Texte intégral
Ouest France le 27 avril 1999
Roland Godefroy : Après un mois de guerre, quel bilan tirez-vous de l’opération de l’Otan en Yougoslavie ?
Robert Hue : Dès le début des bombardements, j’ai exprimé ma conviction qu’ils ne permettraient pas de trouver une solution à la tragédie du Kosovo. Aujourd’hui, force est de constater qu’ils n’ont pas contraint Milosevic à la négociation. On voit le résultat. Le peuple kosovar endure les pires épreuves. L’épouvantable épuration ethnique s’est trouvée fortement amplifiée. Les Balkans sont maintenant gravement déstabilisés. Et l’opposition interne à Milosevic, qui aurait pu jouer un grand rôle, est réduite au silence. Milosevic porte la terrible responsabilité de la situation. Mais l’Otan est dans une impasse et l’Europe est subordonnée à la puissance américaine. Il faut qu’elle se dégage de cette pesante tutelle.
Roland Godefroy : Comment sortir de l’impasse selon vous ?
Robert Hue : En ne ménageant aucun effort pour faire prévaloir une solution politique. Il est urgent d’enclencher un engrenage de paix plutôt que d’entretenir un engrenage de guerre. J’ai proposé que la France prenne l’initiative de constituer, sous l’égide de l’Onu, une force de sécurité et de coopération, dont le but sera d’assurer le retour des Kosovars chez eux et de les y maintenir en toute sécurité dans un Kosovo démilitarisé doté d’un statut d’autonomie. Ce qui suppose, bien sûr, le retrait total des forces serbes.
Roland Godefroy : Qu’avez-vous voulu dire en annonçant qu’en cas d’intervention terrestre, les communistes sauraient prendre leurs responsabilités ?
Robert Hue : Prendre ses responsabilités, dans une majorité, c’est agir pour influer sur ses choix. Nous sommes des partenaires loyaux et nous avons le sens de l’État. Parce que nous ne sommes pas des godillots, notre responsabilité est de faire entendre notre point de vue, qui est celui de millions de Français. Et de peser sur les positions du gouvernement.
Roland Godefroy : Dans votre liste, un candidat sur deux n’est pas communiste. En matière d’ouverture, vous avez fait fort.
Robert Hue : La vocation d’un parti politique n’est pas de solliciter les citoyens le temps d’une élection et de conduire ensuite les choix à sa guise. Notre objectif est de renouer les liens entre la représentation politique et la société civile, le mouvement social. C’est une étape très importante que franchit le PCF, et qui ne s’arrêtera pas aux européennes.
Roland Godefroy : Que reste-t-il du communisme dans une telle liste ?
Robert Hue : La cohérence de cette liste, c’est qu’elle est clairement antilibérale. Ce qui la cimente, c’est la volonté de promouvoir la construction européenne. La meilleure façon d’être communiste n’est pas d’être repliée sur une doctrine, sur des dogmes. On a été comme cela. Ce n’est plus vrai. Nos différences sont une richesse. On voit ce qui sépare une diversité plurielle qui apporte, qui construit, et une diversité qui s’oppose et se déchire, comme à droite aujourd’hui.
Roland Godefroy : Comment résumez-vous votre projet européen ?
Robert Hue : Notre priorité absolue, c’est la promotion de l’emploi, le développement des formations, le partage des connaissances, l’élévation des protections sociales, il faut donc changer l’orientation de l’argent, qui doit passer du profit sans limites à la satisfaction des besoins humains. Ca veut dire des choix d’harmonisation sociale par le haut, une réforme de la fiscalité, du crédit, une taxation des mouvements spéculatifs. Inséparablement de sa démarche antilibérale, notre projet est citoyen : il veut mettre fin à l’opacité des structures européennes, les démocratiser, et donner aux citoyens des droits et des pouvoirs nouveaux.
Roland Godefroy : Que deviennent les États ?
Robert Hue : L’Europe, pour nous, doit être une union de nations solidaires qui mettent ensemble leurs moyens et leurs atouts. L’objectif est qu’elle devienne une puissance pacifique, capable de résister à la pression extérieure, et singulièrement à celle des États-Unis.
Roland Godefroy : Qu’est-ce qui vous différencie des projets du RPR et de Pasqua ?
Robert Hue : Tout. Le RPR a opté pour une Europe libérale au service des marchés et de l’argent-roi. Quant à Pasqua, il milite pour une France repliée frileusement sur elle-même. Nous, nous voulons construire une Europe dans laquelle la France apporte ses atouts sans pour autant gommer sa souveraineté. Aujourd’hui, la plupart des questions posées en France ont une dimension européenne.
Roland Godefroy : Peut-on être à l’aise dans un gouvernement avec lequel on diverge sur le Kosovo et sur l’Europe ?
Robert Hue : Quand nous avons signé notre accord avec le PS, on ne pouvait pas prévoir la guerre au Kosovo. Mais, sur l’Europe, nos divergences étaient connues. Nous avons pensés alors qu’elles n’étaient pas un obstacle à gouverner ensemble. Ca aurait été sans doute plus facile de ne pas être dans le gouvernement et de critiquer chaque matin. Mais on est beaucoup plus efficace au sein du gouvernement en ancrant sa politique à gauche, y compris sur l’Europe. En faisant ainsi les communistes rendent un grand service à la gauche plurielle et à la France.
France Inter le 30 avril 1999
Bertrand Vannier : A propos de la Corse, trois gendarmes sont toujours en garde à vue ce matin, Lionel Jospin affirme que c’est une « affaire de l’État » mais pas une « affaire d’État ». Et hier soir, un auditeur du « Téléphone Sonne » a posé la question suivante, quelque peu provocatrice : « Qu’est-ce qui est le plus important, que trois gendarmes aient peut-être mis le feu à un restaurant de plage pour donner un coup de pied dans une fourmilière bien encombrée, ou que l’assassinat du préfet Érignac ne soit pas résolu 15 mois après la mort du représentant de l’État dans l’île ?
Robert Hue : Je pense effectivement que nous avons là une affaire extrêmement sérieuse. Une action rapide et complète de la justice doit nous permettre d’y voir plus clair, de trouver les responsables. Et j’ai noté que le premier ministre, immédiatement, avait proposé que des enquêtes soient conduites, et que très vite, on puisse en tirer les conclusions. Je pense qu’ont doit avoir comme préoccupation majeure de tout faire pour que l’État de droit soit en Corse, le droit commun en quelque sorte…
Bertrand Vannier : Mais jusqu’où peut-on aller pour que l’État de droit soit rétabli ?
Robert Hue : Il faut en tout état de cause le respect de la légalité et que l’État de droit s’y exerce, c’est une chose qui est importante. Il doit s’y exercer avec plus ni moins de rigueur républicaine que partout ailleurs, et il faut veiller, avec vraiment beaucoup de sérénité, au bon déroulement de la justice dans la prochaine période. Ce que je veux dire, c’est que l’État de droit ne signifie nullement en même temps, le tout-répressif. Et, là aussi, je crois qu’il faut qu’en Corse il y ait des mesures prises, mais il ne faut pas qu’il y ait un sentiment de répression trop fort. Et puis, je le répète, la légalité républicaine doit être respectée.
Bertrand Vannier : Vous savez que c’est ce que disent, depuis des mois et des mois les nationalistes corses.
Robert Hue : Je ne parle pas moi, d’exagération. Je dis qu’il y a la nécessité que des dispositions soient prises pour que l’État de droit soit rétabli lorsqu’il n’est pas le droit commun. Mais, en tout état de cause, il faut veiller aux conditions dans lesquelles il se met en œuvre.
Pierre Le Marc : Mais compte tenu des dégâts considérables de cette affaire pour l’État et pour son action dans l’île, est-ce qu’on peut se contenter de faire jouer la responsabilité administrative, est-ce qu’il ne faut pas mettre en cause la responsabilité politique ? En clair, est-ce que cette affaire ne conduit pas au limogeage du préfet Bonnet, puisque vous avez suggéré la nécessité d’un changement de méthode ?
Robert Hue : Oui, mais pour le moment, rien ne permet d’affirmer qu’y compris au niveau des méthodes, le préfet Bonnet soit mis en cause.
Pierre Le Marc : Pas de responsabilité politique dans cette affaire ?
Robert Hue : Je pense qu’il y aura peut-être des responsabilités politiques qui se dégageront des enquêtes qui sont en cours. D’ailleurs, rien ne sera négligé et épargné, a dit le premier ministre. Et il a raison. Mais pour le moment, il est vraiment prématuré d’évoquer des responsabilités politiques, y compris au niveau du préfet. Je pense qu’il ne faut pas pour le moment accélérer les choses. Je vois bien qu’il y a une volonté politique, notamment à droite, chez les nationalistes, de récupérer cette situation qui est absolument gravissime, j’en conviens. Mais il est évident qu’il faut absolument prendre le temps nécessaire dans une situation comme celle-là. En tout état de cause, il y a la nécessité de prendre en compte l’État de droit ; et puis, très vite – parce qu’on oublie un peu la réalité de la Corse -, de rétablir à nouveau à : quelle politique de développement pour la Corse ? Et surtout, à imaginer les choses dans le respect et la valorisation de l’identité culturelle de la Corse.
Stéphane Paoli : Et pourquoi ne pas aller au bout des choses ? Tout le monde parle de l’État de droit, tout le monde en a envie, sauf qu’il y en a de moins en moins. Donc, de moins en moins d’État. Pourquoi ne pas poser de façon plus radicale, peut-être, la question de la représentativité de la classe politique en Corse – de qui est qui, et de qui fait quoi – une bonne fois pour toutes ?
Robert Hue : Je pense qu’il y a en Corse, comme partout, une crise de la politique. Elle peut paraître plus accentuée dans l’île, mais c’est à voir. D’une façon générale, le problème de la crise de la politique est posé à travers la façon dont, aujourd’hui, la représentation politique garde une autorité. Je pense qu’il faut vite réhabiliter en la matière, la politique, en Corse et ailleurs.
Bertrand Vannier : Ce qui veut dire, selon vous, ce qui se passe en Corse est équivalent sur le plan politique à ce qui se passe sur le continent. Ce qui est encore un argument des nationalistes qui disent : « Ne nous traitez pas différemment. » La situation n’est pas différente, selon vous, en Corse et sur le continent ?
Robert Hue : Vous ne me ferez pas passer pour quelqu’un qui est favorable aux nationalistes. Vous savez bien que je suis très sévère à leur égard. Mais, en tout état de cause, je pense qu’il faut à la fois qu’on prenne toutes les mesures nécessaires à une situation qui, en Corse, a plus d’amplitude qu’ailleurs, et il faut que l’État de droit soit respecté là-bas. Mais je crois qu’on ne gagne pas à ne pas agir là-bas comme on agit en moyenne pour faire respecter l’État de droit ailleurs. Je pense que la rigueur républicaine doit s’appliquer à la lettre là-bas et ailleurs.
Stéphane Paoli : Croyez-vous, puisqu’on parle de l’État de droit et de la responsabilité politique, qu’une affaire comme ça puisse prévenir d’une sorte de geste spontané. Il n’y a pas eu un ordre, il n’y a pas eu quelqu’un, quelque part, qui a dit : « faites ça !» ? Est-ce que c’est concevable ?
Robert Hue : Oui, c’est tout à fait concevable.
Stéphane Paoli : C’est concevable qu’un évènement aussi grave se passe sans qu’on l’ait engagé ?
Robert Hue : Ca ne signifie pas que je partage cette démarche, mais il peut, effectivement, y avoir eu un ordre politique donné quelque part. Si, c’est le cas, eh bien il faudra prendre les sanctions nécessaires ! Et ça appellera des dispositions politiques adaptées à ce qu’aura été l’ordre. Mais pour le moment, c’est pure hypothèse, on n’a pas les éléments qui permettent de le dire.
Bertrand Vannier : L’autre gros dossier de l’actualité, c’est le Kosovo. L’Humanité hebdo publie ce matin ce qu’il présente comme « la partie secrète de l’accord de Rambouillet » : l’aspect militaire qui prévoyait une occupation non pas du Kosovo, mais de toute la Yougoslavie, donc y compris la Serbie. Êtes-vous persuadé qu’un document comme cela, s’il est exact, démontre que les Américains, dès le départ avait mis de côté l’option diplomatique en pensant à forcer Milosevic ?
Robert Hue : Je pense qu’à Rambouillet, à la fin des négociations, oui, les Américains ont forcé la main. Et je vois bien que les représentants de l’Otan qui ne sont pas Américains, les Français en particulier, la diplomatie française dit que non. Moi, je pense qu’il y a eu effectivement une accélération à la fin des négociations de Rambouillet et que les Américains ont accéléré le processus. Les Américains souhaitaient les bombardements, ils pensaient, depuis assez effectivement longtemps, qu’on ne pouvait pas en rester là. Et le document que révèle l’Humanité Hebdo aujourd’hui est de nature à penser qu’effectivement, ils ont contribué à créer les conditions d’une mise en œuvre des bombardements. Ils s’attendaient visiblement à ce qu’en quelques jours les choses soient réglées. Ce qui n’a pas été le cas, et c’est là que nous allons revenir certainement sur le sujet, tout à l’heure.
Bertrand Vannier : La France a été complice ou victime ?
Robert Hue : Je ne parle pas de complicité de la France. C’était des négociations très difficiles. Mais en même temps, j’ai vraiment le sentiment et plus que le sentiment que les Américains ont contribué à accélérer les choses.
Stéphane Paoli : Vous voudriez dire au fond que cette guerre du Kosovo, c’est la volonté américaine d’une emprise sur l’Europe ?
Robert Hue : Je veux revenir tout à l’heure vraiment sur Milosevic, parce que le principal responsable c’est Milosevic. Mais il reste que l’attitude des Américains est une attitude qui vise à maintenir une domination militaire en Europe, comme ils veulent une domination commerciale ou culturelle avec l’AMI, nous l’avons vu.
Bertrand Vannier : Poursuivons sur le Kosovo. Si l’on tient compte du fait que les Américains voulaient une option militaire plutôt que diplomatique, si on tient compte que Milosevic est quand même le véritable responsable, c’est bien lui qui chasse les populations du Kosovo et qui massacre les femmes et les enfants et les hommes dans les villages du Kosovo : qu’est-ce qu’on fait ?
Robert Hue : En tout les cas, ce qui a été fait depuis 37 jours, cela ne marche pas.
Bertrand Vannier : Cela veut dire qu’il ne fallait pas le faire ?
Robert Hue : Dès le début, j’ai dit qu’il ne fallait pas bombarder.
Bertrand Vannier : 37 jours après, vous dites ?
Robert Hue : 37 jours après, je persiste et je signe en disant que le responsable de la barbarie, là-bas, c’est bien Milosevic. Il ne faut pas se tromper, il faut le réduire mais les moyens imaginés pour le réduire – à savoir les bombardements – cela ne fonctionne pas. Tout le monde s’accorde à le reconnaître. Je ne suis pas le seul, vous le savez. Même M. Messmer, dans la presse ce matin, dit que c’est un échec. Je crois qu’il y a là, à mon avis, quelque chose à regarder : quelle est l’utilité de ces bombardements ? On démolit des ponts, on démolit un pays, on tue des innocents. C’est le peuple qui trinque, ce n’est pas Milosevic. Milosevic est aussi fort, si ce n’est plus fort, qu’il n’était il y a 37 jours. Il faut donc, à mon avis, choisir l’autre voie, celle qu’on aurait dû essayer de pousser au bout avant le début des bombardements, à savoir la voie de la négociation et de la diplomatie.
Stéphane Paoli : L’humanité hebdo dit, en effet, que l’article 8 du volet B, montre bien qu’il y avait, de la part des alliés, la volonté d’occuper la Yougoslavie. C’est le texte. Et puis il y a aussi tous ceux qui se sont rendus sur le terrain et notamment MSF – vous trouverez cela dans Libération, ce matin – et qui dit, au fond, qu’il apparaît très clairement que le processus d’épuration ethnique était un processus planifié, prévu longtemps à l’avance. Est-ce qu’au fond, aussi à Rambouillet, on ne savait pas depuis longtemps qu’il y avait un processus d’épuration ethnique qui était prévu et même engagé ?
Robert Hue : Il est évident que l’épuration ethnique n’a pas commencé avec les bombardements. Là-dessus, je suis très clair. On a vu certaines thèses dire : mais est-ce que les bombardements, ce n’est pas cela la cause ? Non, certainement pas, il y a le plan de Milosevic, qui était effectivement organisé et qui a incontestablement, tout le monde le voit bien, été accéléré avec les bombardements. Il en a profité en quelque sorte mais il y a cette situation qui était programmée.
Stéphane Paoli : Mais la négociation aurait pu empêcher cela ?
Robert Hue : Je pense qu’on pouvait aller plus loin dans la négociation ; je pense que des dispositions pouvaient… Nous reviendrons à la négociation, nous allons, je l’espère, le plus vite possible, obtenir effectivement une issue à cette guerre et ce que l’on va faire, à ce moment-là, c’est ce qu’on aurait pu faire, à mon avis, à l’issue de la négociation.
Bertrand Vannier : Poursuivons, parce que finalement, avec notre débat de ce matin, on n’est pas si loin de l’Europe. D’abord, une rapide réponse à Daniel Cohn-Bendit : vous ne voulez absolument pas monter sur une tribune à côté de D. Cohn-Bendit dans la campagne pour les européennes ?
Robert Hue : Vous voyez bien qu’il fait un coup médiatique. Je vais vous répondre pour le moment parce qu’on ne va passer la matinée là-dessus.
Bertrand Vannier : C’est oui ou c’est non ?
Robert Hue : Ce n’est pas oui et non. Vous avez passé, tout à l’heure, une longueur de son discours, je suis obligé de dire un certain nombre de choses. Premièrement, je n’ai pas hésité un seul instant à rencontrer une première fois D. Cohn-Bendit : là, ce n’était pas un meeting commun qu’il voulait, c’était un dîner commun. J’ai accepté le dîner commun, j’ai passé deux heures avec lui. Ce n’est pas inintéressant, il est sympathique sauf que sur plein de choses, nous avons constaté que nous n’étions pas d’accord. Il est pour l’Europe supranationale, fédéraliste ; moi, je ne suis pas d’accord. Il est le seul à vouloir continuer l’intervention terrestre en Yougoslavie ; moi, je ne suis pas d’accord. Donc je ne souhaite pas une soirée où nous allons afficher tous ces désaccords. Alors il dit : « Ces désaccords existent dans les listes. » C’et vrai que chez lui, dans sa liste, il y a beaucoup de Verts, et notamment dans le parti, qui sont en désaccord total.
Bertrand Vannier : Mais au sein de votre liste également, il y a des partisans des frappes militaires.
Robert Hue : Mais je vais y venir. Dans sa liste, il y a effectivement, comme chez les Verts, des gens qui condamnent son attitude de va-t-en-guerre. Il est meilleur que le porte-parole de l’Otan. Il faut être clair de ce point de vue. Mais, dans la liste initiée par le Parti communiste, est-ce que Daniel Cohn-Bendit dit la vérité lorsqu’il dit partout que le Parti communiste a changé, c’est formidable. Si le Parti communiste a changé, il ne vaut pas que le Parti communiste soit à l’initiative d’une liste qui soit monolithique, stalinienne, complètement archaïque. Donc, il a une liste moderne, avec la liste que je conduis. Cette liste est diverse, et il faut accepter une fois pour toutes que cette liste, on ne la ferme pas, et que lorsque quelqu’un a une opinion, il peut la donner. Cela participe, je crois, de la modernité en politique. Les gens qui s’alignent, les gens qui ne veulent pas la transparence, si Daniel Cohn-Bendit pense que c’est bien, c’est son problème, mais moi je veux cette diversité. Oui, demain on peut avoir un meeting de la gauche plurielle, imaginons-le ! Mais je ne vais pas à chaque fois être le moyen, pour Cohn-Bendit, de trouver un sujet de discussion dans ses discours. Il était prévu, vous comprenez, qu’il fasse 12 à 14%. Il est mal. Pour le moment, il est nettement en dessous.
Bertrand Vannier : il est à 8,5%, comme vous, dans les intentions de vote.
Robert Hue : Il était annoncé bien au-delà. Donc, il faut qu’il trouve d’autres moyens. Si un jour, on doit avoir une réunion commune, on l’aura, mais arrêtons de faire de cela une tarte à la crème.
Pierre Le Marc : Nous avons publié, mercredi, un sondage de CSA qui vous donne 8,5%. C’et mieux qu’en 1989, c’est mieux qu’en 1994, mais à cette époque-là, le secrétaire national du PC n’était pas tête de liste. Est-ce que vous pensez que ce score témoigne d’une dynamique, ou est-ce que vous ne pensez pas que vous avez un problème de cohérence, de perception, de cohérence par l’électorat de votre position à la fois sur l’Europe, pour et dans le Gouvernement, pour et contre l’intervention au Kosovo ? Est-ce qu’il n’y a pas un problème de cohérence qui fait que le décollage de la liste du PC est difficile ?
Robert Hue : D’abord, le décollage n’est pas difficile. Et la réalité, c’est que nous faisons 6,80% en 1994. Il n’y a pas un sondage qui ne nous annonce pas en ce moment…
Pierre Le Marc : Avec une tête de liste moins connue que vous.
Robert Hue : Le résultat politique c’était 6,80%. Aujourd’hui, nous sommes à 8,5% ou 9%. Je pense que nous allons aller au-delà. C’est clair, je le dis. Je pense que nous allons aller au-delà.
Bertrand Vannier : Au-delà de 10%, c’est votre objectif ?
Robert Hue : Mon objectif, c’est d’aller le plus loin possible. Mais bon, je ne sais pas, je ne vais pas faire des hypothèses qui ne seraient pas sérieuses. C’est certain, je pense qu’à gauche, la surprise va venir de cette liste. Cette liste a une dynamique, a une cohérence. Alors, je sais bien que la cohérence gêne parce qu’on essaie depuis le début de dire : « comme ils sont divers – il y a des représentants du mouvement social, du mouvement syndical, des créateurs, tout ça fait beaucoup de monde qui s’exprime à sa façon, dans la diversité – donc il n’y a pas de cohérence. » Mais, il y a une cohérence qu’on ne veut pas voir. La cohérence est fixée dans un texte, c’est le manifeste que nous avons signé ensemble. Cette liste est antilibérale. Cette liste a comme pilier majeur qu’elle ne veut pas de l’Europe des marchés financiers, de la spéculation, c’est une liste qui s’inscrit dans une démarche profondément « européophile. » Ca c’est le tronc commun à tout le monde, mais c’est une sacrée cohérence ! Dire que l’on veut une liste où les entreprises ne pourront pas faire comme avec Elf – qui fait 8 milliards de bénéfices supplémentaires et qui licencie 1 500 personnes -, une liste qui vraiment donne la priorité au social, à l’Europe sociale : voilà sa cohérence.
Stéphane Paoli : Où êtes-vous, qu’est ce que ça veut dire être communiste aujourd’hui ? Est-ce qu’on peut vouloir une chose et son contraire, y compris en parlant d’ouverture, comme vous le faites avec votre liste ?
Robert Hue : Quelle chose et son contraire ? Précisez !
Stéphane Paoli : un peu sur le Kosovo.
Robert Hue : Qu’est-ce que je dis de contraire sur le Kosovo ? Je dis : Il faut battre Milosevic.
Bertrand Vannier : Mais G. Fraisse dit qu’il faut le battre en poursuivant les bombardements, et vous dites « non ».
Robert Hue : Mais dans toutes les familles françaises, dans tous les partis politiques, dans toutes les rédactions, chers amis, il y a des gens qui pensent différemment. Laissez-moi la possibilité que, dans la liste, j’accepte que des gens ne pensent pas comme la majorité de la liste.
Stéphane Paoli : L’ouverture c’est formidable. Mais vous, Robert Hue, patron du PCF, quelle est votre ligne, où allez-vous ?
Robert Hue : Je crois que c’est clair, nous allons dans une démarche visant à être mieux communiste, communiste moderne. Pour être communiste moderne aujourd’hui, il ne faut pas être en dehors de la société, du mouvement social. Il faut vouloir s’attaquer à la crise de la politique. J’ai choisi, avec cette liste, de faire quelque chose de complètement inédit, qu’aucun autre parti politique n’a décidé de faire : partager la moitié de la liste avec des gens qui sont dans le mouvement social, dans la société civile pour précisément être plus près de la réalité. Je pense qu’être communiste moderne, aujourd’hui, c’est être proche de cette réalité, proche des gens, du quotidien. Et ça, c’est complètement neuf par rapport aux autres forces politiques.
Bertrand Vannier : Le dossier des retraites après la publication du rapport Charpin : vous proposez, pour financer les retraites, que l’on taxe les placements financiers comme, par exemple, les cotisations patronales. Est-ce que cela veut dire que vous êtes absolument contre – comme le propose le rapport Charpin – le prolongement des cotisations pour financer les retraites et surtout, l’égalité entre les cotisations des fonctionnaires et les employés du service privé ?
Robert Hue : Je suis contre, effectivement, qu’il y ait cet allongement des annuités, de la durée des cotisations. On demandait à M. Charpin, un diagnostic. On peut regarder le diagnostic, mais on n’a pas à accepter ses propositions. Ses propositions d’allongement du temps des cotisations ne sont pas bonnes, il ne prend pas en compte, à mon avis, une chose essentielle : est-ce que, dans dix ans, on aura une politique de chômage comme celle qu’on connaît aujourd’hui ? Moi, je suis dans la gauche plurielle. J’ai entendu Lionel Jospin – d’ailleurs, dès son discours d’investiture – dire qu’il souhaitait une forte réduction du chômage. Si on prend ça en compte, on ne peut pas imaginer que le succès de notre politique dans dix ans fera que le chômage sera nettement moins élevé. Or, 1 million de chômeurs en moins, c’est 80 milliards de recettes supplémentaires. Donc, je dis : il y a une voie : Par ailleurs, je pense qu’aujourd’hui les cotisations patronales portant sur les salaires sont un moyen de recettes, mais il faudrait effectivement faire cotiser les revenus financiers.
Pierre Le Marc : Vous exprimez toujours des positions fortes et souvent critiques à l’égard du Gouvernement. Mais, finalement vous avez cautionné la rigueur économique, vous avez cautionné les privatisations, vous cautionnez aussi l’euro et Amsterdam, vous cautionnez l’intervention au Kosovo. Alors, est-ce qu’il y a une ligne rouge, ou est-ce que la solidarité du PC est infinie ?
Robert Hue : Nous n’avons pas à faire à un Gouvernement où sont majoritaires les communistes. Donc, il y a effectivement un rapport de force qui s’établit, qui est réel, que je respecte. C’est la démocratie, c’est l’expression du suffrage universel, dans la majorité comme dans le gouvernement. Mais après – je sais que vous ne pouvez pas penser cela – vous savez que nous sommes très critiques sur toute une série de dispositions…
Pierre Le Marc : Mais vous avalisez la politique du Gouvernement.
Robert Hue : Non. D’abord, nous ne votons pas les textes quand nous ne sommes pas d’accord. Nous obtenons beaucoup de choses. Je pense que s’il n’y avait pas de ministres communistes au gouvernement de la France, eh bien, Air France serait aujourd’hui privatisée. Je pense que par, exemple, à la SNCF, le projet qui est fait en matière de réduction du temps de travail à 35 heures implique des créations de postes supplémentaires à hauteur de 25 000 dans les trois ans qui viennent. Cela n’existerait pas si le ministre n’était pas communiste. Donc, il y a un apport communiste important, d’accord, mais nous ne pouvons pas tout imposer. Nous sommes contre la ligne des privatisations. D’ailleurs, c’est contraire à ce que Lionel Jospin, y compris, disait lui-même, dans un texte qu’on a signé ensemble avant les élections et dans son discours d’investiture. Donc, je pense qu’il faut d’autres choix au plan social. On a un risque très important de conséquences lourdes si nous ne prenons pas des mesures structurelles nécessaires. Je pense notamment au pouvoir d’achat, à toute une série de dispositions concernant le crédit, l’orientation de l’argent.