Interview de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à RTL le 1er octobre 1997, sur le succès de l'ouverture du capital de France Télécom, la semaine de 35 heures, la conjoncture monétaire, les réformes fiscales sur les retraites.

Prononcé le 1er octobre 1997

Intervenant(s) : 

Média : Emission Journal de 8h - Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt : On vient d’apprendre que le nombre d’actionnaires qui ont été séduits par l’ouverture du capital de France Télécom est de 3,8 millions, c’est un succès ?

D. Strauss-Kahn : C’est un formidable succès. C’est un formidable succès du côté des particuliers, comme vous le dites : 3,8 millions, il n’y a jamais eu autant d’actionnaires d’une entreprise en France lors de l’ouverture de son capital. C’est un succès aussi vis-à-vis des salariés car, en fonction des chiffres que j’ai pour le moment, plus de 50 % des salariés se seraient déclarés intéressés. Et puis, c’est un succès encore plus grand vis-à-vis des investisseurs traditionnels – les banques, les compagnies d’assurance – puisque, comme vous le savez, 20 milliards leur étaient proposés et ils en ont demandé plus de 400 milliards, dont une très grosse part, les deux tiers à peu près, venant de l’étranger, 20 % des Etats-Unis. Cela montre combien les investisseurs ont confiance dans l’économie française, ont confiance dans cette entreprise qui est France Télécom mais combien, surtout, l’alliance avec l’Etat – puisque je vous rappelle que l’Etat restera à 62-63 % du capital – contrairement à ce que disent les dogmatiques, ne fait peur à personne. Quand une entreprise est bien gérée, que l’Etat donne les bonnes orientations, l’alliance entre le marché et l’Etat est une voie heureuse.

R. Arzt : Cela étant, s’il y a beaucoup d’actionnaires, chacun d’entre eux aura peu d’actions. Alors, peut-être que l’Etat pourrait ouvrir davantage le capital, au lieu d’en conserver 63 % ?

D. Strauss-Kahn : Non. Le choix qui a été fait par le Premier ministre, Lionel Jospin, c’est que l’Etat resterait à 62-63 %. Mais en effet, il y a tellement de demandes que tout le monde ne pourra pas être servi autant qu’il le voulait. Ce que nous allons faire, c’est privilégier les petites demandes qui, jusqu’à 20 actions, seront servies comme elles ont été demandées, pour ceux qui étaient réservataires. Et puis, au-dessus, eh bien ce sera proportionnel ; plus on en a demandé, plus on en aura mais dans une certaine proportion.

R. Arzt : Je voudrais vous interroger sur ce que Jacques Chirac a dit hier, à propos des 35 heures. Il a fait deux remarques : l’aspiration à travailler moins ne doit pas compromettre la compétitivité des entreprises ; et deuxièmement : la solution ne peut être imposée, elle doit être négociée au cas par cas. Qu’en dites-vous ?

D. Strauss-Kahn : Il a raison. Bien entendu, ça ne doit pas nuire à la compétitivité des entreprises. D’ailleurs, Lionel Jospin, dans la Conférence du 10 octobre avec les syndicats et le patronat, n’a pas dit autre chose : Il a dit : nous voulons aller vers les 35 heures mais il faut le faire avec des moyens, des méthodes qui empêchent de nuire à la compétitivité. Il faut au contraire, même, que ça favorise la compétitivité parce qu’on sait que, dans un certain nombre de cas, les 35 heures vont conduire à une réorganisation du travail – ça s’est déjà vu dans pas mal d’entreprises, pas encore assez mais ça s’est déjà vu – et donc, ça va améliorer la compétitivité.

R. Arzt : Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Quand Jacques Chirac intervient, c’est pour aider le Gouvernement ?

D. Strauss-Kahn : Je ne sais pas si c’est son intention, mais le chef de l’Etat dit ce qu’il pense et ça va tout à fait dans le sens de ce que nous faisons. Quand il dit : « ça doit être négocié entreprise par entreprise », nous ne disons pas autre chose. Et c’est pour ça que je pense que les organisations patronales auraient tort de bouder, de rester dans leur coin. On négociera, entreprise par entreprise. Le système se mettra en place comme il a été prévu, et je suis convaincu qu’il aboutira à créer des emplois dans notre pays, par dizaines, peut-être par centaines de milliers.

R. Arzt : Juste une petite chose encore sur Jacques Chirac : vous pensez qu’il est dans ses prérogatives en intervenant sur beaucoup de sujets : immigration, l’emploi-jeunes, la famille, les 35 heures ?

D. Strauss-Kahn : On ne peut pas reprocher au Président de la République de dire tout le bien qu’il pense de la politique du Gouvernement. Moi, honnêtement, je ne peux pas, de ce côté-là, me faire plus royaliste que le Roi, si tant est qu’on puisse dire ça s’agissant du Président de la République.

R. Arzt : Sur les 35 heures, qu’allez-vous faire auprès des patrons qui peuvent hésiter à entrer dans le dispositif proposé par le Gouvernement ?

D. Strauss-Kahn : Les chefs d’entreprise sont aujourd’hui troublés par ce qui s’est passé. Je les comprends : ils avaient l’impression que tout allait bien, que le Gouvernement mettait en place un dispositif très près de la compétitivité, très près de la réalité mais qui allait quand même là où il voulait, aux 35 heures, comme les socialistes l’avaient promis pendant la campagne électorale, et puis, tout à coup, il y a eu cet éclat, cette explosion de la direction du patronat qui a surpris. Je crois que les choses aujourd’hui rentrent dans l’ordre et qu’ils se rendent compte que ce que nous proposons n’a rien d’irréaliste, surtout que c’est la deuxième loi, en 1999, qui définira vraiment les modalités et la façon dont, notamment seront payées par exemple les heures supplémentaires. Parce que, entendons-nous bien, ce que nous fixons, ce que l’Etat peut fixer, c’est la durée légale. Mais la durée effective est déterminée dans chaque entreprise par la négociation entre les syndicats de salariés et les chefs d’entreprise.

R. Arzt : Qu’est-ce qui se passe en 1999, si la situation économique est mauvaise ? On ne fera pas les 35 heures ?

D. Strauss-Kahn : Si, on les fera mais on les fera dans des conditions qui tiendront compte de la difficulté des entreprises – c’est exactement les mots qu’a prononcés le Premier ministre. En attendant, il faut expliquer ; et c’est pourquoi je vais lancer un dialogue avec les chefs d’entreprise, avec tous les ministres de l’équipe économique et industrielle – celle de Bercy, c’est-à-dire C. Pierret qui s’occupe de l’Industrie, M. Lebranchu qui s’occupe des PME et du Commerce, C. Sautter qui s’occupe du Budget et J. Dondoux qui s’occupe du Commerce extérieur, et moi-même. Nous allons sillonner la France pour expliquer aux chefs d’entreprise, à la fois la politique économique du Gouvernement, ce que nous voulons faire en matière des 35 heures – car il ne faut pas affoler les chefs d’entreprises avec des choses qui ne sont pas réelles. Il faut leur faire comprendre que cette voie, certains l’aiment chez eux, d’autres ne l’aiment pas. Des sondages récents, dans La Tribune hier, montraient que déjà pas mal de chefs d’entreprise veulent négocier. D’autres croient que c’est une erreur. Il faut discuter. Mais en tout cas, ce qu’ils doivent comprendre, c’est que la solution qu’a choisie le Gouvernement, annonçant l’objectif dès le début 1998 mais le mettant en œuvre simplement fin 1999, pour l’an 2000, et dans des conditions qui tiendront compte de la situation économique, est la voie la plus compétitive et la plus efficace pour arriver aux 35 heures.

R. Arzt : Juste un mot sur la situation économique : le franc est au plus haut. Quels commentaires ?

D. Strauss-Kahn : Eh bien, écoutez, le franc est au plus haut depuis 1990. Jamais nous n’avons connu une telle valeur. Et cela montre, là encore, - c’est un peu la même remarque que celle que je faisais sur France Télécom tout à l’heure – que tous les observateurs considèrent que l’économie française va bien. Moi, je n’ai pas le fétichisme du marché. Et donc, l’appréciation que les marchés portent sur l’économie française n’est certainement pas la seule chose qui conduise mon action. Mais je suis obligé de constater que, en effet, vous avez raison, les observateurs internationaux considèrent que l’économie française est en bonne voie. Les marchés et le Président de la République, finalement, confortent la politique économique du Gouvernement.

R. Arzt : Il y a un débat budgétaire qui a commencé il y a trois jours. Deux questions : les retraités vont-ils payer plus d’impôt à partir du moment où l’abattement fiscal de 10 % sur leur pension a été supprimé et que, en contrepartie, il n’y a plus la baisse d’impôt ?

D. Strauss-Kahn : Oui, il y avait 10 % de frais professionnels pour les retraités, ce qui était un peu bizarre, puisque les retraités, a priori, n’ont plus de frais professionnels. Alain Juppé, l’année dernière, a trouvé que c’était tellement bizarre qu’il a fait voter leur suppression par la majorité précédente. Alors, du coup, ça va s’appliquer cette année et, en effet, on peut trouver ça un petit peu anormal. Mais nous allons faire en sorte que différentes mesures puissent être prises, concernant l’évolution des retraites, pour qu’ils n’en souffrent pas. Je ne suis pas sûr que la majorité précédente ait eu raison de faire ça l’an dernier. Mais enfin, ça a été voté.

R. Arzt : L’autre question porte sur les déductions accordées à 110 professions : vont-elles être supprimées, comme le souhaite la Commission des Finances, ou maintenues par le Gouvernement ?

D. Strauss-Kahn : Le Gouvernement ne s’était pas engagé dans cette voie-là. La Commission des Finances a voté un amendement qui vise à harmoniser l’impôt sur le revenu et donc à supprimer, comme vous le dites, les avantages qu’avaient quelques professions. Si l’Assemblée le souhaite, évidemment, le Gouvernement se rangera à son avis.