Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, dans "Le Figaro" du 16 mars 1999, sur l'adhésion de la CGT à la Confédération européenne des syndicats (CES), l'opposition de FO et la coopération syndicale sur les 35 heures et la protection sociale.

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LE FIGARO-économie. - Que représente pour la CGT l'entrée dans la Confédération européenne des syndicats ?

Bernard THIBAULT. - Nous entrons dans cette organisation pour participer pleinement aux débats et à la définition de sa stratégie. Cette démarche fait écho à la nécessité d'établir d'autres relations entre les syndicats français. De son côté, la CES souhaite que son congrès, qui se tiendra en juin, envisage les possibilités de créer des mobilisations à travers l'Europe en s'interrogeant sur les moyens de les coordonner.

LE FIGARO-économie. - Est-ce que cela signifie que vous seriez prêts à déléguer une partie de vos pouvoirs à cette confédération ?

- Il n'y a rien de choquant pour nous à accorder un pouvoir de négociation sur certains sujets à une confédération européenne. D'autant moins que, si la CES a besoin de modifier ses procédures internes, elle ne souhaite pas pour autant susciter l'unanimisme sur l'ensemble des enjeux. Elle n'exige pas que tous les syndicats suivent, le petit doigt sur la couture du pantalon, des consignes venues d'en haut. Au contraire, le but est de dégager une ligne stratégique après confrontation des opinions des organisations qui ont toute liberté de garder leur point de vue.

LE FIGARO-économie. - La situation française ne rend cependant pas très optimiste sur les possibilités de coopération...

- FO, c'est vrai, va continuer à s'opposer à notre entrée. C'est très dommage car cette position est en décalage avec les appréciations que cette confédération porte sur de nombreux problèmes. Ce qui devrait faire évoluer la situation. A terme, au-delà de l'aspect franco-françaiS, le dialogue devra s'installer et, ce, d'autant plus que la CES s'intéresse à la représentation nationale au-delà des clivages d'organisations. Nous allons donc être contraints à nous parler davantage.

LE FIGARO-économie. - Reste que, sur des problèmes essentiels, notamment celui des 35 heures, votre position est très différente de celle des organisations membres de la CES...

- La réduction du temps de travail est au centre des débats de tous les syndicats de la CES. La semaine de 35 heures est d'ailleurs une vieille revendication en Europe. De nombreux syndicats nous questionnent sur l'analyse que nous faisons du processus en route en France. Au sein de la CES nous pourrons utilement faire part de l'expérience française. Comme l'a montré le conflit dans la métallurgie allemande, les syndicats européens pensent que la croissance doit se nourrir de l'augmentation du pouvoir d'achat. Le niveau de chômage qui traverse l'Europe conduit chaque organisation à s'interroger sur les limites des politiques menées depuis de nombreuses années. La modération salariale qui a été la règle n'a pas donné de résultats en matière d'emploi.
Le gel des salaires prévu en France dans le cadre de certains accords sur les 35 heures est lourd de conflits à venir. Même les organisations signataires dans plusieurs branches, CFDT, CGC ou CFTC, en conviennent en expliquant que leur signature ne signifie pas accord global.

LE FIGARO-économie. - Mais vous êtes encore plus décalés sur le problème de la protection sociale, en général, et des retraites, en particulier...

- Est-ce si sûr ? Le positionnement de la CES n'est pas une prise de position dogmatique. Nous pensons, pour notre part, qu'il convient de réviser les bases de calcul des cotisations pour ne pas prendre exclusivement en considération la main d'oeuvre. Il faut dégager les recettes supplémentaires et envisager d'autres types de mutualisation vis-à-vis des secteurs qui ne peuvent pas s'autoéquilibrer.

Dans ce contexte nous considérons que la querelle public-privé est absurde. Les pensions du public sont un des éléments du contrat de travail. Nous souhaitons à l'avenir rapprocher l'ensemble des salariés des positions les plus avantageuses. Ce n'est pas une approche marginale en Europe.

Cela dit, il est vrai qu'en France les turbulences issues des choix de 1995 rendent la discussion plus difficile. Mais il faudra sortir des scénarios catastrophes qui veulent convaincre de la nécessité de fausses solutions.