Texte intégral
Je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir accepté de participer à la première réunion de ce groupe de travail.
II se réunira de nombreuses fois au cours de l'automne pour réaliser une tâche très importante à mes yeux, puisqu'il s'agit de préparer une loi d'orientation pour notre agriculture et au-delà, pour l'ensemble du secteur agro-alimentaire.
J'aurai bien sûr à répondre à de nombreuses questions aux cours du travail d'élaboration de ce projet de loi. Mais il en est une à laquelle je voudrais répondre tout de suite, avant même que vous ne me la posiez : Pourquoi faut-il loi d'orientation agricole ?
En effet, ce n'est pas simplement parce que le gouvernement précédent s'était engagé dans la préparation d'un projet de loi d'orientation agricole que le gouvernement auquel j'appartiens a décidé de reprendre ce travail.
C'est parce que l'agriculture traverse une période de mutation très importante qu'il convient de déterminer de nouvelles règles du jeu, de fixer de nouveaux objectifs, bref de préparer une nouvelle loi d'orientation.
La politique agricole commune telle qu'elle a été organisée par l'Europe vers 1960 connaît, depuis le début des années 80, une crise qui a contraint les autorités politiques de la communauté à une série d'adaptations successives, dont nous ne nous sommes pas encore sortis.
Victime de son succès, comme on l'a souvent dit, la politique agricole commune a permis à l'Europe non seulement de devenir autosuffisante pour la plupart des produits agricoles, mais également de devenir un des grands exportateurs mondiaux de denrées alimentaires. Ceci fait, des difficultés d'adaptation de la production au marché ont conduit successivement :
- à l'adoption d'un régime de quotas laitiers en 1984 dans le but de limiter les excédents de production ;
- puis à l'adoption des « les stabilisateurs », pour utiliser le jargon communautaire, c'est-à-dire de mécanismes visant à limiter la production céréalière, c'était à la fin des années 80 ;
- enfin à la réforme de la PAC adoptée en 1992. En effet si cette réforme visait en partie à faciliter les négociations entre l'Union européenne et ses partenaires, au sein de ce qui s'appelait encore le GATT, elle était également justifiée par les dysfonctionnements internes que connaissait la PAC depuis plusieurs années, dysfonctionnements qui se traduisaient par l’accumulation de stocks d'intervention de céréales, de beurre ou de poudre de lait.
Mais les mutations auxquelles je faisais allusion tout à l'heure, ne concernent pas simplement le secteur agricole.
La crise dans laquelle sont entrées la plupart des économies des pays développés depuis la fin des années 1970 s'est traduite par la montée d'un chômage massif, par une crise sociale très importante, par l'augmentation des déficits publics à un niveau qui les rend souvent difficilement supportables. Dans ce contexte, l'importance des dépenses publiques consacrées l'agriculture ne peut pas manquer d'être mis en question par le reste de la société. Ce qui était accepté facilement en période d'aisance économique l’est beaucoup moins dès lors que l’ensemble des secteurs de la société connaissent des difficultés.
Dans le même temps, les difficultés rencontrées pour gérer les budgets publics au plan national et communautaire, ont favorise les tenants de ce que l'on a appelé la « dérégulation », c'est-à-dire les partisans du désengagement de l'État de la vie économique. Cela met bien sûr directement en cause la politique agricole commune fondée sur l'idée que le marché communautaire mérite d'être protégé de la concurrence internationale, que les marchés doivent être organisés et orientés par les pouvoirs publics, et qu'une partie importante du budget communautaire et des dépenses communautaires doit être consacrée à l'agriculture.
Parallèlement des interrogations d'une autre nature sont devenues de plus en plus présentes dans l'esprit de nos concitoyens. Je veux parler de celles qui ont trait au respect de l’environnement, à a mise en question d'un certain type de développement économique considérés comme trop destructeur de l'environnement dans lequel il prend place. Je veux parler également de la demande de plus en plus forte de qualité des produits alimentaires qu'il s'agisse de leur qualité sanitaire ou de leur « authenticité ». Je pourrais mentionner également la faveur que rencontre d'autres types de production comme les productions biologiques par exemple, et de façon générale, l'idée que l'agriculture comme l’ensemble du développement économique doit adopter un mode de développement durable prenant en compte son impact à long terme sur l'environnement tant écologique qu'économique et social.
D'une façon générale, nous prenons conscience que l'agriculture est soumise tout comme les autres secteurs de l'économie à de puissants mouvements de concentration et de délocalisation. Si nous n'y prenons pas garde, l'agriculture à l'horizon de dix ou vingt ans pourrait devenir elle aussi un facteur de déséquilibre dans la gestion de notre territoire, alors que nous sommes tous convaincus de son rôle indispensable dans la construction de l’équilibre territorial national et européen.
Le cadre dans lequel nous vivons, celui d'une politique agricole commune organisée fondamentalement pour favoriser le développement quantitatif de la production, et celui des lois d'orientation du début des années 60, même si elles ont été retouchées depuis, est mal adapté à ces questions nouvelles.
Je ne veux pas dire que le monde agricole, les agriculteurs, les responsables soient restés sourds à ces nouvelles demandes et inconscients des transformations en cours. La conscience des changements nécessaires a émergé progressivement. De plus en plus nombreux sont les agriculteurs et les organisations agricoles qui mettent l'accent sur la multifonctionnalité de l'agriculture, sur la nécessaire prise en compte par cette activité de son environnement. Mais trop souvent encore ces préoccupations sont considérées comme marginales par rapport à une activité dont le but essentiel doit rester la production de biens alimentaires, « pour nourrir le monde » comme on le dit souvent dans les milieux agricoles.
Ce que je vous propose à travers cette loi d'orientation agricole, c'est en quelque sorte de renverser les perspectives, d'inverser l'ordre des priorités.
Je vous ai adressé à tous un premier document de réflexion indiquant les objectifs autour desquels devraient être bâtis selon moi ce projet. Je vous les rappelle brièvement :
- replacer le territoire au cœur de la politique agricole ;
- promouvoir le développement durable de l'agriculture. Par développement durable, j'entends non seulement une agriculture respectueuse de l'environnement, mais également une agriculture qui assure l'existence économique durable des exploitations et des hommes qui les font vivre ;
- favoriser la diversité des modes de développement des exploitations et la possibilité pour les agriculteurs de choisir le chemin qu'ils veulent emprunter ;
- restaurer les liens entre l'agriculteur et le produit qu'il élabore ;
- améliorer le statut des hommes et des exploitations ;
– ouvrir le monde agricole sur la société.
Je ne vais pas reprendre ici de façon détaillée ce que j'ai pu vous écrire dans le document de réflexion que je vous ai adressé sur chacun des objectifs que je viens d'énumérer.
Ce document a déjà suscité de votre part un certain nombre de réactions et c'est heureux puisqu'il était destiné à cela. II a été fait pour lancer le débat, le débat est maintenant lancé. Je voudrais simplement réagir tout de suite à un certain nombre d'observations qui m'ont été faites sur les orientations que j'ai présentées, et cela pour évacuer des ambiguïtés, et de possibles faux débats.
II n'y a pas dans mon esprit de séparation entre la politique agricole au niveau communautaire et la politique nationale qui sera définie par la loi d'orientation. En d'autres termes il ne s'agit pas de définir une orientation productiviste pour la PAC et une orientation, appelons-la territoriale, pour la loi d'orientation.
Il s'agit d'un seul et même débat même s'il est conduit dans des instances différentes. Les préoccupations que j'ai présentées devant vous dicteront ma conduite aussi bien à Bruxelles qu'à Paris. Cela veut dire que je me battrai pour que ces orientations soient reprises dans la future réforme de la politique agricole commune. De ce point de vue j'ai le sentiment d'être parfaitement cohérent lorsque j'engage la concertation avec les organisations professionnelles agricoles sur de nouvelles modalités de répartitions des aides aux grandes cultures, et que dans le même temps je leur adresse le document d'orientation dont je viens de parler.
Deuxième question à laquelle je souhaiterais répondre d'emblée. Lorsque je parle de territoire, je n'ai pas à l'esprit ce que l'on appelle les zones défavorisées. Je parle du territoire national dans son intégralité. Les instruments qui doivent permettent de favoriser les plus grandes diversités du mode de développement des exploitations agricoles, leur développement durable économique et écologique, conforter le statut des personnes, je veux dire les exploitants et les salariés agricoles, sont des instruments qui seront utilisés sur l'ensemble du territoire national.
Là encore il ne s'agit pas d'opposer une agriculture réputée productiviste à je ne sais quel conservatoire des arts et traditions populaires, mais de mettre en œuvre une nouvelle vision de la politique agricole dans son ensemble.
Enfin je souhaite que l’élaboration de ce projet de loi d'orientation agricole soit l’occasion d'un large débat avec toutes les parties prenantes. II ne s'agit pas dans mon esprit d'une loi faite pour les agriculteurs, même si je souhaite bien entendu qu'elle leur soit favorable. II s'agit d'une loi faite pour l'ensemble des parties prenantes du secteur agricole et agro-alimentaire, et au-delà d'une loi qui s'adresse à l'ensemble de la société.
Les industries agro-alimentaires sont plus que des partenaires pour les agriculteurs. C'est leur dynamisme, leur créativité qui a permis l'élargir les débouchés solvables des productions agricoles en France, en Europe et dans le monde. Les moyens d'améliorer encore la relation entre les agriculteurs, les industries de transformation et la distribution sont naturellement un des éléments importants que cette loi devra prendre en compte.
Mais c'est également avec les consommateurs, avec les représentant des autres secteurs de la société que le début doit être conduit. La composition de ce groupe de travail traduit d'ailleurs cette préoccupation puisque y sont représentés les principales associations de défense de consommateurs, et des représentants du monde associatif. La façon dont j'envisage les travaux de ce groupe lui permettront de faire appel encore plus largement aux représentant de tous les partenaires indispensables à ce dialogue.
Je souhaite en effet que ce groupe puisse se réunir chaque semaine, plus précisément chaque jeudi matin à cette heure-ci et dans ces murs. II sera anima par J.-F. Collin, et il comportera comme membres permanents ceux qui sont rassemblés aujourd'hui. Et il fera appel en tant que de besoins à tous les interlocuteurs utiles pour traiter chacun des sujets qui seront envisagés successivement selon le programme de travail prévisionnel qui vous a été remis au début de cette réunion. Vous constaterez que ce programme ne couvre pas encore entièrement la période qui nous sépare de Noël c'est tout à fait volontaire. J'ai souhaité que vous puissiez aussi faire vos propositions, proposer d'autres termes de discussions, élargir le cadre de travail qui vous est aujourd'hui proposé.
Voilà ce que je vous propose. J'espère que nous serons en mesure de proposer un projet à la fin de cette année. La tâche est exaltante puisqu'il s'agit d'ouvrir de nouveaux chemins, je suis certain que nous la mènerons à bien ensemble.