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RTL : Depuis votre élection à la tête du syndicat, il y a deux mois, les dossiers ne manquent pas, à commencer par ceux des retraites et les 35 heures. On va revenir dans un instant. Tout d'abord, vous qui aviez annoncé une espèce de révolution culturelle à la CGT, et la coupure du cordon ombilical avec le Parti communiste, pourquoi vous êtes-vous rangé aux côtés du PC dans la condamnation de l'intervention militaire en Yougoslavie et au Kosovo ?
Bernard Thibault : Nous avons à faire face à une situation complexe. Nous restons persuadés que les modalités de la prise de cette décision et la nature de cette décision n'était la bonne. Je remarque que ce soir, par exemple, « Le Monde » titre : « L'OTAN s'est-elle trompée de stratégie ? » Je constate que de plus en plus d'observateurs équilibrés sur les événements se posent cette question. Nous avons vraiment le sentiment qu'au-delà des objectifs affichés – autrement dit une mise en cause du régime et du premier responsable du régime de Yougoslavie, Miloševic –, les conséquences et le processus engagés se déroulent en s'éloignant peu à peu des objectifs. Il n'y a donc pas d'autre alternative, je crois, et tout le confirme. Parce qu'au-delà des frappes et des bombes qui tombent chaque jour – on n'en mesure pas encore les conséquences –, mais ceux qui sont les plus visés aujourd'hui, ce sont les populations de part et d'autre, pour différents motifs. Mais en aucun cas, pour l'instant, le régime pourtant ciblé se trouve affaibli par la stratégie aujourd'hui retenue.
RTL : Une dernière minute en provenance de Bruxelles : le président Chirac vient de faire une proposition de sortie de crise, visant notamment « à confier à l'Union européenne la gestion de l'administration provisoire du Kosovo ». Votre avis ?
Bernard Thibault : Je pense que tout ce qui sera de nature à modifier les termes de ce conflit pour les placer sur le terrain de la négociation plutôt que de l'affrontement armé, dont tout montre que chaque heure risque de lui donner une ampleur de plus en plus importante, sans que personne n'en mesure les conséquences à long terme, seront des initiatives ou des suggestions bienvenues. En tout cas, au plan syndical, les contacts que nous avons avec nos homologues syndicaux, de part et d'autre de ces territoires, c'est aussi un appel à ce que l'ensemble des combats cessent pour que les aspects démocratiques l'emportent, y compris pour les syndicalistes.
RTL : Le 26 avril sera présenté le rapport Charpin sur la réforme des régimes des retraites. Le patronat, hier, s'est dit favorable à 180 trimestres, soit 45 ans de cotisations. Ça a dû vous faire bondir ?
Bernard Thibault : Comme vous, j'ai pris connaissance des « propositions » entre guillemets, faites par le MEDEF. J'ai tendance à penser qu'on est là dans le registre des fantasmes patronaux, puisque, à aucun moment, je pense, le MEDEF lui-même ne peut espérer attendre des salariés qu'ils acceptent que la retraite, demain, dans notre pays, soit fixée à 70 ans. Parce que la proposition de 45 annuités de cotisations revient – si l'on prend en compte de l'âge d'entrée dans la vie aujourd'hui des jeunes générations, qui est de l'ordre de 24-25 ans –, à dire, demain aux futures générations : vous aurez la retraite autour de 70 ans. Ça n'est pas donc pas du tout acceptable et envisageable. Et même le MEDEF, je pense, ne conçoit pas que la négociation puisse tourner autour de ces propositions.
RTL : Mais alors vous, que proposez-vous ? Que dit la CGT là-dessus ?
Bernard Thibault : Nous allons faire part au gouvernement – parce que nous espérons que le gouvernement ne va pas s'en tenir aux suggestions faites par le rapport Charpin –, donc nous allons faire part au gouvernement d'une autre vision des choses, d'une série de propositions, pour faire en sorte de s'attaquer à une part de problèmes concernant les retraites. Je dis une part, dans la mesure où on a tendance à affoler en partie l'opinion publique sur l'avenir des retraites. Il y a certains problèmes de financement qu'il faut évaluer quant à l'ampleur du problème et à la période où ce problème se pose – des études tendaient à pronostiquer des décisions pour 2040 –, nous ne sommes pas du tout pour une guerre de tranchées à propos des perspectives de 2040. Il y a un problème de financement pour les retraites à l'horizon 2005-2010. C'est de cela dont il faut discuter. Il y a des moyens d'assurer le financement et l'avenir de ces régimes de retraites.
RTL : Lesquels ?
Bernard Thibault : En faisant en sorte, par exemple, que certains éléments de la rémunération des salaires servent à la cotisation pour le calcul des retraites. Il y a des parts importantes aujourd'hui de salaire qui ne servent pas à cotisation pour retraite. Nous sommes, pour notre part, à ce qu'à l'avenir, le calcul des cotisations patronales repose davantage sur la valeur ajoutée produite par les entreprises moins que sur le taux de main-d'oeuvre, et donc le nombre de salariés et le niveau des salaires pratiqués par les entreprises. Ce serait une révolution dans les modalités d'assurer le financement des prestations sociales demain.
RTL : Ça ne risque pas d'avoir des effets pervers comme la délocalisation, etc. ?
Bernard Thibault : Je ne pense pas. Il y a des mesures, y compris d'ordre européen, qui peuvent être prises sur ce terrain-là. La question des retraites est posée pas uniquement en France, même si il y a des problèmes spécifiques. C'est donc quelque chose qui peut être traité à l'échelon européen. Ce qui donnerait d'ailleurs une dimension un peu plus sociale à la construction européenne. C'est un des griefs que nous faisons. En tout cas, nous avons des propositions sur le sujet. Nous comptons pouvoir les mettre dans un ensemble de propositions et faire en sorte que le gouvernement s'intéresse à d'autres pistes que celles qu'on veut le prévoir privilégier au travers de celles présentées dans le rapport Charpin.
RTL : Les 35 heures ça marche ou pas ? Certains disent : depuis que Bernard Thibault est arrivé, à la CGT, on ne signe plus…
Bernard Thibault : Oui, ce n'est pas ce que j'ai lu dans une dépêche d'aujourd'hui, qui laisse apparaître que la CGT est la deuxième organisation signant des accords. Cela dit, nous ne courons pas après le palmarès des accords signés. Nous avons un comportement qui se veut pragmatique, de regarder en fonction du contenu des négociations que nous avons dans les branches, dans les entreprises, l'attitude que nous devons avoir, conformément à l'attente qui est celle des salariés à notre égard. Et c'est donc en fonction de ces négociations que nous décidons, avec les intéressés, de signer ou de ne pas signer. Quels que soient les scénarios, on est maintenant à la veille de discussions concernant l'élaboration de la deuxième loi. Et c'est bien évidemment à ce nouveau rendez-vous-là que nous allons consacrer à la fois la mobilisation et nos efforts pour peser dans ce débat puisque vous avez vu que le MEDEF, aussi, avait une série de propositions concernant cette loi.
RTL : Les cadres ne doivent pas être exclus de ces 35 heures ? On a vu dans l'actualité récente deux affaires : Carrefour et Thomson-RCM, où des dirigeants ont été poursuivis pour horaires excessifs des cadres…
Bernard Thibault : Oui, et non seulement les cadres ne doivent pas être exclus, mais ils doivent aussi se mobiliser comme les autres catégories, pour faire en sorte que cette deuxième loi réponde à leurs attentes. Et vous avez constaté que, pour une première, il y avait une expression de quatre confédérations, affirmant très clairement que les cadres ne devaient pas être exclus de ce processus de réduction du temps de travail, dans la mesure où il y a là des marges en matière de création d'emplois et des besoins d'amélioration des conditions de travail, chez les cadres comme chez les autres catégories de salariés.