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Le Monde : Vous avez eu des propos très sévères à l'encontre des risques inhérents à l'usage des farines « de viandes et d'os » dans l'alimentation animale. Souhaitez-vous leur interdiction ?
Jean Glavany : C'est une question qui me préoccupe. Je n'ignore pas que ces farines permettent de répondre à un besoin en protéines des filières animales. Le dispositif de production de farine a été considérablement sécurisé en France sur la base des avis du comité scientifique interministériel sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles. Les conditions de production de farine sont moins strictes dans les autres pays de l'Union européenne qu'en France. Les autres pays considèrent que leur situation sanitaire est meilleure et qu'à ce titre ils n'ont pas à prendre de telles mesures de précaution. Les enjeux économiques sont considérables et je suis certain que même les scientifiques de la Commission européenne sont exposés à de fortes pressions.
En même temps, l'interdiction d'utilisation de ces farines poserait deux problèmes majeurs qu'il faudra résoudre si une telle décision était prise : il faudrait procéder à la destruction de milliers de tonnes de sous-produits d'origine animale que nous ne consommons pas, avec tous les risques pour l'environnement que cela représente, tant que les outils adaptés de destruction ne seront pas partout disponibles ; elle conduirait ensuite les filières de production à trouver des solutions alternatives pour assurer l'apport de protéines pour des porcs et des volailles, alors que ces sources de protéines végétales ne sont pas forcément disponibles en France ni en Europe.
Il faut donc résister à la tentation d'une interdiction par principe. Toute décision doit aussi être proportionnée au risque encouru. Dans tous les cas, le doute doit profiter à la sécurité du consommateur. C'est cela le principe de précaution. Si des éléments scientifiques ou techniques nouveaux justifiaient une telle mesure d'interdiction, les décisions appropriées seraient prises par le gouvernement.
Le Monde : Quelle est votre analyse des dysfonctionnements dans la circulation de l'information sanitaire entre la Belgique et la France ?
Jean Glavany : Vous faites certainement allusion à une première transmission d'information au début du mois de mai, qui signalait un incident de contamination par la dioxine de graisses animales « matières premières » à destination d'un établissement français de fabrication d'aliments du bétail. Il n'y a pas eu de dysfonctionnement à proprement parler.
Cette transmission ne faisait pas état de conséquences probables et indiquait que l'incident était clos chez le fournisseur, pour les livraisons postérieures au 19 janvier 1999. Les services concernés n'ont donc pas réagi comme ils auraient pu le faire, si un signal clair indiquant un risque avait été transmis. Depuis la semaine dernière, les autorités belges ont régulièrement communiqué au ministère de l'agriculture et de la pêche les informations dont ils disposaient.
Une bonne coopération a donc permis aux services de contrôles français de réagir : les mesures d'investigation ont ainsi pu être engagées afin de retrouver les produits et les élevages concernés.
Le Monde : Pour quelles raisons la France a-t-elle décidé de bloquer la production de plusieurs dizaines d'élevages de volailles ?
Jean Glavany : Pour une seule et même raison, c'est que les animaux de ces élevages ont consommé des aliments contenant des graisses susceptibles d'être contaminés par la dioxine. Ces graisses ont été livrées soit directement aux éleveurs, soit à un établissement français de fabrication d'aliments pour animaux. L'application du principe de précaution s'imposait. Il est important de rassurer le consommateur qui ne doit pas se détourner d'une production tout entière, lorsqu'un accident est limité à quelques élevages.
Le Monde : Cette affaire présente-t-elle des similitudes avec celle de la « vache folle » ?
Jean Glavany : La seule vraie similitude est l'adoption par la Commission d'une mesure de sauvegarde à l'égard d'un État membre : le Royaume-Uni en 1996 pour l'espèce bovine, et la perspective d'une décision de même type pour la Belgique en 1999, touchant les volailles. Les autorités belges ont informé leurs homologues de l'ensemble des informations dont ils disposaient afin que les États membres intéressés puissent prendre à leur tour les mesures de précaution qui s'imposent.