Déclaration de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur les nécessaires évolutions du droit des salariés en matière de discrimination raciale, Paris le 11 mai 1999.

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Circonstance : Table ronde sur les discriminations raciales dans le monde du travail à Paris le 11 mai 1999

Texte intégral

Madame la ministre, Monsieur le ministre, Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi, d’abord, d’exprimer au nom de la CGT la très grande satisfaction que nous procure la tenue de cette table ronde. Notre organisation souhaitait depuis longtemps une initiative de cette teneur et nous remercions Madame la ministre de l’emploi et de la solidarité de l’avoir organisée.

La CGT porte une attention particulière à la lutte contre toutes les discriminations et notamment les discriminations raciales dans le travail. Elle a d’ailleurs procédé lors de son 45e congrès en 1995 à une modification du texte de ses statuts mettant explicitement en relief cet objectif spécifique de l’action syndicale. Cette sensibilité était présente dès les premiers balbutiements du mouvement syndical en France. Cela n’a rien pour étonner car il est patent que les premières organisations ouvrières sont nées sous le double signe des valeurs républicaines héritées de la révolution des droits de l’homme et du citoyen et de l’internationalisme qui en manifeste la dimension universelle.

Notre pays, comme toute l’Europe, vit une période difficile marquée par une crise durable qui atteint en profondeur le corps social, menace sa cohésion en bouleversant sans ménagement des repères essentiels du monde du travail, en aggravant les inégalités, en fragilisant les conditions de vie et en exacerbant les frustrations des couches sociales les plus démunies économiquement et culturellement. Cette crise est le terreau essentiel de l’influence des partis politiques qui font du racisme leur credo et l’exutoire des peurs et des détresses sociales qu’ils exploitent et qu’ils alimentent.

C’est tout particulièrement vrai en France, où l’extrême-droite raciste a mené plusieurs tentatives pour investir le terrain de l’entreprise par le biais de la création de fausses organisations syndicales. Même si elles ont été pour l’instant partout déboutées par les tribunaux et rejetées par les salariés, la menace reste et je profite de cette circonstance, Madame la ministre, pour m’inquiéter auprès de vous de la fâcheuse lenteur qui semble s’être attachée à la sortie d’un projet de loi interdisant la présentation de listes aux élections prud’homales par des organisations dépendant d’un parti politique et prônant la discrimination.

Mais je reviens au programme de cette journée dont nous approuvons l’économie générale. En effet il nous faut continuer à travailler sur deux fronts, celui de la compréhension et celui de l’action. Le premier front est bien celui d’un travail patient, sans cesse recommencé, de connaissance, d’élucidation et de sensibilisation sans lequel la discrimination raciale ne pourra pas être débusquée. Dans cette tâche, l’apport multidisciplinaire des sociologues et des hommes de terrain est indispensable pour rendre visible et intelligible ce qui est caché, masqué, travesti, dénaturé par les pratiques et les rituels sociaux et parfois tu par les victimes elles-mêmes. Cette mise à jour vise tous les comportements, y compris ceux constatés et même parfois banalisés dans la pratique quotidienne et routinière du service public.

Comme devrait l’indiquer la déclaration qui sera soumise à notre approbation tout à l’heure, notre action vise à établir un « consensus de la société qui à terme permettra d’étouffer toute velléité de discrimination ». Nous en sommes loin encore, tant il est courant qu’elle puisse être revendiquée cyniquement dans les zones de non-droit du travail, proliférant dans le sillage du chômage massif et de la précarité, facilement dissimulée par des employeurs laxistes ou indélicats, éventuellement encouragée ou protégée par la complaisance coupable de certains salariés qui croient en tirer bénéfice. En fait si nous sommes convaincus de la justesse théorique et pratique de notre combat contre toutes les formes et manifestations du racisme, de sa profonde cohérence avec les fondements de l’action syndicale générale, nous devons reconnaître que nous n’avons pas encore réussi à contrecarrer de façon décisive les évolutions actuelles de ce combat, alors qu’il s’agit d’un enjeu central dans le monde du travail.

La dimension de ce problème est telle que si le débat de cet après-midi sur le thème « Comprendre et connaître les discriminations dans le monde du travail » peut contribuer à l’éclairer, il ne saurait l’épuiser. En tout état de cause, il me paraîtrait souhaitable qu’au-delà de l’adoption de notre déclaration commune et de sa forte valeur symbolique et prescriptive, tout ce travail d’élucidation qui, certes, doit se poursuivre se concrétise dans des campagnes de sensibilisation programmées par chacun des acteurs. Je propose que cette table ronde entérine cette nécessité.

De la même façon notre résolution affirmée « d’agir ensemble contre les discriminations » nous amènera à travailler sur des pistes concrètes, présentant toutefois quelques difficultés réelles de mise en œuvre qu’il convient de circonscrire et de résoudre à la fois rapidement et durablement si nous voulons être efficaces. Le premier inventaire qui constitue la trame de la deuxième partie des débats de cet après-midi me semble avoir pointé l’essentiel.

Je voudrais insister sur deux points :

– le premier c’est que si l’on veut que le mouvement syndical devienne un acteur efficace contre les discriminations, il faut impérativement lui donner la compétence pour ester en justice ;

– le deuxième c’est la nécessité de renverser la charge de la preuve en matière civile et prud’homale.

Sans l’exercice de ce droit pour les syndicats et sans cette évolution de la procédure, notre action restera en deçà de la « masse critique », j’en suis persuadé.

Je conclurai en saluant l’important travail réalisé par Monsieur Belorgey, que nous remercions pour avoir pris en compte très explicitement les souhaits que les syndicalistes ont formulés en matière d’extension de droit et de compétence, tant de leurs organisations que de l’inspection du travail. Son rapport constitue un support précieux pour cette journée et pour notre action future, même si nous avons des objections à formuler sur la position qu’il préconise en matière d’autorité indépendante. Nous avons sur ce sujet une contre-proposition, que nous vous présenterons dans le cadre du débat de cet après-midi, dont l’objectif essentiel consiste dans la mise en cohérence des différents services de l’État, sans recours à une instance nouvelle.

Je vous remercie de votre attention.