Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à RTL le 17 septembre 1997, notamment sur le vote sur le plan emploi-jeunes, le débat sur la réduction du temps de travail à 35 heures et la hausse de la CSG.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RTL : Votre réaction sur l’abstention de trente-huit députés de l’opposition sur le plan emploi des jeunes, dont Raymond Barre, et trois qui ont voté pour ?

Jean-Marc Ayrault : Ils sentent que, le sur le terrain, il y a une très forte attente des familles et des jeunes, et que ce sont des hommes politiques responsables – souvent des maires, je constate – et qui ont compris qu’il fallait une action forte, volontariste, pour sortir de cette situation désespérante où on voit une partie de notre jeunesse sans espoir. C’est ça le sens de ce vote massif. Et je crois qu’on peut se féliciter d’exemplarité de la méthode de travail : et Martine Aubry, les députés, les amendements, le décret d’application qui est prêt. Maintenant, que faut-il faire ? Il faut sonner la mobilisation générale sur le terrain, pour que, après le vote de ce texte, on passe à l’action, c’est-à-dire au dépôt des projets, et puis l’embauche des jeunes.

RTL : L’actualité c’est aussi les 35 heures. Un quotidien du matin écrivait « que Lionel Jospin pivote de plus en plus vite autour de ses engagements. »

Jean-Marc Ayrault : Je trouve ça tout à fait injuste. Jospin a parlé « du réalisme de gauche. » Eh bien il se tient à ses engagements, en tenant compte aussi du réel. Et avec un souci de convaincre et d’entrainer.

RTL : C’est-à-dire que, sur les 35 heures, c’est le retour du coût réel ?

Jean-Marc Ayrault : Non, non ! Je crois que nous avons toujours dit – et je revendique ce que nous avons dit – qu’il n’était pas question d’organiser la mise en œuvre de la réduction du temps de travail pour créer des emplois, en diminuant les salaires.

RTL : 35 heures payées 39, c’est « antiéconomique » ?

Jean-Marc Ayrault : Ça c’est une formule à l’emporte-pièce. Et nous savons très bien qu’on ne réussira pas la réforme, la négociation sur le temps de travail en France, si on a des formules toutes faites. Il faut négocier : négocier ça veut dire mettre autour d’une table les partenaires sociaux – ça sera fait le 10 octobre. C’est un processus qui va s’engager, donc il y aura des compromis. Mais les compromis doivent être gagnants-gagnants. C’est-à-dire que les salariés ne doivent pas y perdre, l’entreprise doit pouvoir assurer son développement, et il faut au bout du compte que ça soit créateur d’emplois.

RTL : Mais sur le plan politique, est-ce que le Gouvernement n’est pas pris dans les tenailles ? Je dirais, entre des alliés attachés à la symbolique des 35 heures, et des partenaires sociaux, le CNPF, tout à fait hostiles ?

Jean-Marc Ayrault : Non, le PS est engagé dans la campagne ; et je crois que le Gouvernement est très attaché à ce que, à un moment du processus de négociation, le Parlement soit saisi d’un projet de loi pour fixer la durée légale du travail à 35 heures. C’est toujours notre objectif.

RTL : On peut satisfaire tout le monde : le CNPF, les Verts, les communistes ?

Jean-Marc Ayrault : Ça veut dire quoi satisfaire tout le monde ? Je vous le répète : il faut assurer le développement économique, il faut assurer la place des salariés, avec des revenus tout à fait acceptables qui ne baissent pas leur pouvoir d’achat – car moins de pouvoir d’achat c’est moins de croissance –, et donc moins de consommation. Et puis plus d’emplois. C’est ça l’objectif.

RTL : Vous dites « il faut », mais est-ce que vous avez la conviction d’avoir toutes les armes pour réussir justement ?

Jean-Marc Ayrault : En France, nous avons perdu l’habitude de négocier et de signer des contrats. D’autres pays l’ont pratiqué, nous, nous avons perdu cette habitude. Nous sommes au début d’un processus. La conférence du 10 octobre qui sera présidée par Lionel Jospin, j’espère, sera l’amorce d’une nouvelle pratique des rapports sociaux en France, une modernisation des rapports sociaux, avec un objectif : plus de justice sociale, mais aussi plus d’efficacité économique, et au bout du compte plus d’emplois.

RTL : Retour à un papier que nous faisait tout à l’heure Catherine Mangin sur la CSG. Elle avait une interrogation : la hausse de la CSG sera-t-elle déductible ?

Jean-Marc Ayrault : Je crois que le principe en est acquis. Elle a employé une formule : « pas payer l’impôt sur l’impôt. » Je crois que ça serait tout à fait inefficace et injuste. Donc, on voit bien, là, que la philosophie du Gouvernement est parfaitement cohérente par rapport aux engagements pris. Il y a un vrai changement de logique. Et c’est vrai – vous le disiez tout à l’heure – je pense qu’en effet nous sommes en train de mettre en œuvre une nouvelle politique qui favorise la consommation, qui ne soit pas défavorable aux salariés, et qui encourage la croissance. C’est-à-dire complètement différente de ce que Alain Juppé avait fait ; qui, lui, avait prélevé de façon massive de l’argent sur les salariés, sur l’ensemble des agents économiques. Et cela s’est traduit par un blocage de l’activité économique et de la croissance. Nous sommes donc en rupture par rapport à ça, et en même temps nous sommes sur un équilibre : c’est-à-dire équilibre concernant les prélèvements obligatoires, et redistribution. Donc, justice fiscale et efficacité économique ; donc plus de croissance et au bout du compte, là encore, plus d’emplois.

RTL : Politiquement, l’avenir de la majorité est-il toujours pluriel ? Puisqu’on entend quand même les Verts, les communistes. Est-ce qu’ils sont prêts à se plier à la discipline majoritaire ou manger leur chapeau ?

Jean-Marc Ayrault : Mais non, personne n’a à manger son chapeau ni mettre le doigt sur la couture du pantalon. Nous sommes une majorité plurielle, donc ça doit se vivre comme ça. Ça veut dire qu’il faut débattre, discuter, et avec un engagement qui est celui de mettre en œuvre ce qui a été proposé aux Français. C’est en train de se faire, et pour ça il faut discuter, débattre. Et j’ai l’impression que nous sommes entrés dans une nouvelle ère de la vie politique française, où on respire davantage. Et j’ai l’impression aussi que la droite empêtrée dans ses divisions et ses a priori idéologiques a pris un grand coup de vieux.

RTL : Deux questions qui sont hors sujet de ce que nous venons d’évoquer. Le Gouvernement a demandé à EDF – et là ça vous concerne – de renoncer à son projet de centrale nucléaire dans l’estuaire de la Loire, tout près de chez vous, à Nantes. C’est un gage que vous donnez aux écologistes ?

Jean-Marc Ayrault : Non, non ! Là encore, je crois que c’est pas pour faire plaisir à tel ou tel. C’est parce que ça fait partie des engagements qui ont été pris. Et Lionel Jospin, pendant la campagne électorale est venu à Nantes, connaissait la position non pas seulement des écologistes, mais aussi des élus socialistes de la région. Et cela s’inscrit dans une démarche d’ensemble qui consiste à rééquilibrer les moyens de production de l’énergie électrique, et qui ne peuvent pas être basés que sur le nucléaire. Donc, l’annonce par Lionel Jospin de l’abandon de ce projet de centrale nucléaire au Carnet, dans l’estuaire de la Loire, c’est le respect des engagements pris.

RTL : Que pensez-vous de l’intention de Catherine Mégret, maire FN de Vitrolles, de débaptiser l’« avenue François Mitterrand », et lui rendre son nom d’origine, « avenue de Marseille » ?

Jean-Marc Ayrault : Derrière, il y a toute une stratégie extrêmement nationaliste et tout à fait dangereuse. Parce que, si ce n’était qu’un nom de rue, on pourrait considérer que c’est dérisoire. Mais enfin Madame Mégret, elle a fait plus que ça, puisque les premières déclarations qu’elle avait faites, ce sont des propos racistes qu’elle a tenus dans un journal allemand. Donc, je crois que derrière, il y a toute une philosophie extrêmement dangereuse pour la démocratie, et peut-être des gens de bonne foi se sont-ils laissés prendre. Mais ils sont en train de se rendre compte aujourd’hui que ce parti est vraiment très dangereux pour les libertés.