Texte intégral
Point presse - Londres, 16 septembre 1997
Je vais vous rendre compte des entretiens que j'ai eus ce matin ici à Londres. Je le ferai en français, mais si vous voulez, je répondrai ultérieurement aux questions de ceux qui le souhaitent en anglais. J'ai rencontré Sir Colin Marshall, président du CBI, avec un échantillon de son Board à Londres. J'ai rencontré, aussi, M. Peter Mandelson longuement. Puis, nous venons de déjeuner avec M. Douglas Henderson, qui est le ministre pour les affaires européennes.
Mon propos, ici, était d'établir, de rétablir, de confirmer des liens plus proches avec nos amis britanniques sur l'Europe, faire un tour d'horizon de nos positions sur les grands sujets qui peuvent préoccuper en matière européenne. Je me contenterai de donner, bien sûr, puisque je suis seul ici, mon point de vue, personnel évidemment, sur ce que j'ai entendu. Il n'a semblé que sur les questions européennes les points de vue français et anglais étaient plus proches qu'on a parfois coutume de les présenter et, en plus, avaient des possibilités de devenir encore plus proches. Une question qui, bien sûr, nous intéresse, nous Français, et tous les Européens, c'est quelle sera l'attitude de la Grande-Bretagne à l’égard de la monnaie unique et, sans entrer dans le détail des conversations – on pourra peut-être y revenir – j'ai eu le sentiment que du côté du patronat, sans aucun doute, du côté du gouvernement aussi, on était très conscient que la monnaie unique était en marche. J'ai tenu d'ailleurs à réaffirmer la volonté de la France de faire la monnaie unique, de la faire dans les délais, de la faire selon les critères, et j'ai retiré l'impression très nette que la Grande-Bretagne, si elle n'estimait pas pouvoir faire partie de la première vague, était quand même dans un mouvement qui l'amenait, elle aussi, à ne pas rester à l'écart de la monnaie unique. Restent, bien sûr, les questions posées : Quand ? Quelle va être la position exacte du gouvernement britannique ? À quel moment ? Tout cela appartient à sa souveraineté et, en même temps, cette évolution est quand même une évolution à la fois sensible et positive. Nous nous en réjouissons parce que notre souhait, à Paris, est que la monnaie unique se réalise à temps et sur une base large. Quand nous disons « base large », nous parlons bien sûr de l'Italie, l'Espagne et, à plus long terme, la présence de la Grande-Bretagne dans la monnaie unique signifierait que cette monnaie serait vraiment celle d'une Europe-puissance. C'est bien sûr quelque chose de très important et la position du patronat m'a paru très claire et très allante, allant jusqu'à souhaiter une campagne d'information et, finalement, s'engageant dans un processus de préparation, au fond, à cette monnaie unique.
Nous avons aussi parlé du Sommet sur l'emploi du mois de novembre sur lequel on pouvait nourrir des craintes ou sur lequel il pouvait à la limite exister des malentendus sur la perception des uns et des autres. Au final, il me semble que nos positions pourraient se rapprocher dans la préparation de ce sommet. Elles pourraient se rapprocher sur trois points. Premièrement, sur la coordination des politiques de l'emploi nationales. Nos amis britanniques estiment que l'emploi est avant tout une affaire nationale. Ce n'est pas un point sur lequel nous sommes en désaccord fondamental. Nous souhaitons qu'il y ait une coordination renforcée, par exemple, à travers l'échange de bonnes pratiques, par exemple aussi, à travers l'accélération de la mise en œuvre du chapitre emploi, du futur Traité d'Amsterdam, donc, avant même sa ratification. Un deuxième point pourrait être la mise en place d'une stratégie européenne pour l'emploi, notamment à travers la mobilisation des crédits de la Banque européenne d'investissement. Et la troisième serait l'enrichissement du dialogue social. Alors, bien sûr, ici on aime bien parler d'employabilité. Je me suis permis de faire remarquer à nos amis, à mes interlocuteurs, que la notion était difficile à comprendre en France. Quand un ministre anglais m'explique que l'employabilité, c'est l'inverse de la flexibilité, je lui explique qu'en France on comprend que c'est la même chose. Donc s'il s'agit d'améliorer la formation de la main d'œuvre, d'augmenter l'effort pour la recherche, pour la technologie en faveur des PME, là-dessus nous serons d'accord. II reste à trouver la bonne formulation et celle-ci, je crois, pourrait être trouvée effectivement autour de l'amélioration de la main d'œuvre plutôt que l'employabilité, qui est un concept difficile à percevoir en français.
Il y a enfin un troisième point sur lequel nous nous sommes entretenus, c'est sur l'avenir de l'Union – on en avait déjà parlé hier à Bruxelles – qui concerne notamment tout ce qui touche l'élargissement, au cadre financier de l'Union européenne et, là-dessus, les vues françaises et anglaises, notamment sur l’élargissement, sont assez proches. La Grande-Bretagne va exercer la présidence de l'Union au premier semestre 1998. Je crois qu'elle se reconnaît, dans une large part, dans le projet français de conférence européenne, c'est-à-dire, une instance qui rassemblerait les quinze États membres, aujourd'hui l'Union, et les 12 pays candidats l'adhésion, incluant la Turquie qui est, bien sûr, un cas à part. Je crois aussi que, comme la Grande-Bretagne, nous sommes enclins à dire qu'une fois que cette conférence se réunira, si possible au début de l'année, peut-être à Londres, ensuite il faudra aller vers une différenciation, c'est-à-dire, choisir certains États membres qui seront admis à négocier plus tôt. Enfin, sur le cadre financier, nous avons des positions qui tiennent compte, bien sûr., de nos intérêts nationaux et nous nous engageons là dans une assez longue discussion.
Nous nous sommes contentés d'échanger des points de vue mais tout cela fait que, au total, je vais quitter Londres avec l'idée qu'on peut avancer ensemble : qu'on peut avancer ensemble sur les institutions européennes, qu'on peut avancer ensemble sur l'emploi, qu'on peut avancer ensemble sur l'élargissement. Sur ces bases-là, la présidence britannique s'annonce bien et le sommet franco-britannique également. Au fond, tout cela prouve qu'on a quand même intérêt à se parler plus directement et davantage.
Question : Vous parlez de rapprochement, de consensus et de progrès. Nous sommes juste trois mois après ce qui a été présenté ici comme un échec complet : le Sommet d'Amsterdam. À partir de l’échec d'Amsterdam, qu'est-ce que vous allez essayer de rattraper. Dans quelle direction allez-vous essayer de rattraper ce qui a été présenté comme un échec ?
Pierre Moscovici : Hier, à Bruxelles, la France, l'Italie et la Belgique ont présenté une déclaration commune sur les institutions européennes disant, en substance, qu'elles souhaitaient une réforme des institutions concernant notamment le nombre des commissaires, concernant la pondération des voix au Conseil, concernant le vote à la majorité qualifiée, qui serait préalable à la conclusion du processus d'élargissement. Ce qui veut dire, en clair, que le Traité d'Amsterdam devra être complété avant une conclusion du processus d'élargissement. Nous nous sommes entretenus de cela avec nos amis britanniques qui, d'ailleurs, dans le Traité d'Amsterdam, avaient pris une position très similaire à celle des Français. Nous étions restés finalement jusqu'au bout sur une position conjointe. Nous avons essayé de les convaincre que cette démarche qui était la nôtre était la bonne et qu'il faudrait engager un nouveau « round » de réformes institutionnelles pour compléter Amsterdam. Autre point sur lequel on peut envisager de reprendre les choses – et cela, c'est prévu par Amsterdam, il ne faut pas décrire Amsterdam comme un échec complet – c'est tout ce qui concerne l'emploi.
À Amsterdam, on a certes adopté un projet de traité à certains égards décevant mais on a aussi, en même temps, décidé de la tenue de ce Sommet sur l'emploi. Moi, j'ai été très frappé de la similitude des mots employés. Nous n'en attendons pas des paroles verbales. Nous en attendons des résultats concrets. Nous allons essayer de travailler jusqu'au sommet pour faire en sorte que la position britannique et la position française soient les plus proches possibles.
Question : Est-ce que votre collègue britannique vous a donné quelques précisions sur la date à laquelle Londres comptait faire connaître sa décision formelle sur sa participation à la monnaie unique ?
Pierre Moscovici : Non. Je me suis mal fait comprendre. Je ne veux pas du tout engager le gouvernement britannique.
Question : Parce que le Traité l'oblige à le faire avant la fin de l'année...
Pierre Moscovici : Moi, j'ai eu la sensation que les Britanniques, à la fois les forces économiques et les forces politiques, considéraient qu’il était difficile d'appartenir à la première phase, à ce stade, mais il reste du temps d’ici à la fin de l’année pour se prononcer. Mais, en revanche, ils regardaient positivement ce qui était en train de se produire. Ultérieurement, il y aurait une prise en considération du problème. On n'a pas échangé des considérations plus précises sur les dates, sur les modalités ; ou alors, si on les a échangées, vous leur demanderez ce qu'ils pensent. Vous êtes plus près d'eux tous les jours que moi.
Question : Sur la déclaration commune, est-ce qu'ils vous ont fait savoir qu'ils seraient prêts à la signer ?
Pierre Moscovici : Non, parce que je crois que s’ils avaient été prêts à la signer, ils l'auraient signée. Ce n'est pas une déclaration commune avec les Britanniques ; en revanche, j'ai senti de leur part une volonté de travailler ensemble, après la déclaration commune, sur sa façon d'avancer sur le dossier institutionnel. Je pense que ce sera un des chantiers de la présidence britannique que de dire comment est-ce qu'on reprend cette affaire. Mon sentiment, c'est que pour eux la déclaration belgo-italo-française est un élément de départ pour être capable d'avancer. Sur le fond, ils sont plutôt d'accord. Je crois que leur problème, c'est la contradiction entre le fait de dire « on a un traité, il n'est pas très bon, on le fait ratifier » et qu'en plus on le réforme en même temps. C'est vrai que ce n'est pas extrêmement simple comme démarche. Donc, c'est plutôt une approche pragmatique qui les conduit à ne pas signer la déclaration tout en étant d'accord avec son esprit et en recherchant comment la traduire en réalité. Encore une fois, je ne suis pas le porte-parole du gouvernement britannique.
Question : On a maintenant amorcé cette question du financement de l'Union européenne. Les Allemands veulent une réduction de leur contribution nette, de même que les Britanniques insistent sur une ristourne. Quel est le point de vue français sur ces revendications ?
Pierre Moscovici : On a traité cela un peu sur le terrain de l'humour car c'est quand même une discussion qui va durer assez longtemps. Par exemple, personne, hier, n'est rentré dans ce degré de détails. Mes homologues ont pu me dire « We want to keep what we've got » et je leur ai répondu « I hope it won't be contagious ». C'est peut-être comme cela que je peux répondre à la question. Ils ont ce qu'ils ont. Il ne faudrait peut-être pas que d'autres demandent ce que les Britanniques ont et qu'ils n'ont pas encore. Je pense, si vous voulez, que si chacun se mettait formuler la théorie du juste retour sur l'Union européenne, alors à ce moment-là, celle-ci serait extrêmement mal partie. Les Anglais l'ont fait. Il y a quelque chose qui s'est créé sur lequel personne n'est revenu en arrière depuis longtemps. Personne ne l'a évoqué hier. Mais, en même temps, la généralisation d'un tel processus serait certainement une très mauvaise chose. Donc, la discussion ne partira pas sur ces bases-là. Le Président de la République a fait hier une interview à « Focus », un journal allemand, dans laquelle il disait qu'il fallait distinguer les soldes et les contributions. Nous voulons bien raisonner sur le niveau des contributions que certains pays versent à l'Union mais pas sur le niveau des soldes, c'est-à-dire, ce qu'ils touchent en retour parce que cela est beaucoup plus compliqué. C'est une attitude qui me paraît juste. La France est un contributeur net mais, évidemment, beaucoup plus faiblement que l'Allemagne, par exemple. Elle est au cinquième rang. La France est un grand pays agricole. J'ajoute que, sur ce sujet, elle va être très attaché à la politique agricole commune. Sur ce sujet du cadre financier, c'est une discussion qui commence et qui va durer probablement un an et demi. Aujourd'hui, il y a les premières propositions qui sont sur la table ; il y aussi les premières réactions des uns et des autres dont on voit bien les lignes de force. Les Anglais, effectivement, réclament la perpétuation de ce qu'ils ont. Les Allemands souhaitent désormais que leur contribution soit réduite. Les Français ne sont pas mécontents de leur position. Chacun, au départ, attaque cela avec ses intérêts nationaux. Nous allons trouver, sans aucun doute, d'autres manières de résoudre cela parce que, sinon, ce serait bloqué assez vite.
Question : À propos du rapprochement avec l'Angleterre, c'est curieux car, à chaque nouveau gouvernement français, on voit apparaître la même chimère. Nous allons faire alliance avec la Grande-Bretagne pour construire l'Europe et puis, au bout de trois-quatre mois, on s'aperçoit qu'il y a une certaine espèce de permanence de la politique étrangère britannique qui fait que la Grande-Bretagne reste méfiante à l’égard de l'Union européenne. Vous n'avez pas l’impression, à votre tour, d'avoir cette chimère ?
Pierre Moscovici : Non, et à deux points de vue. D'abord, je ne parle pas d'alliance avec la Grande-Bretagne. Le rêve d'une alliance de revers au moment où le couple franco-allemand commencerait à souffrir est un mauvais rêve. Pour la France, c'est clair, le rapport avec l'Allemagne est un rapport qui reste essentiel. Nous souhaitons en plus absolument qu'il reste excellent. C'est le sens du Sommet de Weimar à la fin de la semaine. Donc, on ne cherche pas un partenaire de substitution en Angleterre. La deuxième chose sur laquelle je suis en désaccord avec cela, c'est que je pense qu'il s'est quand même passé quelque chose avec les élections britanniques. Nous avons un gouvernement actuel qui est strictement, en Grande-Bretagne, très conscient de ses intérêts nationaux. Cela, c'est une constante qui, finalement, est heureuse parce que c'est quand même le rôle d'un gouvernement. Mais pour la première fois depuis 25 ans, sans doute depuis Edouard Heath, dans des circonstances beaucoup plus favorables, nous avons un gouvernement qui n'est pas sceptique par rapport à l'Europe. II est réaliste. Je suis convaincu que c'est un gouvernement qui saura avancer. À titre personnel, je sais que nous allons avoir des difficultés, que nous allons avoir des divergences, mais je crois que c'est quelque chose d'extraordinairement important. L'attitude de la Grande-Bretagne par rapport à l'Europe a à peu près radicalement changé. C'était une attitude d'extériorité, hostile, et cela devient une attitude d'intériorité, active, défendant les intérêts britanniques. C'est quand même deux postures radicalement différentes et il en sortira quelque chose. Si j'évoquais la monnaie unique, je donnerai plutôt un sentiment personnel, encore une fois, sur ce qu'ont pu me dire mes interlocuteurs mais on voit bien que c'est un type de réflexion qui n'est absolument pas tabou, qu'il y a un mouvement qui est en train de se produire. Je ne parle pas d’alliance, je parle de rapprochement qui est dû aussi au fait que ce sont deux gouvernements d’une même famille politique qui sont au pouvoir. Je parle de rapprochement, je parle de travail possible ensemble. Je crois que la Grande-Bretagne fait partie des trois ou quatre partenaires essentiels pour bâtir l'Europe de demain et qu'elle le sera de plus en plus parce qu'elle entre dans le processus.
Question : Vous avez parlé de la coordination des politiques nationales sur l'emploi, est-ce que vous avez évoqué des moyens concrets ou est-ce que vous avez échangé des idées ?
Pierre Moscovici : Pour l'instant, on est resté au niveau des idées mais il y a deux chantiers sur lesquels nous nous sommes convenus de travailler ensemble. C'est le Sommet sur l'emploi. Je crois que ce serait un signal extrêmement important que la Grande-Bretagne et la France aient des positions plus proches que celles qu'on leur prête, y compris d'ailleurs dans les mouvements politiques auxquels appartiennent les gouvernements, – en plus, ce serait extrêmement positif pour l'Europe. Et, deuxième sujet, c'est la réforme institutionnelle. Nous comptons beaucoup sur la présidence britannique pour faire avancer celle-ci. Nous allons y travailler ensemble. Nous avons eu des échanges préliminaires à ces travaux qui ont commencé, d'autant qu'il y a un sommet franco-britannique au début du mois de novembre.
Question : Au Sommet de Luxembourg, est-ce que vous espérez qu'il y aura des résultats chiffrés tels que le pourcentage des personnes en formation ? Est-ce que les ambitions françaises ne vont pas se heurter à la réticence des Britanniques ?
Pierre Moscovici : Je veux lever une ambiguïté. Ce sommet n’est pas un sommet français ou pour les Français. C'est très important. À Amsterdam, c'est la France qui a obtenu la résolution sur la croissance et l'emploi. C'est indubitable. À Amsterdam toujours, c'est la France qui a demandé le Sommet pour l'emploi. C'est également indubitable. Mais, dans la conduite de ce sommet, nous tenons beaucoup à ce qu'il ne soit pas dit « Les Français une fois de plus veulent faire l'Europe à leur image avec tel et tel volontarisme ». Nous faisons confiance à la présidence luxembourgeoise. Tout ce que nous voulons, c'est l'aider. Nous observons les propositions qu'a fait M. Jüncker, nous avons fait les nôtres mais on n'est pas en train d'imposer je ne sais quel volontarisme français. On est en train d'essayer de trouver un compromis avec d'autres. S'il y a un chiffre, j'aimerais que ce soit un chiffre en milliards d'écus d'aides diverses de la Banque européenne d'investissement. Pour les autres critères, c’est plutôt une proposition luxembourgeoise que française. Pour ce que vous évoquiez, c'est M. Jüncker Iui-même qui a évoqué cela. Cela ne fait pas partie des propositions que la France a déposées à M. Jüncker. Alors, vous voyez, si on en est à critiquer le volontarisme luxembourgeois...
Question : Est-ce que vous avez vraiment des espoirs que la Banque européenne d'investissement va fournir un peu plus parce que, à chaque problème, on se tourne vers cette banque ? Or, on se heurte au conservatisme de cette institution et de ses gouverneurs...
Pierre Moscovici : Nous avons vraiment des espoirs. Au mois de juillet, nous avons rencontré M. Jüncker avec M. Jospin, M. Strauss-Kahn et Mme Aubry. II nous a expliqué sa méthode. II a immédiatement fait procéder à toute une série d'entretiens avec les gouverneurs, ceci, avec un audit des comptes de la banque. II nous a dit que son espoir très ferme était effectivement qu'on puisse mobiliser plusieurs milliards d'écus, sous diverses formes, pour l'emploi. Et, encore une fois, c'est bien notre espoir.
Question : Est-ce que vos interlocuteurs de ce matin ont partage cet espoir ?
Réponse : Oui, absolument. Tout à fait. Encore une fois, qu'on se comprenne bien : quand on parle des fonds de la BEI, on ne parle pas de financements budgétaires supplémentaires. D'ailleurs, la France ne l'a pas proposé. On parle d'utilisation des fonds existant à la Banque européenne d'investissement et qui ne sont pas aujourd'hui mobilisés pour l'emploi.
Question : Ce sont des réserves d'argent ou bien il faudra emprunter sur le marché ?
Pierre Moscovici : C'est l'un ou l'autre. Franchement, encore une fois, laissons M. Jüncker travailler. Vous m'avez demandé ce que j'attendais du sommet en termes chiffres, je vous dis plusieurs milliards d'écus provenant, sous diverses formes, de la Banque européenne d'investissement et je maintiens cet espoir.
Date : 16 septembre 1997
Source : BBC World Service Television
BBC World Service Television : Monsieur le ministre, vous venez d'avoir des entretiens à Londres avec des ministres britanniques. Le nouveau gouvernement britannique a adopté un ton différent sur l'Europe et certaines politiques ont changé en particulier en ce qui concerne le protocole social. Pensez-vous que ceci s'étendra aussi à la monnaie unique ? Pensez-vous qu'il y a de la part de la Grande-Bretagne une plus grande volonté de s'y joindre, sinon dès la première vague, du moins lors d'une seconde vague ?
Pierre Moscovici : Je sens que les choses bougent en Grande-Bretagne, au sein du gouvernement et ceci inclut la monnaie unique, mais j'ai eu l'impression que la Grande-Bretagne n'est peut-être pas prête pour la première vague mais qu'elle pense certainement à avancer à l'avenir et je crois que c'est très important pour l'Europe parce que si nous avons la Grande-Bretagne dans l'euro, cela fera de l'Europe une véritable puissance financière, face aux autres puissances dans le monde. Donc, j'ai espoir et le plus tôt sera le mieux.
BBC World Service Television : Pensez-vous que si la livre n'est pas dans la première vague, ce sera un vrai problème, une vraie faiblesse pour l'euro ?
Pierre Moscovici : Nous pouvons comprendre les problèmes britanniques, les positions britanniques et nous n'essayons donc pas de forcer la Grande-Bretagne à participer dès la première vague. Les entreprises ont sans doute besoin d'une période d'adaptation. J'en ai parlé avec le président de la Confédération des industries britanniques, il semble penser qu'elles ont besoin de s'adapter. J'espère que le moment viendra le plus rapidement possible.
BBC World Service Television : La France et l'Allemagne semblent en tout cas déterminées à faire en sorte que l'euro soit mis en œuvre dans les délais. Ces derniers temps, il y a eu dans ces deux pays de meilleures nouvelles économiques qui pourraient être de nature à vous permettre de remplir les critères. Êtes-vous sûr désormais que les choses vont pouvoir progresser selon le calendrier ?
Pierre Moscovici : En ce qui concerne la France, il est certain que nous avons enregistré de meilleurs résultats économiques. Nous avons pris des décisions budgétaires difficiles, très courageuses, et nous sommes désormais certains de respecter le calendrier et de remplir tous les critères inscrits dans le Traité de Maastricht, y compris le critère de déficit budgétaire. Donc, la France veut la monnaie unique et elle la veut dans les délais.
BBC World Service Television : À votre avis, combien de pays participeront à la première vague, seront capables de remplir ces critères ?
Pierre Moscovici : J’espère qu’avec le retour de la croissance, l'euro pourra avoir une base large, que dix ou onze pays pourront rejoindre l'euro dès la première vague, des pays comme, par exemple, l'Italie ou l'Espagne.
BBC World Service Television : Néanmoins n'est-ce pas quelque chose qui doit encore être décidé par les pays concernés ? C'est une décision politique, n'est-ce pas ? La France et l'Allemagne n'ont-elles pas une vision légèrement différente quant aux pays qui doivent être inclus ?
Pierre Moscovici : Je crois que, chaque jour, la perspective d'une zone euro plus large gagne du terrain. Prenons l'exemple de l'Italie : chacun voit que ce pays fait de grands efforts. Je pense que si l'Italie remplit les critères cette année, il n'y a aucune raison de l'exclure de la première vague. Je suis très confiant que dix ou onze pays rejoindront l'euro dès la première vague en mai 1998.
BBC World Service Television : Revenons à l'axe franco-allemand, comme l'on dit parfois. On a eu le sentiment, en tous cas il y a quelques mois, d'un certain malaise dans ces relations en particulier après l'arrivée du nouveau gouvernement à Paris. Pensez-vous que l'évolution de la situation économique fait que ce débat appartient désormais au passé ?
Pierre Moscovici : Nous travaillons à une meilleure relation avec l'Allemagne. Nous avions besoin de faire connaissance, le nouveau gouvernement français et le gouvernement allemand, le Premier ministre et le chancelier Kohl. Ceci est maintenant fait et, maintenant que nous abordons les vrais problèmes politiques, nous voyons que, sur un grand nombre de sujets, nous sommes vraiment très proches. Sur la monnaie unique, par exemple, je ne vois aucune différence entre l'Allemagne et la France. Tous deux, nous voulons la monnaie unique et nous la voulons dans les délais. II y a quelquefois des gens en Allemagne qui pensent reporter la monnaie unique mais ils n'appartiennent pas au gouvernement et ceci est très important. Je pense qu'il y a en France et en Allemagne une très forte volonté politique et cette volonté commune sera confirmé demain lors de notre sommet.
BBC World Service Television : Vous dites que ce sentiment n'existe pas au sein du gouvernement mais il est néanmoins largement répandu. N’êtes-vous pas, en fait, inquiet de voir que l'Allemagne qui, en réalité, a Iongtemps été considérée comme une locomotive, a désormais un gouvernement, un milieu politique qui paraît assez faible, qu'il y a un débat continu et qu'il y a certains doutes à propos de certains éléments du gouvernement. M. Waigel, par exemple, est présenté comme un homme sans avenir et M. Kohl doit affronter l'électorat l’an prochain ? La faiblesse de l'Allemagne n'est-elle pas un sérieux problème ?
Pierre Moscovici : Nous n'avons pas à nous préoccuper de la politique intérieure allemande. Nous ne nous en mêlons pas. Nous pouvons voir qu'il y a des commentaires légitimes, que le gouvernement veut faire l'euro, tout comme nous. Nous travaillons avec eux, la décision sera prise en avril ou en mai, donc avant les élections allemandes. Je suis persuadé que cette décision sera positive.
BBC World Service Television : Au-delà des questions de politique intérieure allemande, vous nous avez parlé de l'étroitesse des relations et dit que les choses s'étaient résolues maintenant que vous vous connaissiez, l'on dit également que l'alchimie entre M. Chirac et M. Kohl n'est pas ce qu'elle était entre M. Mitterrand et M. Kohl. Pensez-vous que ce soit un problème et qu'il doive être pris en compte ?
Pierre Moscovici : Le Président Mitterrand était un, homme politique aux qualités exceptionnelles. M. Chirac a ses propres qualités. Certains, par exemple, disent que les choses sont plus difficiles. Certains disent qu'ils n'en sont pas À la même phase de leur vie politique : M. Kohl est au pouvoir depuis seize ans, M. Chirac depuis deux. Et bien, le problème n'est pas un problème personnel, le problème est d'avoir des partenaires stables et je pense qu'avec le nouveau gouvernement, les Allemands peuvent voir clairement que le gouvernement français veut, fait tous les efforts pour remplir les critères. Je pense que la stabilité est quelque chose qui rassure les allemands qui y sont très attachés, à juste titre.
BBC World Service Television : De manière plus générale, sur la question des politiques à plus long terme, votre gouvernement, à son arrivée au pouvoir, a beaucoup parlé du problème de l'emploi. Le Sommet sur l'emploi se prépare. Comment malgré cela pouvez-vous, en France comme en Allemagne où vous connaissez des taux de chômage très élevés, vous tourner vers vos opinions et leur dire que tout ce que vous faites pour vous préparer à la monnaie unique vaut vraiment la peine, étant donné la persistance du problème du chômage ?
Pierre Moscovici : Je ne vois aucune contradiction entre euro et emploi. Si vous avez l'euro, cela veut dire que vous aurez moins de spéculation, cela veut dire aussi que les taux d'intérêt pourront baisser. Ceci est très important pour l'investissement et la consommation. II y a donc un intérêt macro-économique à l'euro. Mais ce qui est sûr c'est qu'il nous faut compléter l'euro par une politique de croissance et d'emploi. C'est ce que nous avons demandé à Amsterdam.
C'est ce que nous attendons aussi du Sommet sur l'emploi à Luxembourg à la fin du mois de novembre.
BBC World Service Television : Le problème est certainement que tous les bénéfices de l'euro sont à plus long terme, alors que vous devez régler ce problème immédiatement.
Pierre Moscovici : Vous parlez là avant la décision sur l'euro. Je suis persuadé que nous ne pouvons pas imaginer combien les effets de l'euro seront importants et rapides. Je suis certain qu’après l'avènement de l'euro, il y aura une dynamique extraordinaire. Je pense donc que nous devrions arrêter d'en parler comme d'une théorie et le mettre en œuvre rapidement. Plus tôt nous aurons l'euro, plus les effets positifs seront sûr et certains.
BBC World Service Television : Dernière question. Le sommet franco-allemand se tient A Weimar. C’est la première fois, je pense, dans l'Histoire moderne, qu'un sommet franco-allemand se tient dans ce qui était l'Allemagne de l'Est. Comment devons-nous voir cela ? Faut-il y voir le signe d'une différence de perception entre la France et une Allemagne qui est peut-être de plus en plus tournée vers l'Est ?
Pierre Moscovici : Non, bien au contraire. C'est le sommet de la réconciliation entre les deux parties de l'Europe et nous voulons que ce sommet ait en même temps une signification économique et sociale et que nous y parlions également, par exemple, de coopération en matière de défense. Mais nous insistons aussi sur un aspect culturel très important : Ce sommet doit être un sommet d'un genre nouveau parce que nous préparons l’élargissement, une Europe nouvelle qui réunifiera les deux parties de l'Europe que la guerre froide avait divisé. C’est pour moi, la signification positive du choix de ce lieu.