Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, à Europe 1 le 26 mai 1999, sur l'enquête sur l'assassinat du préfet Claude Erignac, notamment les recherches des terroristes en Corse et l'action du préfet Bonnet pour le redressement de la situation en Corse (diminution du nombre des attentats, amélioration des rentrées fiscales).

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Média : Emission Journal de 8h - Europe 1

Texte intégral

Y. Colonna est introuvable : est-ce qu'il est toujours en Corse ?

- “Vraisemblablement Je pense que les résultats des recherches entreprises devraient être connus dans pas trop longtemps.”

C'est-à-dire que vous l'avez retrouvé ?

- “Non, non, mis je pense qu'on ne peut pas se cacher indéfiniment.”

Pourquoi surplace les recherches·paraissent-elles si discrètes comme le disait tout à l'heure F. Close ?

- “Son père lui a lancé un appel pour qu'il se mette à la disposition de la justice. Je crois qu'il ne peut pas vivre isolé dans le maquis très longtemps. Cela dit, le fait qu'il ait disparu malheureusement apparaît comme un aveu.”

Vous espérez qu'il se rende ?

- “C'est souhaitable.”

Il était surveillé : comment a-t-il pu s'échapper ?

- “II faut voir comment il a pu le faire et, le cas échéant, à la faveur de quel dispositif. En tout cas, il était prévu de l'interpeller au matin et le matin n'était plus là.”

Cela veut dire qu'il avait des complicités ?

- “On verra.”

Ou alors l'inattention de la police ?

- “Cela est peu probable.”

Vous disiez hier soir, que le meurtre du préfet Erignac était élucidé : il reste tout de même un certain nombre de mystères ou de questions. Les six terroristes, est-ce qu'ils ont agi sur ordre ou par eux-mêmes ?

- “J'ai dit que les conditions pratiques dans lesquelles s'était réalisé l'assassinat de C. Erignac sont maintenant élucidées. Maintenant, il faut· aller au-delà·.et essayer de comprendre la logique de ce petit groupe. Je crois que le travail fait par les policiers doit être salué. Il est remarquable et il manifeste la compétence, le professionnalisme, la méthode, le courage des équipes de la DNAT, c'est-à-dire de la division nationale antiterroriste du commissaire Marion appuyée par le travail de cadrage et d'information de la direction centrale des renseignements généraux.”

Les six terroristes ont agi seuls. Quelqu'un leur a commandé ce crime à votre avis ?

- “C'est une chose qu'il faudra creuser. C'est à l'enquête judiciaire de le dire. La police ne peut pas tout faire et ne peut pas, tout savoir.”

Vous disiez, hier soir, sur France 2 qu'il y a probablement d'autres connexions, qu'est-ce que vous vous vouliez dire ?

- “Il y a plusieurs groupes, il y en a au moins deux. Il y a d'autres connexions puisque l'un des auteurs de l'attentat de Pietrosella - l'attaque d'une brigade d'une gendarmerie au cours de laquelle·deux armes avaient été- érobées dont celle qui a tué le préfet - eh bien l'un de ses auteurs a été mis en examen. Il ne semble pas -c'est à vérifier - : a-t-il ou non participé à l'assassinat du préfet Erignac ? Cela reste encore un point obscur. Mais il y a une chose qui est certaine : il a participé, à l'attentat qui a rendu possible l'assassinat de C. Erignac. Il est le début d'une chaîne. Or, d'autres attentats ont eu lieu à Strasbourg, à Vichy et on a tout lieu de penser, puisque d'ores et déjà, là-aussi les mises en examen sont intervenues - celle de Castella dans le Nord de la Haute-Corse -, qu'un autre groupe fonctionnait en parallèle avec le groupe de la Corse du sud.”

Cela veut dire qu'il y avait d'autres complices identifiés qui n'étaient peut-être pas engagés dans le crime mais idéologiquement proches et que ces complices seront aussi arrêtés ?

- “Je fais tout à fait confiance au travail des policiers.”

Pour vous, est-ce qu'on appelle ce qu'il s'est passé un crime politique ? A partir de ce qu'ils ont déjà dit devant les policiers qui les interrogeaient ?

- “C'est évidemment un crime. Cela dit, l'affubler de l'adjectif “politique” c'est déjà en limiter, la portée. C'est un crime affreux. Quant à vérifier les motivations c'est le travail de la justice. Il y a une information judiciaire et il faut qu'elle aille jusqu'au bout.”

Ils assument ce qu'ils ont fait ?

- “Oui, étonnement.”

C'est-à-dire ?

- “On pourrait imaginer une expression de remords.”

J.-G. Talamoni qui est élu nationaliste qui est proche de J. Rossi est, réservé comme beaucoup de Corses. Il dit : “nous n'avons que la version policière, les aveux sont à vérifier.” Est-ce qu'ils sont tous – les aveux – vérifiés et indiscutables ?

- “Que les nationalistes essayent de noyer de poisson après avoir insolemment tenu le pavé, présenté l'Etat comme l'auteur de tous les maux ont pu le comprendre. On essaye de noyer le poisson et d'éluder leurs propres responsabilités. Car je rappelle que J -G. Talamoni fait partie des élus à l'Assemblée de Corse qui cautionnent la violence, qui a refusé de désapprouver l'action clandestine et qui rend d'autant plus coupable les alliances nouées avec eux par l'actuel président de l'Assemblée de Corse.”

Les mouvements nationalistes et le FLNC sont dans l'affaire Erignac comme ils l'avaient dit innocents ?

- “Non, je ne dirai pas cela. C'est au sein du FLNC que les meurtriers ont fait leur classe, ce sont formés et c'est une même mouvance qui a conduit à cet acte abominable, à cet acte extrême. Par conséquent, c'est une responsabilité qu'ils doivent mesurer tous ensemble. Ils doivent cesser de fuir leurs responsabilités.”

Est-ce que vous estimez qu'à partir de ce qu'il se passe on va trouver d'autres responsables de tant et tant de règlements de comptes et assassinats ?

- “Certain oui.”

Et qu'il le faudra ?

- "Et il le faudra car je n'oublie pas la longue liste .de tous ceux qui ont froidement été assassinés. Je n'oublie R. Canto, le policier du raid assassiné en avril 1996, trois mois après Tralonca, je n'oublie pas les onze gendarmes, je n'oublie pas le secrétaire général Massimi.”

La liste est longue.

- “La liste est longue !”

Le préfet Bonnet : est-ce qu'il a sa part dans le succès et les félicitations qui sont distribuées aujourd'hui ?

- “Le préfet Bonnet a permis en quinze mois que dans bien des domaines la situation soit redressée, le nombre d'attentats qui, par exemple, était de plus de 300 en 1997 est tombé à 98 en.1998 ; les rentrées, fiscales se sont améliorées ; les rentrées de cotisations sociales ; la loi s'est appliquée dans le domaine des armes, dans le domaine de l'urbanisme…”

Donc il a sa part de responsabilités et de succès ?

- “Tout cela est à mettre aussi à son crédit, même s'il a pu commettre un acte qui était la contradiction de la politique que le Gouvernement voulait mener en Corse.”

S'il était remis en liberté sous contrôle judiciaire est-ce que vous seriez personnellement choqué ?

- “Pas du tout. La détention provisoire n'a lieu d'être que pour la manifestation de la vérité. Par conséquent, il appartient à la justice après qu'elle aura procédé aux confrontations nécessaires - le plus tôt sera le mieux - de faire en sorte que le Préfet Bonnet puisse recouvrer sa liberté. Je pense que quand même le fait de mettre en prison le représentant de l'Etat en Corse et qui avait attaché à son nom le sens d'une politique même s'il y a eu ce dérapage condamnable, c'était quand même très fort.”

Je vais très vite : il avait adressé trois notes dont l'une de synthèse le 8 février. Dès que vous dites revenu du Val-de-Grâce vous avez remis de l'ordre parmi les enquêteurs etc. Mais il n'a pas pu rencontrer, selon son avocat, M. Kiejman, le juge Bruguière dans le bureau de l'un de vos collaborateurs que le.8 janvier. Est-ce que vous confirmez qu'on a perdu du temps ? Et pourquoi ?

Je ne te confirme rien du tout. Les deux notes que le Préfet Bonnet m'a transmises le 19 décembre à mon retour de convalescence correspondaient à des documents qu'il avait déjà transmis à la justice. Par conséquent, je pense que si retard il y a, il est imputable à la justice. Mais je crois qu'en définitive les informations que le Préfet Bonnet corroborait celles que détenait déjà la police. Et d'une certaine manière, il fallait faire le travail qui s'avérait nécessaire pour arriver à la preuve, pour je dirais cerner véritablement les auteurs de l'assassinat et les convaincre de leur forfait c'est ce qui a été fait mais cela prenait du temps.”

Mais est-ce que vous reconnaissez vous-même M. Chevènement qu'il a eu du retard et des mauvais fonctionnements ?

- “Non, il y a eu quelques interférences. Elles étaient très largement imputables à une insuffisante administration de la justice qui avait distribué les enquêtes pour une part l'affaire de Pietrosella et pour une autre, l'assassinat du préfet Erignac à la division nationale anti-terroriste et au CRP d'Ajaccio.

Vous avez reçu et lu ces notes éclairantes ?

- “Oui, je les ai lues bien sûr.

Tout de suite ?

- “Dès que je l'ai reçues c'est-à-dire le 19 décembre.”

Hier le Premier ministre a eu une phrase à propos de l'avenir et du statut et a dit que “renoncer à la violence est un préalable à toute discussion sur les instituts corses.” Est-ce que qu'on peut en déduire premièrement qu'une discussion mime conditionnelle est possible ?

- “Non, je ne vais pas vous suivre sur cette voie-là. Il faut déjà qu'il y ait une renonciation explicite et définitive à la violence. Ensuite, évidemment tout devient possible, Nous sommes dans une démocratie. On peut parler de tout Et par exemple le toilettage des statuts à moi me paraît s'imposer. Pourquoi est-ce que la liste par exemple arrivée en tête sur le continent bénéficie d'une prime de 25 % et pourquoi seulement de trois sièges en Corse ? C'est une question que je pose.”

Non mais si les nationalistes déclarent et prouvent publiquement, qu'ils renoncent à la violence, est-ce qu'ils deviennent aussi des interlocuteurs valables ?

- “Dans le cadre des procédures prévues, à cet effet, c'est-à-dire des élections. II est évident que le Gouvernement dialogue d'abord avec les élus. Il fait une différence, c'est la moindre des choses, entre ceux qui ont condamné la violence - les républicains - qui sont quand même 83,5 % et puis ceux qui continuent à la cautionner. Je voudrais revenir à votre question précédente parce que je ne suis pas sûr d'y avoir tout à fait bien répondu à propos de la note qu'a transmise le préfet Bonnet. Je pense que cette note a été transmise à la justice. Mais on doit rappeler que ce n'est pas le préfet qui est chargé de l'instruction. Chacun doit rester dans ses attributions.”

Oui, mais si les policiers n'avaient pas fait suffisamment ce qu'ils devaient faire, et aussi vite. Parce qu'on avait le sentiment que chacun agissait pour son propre compte et qu'il y avait des rivalités qui semblent inévitables ?

- “Disons qu'il y a des attributions et il y a des compétences. Dans un Etat de droit, elles doivent être respectées.”

Quand irez-vous en Corse ?

- “Je n'ai pas prévu de m'y rendre prochainement.”

Après M. Jospin ?

- “Sans aucun doute.”