Texte intégral
Intervention de Louis Viannet, secrétaire général de la CGT
Le Peuple, 1er octobre 1997
À l’évidence, il y a un large accord du CCN sur la nécessité de tout faire pour que les choses bougent dans le sens des intérêts des salariés.
Nous approchons du moment où nous allons rentrer dans le vif du sujet sur les questions qui touchent à la capacité de créer les conditions pour dégager des moyens nouveaux qui permettent d’aller vers des créations d’emploi, d’impulser une politique industrielle nouvelle, de faire en sorte que la consommation participe à la relance des activités économiques. Cela implique évidemment et avec beaucoup de détermination la multiplication des initiatives pour favoriser l’engagement de toutes nos forces militantes pour aller vers les salariés.
* Multiplication des efforts
Nous avons fait le bilan des différentes assemblées de rentrée qui se sont tenues, et, comme plusieurs camarades, nous avons noté l’importance de la participation, de l’intérêt et de la force des questionnements exprimés par nos militants et nos militantes. Il faut qu’on se parle franchement. Nous sommes loin d’avoir, à ce jour, un véritable débat de masse sur les questions fondamentales. Nous devons donc multiplier les initiatives pour aller au-devant des salariés pour les écouter, mais aussi pour débattre, s’impliquer dans le débat, partager nos préoccupations, s’investir dans le processus de recherches de réponses aux questions posées :
– sur les enjeux qui entourent les grands dossiers qui arrivent maintenant sur le devant de la scène et des propositions qui défend la CGT ;
– sur les raisons pour lesquelles nous insistons sur la cohérence indispensable que nous devons faire prendre en compte pour conduire, dans une même démarche, une politique salariale qui nous sorte de ce qu’on a connu ces dernières années ; un processus de réduction de la durée du travail qui, non seulement, permette d’améliorer les conditions de travail, mais qui débouche sur des créations d’emploi, des questions de financement de la protection sociale.
Tout cela relié à ce que nous avons affirmé comme étant notre objectif essentiel et primordial, les créations d’emploi.
Donc multiplication des efforts et initiatives pour travailler, à tous les niveaux, à la recherche de convergences revendicatives avec les autres organisations syndicales.
Il existe des points de convergence.
Nous serons en échec si cette volonté de travailler à la recherche de convergences reste sur la seule impulsion de la direction confédérale.
Recherche de convergences unitaires, non pas avec l’ambition illusoire de parvenir à une plate-forme commune. On voit bien comment se positionnent les uns et les autres et je n’ai entendu personne dans cette salle dire que « pour faire l’unité, il faudrait affadir ou affaiblir les positions que l’on défend.
Mais ces points de divergence étant connus, il existe des points de convergence, y compris avec la CFDT que nous avons la volonté et que nous avons intérêt à éclairer pour que dans cette conférence le poids de l’intervention des différentes organisation syndicales permette à la fois de faire reculer les prétentions patronales et d’avancer, même si on sait que ce sera difficile, vers la construction d’autres solutions.
Éclairer quels sont les objectifs sur lesquels nous pouvons nous retrouver et pousser ensemble.
Gérard Delahaye a fait le compte rendu de la rencontre que nous avons eue avec la CGC. Nous allons rencontrer la CFDT au début de la semaine prochaine et nous ne désespérons pas d’obtenir enfin une date de FO et de la CFTC qui ont publiquement donné leur accord sur ces rencontres.
Nous avons des points de convergence avec la CFDT, nous en avons avec d’autres avec FO et, de ce point de vue bien sûr, nous avons besoin de bien identifier ce que sont les pistes sur lesquelles nous pouvons nous engager ensemble et celles où chacun va plus ou moins défendre ses positions.
Il n’est pas possible que cela reste un débat de sommet. Cela ne concerne pas le problème d’identité des organisations, cela concerne avant tout non seulement les salariés, mais la capacité de faire apparaître des possibilités de solutions, de réponses alors que la montée au créneau du patronat témoigne de la vigueur de l’affrontement.
Je suis persuadé qu’on aurait besoin d’entendre plus fort toutes nos organisations CGT – et pas seulement la confédération – quand le patronat monte au créneau ou lorsque le Gouvernement, sur certains dossiers lourds prolonge les pratiques précédentes, pour contribuer à faire mesurer par les salariés l’enjeu considérable de la partie qui s’engage.
Par rapport au débat sur ouverture du capital, privatisation, c’est par la presse encore ce matin qu’on apprend que le Gouvernement s’apprête à ouvrir la déréglementation du gaz et l’électricité.
On n’est pas en présence de tâtonnements, mais d’une ligne de conduite qui a des fondements qui plongent leurs racines dans cette offensive générale très forte de déréglementation et de cette exigence forte des grandes féodalités financières et du grand capital international pour mettre la main sur des secteurs d’activité qui représentent des sources de profits considérables.
Comment ensemble on s’y prend pour peser ?
Nous avons donc un réel besoin de dynamiser toutes nos forces pour mettre largement en débat, avec les salariés, cette question : « comment, ensemble, on s’y prend pour peser ? » Alors que tous les éléments de la confrontation, de l’affrontement sont aujourd’hui publics et sur le devant de la scène, on ne peut pas laisser les salariés en situation de ceux qui comptent les points. Nous avons dit que l’évolution de la situation ne pouvait pas se résumer dans un face-à-face syndicats/Gouvernement et encore moins CGT/Gouvernement. Mais cela ne peut pas non plus se résumer à un face-à-face confédérations/patronat, déclarations de la CGT contre déclarations du CNPF. Ce n’est pas là que cela se joue, mais c’est bien sur le lieu du travail que le sens de l’évolution de la situation va se déterminer.
Ce n’est pas pour rien que la conférence de presse de rentrée a été placée sous le signe d’un appel à toutes les forces et à toutes les organisations, et pas seulement de la CGT, pour aller vers une mise en mouvement en appui de la prise de conscience des enjeux et de la nécessité de l’intervention du mouvement social.
Pas seulement et pas tellement par rapport à la date de la conférence, mais par rapport au processus qui s’ouvre avec conférence plénière et un certain nombre de négociations qui vont suivre. Leur durée va en définitive dépendre de notre capacité à sensibiliser, à mobiliser, à faire en sorte que les salariés s’approprient les enjeux et mesurent à quel point leur intervention est décisive et cela va nécessiter un gros effort de mobilisation et de construction de réponses revendicatives, alternatives, permanentes.
L’objectif que poursuit le patronat est clair.
Il est vrai que cela ne sera pas un « catalogue » et nous allons être confrontés à la nécessité permanente d’être non seulement en mesure de défendre des propositions, mais de porter des contre-propositions au fur et à mesure où les dossiers vont bouger. Ces dossiers vont forcément bouger et personne ne peut dire aujourd’hui s’ils vont bouger dans le bon ou dans le mauvais sens. Mais nous sentons bien, tous, que surtout s’ils bougent dans le bon sens, l’affrontement avec le patronat va être terrible.
C’est pour cette raison que nous n’avons pas intérêt à tout focaliser sur la date du 10. Même sans le banaliser, il représente quelque chose dans la tête des salariés. Si d’aventure, à l’issue de la première phase de cet échange et de ces discussions, ressortait à l’évidence que les difficultés et les obstacles sont forts, si nous ne nous y prenons pas en amont, on pourrait connaître véritablement un climat sinon de colère, de démobilisation et de désespérance.
On n’a pas besoin de cela si on veut mobiliser et porter notre offensive avec l’esprit de conquête dont nous avons besoin.
Alors qu’il a d’autres questions à aborder, ce n’est pas un hasard si le CNPF cible l’essentiel de sa campagne contre les 35 heures, et en particulier contre les 35 heures sans perte de salaire en l’isolant des questions fortes de création d’emplois, d’amélioration des conditions de travail, de relance de la consommation par l’augmentation du pouvoir d’achat, de tout ce que nous disons sur la nécessité de revoir et de réformer les processus de licenciements tels qu’ils existent…
L’objectif que poursuit le CNPF est clair.
Il veut tout d’abord peser sur le Gouvernement. Cela va peut-être vous surprendre, mais ce n’est pas avec ses déclarations publiques qu’il pèse sur le Gouvernement. Gandois est aux ministères du travail, de l’économie et chez Jospin à peu près tous les jours.
Les déclarations publiques visent autre chose et en particulier à peser sur l’opinion publique, sur la réflexion des salariés, à les mettre non pas en situation de vigilance, mais de rejet par rapport à ce qu’ils voient venir au travers des déclarations patronales et ce qu’ils redoutent dans la mesure où, pour le moment, il y a doutes sur la capacité de mobilisation collective, d’actions collectives et sur la capacité de peser. Ils veulent peser, par anticipation, sur les négociations à venir.
Quel contenu de la loi-cadre ?
Nous ne sommes à l’abri de rien. Même si nous obtenons une loi-cadre au départ, ce qui n’est ni acquis ni impossible, la question sera : quel contenu dans cette loi-cadre ? Cela aussi va faire l’objet de débats, d’autant plus difficiles et plus durs s’il n’y a pas mobilisation et sensibilisation des salariés sur le lieu de travail.
En réalité, la seule façon d’empêcher des accords désastreux, c’est que les salariés soient conscients des enjeux, et qu’ils soient mobilisés.
Voilà pourquoi il est indispensable de faire monter la pression sur les salaires pour exiger des négociations sur les grilles, sur la reconnaissance des qualifications, sur les problèmes de l’emploi, un processus de réduction de la durée du travail qui porte bien les éléments essentiels pour déboucher sur des créations d’emploi et transformer les emplois précaires.
D’après les chiffres du ministère du travail eux-mêmes, on en est actuellement à un volume annuel de contrats temporaires de plus de six millions dans l’année. Comment va-t-on aborder cette question de la réduction de la durée du travail avec un personnel qui, en majorité, demande à travailler plus, si on ne mène pas en même temps la bataille sur la question des salaires, de la réduction de la durée du travail, de la transformation des emplois précaires.
J’en profite pour dire au passage que cette question se pose aussi pour la mise en œuvre du plan emploi-jeunes comme pour les 400 000 CES.
Si on ne prend pas les deux problèmes à bras le corps, en même temps et dans la même démarche, on va se retrouver devant des difficultés inextricables avec le risque de ne pas être compris sur le sens de notre démarche par une partie importante de la jeunesse.
Sur la qualité de la vie syndicale, la nécessité d’informer les salariés, de discuter avec eux, le plus facile, c’est d’en parler… Dès qu’on regarde ce que sont les conditions dans les entreprises, les difficultés qu’ont nos militants et nos militantes pour réunir les syndiqués, à plus forte raison les salariés, on mesure à quels efforts nous sommes « condamnées » à nous engager.
Plusieurs idées sont venues dans la discussion pour des initiatives sur une journée, une semaine… Mais le champ de réflexion est surtout lié à la forme qu’il faut donner à nos initiatives pour que l’objectif, c’est-à-dire l’effort en direction des salariés, soit perçu de toutes nos forces militantes.
Ce qu’il faut éviter, car ce serait un très mauvais service à rendre à toutes les batailles qui nous attendent dans les semaines et les mois à venir, ce serait une initiative qui soit reçue comme voulant cibler essentiellement nos forces vives.
Nous savons comment réagit notre CGT lorsqu’on annonce « journée d’action ». Le réflexe premier, c’est de se tourner vers ceux et celles dont on sait qu’ils sont d’ores-et-déjà disposés à s’engager dans une forme qui ne va pas d’ailleurs jusqu’à la grève. Or, ce que nous devons viser, c’est bien sûr d’aller vers nos forces vives, non pas pour leur dire « il faut se remuer », mais pour les tourner vers les salariés et faire en sorte que ce soit toute la CGT qui s’engage dans cet effort.
* Un moment décisif
C’est un moment décisif par rapport à ce que sont nos responsabilités dans la période présente.
Nous avons déjà un certain nombre de décisions professionnelles d’actions qui ont été prises et qui nous montrent que, si on travaille bien la démarche, on peut effectivement parvenir à faire bouger la situation, y compris sur le plan unitaire.
Nous avons à prendre à bras le corps la journée du 23, toujours avec cette idée qu’il faut vraiment s’engager dans le débat avec les salariés.
Lorsqu’on va aller au débat avec les salariés, il va y avoir des surprises. Pour le moment, en effet, ce qui domine, ce sont d’abord des interrogations sur l’avenir. Ce n’est pas surprenant. Mais nous avons à passer ce cap et on le passera si on investit à plein le champ que nous avons à investir.
Nous avons donc à prendre en compte cette journée du 23 qui doit nous aider, ne serait-ce que pour bien nous faire comprendre de toutes nos forces militantes.
Ensuite, après en avoir discuté au bureau, nous proposons que le CCN donne son avis sur la proposition d’une semaine de mobilisation.
Avec des temps forts sur les cahiers de revendication qui, quelle que soit la forme, permettent d’aller discuter avec les salariés, les assemblées de personnel partout où on peut le faire, des rassemblements vers les chambres patronales, ne serait-ce que pour bien éclairer ce que sont les enjeux de classe au moment où nous allons effectivement empoigner les dossiers les plus décisifs et, également, des arrêts de travail avec les salariés.
En fonction de tout ce qui précède, et pour qu’elle soit en amont du 10 octobre, nous proposons que cette semaine se situe du 29 septembre au 3 octobre, semaine dans laquelle le Gouvernement a annoncé sa volonté d’organiser un rendez-vous pour un examen de la situation économique et sociale du pays. Belle occasion pour permettre et aider les salariés à dire comment ils la vivent, eux, la situation économique et sociale du pays, comment ils ressentent leur situation et, à partir de là, ce que sont leurs aspirations et leur volonté.
Dans les fédérations, les départements où on décidera d’un temps fort dans cette semaine, allons-y. Et si le temps fort n’a pas lieu partout le même jour, cela n’a aucune importance puisque l’objectif est de créer une véritable dynamique d’engagement de toutes nos forces militantes pour aider les salariés, avec, dans cette période, un temps fort autour des questions de défense, de développement du service public et de luttes contre la privatisation.
J’insiste sur la nécessité de mettre cette initiative au service de la mobilisation, de la construction unitaire et de la responsabilisation de tous les acteurs salariés, de tous les acteurs syndicaux pour faire grandir l’idée que nous avons les moyens aujourd’hui de peser sur les choix et sur les décisions, à condition de s’y mettre.
RTL – Vendredi 3 octobre 1997
RTL : Que pensez-vous du diagnostic économique et social établi par les experts du Gouvernement ?
Louis Viannet : Je n’ai pas l’habitude de commenter les réunions auxquelles je n’ai pas participé. Nous avions une délégation. Je fais donc tout à fait confiance aux camarades qui y étaient, et pour avoir donné l’opinion de la CGT, et pour en faire le compte-rendu judicieux qui s’impose.
RTL : Comment allez-vous négocier avec le CNPF qui estime qu’une loi-cadre autoritaire sur les 35 heures serait une provocation ?
Louis Viannet : Permettez-moi d’abord de faire une première remarque : c’est qu’effectivement nous assistons depuis un certain temps à toute une campagne du CNPF centrée sur le problème de la durée du travail, du rejet de la loi-cadre, mais une campagne plus large qui tendrait à accréditer que la seule question qui est au cœur de la conférence, c’est la réduction de la durée du travail. Or, il faut quand même voir la situation dans laquelle nous nous trouvons : nous sommes dans une situation où le chômage continue d’augmenter, où la consommation stagne et a même plongé assez sérieusement en juin, où quand on regarde la gestion des entreprises, on continue de se trouver confronté à des plans de restructurations, de suppressions d’emplois. Les entreprises empochent les aides, mais continuent de licencier. C’est donc cet ensemble d’éléments qu’il nous faut prendre à bras-le-corps et qui nous conduit, nous, CGT, à dire avec beaucoup de force que nous avons actuellement la preuve que tout ce qui a été fait jusqu’à maintenant au titre de l’emploi, des aides à l’emploi, a fait faillite. Il faut donc travailler des pistes nouvelles, et ce en tenant tous les bouts de la chaîne. C’est la raison pour laquelle nous sommes bien décidés à poser la question des salaires, à poser la question du plan emplois-jeunes dans le secteur privé, parce que lorsque j’entends des patrons gloser sur la volonté du Gouvernement de créer des emplois-jeunes dans le secteur public, qu’est-ce qu’ils attendent pour en créer dans le privé ?
RTL : Je vais vous faire entendre monsieur Seillière qui était l’invité de RTL ce matin.
Ernest-Antoine Seillière : Je n’ai jamais vu, moi qui traîne mes guêtres dans le patronat depuis dix ans, les chefs d’entreprise aussi calmement résolus à ne pas admettre que la France de la veille du XXIe siècle s’engage dans une méthode de gouvernement qui sent le Front populaire des années 36. Les chefs d’entreprise sont décidés à empêcher et à ne pas admettre qu’on leur impose par une méthode de gouvernement révolue, une manière de conduire les entreprises qui conduira à l’inefficacité et au chômage.
RTL : Que répondez-vous à monsieur Seillière ?
Louis Viannet : D’abord, je constate que monsieur Seillière a une façon bien à lui de confondre les réalités et les fantasmes. Manifestement, on n’est pas en 1936 ! Nous sommes dans une situation où il y a plus de quatre millions, beaucoup plus de quatre millions de privés d’emplois. Je considère, ne lui en déplaise, que le patronat porte une responsabilité réelle, certaine. À partir de là, sa responsabilité est engagée pour trouver des pistes nouvelles qui nous permettent de nous dégager des contraintes actuelles. Je dois dire que cette approche catastrophiste de la situation concernant les entreprises n’empêche pas les grands groupes aujourd’hui de publier des bilans financiers qui tous font ressortir une remontée assez extraordinaire des profits. Rendez-vous compte qu’un groupe comme Promodès est capable de dire : « je mets 50 milliards sur la table pour reprendre Casino » ! Est-ce qu’on imagine ce que ça représente 50 milliards de francs ? Et on voudrait nous culpabiliser devant des revendications aussi exigeantes, compte tenu de l’état dans lequel se trouve la société française ?
RTL : Compte tenu de ce que vous venez d’entendre, dans quel esprit vous vous rendrez à la conférence sur l’emploi et sur le temps de travail, et surtout qu’en attendez-vous ?
Louis Viannet : L’état d’esprit de la CGT est clair. De toutes nos forces, nous voulons que cette conférence débouche sur des décisions et des objectifs qui tendent, qui convergent vers plus de créations d’emplois.
RTL : Et si ce n’était pas le cas ?
Louis Viannet : Si ce n’était pas le cas, c’est un problème qui ne concernerait pas seulement le Gouvernement, le patronat et les syndicats, mais qui concernerait l’ensemble du monde du travail. Et ce que je peux vous dire, c’est que si les attentes aujourd’hui sont fortes – elles sont fortes, les salariés espèrent beaucoup de cette conférence, je pense même qu’ils en espèrent un peu trop…
RTL : Oui, mais qu’est-ce qui pourrait se passer ?
Louis Viannet : Ce qui se passerait si effectivement cela ne débouchait sur rien du tout, sur un échec, il y aurait certainement, d’abord une vague très, très forte d’amertume et de désillusion et qui, dans un certain nombre de secteurs, pourrait assez vite se traduire par des réactions de colère.
RTL : Mais l’État a-t-il les moyens en ce moment de financer la réduction du temps de travail ?
Louis Viannet : Vous vous rendez compte du nombre de milliards que, chaque année, depuis des années, l’État dépense, donne aux entreprises au titre des aides à l’emploi, sans que personne n’ait pu apporter la moindre preuve que ces aides – qui sont distribuées sans contrôle, qui sont distribués sans autres exigences –, aient eu la moindre conséquence positive sur des créations d’emplois. Alors il faut changer. Si l’on change, cela veut dire qu’il faut regarder de plus près ces aides. Il faut mettre les choses à plat, et à partir de là, on dégage des sommes disponibles pour les utiliser, autrement, pour plus d’efficacité.
RTL : Est-ce que la CGT n’a pas quand même un position maximaliste, en disant : « 35 heures sans perte de salaires, une loi-cadre, et une date-butoir » ? On a entendu ce que rapportait J. Perrimond. Pour Martine Aubry : « 35 heures d’accord, mais réglées au cas par cas. »
Louis Viannet : Je ne sais pas ce que veut dire « au cas par cas. » Évidemment, nous avons toujours dit que nous voulions une loi-cadre, parce que s’il n’y a pas de loi-cadre, il ne se passera rien. Donc, il faut une loi-cadre. Ce n’est pas une loi-cadre qui va tout régler et tout régenter puisque nous sommes d’accord pour que, dans son prolongement, s’ouvrent des négociations auxquelles nous avons bien l’intention de participer avec le soutien des salariés. Et ces négociations, au niveau des branches, et après au niveau des entreprises permettront effectivement de rechercher des solutions adaptées, parce que les situations sont différentes d’une branche à l’autre.
RTL : Lorsque Lionel Jospin en appelle à l’intérêt général autour des 35 heures, comment est-ce que vous voyez les choses ?
Louis Viannet : Ce que je vois, surtout, c’est qu’il y aurait peut-être besoin de bien s’entendre sur ce que signifie l’intérêt général aujourd’hui, dans un pays qui compte entre 86 et 87 % de salariés. Et ce que je crois – bien sûr, je comprends que le Gouvernement a des difficultés pour trouver un positionnement qui prenne en compte les différentes ambitions et aspirations –, mais moi, ce que je dis à Lionel Jospin, c’est deux choses : d’accord, le patronat veut ça, veut ça, ne veut pas ça, ne veut pas ça… Mais il n’y a pas que les patrons dans ce pays qui ont des revendications ? Et les gens qui ont voté pour changer de majorité n’ont pas voté pour avoir un gouvernement qui recherche un point d’équilibre entre les uns et les autres ? Ils ont voté pour avoir un gouvernement qui s’engage, et qui s’engage vers des objectifs qui nous permettent de changer d’orientation sur la base de ce qu’on a vécu jusqu’à maintenant.
Le Dauphiné Libéré, mardi 7 octobre 1997
Le Dauphiné Libéré : La CGT a-t-elle décidé de faire monter le ton ?
Louis Viannet : Nous constatons les attentes et les espoirs des salariés, mais aussi leurs inquiétudes. La forte campagne du CNPF leur fait craindre des baisses de salaire, des aggravations de conditions de travail déjà dégradées. D’où la nécessité de débats. Nous poussons fort pour qu’ils aient lieu. Les patrons ne sont pas les seuls, dans ce pays, à avoir des revendications et les salariés doivent parler plus fort.
Le Dauphiné Libéré : Ont-ils une chance de se faire entendre face à un patronat très mobilisé et très hostile à une augmentation des salaires et/ou d’une réduction du temps de travail ?
Louis Viannet : Je constate un certain nombre de contradictions à l’intérieur même du CNPF. L’union des industries de la métallurgie et des mines a une position très dure et elle vient de recevoir le renfort de la finance, aile la plus réactionnaires du patronat français. Mais je crois aussi que le patronat va avoir du mal à endosser la responsabilité du maintien de la situation actuelle, voire de son aggravation. Tout ce qui a été fait jusqu’à présent contre le chômage a fait faillite et il serait dangereux de se couler dans le moule utilisé jusqu’à aujourd’hui. Les patrons développent une vision catastrophique et continuent à licencier, à empocher les aides, à accroître les profits.
Le Dauphiné Libéré : Les rencontres entre les différents partenaires ont lieu chaque jour, dans les coulisses…
Louis Viannet : Je ne confonds pas négociations et rencontres plus ou moins personnalisées. Et surtout pas en ce moment quand je vois comment se positionnent les chefs d’entreprise.
Le Dauphiné Libéré : Vous évoquez des contradictions au sein du patronat, mais les syndicats de salariés se présentent-ils unis à cette conférence ?
Louis Viannet : Des rencontres bilatérales ont été organisées et s’il n’avait tenu qu’à nous, une rencontre générale aurait eu lieu. Mais il existe de nombreux points de convergence : l’exigence de négociations salariales, la nécessité d’une loi-cadre pour que les négociations aient le même objectif dans toutes les entreprises, la nécessité de mettre une date-butoir.
Le Dauphiné Libéré : La dernière réelle avancée sur le temps de travail date de 1936 avec le passage aux 40 heures payées 48…
Louis Viannet : Le contexte économique, national et international s’est considérablement modifié. Ensuite, les négociations de 36 étaient le prolongement d’un mouvement social que le pays n’avait jamais connu. Mais aujourd’hui existe un autre élément fort : le poids des réalités et l’inquiétude générale face au devenir de l’emploi.
Le Dauphiné Libéré : Votre fédération des cheminots appelle à une journée d’actions, vos fédérations énergie et sous-sol à une manifestation, vous organisez des débats… Vous aimez le slogan « Tous ensemble », mais tout cela semble un peu dispersé, non ?
Louis Viannet : Le mouvement social ne marche pas au coup de sifflet. Nous sommes attentifs à ce que les décisions se prennent avec l’accord des intéressés. Le « Tous ensemble » ne se décrète pas, il se construit. Nous sommes dans une période de construction. L’attente des salariés est si forte que si d’aventure on se retrouvait en situation de blocage…
Europe 1 – mardi 7 octobre 1997
Europe 1 : Pour vous, Jospin et Juppé, c’est la même chose ?
Louis Viannet : Heureusement que non. Mais je crois que le débat, aujourd’hui, tourne autour de questions tellement importantes, tellement chaudes si j’ose dire.
Europe 1 : Est-ce que vous voulez le succès ou l’échec de la gauche plurielle et de Jospin ?
Louis Viannet : Moi, je veux le succès de la mise en œuvre d’une nouvelle politique. Puisque tout ce que nous avons connu jusqu’à ce jour, notamment dans ce qu’on a appelé abusivement la politique de l’emploi, a échoué.
Europe 1 : Pourquoi, si vous voulez son succès, votre CGT se lance-t-elle en ce moment dans des grèves dans le secteur public et des manifestations organisées demain – d’ailleurs vous allez y participer vous-même à Grenoble pour donner un peu d’éclat ?
Louis Viannet : Tout simplement parce que la CGT fait son travail et joue son rôle de syndicat. Tout simplement parce que les salariés ont des revendications, tout simplement parce que la situation ne se résume pas dans un tête-à-tête ou un face-à-face entre le Gouvernement et les syndicats et en particulier la CGT. Tout simplement, parce qu’il y a besoin de faire bouger cette situation.
Europe 1 : Cela veut dire que le gouvernement de gauche aujourd’hui au pouvoir a besoin de la pression de la rue pour écouter, pour avancer ?
Louis Viannet : Quand je vous entends, comme cela, je me dis : peut-être qu’il n’écoute pas la radio et qu’il ne lit pas les journaux. Ce qui m’étonnerait de votre part…
Europe 1 : Elle est bonne, celle-là !
Louis Viannet : … Parce que, quand je vois la vigueur avec laquelle le patronat monte au créneau tous les jours contre la réduction de la durée du travail, contre l’augmentation des salaires, contre l’augmentation du SMIC… je me dis que si dans ce débat-là, les salariés…
Europe 1 : Donc, vous vous faites entendre parce que le patronat insiste trop de son côté ?
Louis Viannet : Si les salariés commettaient l’erreur d’être silencieux, de ne pas s’engager, de ne pas s’investir dans une empoignade qui est tellement importante pour les semaines et les mois à venir, ils commettraient une faute. Et les syndicats aussi.
Europe 1 : Il faudrait être sourd pour ne pas entendre la voix de Louis Viannet ! Le grand événement, c’est donc dans trois jours. Est-ce que vous acceptez d’entrer à partir du 10 octobre dans une phase de négociations par étapes avec l’État et le patronat ?
Louis Viannet : Négociations par étapes avec l’État et le Gouvernement, je crois que cela fera partie des éléments à apprécier au soir du 10 ou au lendemain du 10. L’attente est tellement forte parmi les salariés, l’espoir est tellement réel que les risques de désillusion seraient graves si cette conférence aboutissait à une situation dans laquelle la réaction première des salariés pourrait être : « alors, cela va continuer comme avant ! ». On pourrait se trouver véritablement dans une situation très grave. C’est la raison pour laquelle la CGT – et j’ai déjà eu l’occasion de le préciser – va à cette conférence avec un état d’esprit très clair. Nous voulons tout faire pour que les choses bougent dans le sens des intérêts des salariés. Alors, qu’est-ce que nous parviendrons à faire ? Jusqu’où parviendrons-nous à aller ? Cela reste avec des points d’interrogation, parce que cela concerne les syndicats, le patronat et cela concerne aussi le Gouvernement.
Europe 1 : D’après « Libération » de ce matin, Lionel Jospin étudierait le scénario de la double loi. Une loi d’ouverture de négociations à tout-va avec des incitations et peut-être des aides conditionnelles aux entreprises qui marcheraient vers les 35 heures et une loi de fermeture… une loi-balai, un an, deux ans ou trois ans plus tard. C’est un scénario qui vous irait ?
Louis Viannet : Premièrement, je note que Lionel Jospin ne m’a pas donné de telles informations, en tout cas jusqu’à maintenant. Les points sur lesquels nous insistons et je note que cela ne concerne pas seulement la CGT puisque tous les syndicats sont quand même dans cet état d’esprit : premièrement, je dis « attention, cette conférence, cette journée du 10, cette discussion ne se résume pas à la seule question de la réduction de la durée du temps de travail. »
Europe 1 : C’est le titre de la conférence sur l’emploi, la réduction du temps de travail et les salaires.
Louis Viannet : Voilà. C’est important parce que si on s’enferme dans le seul débat sur les 35 heures, alors il va y avoir des discussions complètement piégées parce que c’est précisément le terrain sur lequel le patronat essaye d’affoler l’opinion publique.
Europe 1 : C’est-à-dire qu’aujourd’hui, vous ne croyez pas forcément que la réduction du temps de travail peut créer des emplois ?
Louis Viannet : Je suis tout à fait convaincu que c’est un élément absolument indispensable pour lancer une nouvelle dynamique de créations d’emplois. Ce n’est pas le seul parce qu’il faut relancer la consommation, parce qu’il faut relancer la politique industrielle, parce qu’il faut développer le service public. Mais c’est un élément important. C’est pour cela que nous disons qu’il faut une loi-cadre de départ. Sinon, il ne se passera rien. Il ne se passera rien, quand on voit l’état d’esprit actuel.
Europe 1 : Une loi-cadre, c’est-à-dire une loi-cadre pour l’emploi. On ouvre des négociations ?
Louis Viannet : Une loi-cadre qui précise, concernant la réduction de la durée du travail, que nous allons bien vers la mise en œuvre du processus des 35 heures.
Europe 1 : Et dix-huit mois ou deux ans après ?
Louis Viannet : Disons dix-huit mois parce que deux ans, c’est loin. Donc, dix-huit mois après, une date butoir, c’est-à-dire une date qui précise que si, à cette date, les choses ne sont pas en place dans telle branche ou dans telle entreprise, le couperet de la loi tombera.
Europe 1 : Nicole Notat proposait dimanche le cap du 1er janvier 2000, ça vous va ?
Louis Viannet : Non, je crois qu’il faudrait essayer de voir ça plus tôt, mais ça fera partie des discussions.
Europe 1 : Le succès du 10 octobre, qu’est-ce que ce serait ?
Louis Viannet : Ce serait une annonce de négociation sur les salaires avec une nouvelle étape du SMIC. Ce seraient des mesures précises pour permettre que les départs anticipés à la retraite puissent déboucher sur des embauches de jeunes, pour tous ceux et toutes celles qui ont quarante ans de versements. Ce serait l’annonce d’une loi-cadre très précise pour la mise en œuvre de la réduction de la durée du travail avec, si besoin est, des aides, mais des aides qui ne seront pas conditionnées par la réduction de la durée du travail, mais par les créations d’emplois qui la prolongeront.
Europe 1 : Vous avez entendu Tony Blair : chez lui, il réduit le chômage. Il critique l’État-providence et l’assistanat et il dit : il faudra donner quelque chose pour recevoir quelque chose. N’est-ce pas un bon principe ?
Louis Viannet : Quand je pense à tout ce qu’ont donné, bon gré ou mal gré d’ailleurs, les salariés de Grande-Bretagne avec la période Thatcher, je ne suis pas sûr que la formule de Tony Blair soit une formule qui ouvre des perspectives réjouissantes pour la Grande-Bretagne.
Europe 1 : Est-ce qu’il faut que l’État français renonce à maîtriser, à contrôler les flux de migration à ses frontières ?
Louis Viannet : Non, mais il ne faut pas laisser la loi comme elle est. Il faut modifier le projet de loi. Il n’est pas bon, la CGT n’est pas la seule à le dire. Tout simplement parce qu’il porte les traces de l’esprit fondamental qui était insupportable dans les lois Pasqua.
Europe 1 : Mais est-ce que la base de la CGT est favorable à la régularisation massive des 120 000 sans-papiers ?
Louis Viannet : Le problème n’est pas seulement posé à la CGT. Nous nous sommes engagés dans la bataille des sans-papiers…
Europe 1 : C’est embarrassant ? Vous ne répondez pas.
Louis Viannet : Non, moi je le dis très nettement : nous sommes pour la régularisation des sans-papiers dès l’instant où les conditions de cette régularisation sont claires.
Europe 1 : Mais pour vous, Debré et Chevènement, c’est la même chose ?
Louis Viannet : Non, soyons sérieux.
France 2 – jeudi 9 octobre 1997
France 2 : Nous allons parler de la conférence qui va débuter demain, pour une durée encore indéterminée. Tout de suite, les dernières prises de position : Martine Aubry déclare ce matin dans une interview au « Nouvel Observateur » que certes, il faut soutenir la consommation, mais que ça ne veut pas dire qu’il faut payer les 35 heures 39. Est-ce que c’est déjà une pierre dans votre jardin ?
Louis Viannet : Oh, vous savez, moi je ne m’affole pas beaucoup parce que, dans les périodes précédant des rendez-vous importants, médiatisés, les déclarations tombent à peu près à la cadence d’une tous les quarts d’heure ou les demi-heures. Moi, ce qui me paraît très important, c’est précisément ce qui sortira de cette concurrence, de façon à permettre la mise en œuvre de pistes nouvelles. Parce que, sur ce terrain-là, sur ce terrain de l’emploi, de création de l’emploi, tout ce que l’on a fait jusqu’à maintenant n’a donné aucun résultat. Si ce n’est qu’on est toujours dans une période où les salaires restent des salaires bas par rapport aux autres pays et où le chômage augmente. Il faut donc changer, il faut regarder dans des directions différentes…
France 2 : C’est toute l’organisation du travail qu’il faut regarder ? Vous dites que ce n’est pas simplement les 35 heures ?
Louis Viannet : Bien sûr que ce n’est pas simplement les 35 heures. Si on laissait la conférence tourner seulement autour de cette question, alors on irait à l’échec, sûr. Il faut parler quand même des salaires parce qu’il y a besoin de relancer la consommation.
France 2 : Vous êtes comme Marc Blondel, vous pensez qu’il faut augmenter le SMIC ?
Louis Viannet : Nous avons dit au mois de juillet que 4 % d’augmentation, ce n’était pas suffisant. Je pense qu’il faut une autre étape d’augmentation du SMIC pour cet automne. Il faut parler de la possibilité des départs à la retraite anticipée pour ceux et celles qui ont versé pendant quarante ans et élargir le système existant de façon à augmenter le nombre de ceux et celles qui peuvent en bénéficier…
France 2 : Le système ARPE, c’est-à-dire les gens qui sont âgés, qui prennent leur retraite et qui sont remplacés par des plus jeunes dans les entreprises ?
Louis Viannet : Tout à fait, c’est le seul système, depuis dix ans, qui permet à des gens de partir en retraite plus tôt, sous condition d’embauche de jeunes. Et il faut parler de la réduction de la durée du travail.
France 2 : Cette réduction de la durée du travail, vous dites qu’il faut une loi tout de suite ?
Louis Viannet : Nous prenons en compte les réalités. On est face à un CNPF, à un patronat qui, tous les jours, dit : non, non, non et non…
France 2 : ... Et un patronat qui dit : si vous continuez, je ne viendrai pas ?
Louis Viannet : Voilà. À partir de là, si vraiment il n’y a pas de loi-cadre au départ, qui dise de façon précise ce sur quoi doivent porter les négociations, il ne se passera rien. C’est-à-dire que l’on va avoir des discussions qui vont traîner et un patronat qui, lui, mettra à l’ordre du jour uniquement ce qui l’intéresse. Et ce qui l’intéresse, c’est l’annualisation de la durée du travail…
France 2 : Vous êtes contre ?
Louis Viannet : … C’est la flexibilité. Je suis contre dans la mesure où, telle que la conçoit le patronat, c’est un élément qui permet au patronat de mettre la réduction de la durée du travail au service uniquement de l’augmentation de la productivité. Ce n’est pas le bon chemin.
France 2 : Ce que vous dites, c’est qu’il faut une loi qui fixe les 35 heures à une date-butoir ?
Louis Viannet : Il faut une loi qui fixe ce sur quoi doivent porter les négociations. Ensuite, on négocie.
France 2 : Et vous, votre souhait, c’était quoi dans cette loi : 35 heures en l’an 2000, 35 heures en l’an 1999 ?
Louis Viannet : Vous savez, l’un dépend de l’autre. La date-butoir dépend du contenu de la loi. Si le contenu de la loi est très précis, on peut avoir une date-butoir dans un délai raisonnable. Si le contenu de la loi n’est pas assez précis, alors il faut une date-butoir très rapprochée, sinon il n’y aura pas d’effet sur l’emploi.
France 2 : Est-ce que cette date sur la durée légale du travail a un sens, sans qu’il y ait quelque chose sur les heures supplémentaires, puisqu’on l’a vu tout récemment dans une enquête de l’INSEE, les Français travaillent bien au-delà de 39 heures, bien au-delà de 40 heures, dans les faits, aujourd’hui ?
Louis Viannet : Vous savez, il y a une étude qui est sortie il n’y a pas très longtemps, qui dit que le volume des heures supplémentaires effectuées aujourd’hui dans ce pays correspond, en gros, à 600 000 emplois à temps complet ! Alors évidemment, c’est variable selon les branches, selon les catégories, selon les périodes de l’année. Mais pour autant, si on laisse cette situation inchangée, on se prive d’un moyen très important pour justement pousser à des mesures incitatives pour des créations d’emploi.
France 2 : Donc, dans la loi ?
Louis Viannet : Donc, réduction de la durée légale du travail, c’est indispensable et, parallèlement, un certain nombre de mesures pour limiter le nombre d’heures supplémentaires. Moi, je ne crois pas qu’on soit en situation d’interdire complètement les heures supplémentaires mais les limiter, les codifier, y compris les pénaliser pour que la démarche naturelle des entreprises soit d’embaucher plutôt que de faire faire des heures supplémentaires, ça, c’est quelque chose qui est important.
France 2 : On a le sentiment que certains pensent souhaitable d’avoir d’abord des négociations contractuelles dans les entreprises, de voir ce qui se fait sur le terrain avec des mesures incitatives, du « de Robien » et, une fois que les entreprises ont trouvé leur rythme de croisière, légiférer, faire une loi qui viendrait sanctionner les relations contractuelles ?
Louis Viannet : C’est un peu l’argument de tous ceux qui poussent le Gouvernement à être relativement prudent et arbitre dans cette affaire. Mais moi, j’ai déjà eu l’occasion de le dire : aujourd’hui, compte tenu de ce qu’est la situation dans le domaine de la consommation, du pouvoir d’achat, de l’emploi, de la précarité, le Gouvernement ne peut pas se permettre de compter les points entre les syndicats et le patronat qui défendent des positions différentes. Il faut qu’il s’engage, il faut qu’il dise dans quelle direction il veut véritablement orienter l’économie et orienter le social. À partir de là, il faut qu’au départ, il y ait une loi-cadre. Il faut qu’il y ait une date-butoir et un rendez-vous entre les deux. Là, on fera le point. On examinera comment avancer les négociations. Mais moi, je le répète, si vraiment il n’y a pas un cadre très précis au départ, il ne se passera rien dans les entreprises.