Interviews de M. Charles Pasqua, tête de liste du Rassemblement pour la France et l'indépendance de l'Europe aux élections européennes de 1999 et sénateur RPR, à "La Provence" du 3 juin 1999 et dans "Les Echos" du 4, sur la campagne électorale, ses relations avec le RPR et ses propositions sur les institutions de l'Union européenne, la préférence communautaire et l'union économique et monétaire.

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Média : Energies News - Les Echos - La Provence - Les Echos

Texte intégral

La Provence - 3 juin 1999

La Provence : Votre combat européen est très critiqué par tous ceux qui, à droite, dénoncent votre combat d’arrière-garde et ce dernier tour de piste sans lendemain.

Charles Pasqua : « Ils peuvent parler, tous. Le courant de sympathie que je ressens à chacun de mes déplacements se manifestera concrètement le 13 juin. Je pense qu’un score à deux chiffres nous est pratiquement acquis même si je ne veux pas le dire parce que je suis superstitieux. Nous avons gagné notre pari et contraint les autres candidats et notamment les deux experts-comptables uniquement préoccupés du taux de la TVA que sont Hollande et Sarkozy à dévoiler quelques-unes de leurs intentions. En avouant, par exemple, qu’il allait siéger avec les élus de sa liste au PPE, un groupe confessionnel et fédéraliste. M. Sarkozy a mis les points sur les i. »

L. P. : Êtes-vous toujours au RPR et comptez-vous y rester ?

Ch. P. : « Bien sûr que j’y suis. Et je n’ai nulle intention d’en partir. Ce que peut dire M. Sarkozy ne me fait ni chaud ni froid et j’entends tous ceux qui à l’intérieur du Mouvement s’interrogent sur la réalité de ses convictions gaullistes. M. Sarkozy est un carriériste forcené qui n’a que lui-même comme préoccupation. Il occupe d’ailleurs une fonction qui n’existe pas et je serai un de ceux qui, au lendemain du scrutin, plaideront pour que le RPR revienne à ses sources. »

L. P. : Avec vous comme chef de file ?

Ch. P. : « En tout cas pas avec Sarkozy. Il y aura dans les prochains mois des révisions déchirantes au RPR. Je crois que, comme à chaque fois lors des scrutins européens, les grands partis seront sanctionnés. Nicolas Sarkozy n’est pas plus gaulliste que je suis musulman et au lendemain du 13 juin, ce sera son cas qui sera examiné. »

L. P. : On vous dit réconcilier avec Philippe Séguin.

Ch. P. : « Mais je n’ai jamais été brouillé avec Séguin. Même si on ne s’est pas vu ces derniers temps, on s’est appelé à plusieurs reprises. On s’aimait bien quand nous menions ensemble notre croisade anti-Maastricht. On s’aime toujours bien. »

L. P. : Vous avez tenté en vain d’ouvrir votre liste vers les chevènementistes avant de revenir à Philippe de Villiers…

Ch. P. : « Je prônais une stratégie de rassemblement et j’ai été au regret de constater que les personnalités que j’ai contactées étaient, d’une façon ou d’une autre, engluées dans le système des partis avec leurs règles et leurs avantages. Quant à Philippe de Villiers, je n’ai jamais hésité à le prendre. Nous partageons de nombreuses convictions et en plus, ensemble, on rigole bien. Ce qui se perd par les temps qui courent. ».

L. P. : L’affaire des poulets belges contaminés par la dioxine sert-elle votre démonstration ?

Ch. P. : « Après la vache folle, le veau aux hormones, les fromages porteurs de listériose, voici les poulets contaminés qui prouvent l’aveuglement de la commission de Bruxelles et son pouvoir démesuré. »

L. P. : La présence de l’ancien préfet Marchiani en 9e position sur votre liste est contestée.

Ch. P. : « Il a des idées à droite et n’aime pas la gauche. Il est près du peuple. Comme moi. »


Les Echos - 4 juin 1999

Les Échos
Vous avez déclaré que seul, selon vous, le Conseil européen est une institution légitime. Qu’en est-il du Parlement ?

Ch. P.
Je voulais dire par là qu’à mes yeux la Commission de Bruxelles ne bénéficie pas de la légitimité démocratique. L’Europe est de guingois et c’est le moment ou jamais de la remettre d’aplomb. Le traité d’Amsterdam, que j’ai combattu, dispose au moins d’un article intéressant qui oblige les gouvernements à présenter leurs propositions pour une nouvelle organisation dans la perspective de l’élargissement de l’Union. La logique voudrait que l’Europe soit dirigée par le Conseil européen, qui est compose des chefs d’État et de gouvernement, assisté du Conseil des ministres, dans lequel chaque pays serait représenté. À lui de décider, la Commission devenant non plus un organe exécutif, mais un organe d’exécution, Dans le même temps, il faudrait renforcer le contrôle du Parlement sur la Commission. »

Les Échos
Avez-vous le sentiment que les gens qui viennent à votre rencontre dans les meetings sont sensibles à ces questions institutionnelles ?

Ch. P.
Les gens pointent les dérives de la Commission de Bruxelles, libre-échangiste à outrance. Il n’y a qu’à voir les problèmes de santé publique que génère ce libre-échange incontrôlé ! Ils se rendent compte que, dans de nombreux domaines, si l’Union européenne a eu des effets positifs dans le passé, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les agriculteurs, par exemple, sont préoccupés par les décisions prises par la Commission, qui consistent à abaisser toutes les barrières. L’an prochain, il va falloir choisir entre l’Europe et l’OMC.

Les Échos
Vous prônez donc le protectionnisme au niveau européen ?

Ch. P.
Le marché commun s’est créé sur l’idée de préférence communautaire. Je demande donc qu’on cesse de faire preuve d’aveuglement et d’hypocrisie. Que l’Europe fasse du donnant-donnant ! On ne va pas supprimer la mondialisation mais il faut qu’il y ait un minimum de règles. L’Europe ne peut pas continuer à ouvrir très largement son espace et dans le même temps se trouver confrontée à des pays, les États-Unis, mais aussi le Japon, qui ne jouent pas le jeu.

Les Échos
En matière sociale, votre campagne a une tonalité très « gauche » : défense des services publics à la française, de la retraite, de l’assurance maladie. Comment l’électeur peut-il faire la différence ?

Ch. P.
On ne peut tout de même pas sacrifier la société française sur l’autel de la monnaie unique. Que nous avait-on promis ? On nous avait dit qu’à partir de 1999, l’Union européenne serait le principal pôle de développement économique susceptible d’entraîner les autres et que l’euro serait une monnaie de réserve. Dans quelle situation économique sommes-nous ? Les écarts se sont creusés entre les pays et l’euro, diminue. Il y a eu tromperie sur la qualité de la marchandise. Je ne sais pas si on l’a fait volontairement ou si on s’est laissé abuser mais des erreurs ont été commises qu’aucun économiste ne peut commettre sans être suspecté d’incompétence. Tout cela sans compter que la monnaie unique a été créée d’une manière absurde, avant de procéder à l’harmonisation fiscale et sociale, préalable indispensable à une certaine égalité entre les économies.
Pour moi le débat entre la gauche et la droite n’a aucun sens : la politique économique est la même, avec les mêmes obligations vis-à-vis du respect des critères de convergence et du Pacte de stabilité, et la marge de manœuvre laissée aux États extrêmement faible. La philosophie de cette politique, c’est la répartition de la pénurie. La première des choses dont devraient se préoccuper les chefs d’État et de gouvernement, ce sont les possibilités de relance économique.

Les Échos
Quelles sont vos priorités en matière d’harmonisation fiscale ?

Ch. P.
On ne peut pas faire d’harmonisation fiscale sans parler d’abord d’harmonisation sociale. Les charges sociales sont, en France, trop élevées. Si on veut qu’elles diminuent, il faut que la part consacrée à combler les déficits de la Sécurité sociale, des régimes de retraite, etc. soit diminuée. Et pour cela, le seul moyen, c’est qu’il y ait davantage d’activité économique. En matière strictement sociale, je suis pour la définition de droits équivalents. Pour le reste, il faut laisser jouer les choses librement.

Les Échos
Comment relancer l’activité économique ?

Ch. P.
C’est très simple. Il faut une politique de grands projets au niveau européen. C’est par là que nous aurions dû commencer. En France, deux tiers du pays sont à l’écart de la croissance économique qui, si nous ne faisons rien, seront marginalisés. Il faut se donner les moyens nécessaires. C’est ce que Delors a dit il y a de nombreuses années, ce que Chirac a répété à peine élu président de la République. Des décisions de grands travaux ont même été actés par le Conseil européen, mais on n’y a jamais affecté le moindre fifrelin. Les nouvelles technologies devraient faire l’objet de projets à l’échelle européenne qui pourrait être financés par un emprunt européen.

Les Échos
Vous avez annoncé à plusieurs reprises que votre alliance avec Philippe de Villiers aurait une suite après le 13 juin. Est-ce à dire que vous renoncez à réunir les souverainistes de droite et de gauche ?

Ch. P.
Pas du tout ! Le propre d’un rassemblement, c’est de créer une dynamique. Avec Philippe de Villiers nous partageons un certain nombre de convictions, notamment l’indépendance nationale, mais ça ne veut pas dire que nous soyons d’accord sur tout. Je crois que Villiers est désormais gagné à l’idée d’un plus large rassemblement. Maintenant, nous allons bien voir si cette idée peut séduire ou pas. Nous en aurons un aperçu avec le score du 13 juin.