Interview de M. José Rossi, président du groupe parlementaire Démocratie libérale et Indépendants à l'Assemblée nationale et président de l'assemblée de Corse, à France 2 le 10 mai 1999, sur la nécessité de coopérer avec le nouveau préfet, M. Jean-Pierre Lacroix, de rétablir le climat de confiance entre le gouvernement et les élus et d'évoquer le statut de la Corse avec les indépendantistes.

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Intervenant(s) : 
  • José Rossi - Président du groupe parlementaire Démocratie libérale et Indépendants à l'Assemblée nationale et pré

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

France 2
Voici encore un jour important pour la Corse : J.-P. Lacroix, le nouveau préfet, fait son entrée officielle et reçoit les élus corses cet après-midi, dont vous-même, J. Rossi. Qu’est-ce que J.-P. Lacroix peut attendre des Corses et de vous-même ?

J. Rossi
 - « J.-P. Lacroix doit attendre de nous d’abord la vérité, qu’on lui dise sans fard et sans détour ce que nous pensons réellement de la situation insulaire et de la politique du Gouvernement, au cours des derniers mois, qui a été mise en œuvre par M. Bonnet. »

France 2
C'est-à-dire ?

J. Rossi
- « Une politique qui ne correspond pas du tout à notre attente puisqu’elle était fondée d’abord sur la suspicion et d’une certaine manière sur le mépris de la communauté corse… »

France 2
Sur l’Etat de droit…

J. Rossi
- « …même si elle était sous-tendue par une volonté légitime de faire appliquer la loi en Corse et de faire respecter le droit. Seulement cette image, hélas, a été détruite complètement au cours des derniers jours, dans la manière dont on a voulu mettre en place l’Etat de droit, puisque c’est au mépris du droit qu’on a agi en Corse. Et on peut difficilement imaginer que le Gouvernement n’a pas accepté une démarche d’exception en Corse. »

France 2
J.-P. Lacroix a exprimé son goût du dialogue, de l’écoute, ne le découragez pas trop vite. Il est chargé d’appliquer à sa manière la politique d’Etat de droit. Allez-vous l’aider ? Direz-vous cet après-midi : « on vous aidera » ?

J. Rossi
- « Très clairement ! Car si le Gouvernement réussissait à garantir en Corse la sécurité, l’application de la loi, la suppression à court terme de la violence, les Corses seraient les premiers bénéficiaires dans l’immense majorité. »

France 2
Mais enfin, est-ce qu’on n’inverse pas le problème ? Ce ne sont pas les gens du Gouvernement qui sont responsables de la violence ! Ils viennent pour mettre fin, ou ils essaient de mettre fin à une violence dont on a vu une illustration, la plus spectaculaire et la plus scandaleuse, avec l’assassinat d’un préfet C. Erignac.

J. Rossi
- « Bien sûr. Mais souvenez-vous aussi que les Corses ont défilé à 40 000, 50 000, quand le préfet a été odieusement assassiné, pour témoigner à la fois leur émotion et leur condamnation. Est-ce vous vous souvenez d’un défilé aussi gigantesque quand un député, Mme Y. Piat a été assassinée dans le Var ? Il n’y pas eu le même témoignage. Je crois que les Corses sont profondément choqués par la violence et souhaitent qu’elle disparaisse. Et de ce point de vue là, M. Lacroix et le Gouvernement trouveront du côté des Corses plus de soutien qu’ils ne l’imaginent. »

France 2
Est-ce que vous, les élus, vous pouvez encore, M. le président Rossi, combattre la corruption et la fraude relevées par la commission Glavany et vous engager à ne plus jamais les pratiquer dans l’île ?

J. Rossi
- « Sûrement. Mais que l’on ne commence pas par considérer l’ensemble de la représentation politique insulaire comme suspecte. Tous les élus de la Corse sont considérés comme des suspects. Et si on “dessoute” excusez-moi, du jour au lendemain, tous ceux qui sont élus en Corse et si c’est la politique du Gouvernement, avec qui reconstruit-on ? Avec les indépendantistes ? Vous voyez ce qui s’est produit au cours derniers mois ! »

France 2
Mais vous êtes d’accord pour qu’on “dessoute”, comme vous dites, tous ceux qui ont fraudé ou qui ont commis des actes de corruption ?

J. Rossi
- « Je suis d’accord pour qu’on “dessoute” et qu’on poursuive tous ceux qui ont participé à une action visant à profiter financièrement de situations difficiles de la Corse. Mais si vous allez rechercher toutes les erreurs de gestion administrative qui sont encore plus nombreuses dans les services de l’Etat que dans les services des collectivités locales, vous ne pourrez plus fonctionner. Il faut bien vivre avec une population qui est ce qu’elle est, avec des organisations qui sont encore défaillantes et déficientes. Et la reconstruction nécessite du temps. Ce que je reproche au Gouvernement, c’est d’avoir laissé croire qu’en quelques mois, on allait rétablir en Corse une situation que les gouvernements de droite et les gouvernements de gauche avaient laissé dériver trop longtemps. Il faut du temps et il faut travailler dans un climat de confiance. »

France 2
M. Rossi, qu’est-ce qu’on bon préfet ? Un préfet qui impose la loi républicaine ou qui se plie à la loi corse, c'est-à-dire à la coutume corse ?

J. Rossi
- « Un bon préfet c’est un préfet qui se comporte d’abord de manière ordinaire, qui représente le gouvernement dans l’île, et qui dialogue pour trouver les meilleurs solutions avec les représentants élus de l’île qui ont la confiance de leur population. Et dans ce cadre-là, il s’efforce et nous aussi, de faire appliquer dans les meilleures conditions possibles la loi. »

France 2
Vous dites que le statut de la Corse doit évoluer. Pouvez-vous me dire vers quoi ce matin, et de quelle façon ?

J. Rossi
- « A l’Etat la responsabilité de la sécurité et de la justice, de l’application de la loi. Aux Corses la responsabilité du développement économique, social et culturel. Car on ne peut pas dire aux Corses : “retrouvez votre dignité, sortez de l’assistance”, et nous priver des moyens de créer des activités, des emplois et des richesses nouvelles. »

France 2
Donc, le énième plan de développement de la Corse ?

J. Rossi
- « Un plan de développement très rapidement, car c’est la priorité des priorités, tout de suite, dans l’année, dans les deux ans qui viennent. Et puis dans le prolongement de ce plan, une réflexion en commun, avec le Gouvernement, la Corse et le Gouvernement, pour voir si on ne peut pas trouver une organisation territoriale, peut-être un statut nouveau, mieux adapté à la situation insulaire de la Corse, qui est la seule île parmi les 22 régions françaises. Et si on veut traiter la Corse comme le Poitou-Charentes, l’Auvergne ou le Limousin, on n’y arrivera pas. »

France 2
Donc, vous demandez ce matin des changements institutionnels et politiques ?

J. Rossi
- « Je souhaite qu’on y réfléchisse. Il ne doit pas y avoir de changements institutionnels et politiques s’il n’y a pas une majorité très forte de la population qui le souhaite. »

France 2
Le statut qui évoluerait, s’appellerait comment, il irait vers quoi ?

J. Rossi
- « Juste un mot : les deux précédents statuts – celui de M. Defferre en 82 et celui de M. Joxe en 91 – ont été des statuts imposés par le pouvoir central. Si, demain, il y a une très grande majorité en Corse qui dit : “il faut un statut d’autonomie pour la Corse, avec un véritable pouvoir législatif délégué dans le domaine de l’aménagement du territoire, de l’environnement, de la culture, de la fiscalité, des transports”, alors dans ce cadre-là il appartiendrait aux Corses, à ce moment-là, de faire les choix qui leur conviennent le mieux. Et ce n’est plus le préfet qui dirait : “la paillote doit être dix mètres plus haut ou plus bas sur le littoral insulaire.” Nous avons 1 000 kilomètres de côte en Corse. »

France 2
Ce que vous dites est important : vous dites qu’il faut commencer, assez vite, une réflexion, au niveau de la Corse pour une autonomie réelle de la Corse.

J. Rossi
- « Dans la République et dans le refus absolu de l’indépendance. »

France 2
Qui la proposera à l’Etat ?

J. Rossi
- « L’assemblée de Corse représente toutes les sensibilités politiques de l’île. J’ai l’honneur et le privilège de la présider. La réflexion doit avoir lieu au sein de cette Assemblée. Alors de deux choses l’une : ou bien il y a une très grande majorité de gens qui souhaitent une réforme, ou ils ne souhaitent pas et on reste dans le cadre du statut actuel. Mais je crois que la réflexion doit s’engager dès à présent. Et d’ici un an ou deux nous verrons s’il y a une volonté de réforme ou s’il n’y en a pas. Personnellement, je suis pour une réflexion rapide sur ce sujet et pour une évolution. »

France 2
Une souveraineté plus marquée de la Corse ?

J. Rossi
- « “Souveraineté”, ce n’est le mot qui convient parce que nous ne souhaitons pas… »

France 2
Une autonomie…

J. Rossi
- « … je ne souhaite pas l’indépendance, mais une autonomie de gestion comme on trouve cette organisation territoriale dans beaucoup de régions en Europe. C’est sans doute pour la Corse une solution adaptée. »

France 2
Vous avez commencé à discuter avec des nationalistes, M. Talamoni, à qui vous avez offert une présidence de commission à l’Assemblée. Pensez-vous qu’il faut, dans le cadre de cette réflexion, l’ouvrir aux nationalistes indépendantistes qui y seraient prêts ?

J. Rossi
- « Il faut séparer la violence et condamner la violence. Et en même temps, associer tous ceux qui souhaitent s’investir dans une démarche de cette nature au-delà des clivages politiques. La droite, la gauche, ceux qui pensent nationaliste en Corse. A partir du moment où ils accepteraient de trouver un cadre d’organisation qui leur convienne et qui permette de résoudre les problèmes qui y sont posés, je crois qu’il ne faut aucune sensibilité de la réflexion et associer tout le monde. »

France 2
Les indépendantistes se sont retrouvés vendredi, peut-être ou pas réconciliés. Ils organisent samedi une manifestation. Je ne vous demande pas si vous allez y participer M. Rossi. Mais êtes-vous prêt au dialogue avec eux ? Et pensez-vous que le préfet Lacroix doit aussi dialoguer avec eux ?

J. Rossi
- « Je suis prêt, par définition, au dialogue avec tous ceux qui siègent à l’Assemblée de Corse. Ceux qui… »

France 2
Pas les autres ?

J. Rossi
- « … ceux qui y siègent sont légitimes. »

France 2
Pas les autres ?

J. Rossi
- « Ceux qui ne sont pas à l’Assemblée de Corse, il faut dialoguer avec eux bien sûr. Mais le dialogue républicain c’est celui qui a lieu au sein de l’Assemblée légitime. Il se trouve qu’il y a au sein de cette Assemblée 7 % d’élus qui sont nationalistes. Nous ne pouvons pas les négliger et les rayer de la carte. Il ne s’agit pas de dire : “nous voulons aller vers l’indépendance.” Nous sommes résolument contre, dans l’immense majorité des Corses, une évolution vers l’indépendance. Ce n’est pas du tout le problème de la Nouvelle-Calédonie. »

France 2
Vous avez sacrément évolué, c’est peut-être la fréquentation des nationalistes si vous me permettez ?

J. Rossi
- « Ecoutez, bon, en Martinique, peut-être l’ignorez-vous, il y a un président de conseil régional qui est indépendantiste, et il y a deux présidents de commission : l’un est RPR et l’autre est communiste. »

France 2
Vous avez dit : “on s’occuperait d’aménagement du territoire, nous les Corses.” Des restaurants pullulent sur les plages, ils sont hors-la-loi. Ils doivent être détruits le 31 octobre. Est-ce que vous demanderez à M. Lacroix d’appliquer la loi ?

J. Rossi
- « Quand nous avons été voir le directeur de cabinet de M. Bonnet, dans le cadre d’une délégation de l’Assemblée de Corse, il y avait 41 élus sur 51, nous avons dit à M. Pardani – qui sait comporté dans des conditions pas très normales, comme chacun sait – : “ne démolissez pas ces baraques pendant l’été car il y a des gens qui y travaillent…”. »

France 2
Non, non je parle du 31 octobre !

J. Rossi
- « Le 31 octobre nous avons fait signer des engagements aux paillotiers qui se sont engagés à démolir. Et s’ils ne démolissent pas avant le 31 octobre, M. Lacroix sera fondé à utiliser les bulldozers. »

France 2
A Paris le Parlement a supprimé des avantages fiscaux accordés par tradition, habitude, ou par peur, aux Corses sur les droits de succession. Faut-il rendre ces privilèges fiscaux ou la décision du Parlement est-elle bonne ?

J. Rossi
- « Nous avons délibéré, à l’unanimité à l’Assemblée de Corse, pour dire : “suspendez cette décision nationale d’abolition des arrêtés Miot, qui a été prise de manière unilatérale et sans concertation, et travaillons ensemble à une réforme d’ensemble du statut fiscal.” Statut fiscal dans lequel on choisira les incitations les plus adaptées. Nous ne demandons pas un système aberrant par rapport à la communauté nationale, la Corse a déjà un statut particulier fiscal. Redéployons ensemble ces moyens fiscaux, d’incitation fiscale, pour qu’ils soient favorables au développement économique. »

France 2
On n’en a pas fini avec la Corse dans les mois qui viennent. Vous avez vu défiler des préfets. A quoi verrez-vous que le préfet Lacroix réussit et dans quels délais ?

J. Rossi
- « Je pense que le préfet Lacroix arrive avec une image positive pour les Corses qui sont soulagés après le départ de M. Bonnet qui ne les comprenait pas du tout. Et je crois que n’importe quel préfet aujourd’hui réussira mieux que M. Bonnet. Mais le préfet Lacroix a un parcours d’homme ordinaire, au bon sens du terme. »

France 2
Vous lui donnez combien de temps pour réussir ?

J. Rossi
- « Le temps moyen de séjour d’un préfet c’est deux ans. Je pense qu’on verra tout de suite au bout de six mois si la mayonnaise prend avec les Corses et si un climat de confiance se crée. »