Texte intégral
Q. On entend souffler le chaud et le froid. Est-ce que, ce matin demeure le risque d’une action militaire contre l’Irak ?
R. Oui, cela demeure possible mais ce n’est pas sûr. Cela dépend de ce qui sera fait dans les jours qui viennent. Cela dépend des résultats des efforts entrepris pour que l’Irak comprenne qu’il doit reprendre sa coopération avec la Commission spéciale des Nations unies qui est là pour contrôler le désarmement des programmes de destruction massive que l’Irak avait entrepris il y a quelques années.
Q. Vous dites « peut-être une, deux ou trois frappes » : où et à quoi ça servirait ?
R. Depuis la fin de la guerre du Golfe, le Conseil de sécurité a déclaré à l’unanimité que l’Irak devait défaire, démonter ses programmes de destruction massive. Périodiquement, il y a une Commission spécialisée qui indique si l’Irak a avancé ou pas dans cette voie, tous les six mois. À chaque fois, il y a des petits progrès sur certains points et une absence de progrès sur d’autres, ou une mauvaise volonté sur d’autres points. La dernière fois, il y a quelques jours, la Commission a dit que c’était à peu près satisfaisant sur le plan nucléaire et qu’en revanche, ce ne l’était manifestement pas sur le plan chimique et bactériologique.
Q. Est-ce que ça veut dire que S. Hussein voulait cacher le fait qu’il avait déjà des armes bactériologiques ?
R. Non, ça commencé par cette analyse de la Commission.
Q. Mais à votre avis, est-ce que S. Hussein a déjà, par exemple, reconstitué tout ou partie de son arsenal nucléaire ?
R. Non, je ne le pense pas. La Commission Butler ne le dit pas. L’Agence internationale pour l’énergie atomique dit l’inverse. Donc, je ne crois pas qu’il y ait de problème sur le plan nucléaire. En revanche, je pense, comme tous les responsables qui ont analysé cette question, qu’il demeure un vrai problème - en tout cas, une très forte présomption - sur le plan bactériologique et chimique. Donc, il faut en avoir le cœur net pour sortir de cette situation, pour que les sanctions puissent être levées. C’est cela, la perspective.
Q. Six ans après sa défaite, S. Hussein et l’Irak sont surarmés.
R. Non. S. Hussein, semble-t-il, a gardé la volonté de poursuivre des programmes qui sont des programmes strictement interdits, prohibés par les résolutions qui ont été décidées à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité après la guerre du Golfe. Donc, là, il enfreint cette règle. Or, il n’y a pas d’autre sortie pour l’Irak que de respecter complètement les résolutions de la fin de la guerre du Golfe.
Q. La presse et l’opinion américaines sont plutôt d’humeur belliqueuse.
R. Il semblerait, oui.
Q. Je lisais « Si tu es un homme, B. Clinton, vas-y ! » Est-il dans cet état d’esprit ?
R. Les États-Unis, les responsables américains aujourd’hui - j’en juge par des conversations téléphoniques que j’ai eues encore hier, comme très souvent, avec Mme Albright - cherchent une solution politique et diplomatique qui soit une solution.
Q. Sous la pression militaire ?
R. Avec une certaine pression militaire mais qui répond peut-être, vous avez raison de le faire remarquer, à une pression interne, à une pression de l’opinion publique américaine. Donc, il y a, disons, des interrelations, aux États-Unis, entre l’opinion, le Congrès, les grands médias, les hommes politiques. Mais ce que je vois, moi, de la part des États-Unis, c’est qu’ils cherchent à éviter une situation dans laquelle ils se sentiraient obligés de procéder à une frappe. Pourquoi ? Tout simplement parce que la situation ne serait peut-être fondamentalement différente après. Or, qu’est-ce qui nous intéresse ? Ce qui nous intéresse - ce n’est pas les États-Unis, c’est nous aussi, France, comme les autres membres permanents du Conseil de sécurité - c’est que l’Irak ait réellement et complètement arrêté des programmes de destruction massive. L’Irak a droit à sa sécurité, naturellement, légitimement mais dans des proportions raisonnables. Il y a des programmes qui doivent être arrêtés. Cela, ça nous intéresse quels que soient les phénomènes internes aux États-Unis - c’est leur problème, ce n’est pas le nôtre. Mais nous, nous avons intérêt, comme les autres, à ce que ces conditions-là soient remplies.
Q. Le Président de la République a, à Hanoï, fini par confirmer la solidarité de notre pays à l’égard de l’Amérique. Est-ce que ça veut dire que, s’il y avait une frappe ou des frappes, la France s’associerait à une intervention militaire ?
R. Non, ce n’est pas ce que le Président a dit et nous ne nous sommes pas engagés sur ce point. Ce que le Président a indiqué, c’est que, dans cette période récente, les décisions prises unilatéralement par l’Irak, c’est-à-dire de refuser de coopérer avec la Commission, d’expulser les Américains de la Commission… Ce n’est pas tellement que ce soit les Américains ou d’autres, c’est un pays qui n’a pas le droit de décider tout seul de la composition de la Commission qui est là pour le contrôle, parce qu’il s’est mis dans une situation de faute.
Q. Mais, est-ce que S. Hussein, pour une fois n’a pas raison quand il dit qu’il y a trop d’Américains dans cette Commission, que ce sont eux qui ont un comportement arrogant et qu’ils veulent faire la loi, même dans son pays ?
R. Toutes les questions concernant le fonctionnement de la Commission ne pourraient être posées que si l’Irak avait rempli les conditions qu’il doit remplir. Il n’y a pas d’autre solution. Si l’Irak dit : nous sommes prêts à recoopérer, ce que semble-t-il d’ailleurs, M. Aziz essaie de redire maintenant, ce qui montre que les efforts diplomatiques, les discussions, les messages des uns et des autres - les Russes parlent avec les Irakiens, nous continuons à parler avec les Irakiens, en liaison avec les Américains, qui souhaitent également que nous continuons à parler avec les Irakiens parce qu’il faut que quelqu’un le fasse - tout cela montre qu’il y a un fil qui doit continuer à être tiré sur ce plan.
Q. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, il y a des messages avec l’Irak. Est-ce ça veut dire que la France joue un rôle de médiateur, de modérateur ?
R. Pas médiateur au sens, nous sommes à mi-chemin, nous ne sommes pas à mi-chemin, nous sommes un membre permanent du Conseil de sécurité et nous pensons que les résolutions compétentes doivent être appliquées. Et notre rôle, c’est de dire aux Irakiens : appliquez-les. À partir de là, on pourra, nous, membre permanent au sein du Conseil de sécurité, avec d’autres qui ont la même préoccupation, nous pourrons déterminer les conditions permettant de sortir de cette situation pour que l’Irak retrouve une place normale dans la communauté internationale et pas parce que nous aurions laissé tomber nos exigences légitimes.
Q. Mais vous avez confirmé que la France n’entend pas participer à quelque opération militaire que ce soit ?
R. J’ai dit qu’aucun engagement de ce type n’avait été pris et que nous sommes pleinement solidaires du Conseil de sécurité - c’est une évidence, c’est un pléonasme : nous en faisons partie. Nous sommes donc solidaires avec nos propres exigences.
Q. L’Amérique veut en finir avec S. Hussein, c’est-à-dire ou le renverser ou l’éliminer. Et Paris ?
R. Là, il y a un point à clarifier parce que si S. Hussein est encore au pouvoir, c’est parce qu’un président américain…
Q. G. Bush ?
R. G. Bush, à la fin de la guerre du Golfe, a décidé qu’une fois que le Koweït était libéré - ce qui avait été prévu et demandé par les résolutions du Conseil de sécurité - il n’avait pas à aller au-delà. Parce que les résolutions ne le prévoyaient pas, parce que cela créerait une situation immaîtrisable et donc, il a décidé de s’arrêter. Il en a informé à l’époque F. Mitterrand, Mme Thatcher, etc. À l’époque, le monde entier, en fait, soutenait cette opération pour le Koweït. C’est cette décision américaine qui a créé cette situation. Donc, aujourd’hui, nous disons qu’il faut appliquer toutes les résolutions mais rien que les résolutions, pas plus.
Q. Mais cela ne veut-il pas dire que la France s’accommode du dictateur sanguinaire de Bagdad ?
R. Il n’y a pas à s’accommoder ou pas. Le monde est plein de réalités, qui nous plaisent ou pas et que nous devons chercher à faire évoluer. Il n’est pas en notre pouvoir de faire disparaître cette réalité. Nous parlons de la nature de la pression que le Conseil de sécurité doit exercer. Aujourd’hui, il n’y a pas de résolution disant que nous ne pourrons lever l’embargo à terme que quand l’Irak n’aura plus S. Hussein comme dirigeant. Même les États-Unis ne le disent pas tout le temps. La vraie condition n’est pas celle-là. La vraie condition, c’est que l’Irak doit appliquer les résolutions, arrêter tous les programmes. À ce moment-là, on lèvera l’embargo et il retrouvera sa place.
Q. Si S. Hussein se plie aux règles internationales, on peut penser que les sanctions et l’embargo pourraient être levés ?
R. C’est ce que prévoient les résolutions. Mais à la longue, avec les années qui passent, on finit par oublier pourquoi on fait tout cela, on finit par oublier que ce sont les conséquences de la guerre du Golfe, on finit par oublier que cette crise-ci dont nous parlons, c’est le résultat du fait que S. Hussein a refusé de coopérer avec la Commission. C’est une fuite en avant. Ce sont des erreurs, ce sont de mauvaises décisions. Il faut l’Irak revienne sur ses décisions mais il n’y a pas de résolutions cachées demandant autre chose. En tout cas, pas à nos yeux.
Q. Est-ce que la politique américaine est claire ? Est-ce que la politique de S. Hussein est claire ?
R. Chacun a ses objectifs. Je suis là, ici, pour expliquer que la politique de la France est claire et qu’elle a pour objectif de trouver d’abord une solution politique plutôt que militaire à cette crise et de dégager ensuite une perspective pour qu’on sorte de cette situation.
Q. Dernière question : quelle différence ou nuance y a-t-il entre J. Chirac, L. Jospin et vous ?
R. La France s’exprime à travers une même politique, à travers plusieurs voix pour mener la même politique avec les mêmes objectifs et la relation, la mise au point, la coordination est absolument constante.