Réponses de MM. François Bayrou, Daniel Cohn-Bendit, François Hollande, Robert Hue, Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret, Philippe Séguin, Charles Pasqua, Philippe de Villiers et de Mme Arlette Laguiller, têtes de liste de leurs formations politiques aux élections européennes 1999, aux questions du journal "Le Monde" du 18 mars 1999, sur la désignation d'une nouvelle Commission européenne et l'idée que les partis pourraient faire connaître aux électeurs le nom de leur candidat.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Le Monde : La commission européenne, démissionnaire, expédie les affaires courantes. Estimez-vous que les chefs d'État et de gouvernement doivent choisir rapidement le successeur de Jacques Santer comme président, ainsi que les autres membres de la commission ? Ou bien, doivent-ils attendre l'élection du nouveau Parlement, le 13 juin ? Et, dans ce cas, les partis qui se présentent à cette élection devraient-ils annoncer auparavant quel candidat à la présidence de la commission aura leur préférence ?

François Bayrou : Il n'est pas imaginable que l'Europe reste plusieurs mois avec une commission démissionnaire, ayant perdu son autorité et sa légitimité. La Commission, c'est le coeur de l'Europe communautaire. Elle a donc besoin d'avoir un mandat de plein exercice. Il faut que le Conseil, après consultation du Parlement européen, nomme un président le plus vite possible et qu'une nouvelle Commission soit investie. Si nous avons conscience de l'intérêt de l'Europe, la nomination qui permettra de sortir de cette crise doit être acquise dès le sommet de Berlin.

Le mandat de cette Commission « intérimaire » prendra fin, en tout état de cause, selon le traité d'union, au mois de janvier 2000. Un vote d'investiture du nouveau Parlement européen pourra alors s'exprimer, dans un contexte moins dramatique et plus politique, selon la victoire de l'une des deux majorités possibles, autour du Parti socialiste européen ou du Parti populaire européen, le groupe du centre-droit dont l'UDF est membre.

Pour l'avenir, je milite pour la démocratisation de la désignation du président de la Commission. Un jour, que j'espère prochain, les peuples exigeront que ce président soit élu de manière transparente. Par l'élection de leurs députés européens, ils voudront participer à ce choix. Et, ce jour-là, les députés devront dire clairement quel candidat ils soutiendront. Ce sera un pas très important vers la démocratie européenne. Mais, dans l'état actuel des traités, comme on peut le vérifier, nous n'en sommes pas là : ce sont encore les gouvernements qui décident.

Daniel Cohn-Bendit : Il faut savoir que nous sommes dans une situation constitutionnelle complexe, car le traité d'Amsterdam, ratifié maintenant par les quinze, n'entre en vigueur que le 1er janvier ou le 1er juin : il y a un débat, sur ce point, chez les juristes. Dans le traité, les prérogatives du Parlement pour la nomination d'un président ont été élargies. D'un autre côté, si l'on attend mai ou juin pour former une nouvelle Commission, on maintient celle-ci sous perfusion.

La meilleure solution serait qu'à Berlin, les chefs de gouvernement des quinze proposent un nouveau président de la Commission, par exemple, Romano Prodi ; que celui-ci soit élu en juillet par le Parlement ; qu'il dispose de deux à trois mois pour former sa Commission avec les États membres ; que celle-ci soit ratifiée par le Parlement, en septembre, jusqu'à la fin de l'année – condition décrite par les traités – et qu'elle soit confirmée en janvier 2000.
Toute cette opération constitutionnelle compliquée a pour but de renforcer l'aura de la commission par un candidat fort, symbolisant la Commission de l'an 2000 et capable de mener les réformes nécessaires pour la bonne gouvernance de l'Union européenne.

François Hollande : Le nouveau cours qu'il convient de donner à la construction européenne, dans le sens de la démocratie et de la transparence, mais aussi de la croissance et de l'emploi, suppose de lui donner un nouveau visage. C'était déjà une nécessité hier. La démission de la Commission fournit l'occasion de faire ce choix dans un délai bref. Le Conseil de Berlin doit, à tout le moins, définir une procédure et un calendrier.

Il est vrai que la fin du mandat de l'actuel Parlement européen ne facilite pas les choses et que la Commission peut, juridiquement, expédier les affaires courantes jusqu'en juin. Mais pourquoi ne pas envisager la désignation d'un président de la Commission avant les élections européennes ? Cette personnalité doit avoir une autorité forte et correspondre à la majorité politique actuelle de l'Europe. Le Parlement européen actuel aura naturellement à se prononcer sur ce choix qui, juridiquement, ne vaudra que jusqu'en décembre. Dans le même temps, les gouvernements devront renouveler leurs commissaires. L'ensemble de cette procédure devra être renouvelée après le 13 juin.

Quelles que soient les hypothèses, les partis doivent se prononcer avant les élections européennes sur la présidence de la Commission. Chacune des grandes force politiques en Europe pourra se situer par rapport à cet enjeu. C'est la logique du traité d'Amsterdam, qui donne au Parlement européen un véritable pouvoir de décision sur le choix du président. Et c'est un incontestable progrès de la démocratie européenne. Si une personnalité a été désignée avant le scrutin européen, ce sera la première fois que les électeurs pourront s'exprimer sur ce choix.

Robert Hue : Je ne vois pas pourquoi il faudrait se précipiter. Au contraire ! L'opinion européenne a besoin d'un signal très fort, très visible, que quelque chose va changer. Cette crise demande qu'on mette les choses à plat. Il n'y a pas d'homme providentiel en l'occurrence. Accélérons plutôt le débat public sur la démocratisation des institutions européennes.

Il ne peut s'agir d'un simple changement de personnel. C'est le rôle même de la Commission et ses pouvoirs exorbitants qui sont en cause. Si l'opinion publique avait le sentiment que tout continue comme avant, l'effet serait désastreux. Alors que, justement, un des enjeux du débat européen, c'est de créer les conditions pour que les citoyens soient parties prenantes de la construction de l'Europe.

Arlette Laguiller : Le scandale qui met en cause la Commission européenne, pour choquant qu'il soit, est en fait d'une affligeante banalité. Il s'inscrit dans une longue liste d'affaires du même type, que l'on découvre tout autant ici, en France, et qui concernent aussi bien des élus que des personnalités nommées par les autorités politiques ; aussi bien des politiciens que des personnalités du monde des affaires.

Car tout ce beau monde, lié par un entrelacs de relations et de complicités, dominé surtout par l'avidité à se faire de l'argent à partir des positions qu'ils occupent, se considère comme étant au-dessus de ces lois qu'ils votent ou qu'ils sont chargés de faire appliquer. Dumas, Cresson, en passant par Tibéri ou Carignon, pour n'en citer que quelques-uns parmi bien d'autres, sont les illustrations récentes mais pas exclusives d'un tel comportement. D'où la nécessité que tous ces gens, qui se disent des représentants du peuple, élus ou par délégation, soient contrôlés et révocables en permanence par la population.

Jean-Marie Le Pen : La démission collective de la Commission de Bruxelles est un événement politique majeur dans l'histoire de la construction européenne. La dérive affairiste et politico-mafieuse qui a caractérisé cet organe décisionnel est la marque d'une construction européenne hasardeuse et antidémocratique. Cette construction européenne technocratique, qui s'est constituée à l'encontre de la volonté des peuples, avoue, par cette crise, ses limites. La démission des commissaires européens est une chance historique pour réorienter l'Europe. L'Europe des patries, idée-maîtresse de la pensée européenne du général de Gaulle, devrait enfin voir le jour. Car changer des têtes ne bouleversera pas en profondeur la dérive structurelle de cette institution. Le dysfonctionnement de l'Europe, tel qu'il se présente, est consubstantiel à l'idée qu'ont les eurocrates de vouloir construire, à tout prix, une fédération à l'identique des États-Unis d'Amérique.

Par cette affaire, les élections européennes sont relancées. En effet, ce qui est en cause, c'est la question du type de construction européenne. Cette Commission avait deux tares principales : elle n'avait aucune légitimité démocratique et elle était foncièrement technocratique. Elle a pourtant été renversée par plus technocratique qu'elle : le comité des sages. Elle ne devrait plus être qu'un organe d'exécution des décisions du Conseil. Le Parlement sera appelé, dans les années qui viennent, à jouer un rôle beaucoup plus important, ce qui va contribuer à donner à l'élection européenne un caractère essentiel. L'Europe de MM. Chirac, Jospin, Séguin et consorts est une Europe dont on constate les limites et des dangers : une Europe de l'échec.

Bruno Mégret : Le choix de la date à laquelle sera nommée une nouvelle Commission et celui de la personnalité de son président sont aujourd'hui tout à fait secondaires face à l'ampleur du discrédit qui touche les institutions bruxelloises. Trois mois après la mise en place de l'euro, quelques jours après la ratification d'Amsterdam, en pleine discussion sur l'agenda 2000, l'organe central de l'Europe est frappé de plein fouet par un scandale qui le discrédite. Trafic d'influence, fraude, dysfonctionnement, népotisme : l'Europe de Bruxelles connaît une très grave crise de légitimité, qui met en cause la nature même de son édifice institutionnel. Et la démission collective de la Commission apparaît, en réalité, comme le signe patent de sa faillite.

Ces déplorables événements montrent donc que l'Europe de Bruxelles a fait son temps et que l'urgence n'est plus à un replâtrage par les nominations plus ou moins précipitées, mais à une refonte complète de ses institutions. À cet égard, il est essentiel de lever l'ambiguïté malsaine sur la nature même de la Commission, qui est à la fois une administration composée de fonctionnaires nommés et un pseudo-gouvernement susceptible d'être renversé par le Parlement. Il faut donc supprimer la Commission et la remplacer par un simple secrétariat purement administratif dépendant du Conseil des ministres, lequel en tant que représentant des États, doit concentrer tous les pouvoirs de l'Europe.

Charles Pasqua : Je crois que l'opinion européenne, qui vient de découvrir non seulement quelques errements individuels, mais surtout l'« incompétence collégiale » de la Commission de Bruxelles, ne comprendrait pas qu'elle reste en fonction plus longtemps. La Commission Santer doit donc s'en aller. Mais le problème essentiel, à mes yeux, n'est pas de nommer à la va-vite une nouvelle Commission. Il est de remédier à son incompétence foncière avant que de lui confier de nouveaux pans de notre souveraineté. Il faut savoir que le traité d'Amsterdam a dévolu à la Commission de Bruxelles nos politiques d'immigration, de sécurité, de libertés publiques. Par qui vont-elles être traitées, voire sous-traitées ?

L'Union européenne, on s'en aperçoit, est bâtie de guingois. Il faut la remettre d'aplomb. Faire du Conseil européen, assisté du Conseil des ministres, l'exécutif de l'Union et mettre la commission à sa place qui doit devenir celle d'une véritable administration. Il faut profondément modifier les traités si nous voulons réellement sortir de l'opacité.

Quoi qu'il en soit, d'ici aux élections du 13 juin, la meilleure solution serait à mes yeux que le Conseil européen assure directement l'intérim. Ou, si vous préférez, la « régence ».

Philippe Séguin : La Commission ne peut se contenter d'expédier les « affaires courantes ». Il s'agit là de la transposition d'une pratique française qui n'a pas lieu d'être dans ce cas d'espèce. Expédier les affaires courantes signifierait, au demeurant, que la Commission ne peut s'écarter des décisions qu'elle a déjà prises ou des propositions qu'elle a formulées. Or, précisément, il est impératif que la Commission soit en situation de modifier ces propositions si l'on veut notamment que la négociation de l'agenda 2000 aboutisse.

Comme je l'ai, avais immédiatement indiqué, c'est au Conseil européen, instance politique suprême, et à lui seul, qu'il revient de déterminer les suites à réserver à la démission de la Commission. Je ne vois pas l'intérêt qu'il y aurait à refuser de conserver la Commission dans sa composition actuelle. Sauf à nous imposer par avance le futur président de la Commission, cela voudrait dire que nous aurions eu trois présidents en une année. On se croirait au PSG ! Il doit normalement revenir au Parlement européen de se prononcer sur les nouvelles nominations.

Sauf à faire l'impasse sur cette consultation préalable, ou à la bâcler, la procédure prendra du temps. À quoi bon, dès lors, une Commission intérimaire pour une période transitoire aussi courte ?

La proposition de M. Delors, tendant à l'annonce par chaque liste de son candidat à la présidence de la Commission, doit être rejetée. Outre qu'elle introduit l'idée du mandat impératif, contraire à tous nos principes, elle repose sur un contresens : si la Commission est par nature un exécutif, elle n'est pas l'exécutif européen ni, a fortiori, le gouvernement de l'Europe. D'ailleurs, M. Delors promettrait à ce gouvernement un bien triste sort, la procédure proposée fondant un véritable régime d'assemblée, à la mode de la IVe République.

Philippe de Villiers : La Commission actuelle est déconsidérée, et il est impensable qu'elle puisse même, seulement, expédier les affaires courantes. Il est donc indispensable d'entamer dès maintenant la procédure de nomination d'une nouvelle Commission. Mais il faut savoir qu'une telle procédure implique tous les États et de nombreuses négociations, aussi bien entre eux. Donc, même si l'on commence tout de suite, il est difficile de penser que nous puissions avoir une nouvelle Commission avant, au moins, un mois ou deux.

Pendant ce temps, les conditions ne seront plus réunies pour que les négociations d'agenda 2000 puissent continuer. Il faut les arrêter, ce qui fournira une bonne occasion d'en débattre devant les Français, pendant la campagne des élections européennes. Après tout, pourquoi, contrairement à ce qui était prévu, n'en débattrait-on pas démocratiquement ?

Ceux qui proposent que les partis annoncent, avant les élections européennes, quel candidat à la présidence de la Commission aurait leur préférence, veulent transposer le système parlementaire national au niveau européen et faire du président de la Commission un super Premier ministre. Mais l'Europe n'est pas une Nation, et le système institutionnel européen rassemble des Nations que nous voulons garder souveraines, dans une formule d'association sui generis. Dans ce système, c'est le Conseil qui garde la fonction d'initiative du choix du président et la fonction de nomination finale.