Texte intégral
Ouest-France
- Avez-vous été surpris par la déclaration du président de la république ?
Claude Allègre
- « J’ai d’assez bons rapports avec le Président, mais là il m’a beaucoup déçu. Je crois savoir ce qu’il pense sur le fond. Ce n’est pas éloigné de ce que je pense. Mais il s’est laissé aller à faire de la politique politicienne. Quand les intérêts du pays sont en jeu – et c’est le cas – on ne rentre pas dans des petits calculs électoraux. Le Président aurait dû être cohérent avec lui-même, plutôt que de s’intéresser aux voix qui se sont portées sur Charles Pasqua. »
Ouest-France
- Pourquoi, en France, a-t-on tant de mal à reconnaître la diversité et la valeur des langues régionales ?
Claude Allègre
- « Parce-que nous sommes encore sous l’influence de l’état d’esprit napoléonien, et celui de la IIIe République, conditionnés par de vieux impératifs militaires : on a besoin de soldats, tous habillés pareils et disciplinés, pour aller faire la guerre. Cet état d’esprit, que l’on peut aussi qualifier de jacobin, confond égalité et uniformité. Or, c’est une idée fausse : l’égalité n’est pas l’uniformité, c’est même le contraire. C’est la diversité qui est source d’égalité et de richesse. Pour nous, la diversité des langues régionales est une richesse pour la France. Elles ne menacent en rien la langue française, pas plus que la République.
Ouest-France
- La charte européenne peut-elle être interprétée comme un pas vers l’Europe des régions ?
Claude Allègre
- « Certains l’ont interprété de cette façon. Ils ont voulu cette charte pour affaiblir les pays, je pense notamment aux technocrates de Bruxelles auxquels l’Europe des régions convient parfaitement. Plus les pays sont faibles, mieux ils se portent. Ce n’est pas du tout ma position. Ce qui m’intéresse dans cette charte, c’est la reconnaissance des identités et cultures régionales, parce qu’à mes yeux elles contribuent au renforcement de la France, à la prise de conscience de ses racines et de sa diversité.
Ouest-France
- Allez-vous développer les classes bilingues ?
Claude Allègre
- « Nous les développons mais la demande n’est pas considérable. Je ne comparerais pas les régions, mais la courbe est à peu près partout la même. Il y a une certaine demande de la part des parents dans les classes primaires. Puis cette demande fléchit au collège, encore plus au lycée et reprend un peu à l’Université. Ce dont je ne veux pas, ce sont des obligations d’enseignement. Je ne mets évidemment pas les langues et cultures régionales sur le même plan que le français. Seul le français est et demeurera obligatoire.
Ouest-France
- Les écoles privées, type Diwan en Bretagne, vont vous applaudir mais en même temps réclamer un peu plus de soutien ?
Claude Allègre
- « Les problèmes de Diwan pourront être résolus. Les associations et institutions privées ne sont pas les seules concernées. Actuellement, les enfants qui vont dans ce type d’écoles appartiennent souvent à des familles aisées qui ont de toutes manières de l’argent pour des leçons particulières, je crois par contre que l’accès aux cultures régionales doit être démocratique et doit s’adresser à un public, il faut être vigilant : je ne souhaite pas encourager des mouvements élitistes. »
Ouest-France
- Le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, a évoqué un risque de « balkanisation de la France », qu’en pensez-vous ?
Claude Allègre
- « Je respecte toutes les opinions, mais je crois qu’il est encore dans une idéologie jacobine un peu extrême, un peu rigoriste. »
Ouest-France
- Comment rebondir ?
Claude Allègre
- « On a dit de cette charte qu’elle était un symbole. On peut faire sans les symboles. Nous allons poursuivre nos politiques, à l’Éducation nationale, à la Culture. Nous allons continuer d’aider les langues et les cultures régionales, symétriquement aux efforts que nous faisons pour les langues étrangères.