Texte intégral
Libération : La faillite civile va-t-elle être instituée en France pour les particuliers ?
Marylise Lebranchu : Nous ne voulons pas de ce terme de « faillite civile ». Nous sommes partis du constat que de plus en plus de gens ne peuvent pas régler leurs dettes. Que les commissions de surendettement rencontrent de plus en plus de difficultés pour calculer le reste à vivre, et surtout, ne disposent d’aucune marge pour trouver une solution. Et que donc, dans ce cas, la solution, c’est un moratoire, un gel des dettes. Il pourra durer de six mois à trois ans. À la fin du moratoire, la commission devra se réunir. Elle regardera s’il n’y a toujours pas de solution. Et décidera en fonction de la personne. Si le surendettement présente de sérieux handicaps, s’il n’a que très peu de chances de s’en sortir, alors, les dettes pourront être effacées. C’est à ces conditions seulement que l’on fera un trait sur les arriérés. Mais nous ne voulons pas prononcer ce mot de « faillite civile ». Les créanciers privés refusent le terme. Ils étaient représentés dans le groupe de travail qui a écrit l’avis, et de plus, tous les banquiers ne seront pas forcément d’accord sur le principe même de la remise de dettes. D’autre part, les créanciers publics ne veulent pas non plus du terme. De surcroît, l’expression « faillite civile » est infamante. Elle suppose que les gens, une fois faillis, ne peuvent effacer la tâche. C’est pourquoi nous préférons le terme de remise des dettes. D’ailleurs, l’avis prévoit une clause de retour à meilleure fortune. Cela veut dire que si les débiteurs remontent la pente, ils ont la possibilité de régulariser pour se mettre à jour de leurs engagements.
Libération : Quel est le calendrier de la réforme de la loi Neiertz ?
Marylise Lebranchu : D’ici le premier trimestre 1998, nous allons rédiger un avant-projet de de loi. Une fois écrit, il va être soumis à toutes les parties. Il y aura une discussion avec tous les partenaires, dont les collectivités territoriales, le budget, les affaires sociales… Au deuxième trimestre, notre texte sera prêt. Martine Aubry souhaite - et elle a raison -, que son texte principal contre l’exclusion soit encadré d’une série de mesures qui l’accompagneront. Il y aura celles de de Louis Besson, le ministre du Logement, celles d’Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, sur l’accès à la justice, et les miennes, sur l’amélioration du traitement des cas de surendettement. Le dispositif législatif contre l’exclusion n’en sera que plus efficace.
Libération : Quand la nouvelle loi entrera-t-elle en vigueur ?
Marylise Lebranchu : Notre souhait, c’est qu’il y ait le minimum de décrets. La loi doit pouvoir être mise en œuvre le plus tôt possible.
Libération : Que pensez-vous des propositions du CNC ?
Marylise Lebranchu : L’élargissement des commissions de surendettement à neuf membres est une bonne chose. La vérification des créances doit être facilitée. Elle doit avoir lieu à chaque fois que le débiteur le souhaite. Mais elle ne doit pas être faite systématiquement. Les banquiers demandent que le débiteur soit fiché au FICP (fichier des incidents de paiements, ndlr) dès le dépôt de son dossier. Mais les consommateurs n’y sont pas favorables. Ce point sera discuté.Les dettes fiscales doivent-elles être mises sur le même pied que les crédits à la consommation ? Encore un point qui sera débattu avec les collectivités territoriales. Le projet de loi ne peut disposer comme cela du sort des dettes de cantine ou des arriérés de taxes d’habitation. Les dettes fiscales sont des dettes « citoyennes ». Le débat sera difficile, d’autant que les créanciers privés en font un principe : ils n’acceptent d’effacer les crédits que si tout le monde est logé à la même enseigne, y compris l’État.
Libération : Y a-t-il d’autres obstacles délicats à franchir ?
Marylise Lebranchu : Oui, l’opinion publique. Il faut qu’elle adhère au dispositif. C’est pour cela que je ne souhaite pas mettre en avant le terme de « faillite civile » ? Le dispositif doit être soigneusement encadré et les débiteurs doivent avoir la possibilité, même des années après, de régulariser leur situation vis-à-vis de la société.