Texte intégral
RTL
Le Conseil des ministres examine aujourd'hui la deuxième loi sur les 35 heures qui entre dans le détail des mesures gouvernementales. Ce texte sera débattu au Parlement à l'automne. Prévoyez-vous une discussion plus difficile que pour la première loi qui, il y a un an, avait fixé le cadre général des 35 heures ?
L. Fabius
- « Ça risque d'être une discussion longue. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au Gouvernement, qui a bien, voulu l'accepter, que mis à part le budget et le financement de la Sécurité sociale, on ne prenne comme texte majeur, que ce texte sur les 35 heures, parce que c'est un texte compliqué qui engage beaucoup de choses du point de vue des entreprises et des salariés. Ce ne sera pas facile mais c'est important. »
RTL
Ce qui ne sera pas facile, c'est qu'une partie de la majorité plurielle, les Communistes et les Verts, seront tentés de demander un durcissement du texte ?
L. Fabius
-« Je ne sais pas. Il y aura probablement des demandes d'amendements des deux côtés, c'est-à-dire certains voulant entre guillemets « durcir » et d'autres voulant « amoindrir ». Sur le fond, cette réforme sera un succès si c'est une réforme gagnant-gagnant, c'est-à-dire si les salariés y trouvent leur compte, ce qui veut dire qu'il faut qu'il y ait une amélioration de leur qualité de travail, c'est la raison pour laquelle j'ai préconisé là où c'est possible qu'on passe à des semaines de quatre jours de travail parce que là il y a un véritable changement pour les salariés. Il faut également, de l'autre côté, que les entreprises et les responsables d'entreprise y trouvent leur compte parce que si ça doit conduire à la fermeture des entreprises, ça n'a aucun intérêt. »
RTL
Ça signifie qu'il faut amender le texte tel qu'il est ?
L. Fabius
- « Non, ça veut dire qu'il faut trouver un point d'équilibre. Mme Aubry a beaucoup discuté, beaucoup réfléchi, beaucoup reçu. Le texte me parait satisfaisant mais... »
RTL
On dit qu'il est très compliqué ?
L. Fabius
- « C'est vrai que c'est assez compliqué et, parfois, très compliqué. Mais il y a un mot-clé qui devrait être retenu dans toutes les dispositions pratiques, c'est le mot de « souplesse ». Souplesse, souplesse, souplesse parce que vous ne pouvez pas traiter de la même façon le groupe Peugeot et une entreprise de vingt-cinq personnes. Et puis, il faudra du temps et le Gouvernement a prévu un temps d'acclimatation. Ces conditions-là permettront un meilleur dialogue dans les entreprises. Puis je crois que c'est une conception générale, au-delà de la vie du travail proprement dite, d'une autre organisation du temps, d'une autre organisation dans la cité. C'est donc une réforme sociétale, comme on dit »
RTL
Dans les batailles actuelles pour les prises de contrôle dans les banques et dans le pétrole, le salarié ne passe-t-il pas après la recherche de plus de dividendes ?
L. Fabius
- « C'est clair et absolu. J'en discutais hier avec M. Cazettes qui est le nouveau président de la Confédération des cadres. Il faisait cette observation très juste et que je partage : il dit que si les salariés ont une augmentation de pouvoir d'achat de peut-être 1 % ou 2 % par an, et qu'en même temps, la condition qu'on met au suivi des entreprises et notamment pour ces offres publiques, c'est une rentabilité minimum de 15 %, on va se demander quel est le but de l'économie! Est-ce que c'est uniquement la finance ou est-ce que ce n'est pas plutôt - et c'est ma position évidemment - la dimension humaine ? Les entreprises, l'économie sont faites pour servir la personne humaine. »
RTL
Lorsque Elf renonce à un plan de suppression d'emplois, c'est un effet positif ? L'OPE lancée par Total contre Elf ?
L. Fabius
- « C'est très bien pour les salariés, pour Pau et pour ceux qui s'en réjouissent En même temps, les salariés ont eu raison de demander quelle allait être la prochaine étape parce que dans les deux plans qui ont été proposés, à la fois par Total et par Elf, il y a quand même des suppressions d'emplois à la clé. Donc, il faut à la fois se féliciter de la décision prise et en même temps préparer l'avenir. »
RTL
Une question sur les institutions. Vous écrivez dans Le Monde daté d'aujourd'hui un Point de vue intitulé : « Pour un quinquennat de cohérence » dans lequel vous préconisez que les élections législatives aient lieu automatiquement un mois après les présidentielles. L'idée, c'est d'éviter qu'il y ait cohabitation ?
L. Fabius
- « Je ne suis pas sûr que ces questions institutionnelles soient la préoccupation numéro un des Français. Mais il faut que les hommes politiques à la fois écoutent ce que leurs interlocuteurs et la société ont à leur dire et en même temps qu'ils réfléchissent. Il faut mettre en particulier ces mois d'été pour le faire. Or, c'est vrai, qu'on a un vrai problème dans nos institutions. La cohabitation existe, elle fonctionne, les gens sont satisfaits. Mais l'analyse de beaucoup est que la cohabitation ne permet pas vraiment de résoudre les problèmes de fond parce que les deux principaux protagonistes de la cohabitation - même si ce sont des gens très responsables, très estimables, très remarquables - comme ils ont tendance à être candidat à la prochaine élection présidentielle, ils ont surtout l'œil fixé sur la ligne bleue des sondages qui n'est pas exactement la même que la ligne des réformes. Donc, je pense qu'il serait préférable d'avoir un système de cohérence plutôt que de coexistence. Mais, et c'est une objection que fait le Président Chirac et il a raison, si on réduit simplement le septennat à cinq ans sans rien changer d'autre, vous aurez deux élections le même jour, l'élection du Président de la République et celle de l'Assemblée nationale et vous pourrez très bien avoir une majorité dans un sens et une majorité dans un autre. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il faut aller vers le quinquennat parce que ça me paraît nécessaire pour un ressourcement démocratique tous les cinq ans. Mais pour être sûr d'avoir plutôt une cohérence qu'une cohabitation, eh bien faisons les élections législatives un mois après, une fois qu'on connaîtra le résultat de l'élection présidentielle. »
RTL
On pourrait commencer en 2002 d'ailleurs avec l'Assemblée ?
L. Fabius
- « Je ne pense pas qu'on le puisse parce que le Président de la République a fait savoir qu'il n'était pas favorable à des modifications institutionnelles et donc, c'est un débat qu'on aura à l'occasion des présidentielles mais pour la suite. Parallèlement et de toutes les façons, c'est ce que j'indique dans mon article du Monde, il faudra aller vers une revalorisation du rôle du Parlement parce que l'un des principaux problèmes de nos institutions, c'est que l'exécutif a énormément de pouvoir et le législatif, pour une démocratie comme la nôtre, à mon avis, pas assez. »
RTL
Où est le pouvoir aujourd'hui : dans l'exécutif, à Matignon ou à l’Élysée ?
L. Fabius
- « Les deux, mon général ! »
RTL
Enfin, le fait que les législatives seraient avant les présidentielles, par exemple en 2002, ça peut donner le pouvoir au législatif !
L. Fabius
- « C'est une curiosité à laquelle on n'a pas encore réfléchi mais à laquelle il va falloir beaucoup réfléchir. On nous parle beaucoup des présidentielles, c'est passionnant mais, d'après les textes qui existent aujourd'hui, les législatives auront lieu avant, c'est un scoop. »
RTL
C'est pas le même genre de campagne, d'ailleurs.
L. Fabius
- « Tout à fait. »
RTL
Vous déjeunez régulièrement avec L. Jospin. C'est arrivé encore...
L. Fabius
- « Oui, chaque mois. »
RTL
Ce sont des déjeuners formels ou portent-ils une part de complicité ?
L. Fabius
- « Bien sûr, ce sont des déjeuners amicaux. On doit, c'est normal compte tenu du rôle du Premier ministre et de la fonction du Président de l'Assemblée nationale, se voir périodiquement parce qu'il y a des questions à voir ensemble des questions institutionnelles, des questions pratiques, des questions parlementaires. Mais, en plus, s'y mêle l'amitié. Puis, nous sommes des responsables de la majorité, donc nous discutons de tout et dans une bonne ambiance. On se voit à peu près chaque mois, une fois c'est chez lui, une fois c'est chez moi. »
RTL
L'incident concernant D. Voynet vous fait réagir ?
L. Fabius
- « Quand j'ai appris ça, j'ai tout de suite mis un mot à Dominique. Je trouve ça complètement scandaleux. Je ne sais pas dans quelles circonstances ça s'est produit mais ce sont des sagouins et des imbéciles. D'abord parce que c'est une atteinte à la démocratie. Car dans une démocratie, la violence n'est pas acceptable vis-à-vis des élus comme vis-à-vis des autres et, en plus, c'est une atteinte à la courtoisie, donc vraiment doublement inacceptable. Il n'y a aucune raison de sourire de ça. Je le répète, ce sont des sagouins et des imbéciles. »