Texte intégral
Q - Quel sens donnez-vous à ce congrès de Strasbourg qui va clore un siècle de lutte et une décennie de mutations pour la CGT ?
« Un congrès est toujours un moment propice pour dresser le bilan d'une activité et surtout pour se projeter vers l'avenir. Dans l'évolution de nos pratiques comme dans celle de notre fonctionnement, nous avons des raisons d'être confiants. 654 000 adhérents pour 1997 avec une légère progression pour 1998, c'est un socle conséquent ! Depuis plusieurs années le CGT stabilise ses effectifs. Aujourd'hui, on peut parler d'un début de reconquête. 33% aux dernières Prud'homales, c'est plus qu'honorable, surtout si on prend en compte qu'un grand nombre de branches où nous étions traditionnellement très forts ont subi des restructurations profondes. La progression que nous enregistrons chez les cadres et les techniciens est très encourageante pour notre avenir »
Q - l'identité de la CGT, historiquement très ouvrière, peut-elle résister aux transformations du monde du travail ?
« Elle n'est aucunement disqualifiée par ces mutations ! Si la CGT a eu historiquement, une identité ouvrière, c'est que les ouvriers étaient plus actifs au début du siècle. L'évolution des processus de production et de la composition du salariat nous ont amenés à nous adapter. L'avons-nous fait en temps et en heure ? On peut toujours en discuter mais il y a forcément un décalage pour être en phase avec le monde du travail. Aujourd'hui, je crois que la CGT parvient à être à la fois elle-même et représentative du salariat tel qu'il est. Il y a forcément un décalage pour être en phase avec le monde du travail. Aujourd'hui, je crois que la CGT parvient à être à la fois elle-même et représentative du salariat tel qu'il est. Il y a moins de clivages qu'auparavant entre « cols bleus » et « cols blancs » . Il y a même une convergence objective d'intérêts de l'ensemble des salariés. Face à l'avenir des retraites, cela fait-il vraiment une différence d'être cadre, technicien ou ouvrier ? »
Q - Quels sont, à vos yeux les points fort de la CGT ?
« Les sondages montrent que l'opinion a de nous une image positive. Elle nous reconnaît notre combativité. Cela nous correspond effectivement bien. Quant à notre parti pris pour les salariés, il est également reconnu. Et c'est une satisfaction ».
Q - Mais le syndicalisme français est-il encore adapté à l'économie et à la société d'aujourd'hui ?
« Il faut effectivement faire évoluer le droit syndical qui correspond encore à des conditions de production qui remontent à des années... Aujourd'hui un salarié sur deux ne peut pas exercer son droit à la représentation pour les délégués du personnel dans les comités d'entreprise en raison du cloisonnement des activités, de la sous-traitance par exemple, qui permettent de jongler avec les effets de seuil et qui, au bout du compte, les mettent hors-jeu. Il faut actualiser le droit syndical. Mais cette discussion-là n'est pas ouverte. Elle n'est même pas à l'ordre du jour. Regretter l'insuffisance du dialogue social sans rien faire pour que le droit syndical soir en phase avec l'organisation des salariés, c'est inconséquent et hypocrite ».
Q - Vous êtes jeune et vous incarnez un nouveau visage pour le syndicalisme. Comment pensez-vous réduire la division syndicale qui marqué les deux dernières décennies ? Allez-vous accélérer le rapprochement avec la CFDT ?
« Je pense effectivement que la division syndicale est très préjudiciable à l'engagement syndical dans ce pays. Cela fait plusieurs congrès que la CGT s'interroge là-dessus. Alors il y a effectivement des divergences entre organisations syndicales, et elles peuvent être vives – souvenez-vous du positionnement par rapport au plan Juppé en 1995 – mais nous ne sommes pas condamnés à travailler séparément. Pourquoi ne pas organiser des initiatives communes sur des sujets comme l'avenir des retraites. L'indemnisation du chômage ou la deuxième loi sur les 35 heures ?
Travaillez ensemble nous mettrait en position de force dans les négociations. Nous souhaitons le faire avec l'ensemble des organisations même si c'est surtout le dialogue avec la CFDT qui a retenu, ces derniers mois, l'attention des médias. Nous sommes convenus avec la CFDT de mettre en place un groupe de travail sur les 35 heures. Mais l'idée séduit aussi la CFDT d'Alain Deleu » ...
Q - Et Blondel ? Votre arrivée à la tête de la confédération peut-elle débloquer le « conflit » aussi traditionnel qu'historique qui oppose la CGT et FO ?
« Franchement, je ne vois pas en quoi les démarches accomplies par Louis Viannet pour avoir, au moins, des confrontations d'opinions ont pu constituer un obstacle ! Cela dit, si le changement de secrétaire général de la CGT peut permettre de rendre possible demain ce qui ne l'était pas hier, tant mieux. Mais je ne suis pas sûr que cela suffise. Je crois surtout que si il y a une dynamique entre les différentes organisations syndicale, FO sera fortement incitée à y participer, d'une manière ou d'une autre ».
Q - Les divisions syndicales semblent parfois bien abstraites voir artificielles pour le grand public...
« Je constate que nous ne sommes pas sur un fond de division syndicale. Le paradoxe, effectivement, c'est qu'une grande majorité de conflits sont conduits par des intersyndicales alors qu'au plan des appareils et notamment des confédérations ça ne suit pas ».
Q - Pourquoi ?
« Pour des raisons idéologiques ou de positionnement des uns et des autres. Des approches syndicales sont considérées comme inconciliables... Pour moi, il n'y a pas de « camps » et je crois que la plupart des classifications qui s'opèrent à un moment donné pour expliciter des différences ne résistent pas à la pression des événements » ...
Q - Sur les 35 heures, la CGT a semblé plus en retrait que la CFDT...
« On ne peut pas dire cela. La CFDT a eu cette image dans la continuité de son adhésion à la loi Robien. Le principe d'une loi cadre fixant une échéance et instituant une réduction légale du temps de travail est d'une tout autre nature. Il a été le leitmotiv de la CGT. Notre détermination a beaucoup compté et c'est le positionnement convergent de toutes les organisations syndicales lors de la conférence pour l'emploi du 10 octobre 1997 qui a conduit le gouvernement à faire ce choix ! Là où nous avons été très critiques, c'est sur le contenu qui aurai été manifestement différent si on nous avait plus écoutés. L'équilibre qu'a recherché le gouvernement. Y compris en introduisant une part de flexibilité, nous dérange. Et nous souhaitons que la deuxième loi joue un rôle de correctif pour empêcher les dérives ».
Q - Par exemple...
« Les heures supplémentaires. On voit bien que des accords déjà signés laissent le champs libre à un volume d'heures supplémentaires considérables. Ce qui revient à contourner l'objectif de créations d'emplois. Autre urgence : le SMIC avec le risque d'une perte de 11 % de pouvoir d'achat pour de nombreux salariés... Et puis il y a une nette tendance à exclure les cadres des bénéfices de cette loi. Ce n'est pas acceptable. Plus généralement, il y a nécessité de faire le bilan branche par branche et aussi entreprise par entreprise. Il faut à la fois établir un bilan des accords non signés ».
Q - Justement, comment jugez-vous les accords conclus pour l'UIMM (Union des industries métallurgiques et minières) ou pour le secteur bancaire, que vous avez refusé de signer ?
« Je crois comme de nombreux observateurs de l'actualité sociale que l'accord UIMM tourne le dos à l'esprit de la loi. Il n'est, par ailleurs, pas normal que, paraphé par des organisations syndicales certes représentatives mais minoritaires dans la branche, des accords soient imposés à tous. Pour que des accords de ce type soient valables il faudrait qu'ils soient approuvés par les syndicats majoritaires dans la branche ou alors par une majorité de salariés. Ce qui implique leur consultation » ...
Q - Et pour l'accord textile ?
« Étant donné la configuration de l'activité dans ce secteur, la pression internationale et la concurrence, les salariés du textile ont jugé positive la création d'emplois. Mais dans ce secteur comme dans les autres, il ne faudrait pas qu'il y ait parallèlement des suppressions d'emplois au gré des restructurations, fermetures de sites ou délocalisations qui remettraient en cause les effets positifs de la réduction du temps de travail ».
Q - Pour les négociations chez PSA Peugeot-Citroën, vous restez réservé...
« La direction invoque le problème de la pyramide des âges. Mais e problème existe parce qu'elle dit aussi qu'à 55 ans on ne peut plus suivre les cadences, et je trouve inquiétant que nous soyons les seuls à mettre en évidence la dégradation des conditions de travail que prouve ce constat... Le principe d'anticiper les départs à la retraite n'est pas condamnable en lui-même. Ce qui est inacceptable, c'est qu'il n'y ait pas d'équilibre entre départs et embauches, et qu'on ait recours à des fonds publics pour aboutir finalement à des suppressions d'emploi ».
Q - En règle générale le patronat vous donne-t-il l'impression d'évoluer de son côté ?
« Il est en face d'une épreuve de vérité ! Toutes les études montrent que le partage des richesses s'est fait au profit des revenus du capital et au détriment des revenus du travail. C'est sur cette question-là qu'il faudrait poser le dialogue social. Nous sommes toujours dans une économie qui sacrifie l'avenir et le progrès social à la rentabilité à court terme. Le véritable antagonisme est là. Le patronat refuse toujours d'admettre ses contradictions. On peut répéter la main sur le coeur qu'on veut créer des emplois : qu'est-ce-que cela veut dire tant que le travail est considéré comme une marchandise et que la main d'oeuvre est considérée comme un coût » ?