Interviews de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Libération" le 2 février 1999 et dans "Le Parisien" le 26, sur les propositions du rapport Charpin sur les retraites, le système des fonds de pension, l'allongement de la durée des cotisations et les différences entre les salariés de la fonction publique et ceux du secteur privé.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Libération - Le Parisien - Libération

Texte intégral

LIBERATION : 2 février 1999

Q - Une partie de la gauche a changé d'avis sur les fonds de pension. Et vous ?

J'y suis tout à fait hostile. On ne peut pas rendre les retraites des gens tributaires des fluctuations des marchés financiers. Les marchands du Temple nous présentent ça comme la solution aux problèmes. Derrière, il y a surtout le lobby des banques et des assurances, qui dit : « Votre argent nous intéresse. » Au nom de la modernité, il faudrait jeter tout ce qui est collectif pour l'individuel et faire des Français des petits capitalistes. Trente ans après, de Gaulle va finir par avoir raison avec ses idées d'association capital-travail, un comble ! On nous présente la situation de deux façons : sur un mode catastrophiste : « ce qui existe ne peut plus tenir », et à la fois rassurant : « ce que nous préconisons ne remettra pas en cause le système ». C'est faux : les patrons préféreront alimenter des fonds exonérés fiscalement plutôt que d'augmenter les salaires. Or les salaires font l'objet de prélèvements pour les retraites. Ce sera donc un manque à gagner pour la répartition. En 1910, la vieille CGT, sollicitée sur la question, avait appelé ça les « retraites de la mort », estimant que les gens ne vivraient pas assez vieux pour en profiter. Aujourd'hui, le gouvernement cherche à obtenir la caution des syndicats. C'est donc qu'il veut nous faire partager les risques vis-à-vis des salariés.

Q - Que pensez-vous de la mission Charpin ?

On veut nous faire partager un état des lieux, ce qui est impossible. Retenir, comme le faisait le commissaire au Plan, un taux de chômage de 9 % en 2040, c'est un désaveu pour toute action gouvernementale affichant comme priorité la lutte contre le chômage. Derrière tout cela, il y a aussi un problème politique. Déjà, l'opposition accapare le dossier pour pousser le gouvernement à la faute. Nous, ce qui nous importe, c'est qu'on ne sacrifie pas un système pour résoudre un bug démographique ponctuel, le papy-boom 2005-2010.

Q - Quelles solutions proposez-vous ?

Nous voulons que quelqu'un qui a travaillé toute sa vie ait un revenu suffisant pour vivre dignement jusqu'à la fin de ses jours, quelle que soit sa condition physique. Nous voulons resituer le retraité au coeur du dossier. La création du Fonds de réserve (1) va dans le bon sens, nous l'avons écrit, le 19 janvier, à Lionel Jospin, en lui suggérant plusieurs pistes pour que ce fonds soit massivement alimenté : le produit de la vignette auto (13 milliards), les excédents de la Cades (4,2 milliards prévus en 1999) [2], une taxation sur les heures sup, ainsi qu'une taxe sur les 45 milliards distribués chaque année en intéressement et participation… Au sujet des heures sup, Martine Aubry prévoit, dans le cadre des 35 heures, de taxer jusqu'à 25 % les heures sup de 36 heures à 39 heures. Nous pensons que sur ces 25 %, 5 % pourraient alimenter le Fonds de réserve. Nous sommes plus mitigés sur le produit des privatisations. Quand il s'agit d'une entreprise industrielle vivant dans le secteur commercialisé, ça peut se discuter. Mais nous ne voulons pas remettre en cause la nationalisation des services publics comme EDF.

Q - Vous avez déclaré que l'âge de la retraite n'était pas un tabou...

Dans le cadre d'une discussion globale, c'est l'une des préoccupations qu'il faudra étudier. Nous venons de nous bagarrer pour que les gens qui ont travaillé dès l'âge de 14 ans puissent partir avant 60 ans dans le cadre de l'Arpe (3). Mais, aujourd'hui, la moitié des jeunes ne commencent pas à travailler avant 25 ans. Je rappelle que le départ à 60 ans est un droit, pas une obligation...

Q - Harmoniser les retraites des salariés du privé et des fonctionnaires, est-ce envisageable ?

Je suis pour qu'on ne touche pas aux acquis de la fonction publique. On s'est battus en 1995 contre le plan Juppé. J'ai aujourd'hui un mandat de mon organisation pour se mobiliser là-dessus. Nous avons l'intention de consacrer le 1er mai à ce thème. Nous allons bloquer tous ceux qui veulent revoir le système à la baisse. Certaines déclarations syndicales - je pense à la CFDT - me laissent pantois. Ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas pour certaines modifications. Peut-être va-t-on nous proposer d'intégrer les primes…Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne pourra pas évacuer le problème global de la répartition des richesses et que nous nous méfions des discours sur l'équité qui conduisent à des alignements vers le bas. Pour les retraités comme pour les salariés, le meilleur investissement, c'est le salaire, libre à eux de l'utiliser comme ils le souhaitent. Nous ne sommes pas des directeurs de conscience.


(1) Le Fonds de réserve est une tirelire créée dans le cadre du projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 1999, afin d'amortir les difficultés financières à venir sur les retraites. Problème : il n'est doté aujourd'hui que de 2 milliards de francs.

(2) La Cades (Caisse d'amortissement de la dette sociale) collecte le RDS (0,5 % des revenus), ce qui lui permet de rembourser l'emprunt qu'elle avait contracté auprès des marchés financiers pour boucher le trou de la Sécurité sociale.

(3) Allocation de remplacement pour l'emploi, aide à la préretraite en échange d'une embauche.


LE PARISIEN : 26 FEVRIER 1999

Q - Le rapport Carpin préconise d'allonger la durée de cotisation à quarante-deux ans et demi et d'aligner les régimes de retraite des fonctionnaires sur celui des salariés du privé. Vous y étiez farouchement opposé en 1995, quelle est votre position aujourd'hui ?

Marc Blondel. – C'est de la provocation ! Nous ne sommes pas prêt à accepter un allongement de la durée de cotisation, que ce soit pour le secteur privé ou pour le secteur public. Cette annonce des quarante-deux ans et demi a pour objectif de conditionner les gens en les persuadant que la charge de la retraite est par définition insupportable, et, de surcroît, vise encore une fois à opposer les salariés du public et ceux du privé. Le fond du problème n'est pas là.

Q - Vous êtes donc en faveur du statu quo…

- Non, je pense qu'il faut faire évoluer les choses, mais, en revanche, l'analyse strictement comptable du rapport Charpin n'est pas une bonne approche. Il faut intégrer d'autres paramètres, et ne pas effrayer les gens inutilement. Parmi les pistes envisageables, on pourrait alimenter les caisses de retraite avec le produit de la vignette auto ou en instaurant une taxe sur les heures supplémentaires, par exemple. A FO, la défense du système de retraite est au coeur de nos préoccupations. Nous allons consacrer notre rassemblement du 1er Mai à ce thème.

Q - A l'horizon 2040, il faudra trouver 400 milliards pour financer le seul régime de retraite général. Cette perspective n'incite-t-elle pas à adopter des mesures radicales ?

- 2040 ne signifie rien. En 1960, quand on imaginait l'an 2000 on se trompait. Ce qui est important c'est que l'augmentation des richesses produites – le PIB – soit un peu plus affecté aux retraites ; ce fut déjà le cas dans le passé. Ce qui compte, c'est le principe selon lequel tout retraité doit avoir le droit de vivre dignement jusqu'à la fin de sa vie. En plus, allez expliquer à des jeunes qui cherchent du travail qu'ils vont devoir attendre parce que l'on doit garder les salariés deux ans de plus afin qu'ils puissent payer leur retraite ! C'est complètement illogique.