec des satellites qui nous montrent les images météo, ceux qui surveillent la Terre en tout temps Nous faisons de grande expéditions scientifiques pour voir comment sont faites les autres planètes. Nous fabriquons des fusées et en plus, nous avons ce volet Hermès dont nous discutons.

P. Caloni : Ce n'est pas encore sûr ?

H. Curien : Nous aurons une réunion ministérielle européenne à la fin de cette année, pour faire le point sur ce principe. Je pense que ce principe peut vraiment survivre.

 

13 juin 1992
France Soir

Des centaines d'élèves invité au ministère de la Recherche et de l'Espace

Le ministre Hubert Curien : "Montrer ce qu'elle nous apporte chaque jour"

Le monde de demain offert aux enfants

France Soir : Après la musique, le cinéma, le sport et la littérature, la science aussi fait la fête…

Hubert Curien : Si nous appelons cette manifestation "La science en fête", c'est qu'il ne s'agit pas seulement de fêter la science, mais de rapprocher les scientifiques du public, et éveiller chez nos contemporains un goût plus vif pour la recherche. Or, on constate qu'une certaine prévention se développe contre la science, qui passe par une prévention contre la technologie. C'est pourquoi nous voulons permettre au public de juger la science en permettant aux scientifiques de répondre aux questions qu'il se pose. Il ne s'agit pas d'épater le bourgeois, mais de sensibiliser nos concitoyens.

France Soir : Pensez-vous que la science a encore une connotation trop rébarbative pour le public ?

Hubert Curien : Oui. Trop souvent, le public se dit : "C'est de la science, on n'y comprendra rien". Or, il y a beaucoup de choses, surtout dans les sciences de la vie, que l'on peut bien faire sentir, et ce que nous voulons faire, c'est présenter les grandes aventures de la science, voir où elles nous mènent, et où elles nous ont déjà mené. Aujourd'hui, il y a des décisions importantes à prendre, notamment dans le domaine de la bio-étique. Il est indispensable que les scientifiques sachent ce que le public pense sur les avancées réalisées.

Chacun doit pouvoir s'exprimer de façon calme, donc avec une bonne connaissance du sujet. Et tous ensemble, on essaiera de voir où on peut aller.

France Soir : Le but principal, c'est de montrer que la science est présente dans la vie quotidienne ou de souligner le rôle de la France dans la recherche mondiale ?

Hubert Curien : Les deux. Il faut commencer par montrer ce qu'a apporté la science dans la vie de tous les jours, puis montrer que nous, Français, participons à la recherche. Dans le monde, quelques pays peuvent participer efficacement à la progression du savoir. Pour eux, c'est une satisfaction et un devoir, vis-à-vis de ceux qui n'en ont pas encore les moyens.

France Soir : Aujourd'hui et demain, la science va distraire, mais souvent elle inquiète. Comment, au-delà d'une fête, améliorer les passerelles entre scientifiques et citoyens ?

Hubert Curien : Le vecteur essentiel de la connaissance scientifique est l'enseignement, qu'il faut rendre plus attractif. Beaucoup pensent que la science est trop difficile pour eux. C'est souvent faux. La vocation scientifique ne commence pas avec des équations, mais par l'éveil du désir d'observation qu'il nous faut développer. Surtout avec les enfants. Vous savez, quand des groupes visitent le palais de la découverte, les enfants ont dans le regard la joie de la rencontre avec la nouveauté. Cet éveil est plus important que la confirmation du savoir. Certains parlent du "bon vieux temps", mais pour le plus grand nombre, il n'était pas bon, il était vieux. Maintenant, il faut donner le sentiment que nous vivrons dans un monde qui ne sera pas sympathique si nous ne le connaissons pas.

Recueilli par Arnaud Lévy