Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à RMC le 2 juillet 1999, à propos des conséquences pour les salariés des fusions bancaires, le projet gouvernemental de réduction du temps de travail, et l'union des syndicats européens face à des problématiques européennes.

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Texte intégral

Q - Je suis content de vous recevoir, d'autant que vous avez très souvent fait l'actualité ces dernières années - vous et les autres syndicats -, et on a l'impression que, depuis quelques mois, la voix syndicale, la, vôtre aussi, est absente. Qu'est-ce qui se passe ?

- « Ma voix est absente ! Écoutez ! Il suffirait de m'inviter plus souvent. Je crois effectivement qu'il y a un constat : il s'est passé quelque chose depuis le début de l'année, vraisemblablement les élections ont une part de responsabilité; mais aussi peut-être dans la façon de gérer le pays. Cette espèce de tendance qu'ont maintenant les organisations politiques et notamment celles qui dirigent le pays, d'aller directement vers les salariés, d'aller directement vers l'opinion publique, de tenir compte des sondages, etc., fait qu'on met un élément de plus dans les consultations qui prennent plus en compte les ONG, les choses de cette nature. Je voudrais polariser pour bien faire comprendre mon propos - et ce n'est pas une obstination contre le ministre du Travail -, mais par exemple, elle juge utile d'expliquer la deuxième loi sur les 35 heures à un journal. Elle fait une interview. On aurait pu espérer, que nous aurions été consultés - on nous aurait donné les textes, comme elle s'y était engagée - et qu'ensuite, il y aurait eu un débat. Mais non, elle a préféré saisir l'opinion publique. C'est dangereux. Moi je suis partisan de la démocratie par délégation : cela dévalorise les représentations par délégation telles que les organisations syndicales. Mais tout cela va revenir dans l'ordre, ne vous en faites pas ! Généralement, cela dure un petit moment, ce genre d'affaire, et puis un jour ou l'autre, il y a une action syndicale qui se développe quelque peu. On reprend les choses en main et, là, à nouveau, on reprend. Rappelez-vous novembre et décembre 95. Je ne veux pas dire qu'on va recommencer, demain, mais enfin, cela a remis les choses au point. »

Q - Décidément, avec Mme Aubry, cela ne s'arrangera pas. Blondel-Aubry, c'est un couple qui ne marche pas.

-  « Il n'y a rien de bien particulier entre Mme Aubry et moi, sauf que, de manière claire, nous sommes en désaccord sur différents points. Ce que je constate, c'est qu'elle ne fait rien pour que les choses puissent évoluer de manière favorable. »

Q - En ce moment, on assiste à une grande bataille économique en France - la bataille des banques. La BNP a été autorisée, hier soir, à poursuivre sa volonté de manger, on va dire, la Société générale et Paribas : 450 000 employés sont concernés. Qu'est-ce que vous pensiez ce matin de cette gigantesque bataille ?

-  « Je vois cela sous l'angle, et c'est normal, du personnel. Nous savions déjà qu'il y aurait une mutation dans le domaine bancaire et une mutation non négligeable. Je me souviens du rapport Dautresme qui annonçait 10 % de salariés en trop, etc. Plus il y aura de fusions, plus il y aura de concentrations et plus il y aura des conséquences sur les salariés. Je sais bien qu'on va commencer par me dire : « Ce n'est pas vrai, ça va être au niveau international, etc. C'est faux. Trois banques qui vont devenir une seule banque, cela veut dire trois réseaux qui vont être concurrentiels. Pourquoi voulez-vous avoir deux agences dans la même structure, d'avoir deux ou trois agences dans tel quartier, qui se concurrencent ? Donc, c'est clair, cela va tomber, et c'est ce qui explique vraisemblablement le comportement de l'AFB qui a dénoncé la convention collective et qui fait maintenant des propositions où manifestement c'est d'une fragilité absolument extraordinaire. On remet en cause tout ce qui est constitué comme un acquis et qui était la base même de la situation des salariés dans la banque. C'est quelque chose d'incroyable. Avec un culot d'ailleurs ! L'AFB dit qu'avant la situation relative des salariés de la banque, c'était les contribuables qui la payaient parce que c'était des banques nationalisées. C'est un culot absolument monstrueux. »

Q - Qu'allez-vous faire devant ce qui se passe ?

-  « D'abord, la première chose c'est que les salariés de la banque vont réagir et vont essayer de défendre ce qui était leur convention collective. C'est dans les périodes les plus perturbées qu'on a besoin justement des structures et des textes qui permettent de limiter la casse. Si on est sans convention collective, cela veut dire que les salariés de la banque sont corvéables et malléables à souhait. Je vais vous expliquer quelque chose : l'une des réactions qui m'a le plus étonné lorsqu'on a parlé de fusion, d'OPA, etc. sur l'une ou l'autre des banques, c'est que quand on discute avec les employés de banque, maintenant, certains disent : « Eh bien, dans le fond, pourquoi pas ? J'ai 50 ans, qu'on me donne mes sous et que je foute le camp. Ils essayent de monnayer le départ. Cela veut dire qu'ils n'ont plus envie de travailler et le risque qu'on court est d'avoir dans le secteur bancaire, en France, des gens qui sont désintéressés. Or c'était une profession où il y avait une certaine stabilité. Je me souviens du moment où il fallait les pousser à la porte quand ils arrivaient à l'heure de la retraite. Cela ne semble plus du tout être le cas. Il va y avoir, à mon avis, des secousses et des réactions tout à fait sérieuses. »

Q - Allez-vous faire la guerre au projet de loi des 35 heures tel qu'il est connu au jour d'aujourd'hui ?

-  « Pourquoi voulez-vous que je fasse la guerre au projet de loi des 35 heures dans la limite où la revendication de la réduction de la durée du travail est mienne. »

Q - Je dis au projet de loi. Je n'ai pas dit au principe des 35 heures.

-  « Au projet de loi, mais bien entendu, enfin, écoutez ! Tenez, cela ne vous semble pas, vous qui êtes un expert et qui avez quelques expériences, regardez, Mme Aubry est en train de proposer que les heures supplémentaires payées à partir de la 36e heure soient augmentées de 10 %, et non pas de 25 %. »

Q - Pendant un an, oui.

-  « Et non pas de 25 % comme cela était le cas à la 39e heure, et les 10 % ne seront pas donnés aux salariés, on les mettra dans un fonds. Cela me fait penser à la solidarité obligatoire. C'était le système de l'Union soviétique : on allait travailler le samedi, on n'était pas payé. Une ou deux fois par an. C'était de la solidarité socialiste. C'est une réaction de pays en développement ! Comment allez-vous demander aux gens de faire des heures supplémentaires sans les rétribuer pour ? »

Q - Vous accusez Mme Aubry de faire un soviet ?

-  « Pardonnez-moi, je ridiculise la chose, c'est ça que je veux. Je ne réussis peut-être pas mais je ridiculise la chose. Deuxièmement, enfin, - c'est un petit peu de psychologie d'entreprise - il faut regarder les choses ; manifestement, il vaut mieux surenchérir les heures supplémentaires pour que les patrons n'aient pas recours aux heures supplémentaires. C'est évident. »

Q - Pour créer de l'emploi, vous voulez dire ?

-  « Si on veut. Moi, on peut me dire tout ce qu'on veut. On nous fait un procès en disant : - Vous n'êtes pas pour les 35 heures -, tout simplement parce que j'ai toujours dit que cela ne créerait pas arithmétiquement et automatiquement de l'emploi. La preuve : eh bien, il suffit de regarder maintenant. Et je rappelle que, le 10 octobre 97, à la réunion tripartite, quand M. Jospin a dit : « Les 35 heures quand ? », j'ai dit : « Le plus rapidement possible immédiatement, si vous voulez que cela ait un effet sur l'emploi ; plus vous retarderez, moins cela aura d'effet. » Pardonnez-moi - je ne veux pas jouer les Cassandre mais j'avais raison. Maintenant, on veut même repousser à 2001, et pourquoi pas 2002. Cela veut dire qu'ils ont sauté, ils sont en haut du saut, et ils retombent et ils ont la trouille des conséquences. Eh bien, il ne fallait pas le faire ! Ils l'ont fait, mais il faut aller jusqu'au bout maintenant ! »

Q - Au moment ou on assiste à tous ces regroupements internationaux, est-ce qu'il y aura un jour prochain, assez rapidement, au niveau syndical, quelque chose « une force » qui se mettra en face ?

-  « La force existe : c'est la Confédération européenne de syndicats. En ce moment, le congrès a lieu à Helsinki. Il y a 67 organisations, 29 pays représentés. »

Q - On n'a pas l'impression que cela soit puissant et moteur ?

-  « Eh bien, écoutez, moi je vais vous dire : « Je n'y suis pas. » Pour des raisons diverses, je ne m'y suis pas rendu. J'ai peut-être d'ailleurs eu tort, je commence à le regretter, compte tenu que je suis des dépêches, je suis les informations. La délégation FO qui est là-bas me téléphone, etc. Il est en train de se passer quelque chose. On est en train, pour la première fois de se rendre compte et d'avouer que nous sommes faits différemment, que nous avons une histoire différente selon les organisations syndicales de chacun des pays. On prend conscience de cela, et en même temps, on prend conscience de la nécessité qu'il y ait justement un contrepoids et que ce contrepoids soit la Confédération européenne des syndicats. Eh bien, moi je pense qu'il fallait passer par cette étape de réflexion. Je m'en félicite. Si cela peut servir, tant mieux, et vous avez raison : dans des secteurs comme la banque, comme cela a été plus ou moins, bien que cela n'ait pas eu l'influence qu'on a pu le croire - l'histoire de Vilvorde - nous allons peut-être placer maintenant le débat à ce niveau là plus facilement, en tout cas d'une manière plus active et plus militante, et c'est indispensable. Je me félicite de ce qui est en train de se passer. »