Interview de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, dans "La Tribune", le 9 octobre 1997, intitulé "Le secteur auto ne doit pas être abandonné aux subventions", sur l'adaptation du secteur automobile à la concurrence, les solutions pour diminuer la pollution automobile.

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Média : La Tribune

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La Tribune : Comment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à rajeunir la pyramide des âges chez les constructeurs automobiles ?

Christian Pierret : La moyenne d’âge dans certaines usines de Renault et Peugeot est parmi les plus élevées du secteur automobile mondial. Cette moyenne chez Renault est de 43 ans. Chez PSA, elle est inférieure d’un an ou deux alors que l’âge moyen, pour Honda par exemple dans certaines unités, est en dessous de 30 ans. C’est un phénomène social qui concerne également le ministre de l’Emploi et de la Solidarité. Que pouvons-nous faire ? Le dialogue va s’ouvrir. Il faut globaliser la question et étudier l’aménagement du temps de travail, les rapports avec les fournisseurs et sous-traitants, aller vers une autre conception, plus moderne, de la construction automobile. Cette évolution doit être placée en perspective sur cinq à dix ans, mais on ne peut pas traiter la question uniquement en recourant à la facilité du financement public pour développer des préretraites. Cette méthode, simpliste, serait radicalement inopérante : le montant en jeu – 35 à 40 milliards de francs, selon les constructeurs automobiles eux-mêmes – n’est pas finançable. La réponse n’est ni exclusivement, ni principalement, budgétaire ; elle est organisationnelle, et je crois personnellement qu’elle pourrait être portée par une convention entre l’Etat, les constructeurs et les organisations syndicales. Elle est aussi technologique, avec la promotion d’une autre conception du travail dans ces entreprises.

La Tribune : Les FNE, tels que les réclament les deux constructeurs, vont-ils continuer ?

Christian Pierret : Ce n’est pas à guichet ouvert ! On peut trouver d’autres solutions. On peut, par exemple, arriver à rajeunir les effectifs par le biais des différents plans en faveur des jeunes. La conférence nationale sur l’emploi va rassembler l’ensemble des partenaires sociaux et donc les représentants des constructeurs automobiles. S’il il y a des embauches de jeunes, cela se fera naturellement en liaison avec les pouvoirs publics. Notre devoir est de faire comprendre que la réduction du temps de travail passe par une organisation différente du travail, tant chez les constructeurs que chez les fabricants de sous-ensembles et de composants. La réduction du temps de travail, c’est d’abord ça : travailler autrement.

La Tribune : Comptez-vous relancer la réflexion sur l’adaptation de l’industrie automobile avec la Commission européenne ?

Christian Pierret : Naturellement. L’ensemble des constructeurs européens peut produire 18 millions de véhicules, mais ne peut en vendre que 13 millions. Au-delà des contacts qu’auront les dirigeants d’entreprise et donc les présidents des groupes français, je vais évoquer cette affaire avec M. Bangerman, commissaire européen à l’Industrie, qui a une appréciation globale au niveau européen. M. Van Miert va aussi examiner la question, pour qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrence entre constructeurs. En France, nous sommes comptables – directement ou indirectement – de 1,3 million d’emplois pour l’automobile. En Italie, c’est à peu près la même chose. En Allemagne, ce secteur compte plus de 1,5 million d’emplois. La solution sera nécessairement européenne et coordonnée. Cela ne veut pas dire qu’elle sera identique partout.

La Tribune : Cela ne risque-t-il pas d’être très long alors qu’il faudrait dégager des emplois pour les jeunes ?

Christian Pierret : On sent qu’il y a urgence. Il faut trouver une solution dans les deux ou trois prochaines années. Un ratio me paraît très important : la valeur ajoutée par personne employée. Elle est tributaire de la recherche, du développement, de l’organisation du travail, mais aussi de l’adaptabilité, plus forte à vingt-cinq ans qu’à cinquante ou cinquante-cinq ans. Par rapport à une base de 100 de valeur ajoutée par personne employée aux Etats-Unis, on est à 140 au Japon, et à 80 en Europe. Nous avons donc 60 points de retard par rapport au Japon.

La Tribune : Faut-il renégocier l’accord entre Bruxelles et Tokyo qui prévoit l’ouverture totale du marché européen en l’an 2000 aux voitures nippones ?

Christian Pierret : On constate que le taux de pénétration des véhicules japonais n’est pas supérieur aujourd’hui à ce qu’il était en 1991, au moment de la signature de l’accord. Six ans après, on est toujours aux alentours de 4 %. L’accord n’a pas été défavorable au marché français, et il n’a pas accru de manière insupportable le taux de pénétration des automobiles japonaises. De plus, dans les perspectives de marché servant de base à cet accord, on a inclus, non seulement les importations de voitures japonaises, mais également la production des « transplants ».

La Tribune : Ce dernier point n’était pas dans le texte de l’accord…

Christian Pierret : Cela y figure de fait. Il faudra toutefois encore surveiller l’entrée des exportations japonaises tant que leur marché intérieur restera fermé aux exportations européennes. Je ne veux pas que l’on arrête toute surveillance à la fin de l’accord d’autolimitation en 1999. Des modalités de transition satisfaisantes doivent prendre le relais.

La Tribune : Quelles pistes voulez-vous suivre ?

Christian Pierret : C’est aux entreprises qu’il revient de gérer leur propre avenir. Pour lancer la Safrane, Renault a dépensé plus de dix milliards de francs en coût de développement ! Le prochain véhicule Renault de même type, attendu pour l’an 2000, coûtera soit 20 % de moins. Une partie de ce différentiel représente de la marge potentielle pour le constructeur, une autre partie doit permettre une évolution favorable des prix pour les consommateurs ; la troisième peut aider à absorber le problème social. On ne peut compter uniquement sur les pouvoirs publics européens ou nationaux pour gérer les sureffectifs. Les entreprises ne doivent pas devenir des abonnés aux subventions publiques. Le ministère de l’Industrie ne fonctionne pas comme un distributeur d’aides publiques permanentes aux entreprises. Il faut utiliser d’autres solutions : par exemple celles de la recherche avec le Prédit, un programme remarquable de recherche et développement affecté au transport et principalement à l’industrie automobile. On y a investi beaucoup d’argent : 7,5 milliards de francs sur cinq ans, dont 2,5 milliards d’origine publique. C’est considérable.

La Tribune : Dans l’immédiat, donc, pas de nouvelle prime…

Christian Pierret : Non ! Bien sûr que non. Ce n’est plus l’époque. Et ce n’est ni adapté ni efficace à moyen terme. Les entreprises doivent se gérer toutes seules. Même quand l’Etat possède encore 46 % de capital public et qu’il contribue à fixer la stratégie de l’entreprise par ses représentants au conseil d’administration, ce n’est pas lui qui gère l’entreprise au quotidien !

La Tribune : Quel avenir pour la participation de l’Etat dans Renault ?

Christian Pierret : Le sujet n’est pas à l’ordre du jour des réflexions du Gouvernement.

La Tribune : Est-ce que cette participation a un sens maintenant ?

Christian Pierret : Comme je viens de le dire, le sens que l’on pourrait attribuer à cette participation est de faire jouer à l’Etat son rôle d’actionnaire. La participation au conseil a permis d’infléchir fortement la stratégie. Mais cela ne signifie en aucun cas que l’Etat définit la stratégie de l’entreprise. La gestion est assurée par des dirigeants autonomes. Elle est bien entendu contrôlée dans ses grandes lignes comme le prévoit la loi du 24 juillet 1966, par le conseil d’administration.

La Tribune : Vous avez rappelé que le diesel était important pour les constructeurs français et une de leurs spécialités. Comment voyez-vous évoluer ce débat aujourd’hui ?

Christian Pierret : Le diesel représente 40 % des ventes de voiture en France. Renault et PSA, ensemble, réalisent un tiers des ventes de diesel en Europe. Les autres pays (Allemagne, Italie, Benelux, et à un moindre degré l’Espagne) développent cette motorisation. Le diesel a ses avantages, et pourrait en avoir d’autres à l’avenir. Des recherches sont actuellement consomment aux alentours de trois litres. C’est un objectif tangible à l’horizon de 2005. Le diesel doit être jugé objectivement en ce qui concerne la pollution. Certes, il produit plus de micropoussières – de moins de 10 microns – que les moteurs à essence avec ou sans plomb. On sait que des études épidémiologiques mettent en relations ces micropoussières avec le développement de certaines affections pulmonaires, telles que l’asthme, et qu’il existe des interrogations sur le caractère cancérigène à très forte dose. Mais on peut les réduire par des pots catalytiques et des pièges à particules qui doivent être développés industriellement. De même, dans les émissions de gazole, la quantité d’oxyde d’azote est légèrement supérieure à celle de l’essence sans plomb. En revanche, la quantité de CO2 émise est notablement inférieure : un cinquième de moins, ce qui protège mieux la couche d’ozone. Enfin, la production de monoxyde de carbone est très inférieure, de 50 % environ.

Quand je considère ce bilan environnemental, je me dis qu’il ne faut pas se précipiter dans les effets de mode. La baisse de la consommation des voitures reste un objectif majeur car c’est de cette façon qu’on luttera le plus efficacement contre la pollution. Il faut certainement rationaliser l’utilisation de la voiture individuelle, mais pas de façon autoritaire et brutale. La réponse appropriée pour l’industrie automobile est de développer des véhicules dont la consommation passera de six à trois litres. Ce qui n’empêche nullement de développer une politique toujours plus ambitieuse en faveur des transports urbains. D’autres énergies sont sérieusement envisageables dans un avenir proche. Dans cinq à huit ans, la voiture électrique – on en compte que 3 400 en service aujourd’hui en France – aura augmenté ses performances, notamment en matière d’autonomie. On peut également accroître le nombre de véhicules équipés pour recevoir du gaz sous deux formes, le GPL et le GNV auquel je crois beaucoup. Des problèmes de stockage se posent encore à ce jour, et le coût d’un véhicule bicarburation GPL/essence (environ 10 000 francs de plus) est encore trop élevé.

C’est pourquoi il faut avoir une volonté politique forte pour parvenir à utiliser ces deux carburants.

La Tribune : Vous n’êtes donc pas favorable à une fiscalité dissuasive pour le gazole…

Christian Pierret : Ne confondons pas fiscalité et panacée ! Evitons les évolutions trop brutales. Notre objectif est un objectif global de réduction de la consommation et des émissions. Mais il faut tenir compte également des contraintes industrielles et des engagements pris par les entreprises comme par les ménages. De l’ensemble de ces points de vue, la décision gouvernementale d’une hausse de la TIPP, identique en valeur absolue, pour le gazole et pour l’essence me paraît sage.