Texte intégral
En quarante ans depuis le Traité de Rome, l’Union européenne est déjà passée, tout en se renforçant, de six à quinze membres. Aujourd’hui, une dizaine de pays supplémentaires au moins de l’Est et du Sud-Est de l’Europe, est candidate à l’adhésion. Début décembre, le Conseil européen va arrêter, à partir des études de la commission, la liste de ceux avec lesquels des négociations d’élargissement pourront débuter début 1998, ce qui constitue un pas très important dans le sens de l’unité de l’Europe toute entière : unité culturelle, unité économique, unité politique. Mais si ces pays plébiscitent l’Union européenne par leur désir de la rejoindre, si elle sert d’exemple à d’autres regroupements régionaux dans le monde, c’est parce qu’elle « marche », parce qu’elle se développe, parce qu’elle bâtit des politiques communes dont ses membres bénéficient. Tout cela serait mis en péril si le nombre des membres de l’Union européenne s’élevait trop alors que les mécanismes de décision resteraient immuables. Pour prévenir ce risque, il lui faut, à présent, adapter et réformer ses institutions, pour préserver son efficacité et sa vitalité.
Cela est d’autant plus nécessaire que ses politiques communes bénéficient directement à la vie quotidienne de ses citoyens, dans des domaines comme l’agriculture, l’environnement, les transports, ou la protection des consommateurs, et qu’il lui faut répondre, également aux nouvelles attentes des Européens en matière de santé, de sécurité et d’emploi, qui prendront une part croissante dans la vie de l’union. Modèle social original, union économique et monétaire, espace de sécurité face aux grands fléaux de nos sociétés que sont la criminalité et la drogue, Europe fort utile au monde, voilà nos ambitions européennes pour demain.
C’est pour garder cette capacité qu’il nous faut réformer. Rien ne serait plus décevant pour les opinions publiques et pour les gouvernements des pays candidats que de découvrir, demain, après leur adhésion, qu’ils ont fait un marché de dupes et que cette union à 16, 17, 18 19 ou 20 est devenue un ensemble obèse, incapable de décider et de progresser. C’est ce qui conduit la France à demander que les réformes institutionnelles qui n’ont pu être décidées à Amsterdam (sauf le principe des coopérations renforcées) le soient impérativement avant la conclusion des prochaines négociations d’adhésion. Qu’il n’y ait pas de malentendu : il ne s’agit pas de poser de condition nouvelle à des pays dont l’apport à la civilisation européenne est majeur. La France et l’Union européenne ont toujours souligné le lien approfondissement/élargissement. Il ne s’agit pas non plus de retarder l’élargissement puisque les premières négociations s’ouvriront, au début de 1998 et que nous aurons largement le temps pendant celles-ci, et avant leur conclusion, de réaliser les réformes institutionnelles que nous demandons.
Mais nous souhaitons en même temps que ce nouvel élargissement ne décourage aucun des autres candidats avec lesquels les négociations ne peuvent pas encore commencer, pour des raisons politiques ou économiques. C’est en pensant à eux que la France a proposé que se tienne une « Conférence européenne » qui permettrait à tous les pays de l’union et aux États candidats de se retrouver pour évoquer ensemble tous les sujets d’intérêt mutuel : les grandes questions politiques liées à l’avenir du continent européen, la coopération économique, les regroupements régionaux, la lutte contre la criminalité, la drogue, la maîtrise des flux migratoires. Tous les pays candidats seraient ainsi placés dans un même cadre, aux côtés des membres de l’union, et se verraient reconnaître les mêmes liens avec l’union. Le processus d’élargissement a pour vocation de rassembler progressivement et non de créer de nouvelles lignes de partage ou de fracture. Les négociations d’adhésion devraient pouvoir commencer avec un pays candidat dès lors que ce pays est en mesure de négocier. Il n’y aura donc pas de « groupes » de pays ou de derniers « trains », mais une approche individuelle pragmatique de chaque cas.
Avec le lancement de l’euro, la réussite de l’élargissement de l’union, c’est-à-dire sa bonne maîtrise, constitue la priorité de notre politique européenne pour la fin de ce siècle. C’est une œuvre majeure que nous ne pouvons pas, en tant qu’Européens confiants en l’avenir de notre continent, ne pas réussir.
Cet article sera publié dans les jours qui viennent par le quotidien tchèque « Mlada Frontna Dnes », le quotidien hongrois « Nepszabadsag », le quotidien roumain « Romania Libera », le quotidien slovaque « Pravda », le quotidien bulgare « Demokratsia », le quotidien slovène « Delo », le quotidien lituanien « Lietuvos Rytas », le quotidien letton « Diena » et les quotidiens estoniens « Sonumileht » et « Estonia ».