Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, dans "Corse matin" du 24 octobre 1997, sur la création d'espaces naturels protégés, le traitement des déchets et l'aide communautaire au développement de la Corse.

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  • Dominique Voynet - Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

Média : Corse matin

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Corse-Matin : Les parcs marins de Bonifacio et de Porto connaissent des bonheurs divers. Si le premier semble en bonne voie de réalisation, le second marque incontestablement le pas. Pour quels motifs ? Est-ce en raison d’oppositions locales ?

Dominique Voynet : Les deux parcs sont de nature différente. Situé sur trois communes, le Parc international de Bonifacio est une création ex nihilo, faite en liaison avec l’Italie, envisagée dès le départ au niveau européen.

La partie française sera gérée par une réserve naturelle, et sera agrandie grâce aux terrains acquis par le Conservatoire du littoral. Après avoir approuvé le projet, le Conseil national de la protection de la nature et le ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement apporteront, pour 1998, une aide de 2 MF pour son fonctionnement.

Aujourd’hui, le 24 octobre, j’ai le plaisir d’inaugurer à Ajaccio la mise en place du comité de pilotage de ce parc. Le projet définitif sera soumis à l’enquête publique et s’appuiera sur les recommandations du Conseil national de la protection de la nature et l’approfondissement des négociations avec les collectivités locales. La réglementation du milieu marin permettra une augmentation du patrimoine naturel en liaison avec les pêcheurs locaux.

La contribution de la Corse au réseau Natura 2 000 ne s’arrêtera pas aux 52 sites sélectionnés.

Corse-Matin : À quel stade se situe la création d’une réseau « Natura 2 000 » en Corse ? Va-t-on se contenter d’inscrire seulement les espaces déjà protégés ? Comment se passe la concertation avec les différents partenaires sur le terrain ?

Dominique Voynet : Peu de temps après ma prise de fonction, j’ai réuni le Comité national de suivi du dossier « Natura 2 000 », qui avait été mis en sommeil par le gouvernement précédent, pour relancer la procédure. Je l’ai élargi à de nouveaux membres représentant les élus locaux, à la Confédération paysanne, à la Fédération des parcs naturels régionaux, à espaces naturels de France et à la Fédération française de randonnée pédestre. J’ai adressé les instructions aux préfets de département, le 11 août dernier, afin qu’ils puissent élaborer des listes des sites potentiels.

En retour, ceux-ci m’ont fait parvenir leurs premières propositions de sites susceptibles d’obtenir un large consensus. Ces listes seront complétées et argumentées d’un second envoi prévu pour la fin de cette année. Une liste de 52 sites en Corse a été établie. Mais la contribution de la Corse au réseau Natura 2 000 ne s’arrêtera pas là. Elle s’étendra à d’autres espaces riches de diversité biologique.

Corse-Matin : Si la Corse mène souvent une campagne exemplaire en faveur de la défense de son environnement, en revanche elle est bonne dernière pour tout ce qui concerne le traitement des déchets ménagers. Qu’envisagez-vous pour y remédier ?

Dominique Voynet : La gestion des déchets en Corse et les pratiques de mise en décharge, comme dans beaucoup d’autres départements, étaient, il y a encore quelques années, sommaires et mal contrôlées. La situation a cependant beaucoup évolué. La planification est en cours. Les deux plans de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud sont actuellement soumis l’enquête publique. Je souhaite que ces démarches aboutissent rapidement, pour favoriser l’adoption de solutions acceptables, et parvenir à un juste équilibre entre la valorisation des déchets qu’il convient de privilégier et les autres modes de traitement.

Surtout, il faut éviter un surdimensionnement des projets d’incinérations de traitement qui demeureront à la charge des Corses, et favoriser la voie de la collecte sélective qui permettrait d’améliorer les possibilités de stockage temporaire des déchets secs.

Une expérience de collecte sélective du verre, du carton et du plastique, va ainsi être lancée à Ajaccio avec l’appui de l’ADEME et de ECO-EMBALLAGES.

La fermeture effective, depuis le 22 septembre, de la décharge de Teghime témoigne également de notre énergie à améliorer la gestion des déchets en Corse.

Les efforts devront porter sur l’adoption de solution adaptées à la situation spécifique de la Corse. Au-delà de son insularité, elle doit faire face à des déchets toujours plus nombreux en saison touristique.

Enfin, je serai vigilante à la réflexion menée, en ce moment, sur la prise en charge intercommunale des déchets, sur un territoire composé de 315 communes dont certaines ne dépassent pas 15 habitants en hiver.

Bouches de Bonifacio : « Avancer plus loin »

Corse-Matin : La décision des gouvernements italien et français d’interdire le passage des pétroliers dans les bouches de Bonifacio va dans le bon sens. Mais quid des autres pétroliers battant pavillon étranger et qui continuent de fréquenter les parages du futur Parc marin international ?

Dominique Voynet : La France et l’Italie ont pris la décision d’interdire le passage des pétroliers dans les bouches de Bonifacio, en accord avec l’Organisation maritime internationale.

Mais les deux pays ne sont pas libres de légiférer sans cet accord. Toutefois l’organisation maritime internationale a recommandé la mise en place d’un chenal balisé et d’une zone de prudence aux extrémités Est et Ouest.

Au sommet franco-italien de Chambéry, il y a quelques semaines, l’action conjointe au niveau de l’Organisation maritime internationale a été : réaffirmée, pour avancer plus loin dans la réglementation de la navigation dans les bouches de Bonifacio.

Crédits européens : « Négocier un régime de transition le plus généreux possible »

Corse-Matin : La Corse va disparaître de l’objectif de la carte européenne qui lui permettait d’avoir des crédits important pour combler en partie ses retards. Compte tenu de cet handicap, de quelle façon la France entend-elle développer dans l’île une véritable politique d’aménagement du territoire ?

Dominique Voynet : La commission européenne a présenté, en juillet dernier, une proposition de réforme des principales politiques européennes, en particulier la politique agricole commune et la politique régionale européenne. Cette révision s’avère nécessaire avec l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale. Leur intégration implique un important effort de solidarité. Parallèlement les pays de l’Union souhaitent limiter l’évolution des dépenses européennes.

L’une des mesures envisagées par la Commission consiste à réserver le bénéfice des financements européens les plus généreux, ceux de l’objectif 1 des fonds structurels, aux régions les plus défavorisées, c’est-à-dire celles dont le revenu par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne européenne.

Ce critère aboutira à exclure des régions couvertes jusqu’alors. Ce devrait être le cas de toute l’Irlande, de plusieurs régions espagnoles et italiennes, de la Corse et du Valenciennois en France.

Cette évolution prendra cependant du temps. La Corse continuera à bénéficier du même montant d’aides financières jusqu’en 1999. Elle doit à ce titre recevoir 1,2 milliards de francs.

Ensuite, mon intention est de négocier à Bruxelles un régime de transition le plus généreux possible. De l’an 2000 à l’an 2006, l’aide européenne pourrait par exemple d’croître progressivement, mais rester encore très importante. Je compte notamment, pour plaider le dossier, utiliser l’argument que constitue la nouvelle priorité en faveur des îles et des zones ultrapériphériques inscrites dans le traité d’Amsterdam.

En tout état de cause la Corse continuera à bénéficier de la politique régionale européenne, au titre de l’objectif 2, dont les taux de financement sont moins importants, mais resteront substantiels.

Corse-Matin : À quelques mois des élections territoriales, quel bilan tirez-vous de l’action de la collectivité territoriale de Corse dont vous avez la charge et plus particulièrement des activités de l’Office de l’environnement ?

Dominique Voynet : C’est évidemment aux Corses de se prononcer sur le bilan de leur collectivité territoriale. Il s’agit d’une décentralisation très avancée, je souhaite qu’elle puisse servir d’exemple de fonctionnement transparent et démocratique.

En Corse, encore plus qu’ailleurs, développement, aménagement et environnement sont totalement liés. Le patrimoine exceptionnel de l’île est un facteur essentiel de son développement. Le Parc naturel régional de Corse conjugue heureusement protection et développement. Je pense aussi à ces ressources renouvelables que sont l’éolienne et le solaire.

Mais je dois au peuple Corse d’être très vigilante sur la défense et la protection du littoral. Je sais aussi que les politiques de déchets, d’eau, et paradoxalement la pollution de l’air restent à améliorer. J’espère pouvoir y contribuer en liaison avec la collectivité territoriale de Corse.

Corse-Matin : Le scrutin européen de 1989 avait favorisé une alliance entre les « Verts » et les nationalistes de l’Union du Peuple Corse. Vous sentez-vous proche de ceux qui militent pour l’enseignement obligatoire de la langue corse et de l’Europe des peuples et des régions ?

Dominique Voynet : Les Verts ont toujours milité en faveur d’une organisation de type régionaliste. La structure même de leur parti s’appuie sur les régions. Ces dernières déterminent en effet la politique du mouvement, bien plus que les instances départementales ou nationales.

Les Verts sont de fervents défenseurs des langues régionales. Ils soutiennent une conception fédéraliste de l’Europe et souhaitent donc qu’une Europe des régions remplace progressivement l’Europe des États.

Je suis donc très satisfaite que le gouvernement cherche les moyens de lever les obstacles à la signature par la France de la Charte européenne des langues régionales.