Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, dans "L'Humanité" du 9 mars 1999, sur la lutte contre les discriminations raciales dans l'entreprise, la régularisation des sans papiers et la mobilisation syndicale.

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Média : L'Humanité

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Q - Au-delà du soutien au syndicaliste Michel Beurier, pourquoi la CGT s'intéresse-t-elle de si près à la question des sans-papiers ?

- Ce n'est pas une position nouvelle. A la CGT, nous continuons à penser que la position du gouvernement est intenable. Il a eu dans un premier temps le courage d'adopter une position plus ouverte que le gouvernement précédent en demandant aux sans-papiers de se déclarer. Ils l'ont fait dans l'espoir bien sûr d'être régularisés. Mais il faut aller plus loin. En effet, 70 000 d'entre eux ont déposé leur dossier et ont été déboutés. Et 50 000 à 100 000 autres ont préféré rester dans l'ombre. C'est pourquoi il est urgent de procéder à cette régularisation. Mais aussi de mettre en place, parallèlement, une véritable politique migratoire correspondant aux besoins de notre temps.

Q - Lutter aux côtés des sans-papiers, est-ce une façon de lutter contre le racisme dans les entreprises ?

- Bien sûr. On relance d'ailleurs, cette année, une nouvelle campagne contre le racisme sur le lieu de travail. Et la CGT va participer à la table ronde qu'organise prochainement le ministère du travail. Nous avons une série de propositions pour permettre aux organisations syndicales d'aller en justice sur les questions discriminatoires. Ce qui n'est pas facile puisqu'il faut démontrer, preuve à l'appui, qu'il y a bien eu discrimination raciste. On sait tous que les salariés ne sont pas traités dans les entreprises de la même manière selon leurs origines. Cette discrimination intervient d'ailleurs souvent dès l'embauche. Il faut absolument que le syndicalisme se mêle de cette question.

Q - Mais trop souvent les salariés victimes de cette discrimination, restent isolés.

- C'est vrai. C'est pourquoi la campagne de la CGT a deux objectifs. D'abord, il faut créer les conditions pour informer les salariés concernés. Et s'ils le souhaitent, les accompagner dans la défense de leurs droits. Au sein de l'entreprise bien sûr, mais aussi au-delà. Le rôle des unions locales en tant que structures ouvertes sur la ville, est à cet égard primordial. Nous avons notamment une véritable bataille à mener pour que les qualifications des salariés soient reconnues à leur juste valeur. En particulier lors des entretiens d'embauche. La couleur de peau des candidats est trop souvent l'occasion pour certains employeurs, d'embaucher une main-d'oeuvre à bas prix. C'est inadmissible. Le second volet de notre campagne concerne les problèmes des travailleurs clandestins. Les premières victimes sont massivement les personnes en situation irrégulière. Les employeurs qui les surexploitent prennent d'ailleurs appui sur cette précarité pour peser encore davantage sur les autres catégories de salariés.

C'est pourquoi le démantèlement des réseaux clandestins, mais aussi la régularisation des sans-papiers sont des-questions si fondamentales.

Q - Le rassemblement de Clermont-Ferrand est-il une occasion pour la CGT, d'afficher sa nouvelle image ? Voire de solidifier des liens avec les autres syndicats, notamment avec la CFDT ?

- Dans les motifs de satisfaction de cette mobilisation, on peut citer effectivement la large présence des autres syndicats et du mouvement associatif. Il est remarquable, qu'au-delà des différences que nous avons, nous soyons ensemble pour la défense des libertés. Que l'on soit capable de mobiliser ainsi beaucoup de forces, bien au-delà de nos rangs, est très prometteur. Cela prouve qu'on peut se rassembler sur bien d'autres enjeux.

Q - Cette démarche est selon vous le fruit du dernier congrès de la CGT ?

- L'engagement que nous avons pris auprès de Michel Beurier, lors du dernier congrès a trouvé hier sa traduction. Les milliers de personnes qui étaient présentes à Clermont-Ferrand ont démontré qu'on peut répondre à une initiative lancée par la CGT, sans pour autant se fondre à son identité. Cette démarche a eu manifestement un certain retentissement. Tant mieux. La mobilisation d'hier, est effectivement dans l'esprit du syndicalisme rassemblé, encouragé par le congrès. Un exemple à suivre.